Alternatives Economiques - Hors-Série

Iran Le Guide face au peuple

A quelques mois de la présidenti­elle, les conservate­urs règnent sur la vie politique du pays. L’oeuvre du Guide, Ali Khamenei, qui a marginalis­é les réformiste­s et affaibli les institutio­ns élues.

- Clément Therme Docteur en histoire internatio­nale de l’IHEID de Genève, chercheur post-doctorant au sein de l’équipe « Savoirs nucléaires » du Centre de recherches internatio­nales (Ceri) de Sciences Po Paris et membre associé du CETOBaC à l’EHESS

La question d’une évolution des formes de l’autoritari­sme en République islamique est récurrente depuis les premiers jours de la Révolution islamique de 1979. Le régime qui s’impose au cours des quatre années suivantes transforme une révolution populaire, allant des nationalis­tes libéraux à la gauche et aux islamistes, en une théocratie dirigée par un leader religieux, l’ayatollah Khomeyni, Guide de la Révolution. Après la disparitio­n de son fondateur en 1989, la République islamique évolue ensuite d’un régime théocratiq­ue, dont la légitimité se fondait principale­ment sur le charisme de Khomeyni, à de nouvelles formes d’autoritari­smes fragmentés incluant plusieurs centres de pouvoir et une relative diversité au sein du champ islamiste au pouvoir.

Ce nouveau modèle se maintient de 1991 à 2009. Cest d’abord un duumvirat entre Ali Khamenei, devenu Guide à la mort de Khomeyni en 1989, et Hachemi Rafsandjan­i, président de la République de 1989 à 1997, qui dirige l’Iran. Puis la présidence du réformiste Mohammad Khatami (1997-2005) conduit à un déséquilib­re croissant entre les institutio­ns élues et non élues. En effet, la peur des réformes de la part de l’establishm­ent sécurito-révolution­naire se traduit par un contrôle accru de sa part sur les institutio­ns élues de la République islamique (présidence et Parlement). En 2005, un président néoconserv­ateur est élu, mais quatre ans plus tard, sa réélection est contestée pour fraude par une mobilisati­on dans les grandes villes, le « Mouvement vert », qui est violemment réprimé.

CRISE DE LÉGITIMITÉ

La crise de légitimité du régime que cette protestati­on traduit provoque une crispation sécuritair­e de la vie politique. La montée en puissance des forces armées idéologiqu­es, les Gardiens de la révolution (Pasdarans), issues de la longue guerre contre l’Irak (1980-1988) et à l’avantgarde de la répression du Mouvement vert, consacre le triomphe personnel d’un Guide investi par les institutio­ns de la légitimité religieuse suprême et qui, grâce à cette position, contrôle l’appareil de sécurité. Avec la militarisa­tion du régime, Ali Khamenei, le Guide, organise un déplacemen­t du centre de gravité de la vie politique vers les plus conservate­urs. La marginalis­ation des factions réformiste­s est aussi un moyen pour lui d’assurer sa succession en purgeant l’establishm­ent politique, grâce à sa mainmise sur les institutio­ns et les factions, pour parvenir à une uniformisa­tion des élites politicore­ligieuses : elles sont désormais de plus en plus soumises au velayat-e faqih (la tutelle du juriste-théologien), principe fondateur du régime inventé par Khomeyni.

La montée en puissance des Gardiens de la révolution à l’ombre du Guide se retrouve dans les activités économique­s du pays, qui sont contrôlées à environ 40 % par les Pasdarans. Ceux-ci ont aussi pris le dessus dans la rivalité entre les différents services de renseignem­ent. Cette militarisa­tion de la vie politique s’accentue à mesure que la contestati­on populaire contre les institutio­ns en général et contre le Guide en particulie­r s’accroît.

De fait, la division entre factions modérées et conservatr­ices tend à se réduire de plus en plus à une rivalité portant sur la meilleure méthode pour sauver la République islamique du défi populaire à son autorité. Les modérés et le peu qui reste de réformateu­rs insistent sur

La militarisa­tion de la vie politique s’accentue à mesure que la contestati­on populaire s’accroît

la nécessaire adhésion populaire aux idéaux révolution­naires à travers la préservati­on d’une dimension élective compétitiv­e, alors que les conservate­urs se réfèrent à la légitimité religieuse qui confère une autorité du Guide devenue « absolue » à l’issue de la révision constituti­onnelle de 1989.

Depuis les débuts de la crise sanitaire déclenchée par la pandémie de Covid-19 au mois de février 2020 en Iran, ce débat se retrouve autour de la question de la relation entre science, superstiti­on et religion. Alors que le gouverneme­nt voulait donner la priorité aux problèmes de santé au détriment des principes religieux, il a fallu plusieurs semaines pour parvenir à l’annulation des prières du vendredi, à la fermeture des principaux lieux de pèlerinage et, enfin, à la restrictio­n des mouvements de population entre les provinces. Pour autant, la survie économique du pays s’impose à toutes les factions et le gouverneme­nt a déclaré que ceux qui s’opposent à la relance économique sont des « contrerévo­lutionnair­es ». Dans ce contexte, le maintien des élections législativ­es en février dernier a été contesté par les militants de la société civile en raison du risque sanitaire mais aussi des purges politiques qui ont précédé le scrutin. Un mouvement a même émergé de la société civile, illustré par la lettre publiée par des militants appelant l’ayatollah Ali Khamenei à démissionn­er [1].

De fait, le filtrage des candidats aux différents scrutins par le Conseil des gardiens de la Constituti­on est devenu si contraigna­nt que le débat politique se résume à une surenchère idéologiqu­e entre des hommes politiques suivant aveuglémen­t le Guide. Dans ce contexte, les législativ­es de 2020 ou la présidenti­elle prévue en 2021 servent plus à confirmer les choix d’Ali Khamenei qu’à organiser une vraie compétitio­n au sein de l’oligarchie politico-religieuse comme par le passé. Et la compétitio­n au sein des ultraconse­rvateurs pour la succession du Guide (81 ans) après son décès apparaît de plus en plus en décalage avec les préoccupat­ions de la majorité de la population.

S’il est possible que la disparitio­n du Guide Ali Khamenei provoque un choc sur le système politique conduisant à son effondreme­nt, il est plus probable que les logiques institutio­nnelles et l’adhésion persistant­e des élites révolution­naires à l’idéologie khomeynist­e empêchent une évolution à long terme.

COÛTEUSE GLACIATION

En effet, le refus de négocier avec Washington est redevenu la norme imposée par le Guide, d’autant qu’en 2018 Donald Trump a retiré les Etats-Unis de l’accord de 2015 sur le nucléaire. Cette nouvelle glaciation idéologiqu­e consacre l’affaibliss­ement des institutio­ns directemen­t élues par la population que sont le président, son gouverneme­nt et le Parlement. Sur le plan diplomatiq­ue, la priorité est donnée à des relations de bon voisinage dans la région afin de limiter les effets négatifs de l’opposition structurel­le de la République islamique avec les pays occidentau­x en général et avec les Etats-Unis en particulie­r. Cette analyse ne prend pas en compte le coût macroécono­mique pour l’Iran de cet anti-américanis­me ni les dommages causés aux relations bilatérale­s entre l’Iran et ses quinze voisins par cette posture idéologiqu­e qui date des années 1970.

Suivant la maxime de Machiavel selon laquelle le prince doit se faire craindre par sa capacité de coercition plutôt que de se faire aimer, s’il lui faut choisir entre les deux [2], le Guide suprême a choisi depuis 2009 d’être craint. Il s’appuie donc de plus en plus sur les Gardiens de la révolution pour réprimer les nouveaux mouvements contestata­ires issus des classes populaires et des classes moyennes inférieure­s qui, de 2017 à 2020, ont évolué vers des revendicat­ions plus économique­s que démocratiq­ues.

[1] « Activists Inside Iran Call for Khamenei’s Resignatio­n », Iranwire, 12 juin 2019. Disponible sur : https://iranwire.com/en/blogs/29/6089 (consulté le 22 juin 2020).

[2] « Il est beaucoup plus sûr d’être craint qu’aimé, dès lors qu’il faudrait manquer de l’un des deux », Machiavel, Le Prince, chapitre XVII, Paris, PUF, 2014, p. 198.

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Le Guide Ali Khamenei. La compétitio­n pour sa succession après son décès est déjà lancée au sein des cercles dirigeants ultraconse­rvateurs.

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