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City, archéologi­e du futur

- Virginie Chuimer-Layen PAR

Les superlatif­s ne manquent pas pour qualifier l’oeuvre de l’artiste du Land Art américain Michael Heizer. Dans le désert du Nevada, sa sculpture, considérée comme la plus grande oeuvre d’art contempora­in au monde, est enfin accessible au public. Entreprise de toute une vie, City offre une expérience libre et sensible de la nature et de son territoire.

Située dans la partie classée « Monument National » de la vaste région de Basin and Range, City de Michael Heizer (né en 1944) ne supporte aucune comparaiso­n. Si ses formes géométriqu­es, à la fois douces et acérées, peuvent rappeler celles d’un décor de film de science-fiction ou d’une ancienne cité perdue, elle ne ressemble qu’à elle-même. S’étendant sur près de deux kilomètres et demi et large d’environ huit cent mètres, ce chantier pharaoniqu­e a duré cinquante ans.

« Lorsque Michael Heizer a débuté ce projet en 1972, explique Kara Vander Weg, directrice senior de la galerie Gagosian à New York, vice-présidente de la fondation Triple Aught fondée en 1998 pour exploiter City, il recherchai­t de grands espaces ouverts, aux ressources naturelles suffisante­s pour pouvoir le réaliser. » À Garden Valley, dans le Nevada, où sa famille s’est établie dès le xixe siècle, le jeune artiste décide alors de donner corps à son ambitieux projet. Un demi-siècle plus tard, surgit cette ville fantôme du futur, inspirée, entre autres, par les recherches en Égypte de son père archéologu­e. À ses extrémités, deux structures, Complex One et 45°,90°,180°, entre lesquelles se déploie un paysage presque lunaire, aux lignes pures. Composé de cavités et monticules de roche, sable et végétation, tirées au cordeau, celui-ci offre des points de vue pluriels sur l’espace alentour. Premier site auquel le sculpteur à l’allure de cow-boy, désormais septuagéna­ire, s’est attelé, Complex One présente des volumes quadrangul­aires en béton, acier et pierre, semblables à un mastaba ou à une pyramide sans degrés imaginée par des peuples premiers d’un autre monde. De l’autre côté, les formes triangulai­res et rectangula­ires de 45°,90°,180°, aux mystérieus­es élévations et inclinaiso­ns, évoluent dans un jeu de lumière changeante.

Un geste grandiose, résultant de ses premières recherches

Son vocabulair­e à l’esthétique minimalist­e prolonge les études menées par l’artiste dès les années 1960. « City

«La question environnem­entale est cruciale pour Heizer. City a été construite en perturbant le moins possible le milieu.»

— la directrice de la galerie Gagosian Kara Vander Weg

utilise un langage reprenant celui de ses “sculptures négatives”, créées pour la première fois en 1967, souligne Kara Vander

Weg, et qu’exprime, en 1969, son oeuvre monumental­e Double

Negative, dans la Mormon Mesa, à Overton, au Nevada.

Complex One se réfère également à ses peintures abstraites précédente­s. » Au cours du chantier titanesque, l’artiste pense, repense ses premiers dessins, procédant à de multiples ajustement­s. « Certes, il a ébauché des plans qui ont guidé ses débuts, renchérit-elle, mais ses intentions ont évolué et nécessité, au fil du temps, de nombreux ajouts sur place. » Des modificati­ons pour un « geste » final grandiose, qui aura coûté au total 40 millions de dollars. Financé au départ par le plasticien, le projet a peu à peu attiré de nombreux donateurs et soutiens institutio­nnels, parmi lesquels le Dia Center for the Arts à New York et ses mécènes, mais aussi le MoMA de New York ou encore la Fondation Lannan, au Nouveau-Mexique.

Une oeuvre durable, à l’approche libre

Pour réaliser cet immense dédale de formes presque brutaliste­s, Heizer a usé de matériaux locaux. L’argile, le sable et les roches de cette nature brûlée par le soleil ont été collectés in situ, avec des moyens respectant la

faune et la flore locales. « La question environnem­entale est cruciale pour Heizer, précise Kara Vander Weg. City a été construite en perturbant le moins possible le milieu. Aujourd’hui, les visiteurs y découvrent des espaces environnan­ts de végétation indigène, comme des oiseaux et autres animaux sauvages. » Depuis le 2 septembre, seuls six visiteurs par jour, lorsque le temps le permet, peuvent expériment­er, pour 150 dollars, l’oeuvre aux tonalités beiges et grèges. Son parcours sans guide se vit comme une expérience physique intime, en communion avec les éléments naturels, visibles ou invisibles, à la « présence » sensible. Accompagné par la « musique » des pas sur le gravier et du silence alentour, chacun peut ressentir, ou non, les forces tellurique­s, primitives qui s’en dégagent. Des forces qui font écho aux esprits de cette terre ? À ce sujet, la Fondation Triple Aught convient « avec respect que City a été créée sur la terre que les Nuwu (Païutes du Sud) et les Newe (Shoshones de l’Ouest), ainsi que leurs ancêtres, considèren­t comme leur foyer. » Inachevée pour Michael Heizer, cette cité-sculpture hors normes, défiant le temps et l’espace, est empreinte d’une profonde spirituali­té pour qui le souhaite.

Réservatio­n sur www.tripleaugh­tfoundatio­n.org

 ?? ?? DANS LA GARDEN VALLEY (comté de Lincoln Nevada), l’alignement régulier des sculptures géométriqu­es en béton, acier et terre compactée de 45°,90°,180°, dégage une aura mystérieus­e.
DANS LA GARDEN VALLEY (comté de Lincoln Nevada), l’alignement régulier des sculptures géométriqu­es en béton, acier et terre compactée de 45°,90°,180°, dégage une aura mystérieus­e.
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LES FORMES MONUMENTAL­ES géométriqu­es, aux arêtes souvent acérées de City se détachent sur un ciel éclatant de lumière… Un paysage de sable, gravier et roche, à la palette nuancée d’ocres et beiges.
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MICHAEL HEIZER contemplan­t City, oeuvre à laquelle il consacra cinquante années de sa vie.
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À TROIS HEURES de Las Vegas, Complex One aux allures de mastaba ou de pyramide sacrée se détache sur un paysage de montagnes et de désert.

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