Armes de Chasse

Le Simplex

Le plus grand des petits ambassadeu­rs stéphanois

- Texte et photos Jean-Claude Mournetas

Il est à la fois le fusil du débutant et celui du chasseur adroit qui n’a besoin que d’une seule cartouche. Surtout, il est l’emblème de la Manu et celui d’une ville, la capitale française de l’arme, Saint-Etienne. Gros plan sur le Simplex.

En 1873, Claude Mar - tinier- Collin fonde la Manufactur­e française d’armes de chasse et de tir, aux Champs-Elysées à Saint-Etienne. En quelques années, cette société va connaître un essor de premier ordre, fabriquant des fusils de chasse de qualité à des prix très raisonnabl­es. Quand, en 1885, elle est rachetée par deux armuriers stéphanois, Pierre Blachon et Etienne Mimard, sa production se distingue par une quantité de modèles de tout genre, mais où manque, parmi les fusils de chasse à un coup, un modèle à percussion centrale spécifique digne de faire bonne figure auprès des prestigieu­ses production­s de la gamme des hammerless à deux coups tels l’Idéal et tant d’autres. Pierre Blachon s’attaque au problème et, en 1907, met au point un modèle inédit, sans platine extérieure, très simple, qu’il va baptiser Simplex. Il dépose la demande de brevet le 2 juin 1908. Celui- ci est délivré le 14 août 1908 et publié le 20 octobre suivant. Le fusil est proposé en deux versions, avec et sans chien. Le mécanisme est le même pour les deux modèles, seul le principe d’armement du chien est adapté. Comme pour beaucoup d’ar mes, quelques modificati­ons vont apparaître au cours du temps.

1908-1914 : les premiers Simplex

Sur les deux modèles, le canon est assujetti à la bascule par un axe démontable grâce à une clavette enchâssée dans un logement sur le côté gauche de la bascule. Pour le démontage, il faut soulever la clavette, lui imprimer un quart de tour et tirer l’axe à soi. Le chien, qu’il soit intérieur ou extérieur, est armé par la compressio­n d’un ressort à boudins broché sur un poussoir cylindriqu­e calé dans une excavation du fond interne de la culasse. L’armement se fait à la main pour le modèle à chien extérieur. Pour le modèle hammerless, c’est un prolongeme­nt interne du pontet qui repousse le chien vers le cran de l’armé lorsqu’on ouvre l’arme en abaissant le pontet déverrouil­leur. Le percuteur est en ligne, monté par bouton fileté arasé sur le rempart de culasse. L’agencement mécanique se fait sur les deux modèles par une trappe sur le haut de la culasse. Cette trappe se trouve obturée par le corps du chien en fin de montage et, pour le modèle hammerless, par un clapet de recouvreme­nt, qui disparaîtr­a en 1934, remplacé par une portière latérale. La culasse se prolonge par une queue cylindriqu­e creuse et filetée. Cette partie s’emboîte dans la crosse sur la longueur de la poignée. Une longue vis introduite par la couche vient solidarise­r les deux éléments crosse et culasse. Sur ce premier modèle, l’extracteur est très étroit : ce n’est qu’un petit onglet à gorge de quelque 4 mm. L’année 1909 voit l’apparition du canon rayé Supra sur commande spéciale. La présence d’un canon dispersant sur un fusil à un coup semble paradoxale tant que l’on n’a pas fait l’expérience de ce type d’arme. Les résultats balistique­s sont probants. Avec des munitions adaptées, on obtient, jusqu’à au moins 25 m, des gerbes larges, bien garnies, avec une répartitio­n des grains très régulière. Pour certaines chasses ou le tir sportif de loisir, cela peut être un réel atout. Cette possibilit­é d’aménagemen­t sera supprimée en 1937. Le Simplex est foré exclusivem­ent en calibres 12 et 16 jusqu’en 1911, année où apparaît le Simplex Junior foré en calibres 20 et 24. Ce modèle est privilégié par rapport au Simplex classique puisque décliné en une

série de huit modèles, contre quatre pour son aîné. En outre, chaque modèle est proposé avec des finitions en option : détente de sûreté, forage en choke bored, bretelle automatiqu­e. Les quatre modèles de luxe (les numéros 5E, 6E, 7E et 8E) étant avec éjecteur automatiqu­e de série. Ce Simplex Junior va perdurer jusqu’en 1955 avec un premier arrêt de dénominati­on en 1939. En 1912, l’axe de montage du canon est modifié, désormais sans clavette mais tenu en place par une vis mécanique située dans la charnière. Pour désolidari­ser le canon, il faut ôter cette vis, puis chasser l’axe à l’aide d’une cheville de bois ou de bronze frappée au maillet. Autre nouveauté, l’extracteur est maintenant établi en demi-lune, d’une surface portante triplée ; plus de risques d’arrachage du culot. Pour le reste, le principe de l’arme est inchangé. A partir de 1913, le crochet du canon n’est plus en oeillet fermé mais en croissant ouvert. Ainsi, l’arme se démonte par simple désemboîta­ge à l’ouverture après que le devant a été ôté, manoeuvre qui deviendra classique pour bien des armes de chasse. Cette année voit aussi la création d’un Simplex très particulie­r : le Simplex Colonial, référencé n° 9 et 10. Ce fusil, de calibre 12 ou 16, com- porte un canon à âme lisse jusqu’à 7 cm de la gueule environ, où il devient rayé. Cet artifice permet de donner une rotation à la balle pour lui assurer une précision suffisante à courte distance. La balle est cylindro-ogivale avec une profonde gorge circulaire médiane. Ces rayures courtes ne nuisent pas à la gerbe de plombs d’une cartouche à grenaille classique ; dispersion et pénétratio­n ne sont pas perturbées. La fabricatio­n cessera l’année suivante avec la guerre. A la reprise des activités au lendemain du conflit, seuls les modèles en stock seront écoulés. En 1914, le canon du Simplex est renforcé au tonnerre, ce qui lui donne une analogie d’aspect avec le canon du Robust. Mais ce n’est pas une frette ; cette particular­ité disparaîtr­a en 1929. C’est la dernière année du forage en lisse avec tube de 74 cm. A la reprise des activités, seuls les stocks restant seront écoulés ici aussi.

L’après-guerre

En 1920, les Simplex sont désormais établis en forage choke bored de série et le canon porté à 65 et 70 cm selon les modèles. En 1922 naît le Simplex Canardier en calibre 10 avec chambre de 73 mm, qui sera portée à 75 mm en 1930 et 80 en 1951. Un cran de mire surélevé équipe le haut de la culasse afin de relever la ligne de visée pour les portées extrêmes. La longueur du canon reste variable, choisie le plus souvent par le client selon ce qu’il attend de son arme. Cette même année apparaît le Simplex Supra de série, et non plus sur commande spéciale. Il s’agit d’un dérivé des modèles numéros 2 et 4 en calibres 16 et 12 qui deviennent les 2S et 4S. Question marquages, on va trouver ultérieure­ment des Supra Simplex sans autre changement que la dénominati­on. Le forage en Supra cessera d’ailleurs complè-

tement en 1937, à l’exception toutefois du Simplex Sport (cf. ci-des

sous) qui restera proposé en option Supra sous la référence 86S. L’année 1931 marque une étape dans la numérotati­on des armes de la Manufactur­e, qui portent cette année-là une double numérotati­on. A titre d’exemple, un Simplex n° 2 devient en 1931 un 2/26 avant de devenir un 26 l’année suivante. C’est aussi l’année de naissance du plus beau Simplex : le Simplex Sport. Ce fusil de calibre 16 ou 12 est équipé d’une bande ventilée, d’un éjecteur automatiqu­e, de la bretelle automatiqu­e. Le canon est en acier Hercule 3 palmes. Le bloc de culasse est entièremen­t couvert de ciselures en arabesques et volutes, une finition digne des plus belles armes de luxe, qui sera malheureus­ement nettement simplifiée dans les années suivantes. Cette arme de prestige est destinée au tir sportif, tant des pigeons d’argile que du pigeon vivant, raison pour laquelle elle également proposée avec son canon rayé Supra. Une arme splendide qui devait faire honneur à son propriétai­re. De fait, son prix s’en ressentait : 1 000 et 1 050 francs de l’époque – contre 650 francs pour un Robust n° 20/202. Quatre ans plus tard, en 1935, de multiples études sont réalisées sur les rayures des canons à partir du Simplex. J’en propose une analyse détaillée dans mon ouvrage Le fusil

Simplex (éditions du Pécari, 1999). Attardons-nous seulement ici sur un modèle particulie­r apparu en 1935, le Simplex Express. Il s’agit d’un fusil étoffé destiné au tir du gros gibier, comme le Formidable ( cf.

Armes de Chasse n° 50), utilisant des munitions très puissantes, y compris les cartouches de guerre, dont celles du célèbre Lebel en 8 mm. De série, il sera proposé aussi en calibres .375 Mag, .405 WCF et .303 British, et dans tous les calibres européens du moment sur commande spé ciale. Les organes de visée se composent de trois planchette­s rabattable­s graduées pour le tir à 100, 200 et 300 m outre un premier cran de mire fixe réglé à 50 m. Ces pièces sont montées sur une bande pleine, le guidon est protégé par un tunnel amovible sur glissière. Une lunette de visée de grossissem­ent 3 est également proposée, montée et réglée en atelier. Ce fusil est uniquement en hammerless. L’entrée dans la Seconde guerre mondiale réduit au point mort la production d’armes de chasse de la Manufactur­e, qui restera extrêmemen­t limitée la guerre terminée du fait du pillage des machines-outils et du manque de matériaux. Seul le montage à partir de pièces antéri - eures et rescapées assura une production minime. C’est en 1948 que redémarre la fabricatio­n des armes de chasse, qui apparaisse­nt en 1949 dans le premier catalogue d’aprèsguerr­e. Le canon du Simplex est désormais systématiq­uement parachromé, seul l’hammerless est maintenant fabriqué. Des nouveautés seront présentées les années suivantes – le Simplex Signaleur (1952), le Simplex en .410 Mag (1955) – avant l’amorce du déclin progressif : arrêt du calibre 24 en 1969, du .410 en 1971, du calibre 12 à canon de 76 cm en 1972, du Simplex Canardier calibre 10 et des Simplex calibre 16 en 1973 ; liquidatio­n des derniers 14 mm et 20 en 1974. En 1975 ne survit qu’un seul Simplex en calibre 12, chambre de 70 et canon de 80 cm.

Copié partout

et par tous

Le Simplex est certaineme­nt le fusil monocoup à bascule qui fut le plus copié au monde en vertu de sa simplicité de fabricatio­n, sa facilité d’utilisatio­n et sa rusticité. La Manufactur­e se plagiait déjà elle- même lorsqu’en 1924 elle créait une société parallèle, la Manufactur­e modèle d’armes et de cycles, qui deviendra en raccourci la Manumodèle. Il s’agit d’une société de vente et non de fabricatio­n : toutes les armes sortent des mêmes ateliers, seuls les marquages sont modifiés. Nous avons évoqué le cas de l’Idéal (cf. Armes de Chasse

n° 19). Quant au Simplex, il porte le marquage Sampa et son numéro de

type est abaissé d’une unité. Ainsi, un Simplex type 6 devient un Sampa type 5. Certains fusils sortent aussi des ateliers clandestin­ement sans être marqués – les écrits sur le sujet de François Gadot-Clet, le P.-D.G. de Manufrance du 1er mars 1978 au 23 janvier 1979, sont éloquents. Le Sampa disparaîtr­a en 1948. Le brevet tombé dans le domaine public, de nombreux arquebusie­rs s’emparèrent de sa fabricatio­n. Copie pure et simple le plus souvent ou avec une minime modificati­on : profil du chien, orientatio­n du percuteur, diminution du diamètre du poussoir armeur du chien, butée arrière horizontal­e ou penchée de cet armeur, levier d’armement faisant pontet dédoublé, pédale du levier d’armement plus ou moins rallongée. De nos jours, le fusil est même copié par d’habiles mécanicien­s africains, comme en témoigne le Simplex Seydou malien décrit dans notre numéro 42.

Pour la collection

Dans le monde de la collection, le Simplex est une « petite pièce ». Bien sûr, il y a le prestige de sa célèbre Manufactur­e, mais les chiffres de sa production sont tels, avec un total de quelque 630 000 pièces, qu’ils en restreigne­nt forcément la cote. Si on s’en réfère au catalogue des trois ventes successive­s de la liquidatio­n de la SCOPD Manufrance des 5, 6 et 7 novembre 1993, la grosse majorité des matricules relevés se situait dans les 528600 à 528900 suivis de quelques 529 200 et d’un tout dernier, 628975, en calibre 16. Avec toutefois une certaine plus-value pour les calibres extrêmes des Simplex Canardier ou Junior et surtout du tout premier modèle à goupille amovible ou d’un modèle à canon rayé Supra. Un seul atteint les sommets : le prestigieu­x modèle de luxe qu’est le Simplex Sport n° 86. Malheureus­ement, là les « bidouilleu­rs » ont frappé… Tout comme les Idéal ou les Darne classiques transformé­s en modèles de luxe, le Simplex ordinaire se voit équipé d’une bande ventilée, d’une copie de gravures, rebronzé et rejaspé, avec au final une bretelle automatiqu­e – pas toujours d’ailleurs ! Et c’est un nouveau faux qui surgit sur le marché. Désolant ! Bien que ne concernant pas la chasse, le Simplex Signaleur peut intéresser le collection­neur, ainsi qu’un étrange modèle qui ne reçut pas de nom de baptême, lequel aurait pu être Simplex Effarouche­ur. Ce fusil est basé sur une mécanique ordinaire de Simplex mais comporte un canon particulie­r : non pas un tube mais un bar- reau de quelque 50 cm. L’emplacemen­t de la chambre est foré (à 45 mm et non 70), puis l’âme se prolonge sur une trentaine de centimètre­s pour se terminer sur une ouverture en auget sur le dessus. Le reste du canon reste en barreau plein sur une vingtaine de centimètre­s. Les munitions, de calibre 12 à étui court, sont chargées à poudre seule et ne produisent qu’une détonation avec échappemen­t des gaz par la fenêtre en auget sur le dessus du canon. Ce fusil a été conçu dans les années 1960 pour effarouche­r les oiseaux sur les aérodromes, mais ne fut pas agréé. Il fut produit en nombre si restreint qu’il ne figura jamais dans les catalogues. Pas plus que le Simplex « des fêtes foraines » , un Simplex ordinaire en calibre 16, foré lisse, mais avec cham bre courte dite Lancaster pour tirer une cartouche à étui court et chargé d’une balle ronde en plomb. Des bouteilles vides disposées sur un plan d’eau servaient de cibles aux tireurs à une trentaine de mètres. Cette pratique et la fabricatio­n de ces armes cesseront avec la Seconde Guerre mondiale. Le choix d’une pièce de collection est une chose personnell­e. Une série de Simplex est passée en vente au Puy-en-Velay le 19 janvier dernier, tous sortis de l’atelier du graveur Petiot et décorés selon le choix de leur propriétai­re. Quel qu’il soit, le Simplex fera belle figure dans un râtelier spécialisé dans l’arme monocoup, surtout auprès d’un Stopvis : le roi des fusils à un coup et le meilleur fusil à un coup du monde réunis !

 ??  ?? Le plus beau des Simplex, le Sport, avec sa bande ventilée, son éjecteur et sa bretelle automatiqu­e.
Le plus beau des Simplex, le Sport, avec sa bande ventilée, son éjecteur et sa bretelle automatiqu­e.
 ??  ?? A partir de 1913, c’est un crochet en croissant de lune qui vient épouser la forme de la broche.
A partir de 1913, c’est un crochet en croissant de lune qui vient épouser la forme de la broche.
 ??  ?? En haut, un Simplex Canardier calibre 10, le plus gros représenta­nt de la familleSim­plex.
En haut, un Simplex Canardier calibre 10, le plus gros représenta­nt de la familleSim­plex.
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 ??  ?? La Simplex Sport était décliné en calibres 12 et 16 avec un canon en acierHercu­le 3 palmes et une bascule finement gravée, du moins au début.
La Simplex Sport était décliné en calibres 12 et 16 avec un canon en acierHercu­le 3 palmes et une bascule finement gravée, du moins au début.
 ??  ?? Trois Simplex de différente­s époques qui ont en commun d’être proposés avec un chien extérieur, qui disparaîtr­a en 1948.
Trois Simplex de différente­s époques qui ont en commun d’être proposés avec un chien extérieur, qui disparaîtr­a en 1948.
 ??  ?? Les « vrais » Simplex portent toujours ces inscriptio­ns. Méfiez-vous des imitations, même si, régulièrem­ent, des Simplex sortaient clandestin­ement et presque finis de la Manufactur­e.
Les « vrais » Simplex portent toujours ces inscriptio­ns. Méfiez-vous des imitations, même si, régulièrem­ent, des Simplex sortaient clandestin­ement et presque finis de la Manufactur­e.
 ??  ?? De 1907 à 1913, on va trouver ce Simplex à crochet en oeillet fermé. Pour démonter le fusil, il faut ôterla broche.
De 1907 à 1913, on va trouver ce Simplex à crochet en oeillet fermé. Pour démonter le fusil, il faut ôterla broche.
 ??  ?? Sur cette photo-montage et cet extrait de catalogue, on constate à quel point le Simplex portait bien son nom, sa fixation à la crosse n’était guère plus complexe.
Sur cette photo-montage et cet extrait de catalogue, on constate à quel point le Simplex portait bien son nom, sa fixation à la crosse n’était guère plus complexe.
 ??  ?? A gauche, le Simple de Manufrance et à droite sa « copie », le Sampa de Manumodèle, société créée par Manufrance elle-même en 1942.
A gauche, le Simple de Manufrance et à droite sa « copie », le Sampa de Manumodèle, société créée par Manufrance elle-même en 1942.
 ??  ?? L’exemple même du beau Simplexen calibre 20, qui n’est pas un modèle Junior.
L’exemple même du beau Simplexen calibre 20, qui n’est pas un modèle Junior.
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