Pompiers pyromanes
Il y a quelques semaines s’est déroulée à Paris une course de formule 1 d’un genre particulier. Une course de monoplaces « propres », des bolides à zéro émission de gaz à effet de serre. Et médias et badauds de s’extasier devant la prouesse technologique. La planète est sauvée puisque désormais même les voitures les plus puissantes sont devenues non polluantes. Pensez donc, des F1 électriques ! Bien sûr, personne n’a émis l’hypothèse que cette électricité avait peut-être une origine moins virginale : des hydrocarbures, du gaz, du nucléaire, voire du charbon pour l’Allemagne. Autant de taches de gras ou de cambouis qui auraient pu saloper honteusement la robe blanche immaculée de cette bonne fée électricité. Ouf, on a échappé au pire ! Même chose pour les nombreuses batteries au lithium des voitures, à la durée de vie réduite, et au retraitement coûteux et délicat car excessivement… polluant. Au royaume des métaux lourds, le silence est d’or ! Faut-il s’étonner, à l’ère du tout-image et de l’instantané, de cette absence de mise en perspective qui donne le vertige ? Hélas, non. Ainsi, en Afrique, des tonnes d’ivoire de contrebande saisies à des braconniers sont régulièrement transformées en de gigantesques feux de joie. Quinze tonnes au Kenya, 2,6 au Malawi… Des incinérations à la fumée épaisse, noire, acre, visible depuis la Lune et dont nos dirigeants – ministres à la fibre écologiste qui veulent interdire les feux de che- minée au prétexte que cela pollue – se félicitent. La fumée de l’ivoire aurait-elle des vertus insoupçonnées ? Ou bien cet acte écologique fort – brûler un matériau qui vaut un million d’euros la tonne et pour lequel on aurait pu créer un commerce spécifique, réglementé et « équitable » dont les bénéfices auraient servis à la protection des éléphants ou au dédommagement des populations humaines soumises aux dégâts des pachydermes – a-t-il une autre signification ? Non, on a joué les pyromanes de service pour la force du symbole, pour « sauver les éléphants » et tout le monde s’en est félicité. Les images étaient belles, aussi alléchantes qu’un feu de pneus devant une raffinerie française, sauf qu’ici les flammes avaient pour toile de fond la brousse ! Ah ! le choc des images… Mais au fait, ces gigantesques fêtes de la SaintJean à l’africaine ont-elles eu un impact ? Sans doute, mais avant que les cendres n’aient refroidies, le télespeczappeur était déjà passé à autre chose. Et sur le fond ? Il est à craindre que ce vent de destruction crée un marché parallèle, attise la demande, fasse flamber les prix et garde incandescentes les braises du braconnage. C’est l’un des effets pervers de la prohibition, le monde n’a pas changé depuis Al Capone… Chez nous aussi on s’intéresse à la faune africaine. Notre ministre de tutelle a décidé de prendre l’antilope par les cornes. Elle entend cette fois protéger la grande faune du Continent noir. Comment ? En interdisant l’impor- tation des trophées de lions africains. Une initiative relayée à Bruxelles et élargie à l’ensemble de la faune. Enfin une vraie bonne idée pour sauver lions, buffles, antilopes et éléphants : empêcher d’affreux chasseurs sanguinaires de tuer, de dépecer les grands animaux africains avant de rapporter chez eux la preuve de leur massacre. Une vraie bonne idée ? En apparence oui. Car avec une telle loi, c’en est fini de la chasse africaine, fini de ses devises et fini des amateurs de trophées. Mais fini aussi de la protection de la faune. Car qui va payer pour elle dès lors qu’elle aura perdu sa valeur vénale ? Qui pour armer des rangers contre les braconniers si la chasse commerciale ne peut plus s’exercer, si elle ne rapporte plus rien ? Les amateurs de safaris photos ? Pas sûr si l’on en juge par l’exemple kenyan. Aïe ! de nouvelles traces de cambouis sur d’autres robes blanches. Tous les pompiers de service vont-ils se muer en pyromanes ? Fort heureusement pour l’Afrique, pour sa grande faune et pour la chasse, le projet a été retoqué à 80 % au Parlement européen. Les trophées africains continueront d’être importés, les grands animaux du Continent noir d’être chassés et pour ce faire d’être surveillés et protégés. Ils continueront d’exister, du moins jusqu’à la prochaine étincelle de génie et à ses conséquences parfois fumeuses…