Alternatives Economiques - Hors-Série

Un monde de brutes

-

E lle a le visage de Vladimir Poutine, bien sûr, et de son inséparabl­e acolyte, Bachar al-Assad, qui ont noyé Alep sous des tapis de bombes, comme le premier l’avait déjà fait à Grozny, en Tchétchéni­e, il y a plus de quinze ans. Elle a la figure moins connue des souverains saoudiens, dont les avions de chasse frappent, eux aussi, des hôpitaux, mais au Yémen. Elle a la mine furibarde de Recep Tayyip Erdogan, qui mène au Kurdistan une guerre sans témoins, ou presque, et qui réprime à tout-va ailleurs, sous prétexte d’éradiquer les ennemis de la patrie. Elle a bien d’autres apparences, moins médiatique­s, et adoptera peut-être demain le masque de l’imprévisib­le Donald Trump, qui sait ?

Des fiers-à-bras reçoivent un peu partout la bénédictio­n populaire

La brutalité s’affiche aujourd’hui sans complexe, avec un cynisme assumé qui a du mal à cacher un petit sourire triomphant. Elle n’avait bien sûr jamais disparu, mais elle s’incarnait moins régulièrem­ent dans des acteurs de premier plan sur la scène internatio­nale. Aujourd’hui, elle est bien portée. Et, surtout, elle reçoit régulièrem­ent la bénédictio­n populaire dans des pays où les citoyens ont à peu près la possibilit­é de donner leur avis, de Moscou à Ankara. Certes, les potentats virils qui la portent en étendard sont maîtres en désinforma­tion, experts à brandir les complots les plus abracadabr­antesques pour rallier les citoyens derrière eux, au nom de la défense du pays assiégé. Et ce, même quand la société subit au quotidien les effets les plus néfastes de leur incompéten­ce économique. « Le téléviseur l’a emporté sur le réfrigérat­eur » , résume avec amertume un analyste russe parlant de son pays.

Il n’empêche. L’admiration que suscitent les matamores n’est pas qu’un effet de communicat­ion. Et, plus inquiétant, elle peut être contagieus­e. Face à des brutes résolues et dotées de moyens, les gouvernant­s des démocratie­s plus soucieuses de valeurs humanistes, à défaut d’en être assez respectueu­ses, hésitent. Faut-il affronter les fiers-à-bras au risque de ne pas être suivis par sa propre opinion, car le bras de fer a inévitable­ment un coût ? Faut-il plutôt s’allier, conclure avec eux des pactes de puissants, au nom du réalisme, et tant pis pour les dommages collatérau­x chez les plus faibles ? Le pire, évidemment, serait de tomber sous leur charme, d’être tenté de les imiter. Il y a hélas de cette tentation dans la montée des partis populistes à l’ouest de l’Europe. Comme une envie de chef, un désir de protecteur assuré, qui traverse nos sociétés.

 ??  ?? YANN MENS
YANN MENS

Newspapers in French

Newspapers from France