La fabrication d’une carabine artisanale
Tout savoir sur la base mécanique : l’action Mauser type 98
Tout savoir sur la base mécanique : l’action Mauser 98 (1re partie)
Si pour beaucoup la construction d’une carabine Mauser se résume au simple assemblage d’un canon sur le mécanisme d’un fusil de guerre, ceux qui fabriquent des armes de chasse artisanales de qualité bâties sur ce système savent combien le procédé a d’exigences. Nous les dévoilons pour vous avec une série d’articles, dont voici le premier volet. Entrez au coeur de l’atelier.
La plupart des carabines artisanales du marché sont construites sur une base ou, pour être précis, sur une action Mauser. Pour autant, le générique Mauser ne signifie rien en soi tant il recouvre de mécanismes différents dont la qualité s’échelonne du médiocre au sublime. On peut toutefois s’interroger lorsque l’on voit les plus grands noms de l’armurerie – H& H, Rigby, Westley Richards, Purdey, Hartmann & Weiss, pour n’en citer qu’un tout petit nombre – n’utiliser que ce fameux mécanisme, alors qu’ils peuvent avoir accès aux « merveilles modernes linéaires » en métal léger. La réponse est simple : le système Mauser 98 a établi un standard auquel les autres se comparent et qui reste à ce jour inégalé. Vous pourrez bien sûr objecter qu’il y a des mécanismes plus fluides, plus rapides, avec davantage de verrous, etc., mais vous n’en trouverez aucun qui associe une telle solidité à une fiabilité hors norme, une alimentation contrôlée, une large lame d’extracteur et une came d’extraction primaire arrachant les douilles les plus rebelles ou gonflées, sans oublier une sûreté agissant directement sur la percussion, un magasin monobloc de grande capacité alimentant en quinconce et une parfaite sécurité d’échappement des gaz en cas de rupture d’étui ! C’est ce système unique que nous avons choisi pour construire notre carabine.
Variations sur un même thème
Rien ne ressemble plus à un système Original Mauser commercial construit dans l’atelier des armes civiles à Oberndorf qu’une action 98 produite à des fins militaires en fin de conflit, pensez-vous ? Eh bien non ! Il y a en réalité énormément de différences, même si l’on peut à juste titre considérer que quelques rares systèmes à vocation militaire sont d’une exceptionnelle qualité et constituent une excellente base. Lesquels? Entre autres les remarquables DWM( 1908 Brésiliens, DWM 1909 Argentins, Steyr 1912 Chiliens, Mauser Standard Model, CZ VZ33 et Brno
G33/40. Les quatre premiers sont des productions militaires « de luxe » qui n’ont rien à envier aux systèmes civils, alors que les fabrications tchèques présentent des configurations très intéressantes small ring( 2) et allègement( 3). On devrait y ajouter l’excellent Mauser 1909 Péruvien à action intermédiaire. Par con tre, les productions de guerre et plus particulièrement celles de fin de conflit ou issues d’arsenaux satellites, comme certaines fabrications yougoslaves notamment, ne répondent pas aux mêmes standards de qualité. Toutefois, le K98 BYF( 4), bien que trop uniformément traité et aux détails de fabrication simplifiés, reste une excellente option pour celui qui ne rechigne pas au travail et veut construire une carabine dans un calibre « chaud ». Certains systèmes sont déclinés dans un nombre de variations plus ou moins grand. Parmi les moins diversifiés, les actions kurz (cf. encadré ci-dessous), qui sont invariablement small ring, petit filetage et jamais solid wall, et des magnum, que l’on rencontre en simple ou double flattop, alors que sur les actions intermédiaires, pourtant plus rares, on note un nombre élevé de combinaisons. A cela s’ajoutent les types d’ouverture de magasin ( fixes, à clé ou à poussoir), les formes de pontet, les systèmes de détente et toutes les autres options comme les sûretés spéciales ou encore, sur les versions les plus tardives et les plus abouties, un guide de culasse faisant saillie côté droit, derrière le levier de verrouillage. Quel que soit l’intérêt de ces variations, il ne faut jamais perdre de vue que l’élément primordial dans la sélection d’une action reste sa parfaite intégrité et qu’il vaudra toujours mieux opter pour un beau et sain mécanisme standard que pour un double flat-top cintré ou trop violemment relimé.
On démonte et on dégraisse
Si le temps et les défauts de conservation sont les premiers ennemis de ces superbes mécaniques, leur mauvais traitement par des amateurs ignorants reste le facteur de destruction actuellement le plus aigu. Combien de beaux systèmes sont chaque jour honteusement percés, meulés et tordus par des armuriers en herbe ? Le
plus grand risque d’atteinte à l’intégrité du boîtier survient lors du démontage du canon. Afin d’éviter tout voilage, il est nécessaire d’agir sur le tonnerre, au plus près du canon. Pour ce faire, on utilise un étau bloquant le tube d’une part, une clé à la forme parfaitement adaptée au profil du tonnerre du boîtier d’autre part. La fixation du tube est assurée par deux coquilles en bronze ou en laiton parfaitement usinées au diamètre du tonnerre du canon, alors que le boîtier est pris dans une clé portant à la fois sur l’aplat inférieur et sur un V bloquant la partie supérieure arrondie. Pour chaque variation de forme, on veillera à utiliser un outil différemment conformé et, afin d’éviter marques et empreintes, on appliquera un feuillard de laiton garni de cuir. Si l’on a pris la peine de patiemment baigner l’assemblage fileté d’huile dégrippante, le démontage survient sans problème. Pour les plus rebelles, une courte chauffe du tonnerre, suivie d’un jet d’air comprimé dans la chambre, règle généralement le souci. Avant toute chose, toutes les parties démontées sont soigneusement dégraissées dans un solvant avant léger brossage. Après que le filetage d’assemblage du canon ait été nettoyé et repassé avec un taraud calibré, on monte le boîtier sur un axe rectifié au diamètre calibré, portant une bague filetée hors masse, outil qui permet de parfaitement centrer l’ensemble dans le tour entre mandrin et contre-pointe. La première intervention consiste à dresser la face avant du tonnerre de manière rigoureusement perpendiculaire à l’axe du système de façon à assurer une parfaite portée du canon. On profitera de ce dispositif et d’un trainard (une pointe à tracer qui permet de visualiser les défauts de diamètre) pour contrôler le faux rond du tonnerre, qu’il sera alors plus aisé de rectifier.
On passe au rodage
Vient ensuite le rodage des portées des verrous. Un poussoir centré dans une bague filetée vissée dans le tonnerre applique une force constante sur la tête de l’obturateur. Une légère couche de pâte abrasive très fine enduit l’arrière des tenons de verrouillage, dont on rode les portées par un mouvement de manoeuvre de 90 degrés entre position ouverte et fermée. Si la rampe hélicoïdale d’armement est marquée, on peut profiter de l’opération pour la roder de la même manière. Cette étape doit être conduite sans excès, elle n’a pour but que d’assurer la rigoureuse portée des tenons sur leur face d’appui. On monte alors le verrou de culasse sur le tour et on le centre en s’aidant de la lunette, dont on positionne les points d’appui dans le décolletage de la bague d’extracteur. En utilisant une pastille carbure, on peut nettoyer d’une passe peu appuyée la face avant de la tête de culasse ou en augmenter le diamètre si l’on veut par exemple passer du standard au magnum. Ces opérations terminées, on procède à un profond nettoyage des pièces, de préférence noyées dans un bac à ultrasons rempli de produit dégraissant. Le système est mécaniquement parfait, les longues et fastidieuses relimes peuvent commencer. Les actions ont subi en usine un traitement thermique de cémentation qui confère une grande dureté extérieure tout en laissant ductile le coeur du métal. La cémentation rend le tra-
vail à la lime difficile, mais tenter de brusquer les choses par une chauffe hasardeuse est inutile. Un jeu de limes diamantées permet d’avancer sans stresser le métal. Selon le degré de finition souhaité, on pourra conserver certains poinçons et numéros, mais sur une arme de qualité, s’il est d’usage de prendre grand soin de préserver les marquages roulés d’origine sur le voile latéral gauche et éventuellement le dessus du tonnerre, on veillera à faire disparaître tous les autres poinçons et numéros sans rapport avec le produit à naître. Une règle à filament permet de vérifier qu’aucun creux ou bosse ne vient altérer la rectitude des éléments, dont l’état de surface doit être parfait, simplement tiré de long, sans le déguisement d’un poli miroir abusif.
Ce que l’on peut modifier
Nous avons maintenant entre les mains un mécanisme parfaitement rectifié, proche d’un système en blanc tel qu’il sortait des ateliers d’Oberndorf avant finitions. Pour en améliorer l’ergonomie, nous allons lui apporter des modifications en veillant bien à n’altérer ni le fonctionnement ni la résistance. La majorité des carabines, à l’exception de certains très gros calibres, étant équipées de lunettes de visée, on sera contraint de changer le levier de manoeuvre de la culasse mobile si l’on ne veut pas être obligé par la suite de monter la lunette trop haut. Toutes les lunettes actuelles de qua- lité sont affligées d’oculaires de fort diamètre et le système Mauser, avec ses deux verrous avant, voit son levier décrire un arc de 90 degrés. Il existe de nombreuses variantes de formes pour les leviers destinés à ce système. Certains reprennent l’allure de ceux des Winchester modèle 70 pré-64 (mécanisme à 90 degrés), d’autres plus conventionnels sont proches des leviers en poire caractéristiques des productions civiles d’Oberndorf, d’autres sont plats, dans le style des modèles M ou Mannlicher, d’autres encore ont une forme en cuillère à facettes, comme sur les Brno modèle 21/22. Nous utiliserons celui qui conviendra le mieux au style de la carabine, les leviers plats restant généralement réservés aux stutzen. On coupe l’ancien levier à la racine en veillant à conserver la came d’extraction primaire ( préoccupation semblant échapper à de trop nombreux facteurs de carabines Mauser) et, profitant de la technologie TIG( on soude le nouveau levier avec un angle moins ouvert et une implan-
tation plus proche de l’axe du verrou. Après relime, on contrôle l’engagement complet des verrous et si nécessaire on modifie ou entaille le rail au droit de l’appui du levier afin de donner suffisamment d’aisance à la complète rotation des tenons. Une autre solution, plus complexe, consiste à entailler une lèvre dans la racine du levier de façon à ce qu’il vienne s’encastrer dans le boîtier sans altération du rail. On vérifie une nouvelle fois l’angle de la came d’extraction primaire et sa portée sur la rampe taillée sous le pont arrière. On peut maintenant passer à la percussion, au système de détente et à la sûreté, toutes ces pièces procédant de la même cinématique.
Être efficace sur la percussion
Contrairement aux idées reçues, il ne sert à rien d’alléger le percuteur ou encore d’utiliser une pièce accessoire en titane ou en alliage composite. Sur les systèmes Mauser civils produits après la Première Guerre mondiale, le marteau de percussion est rallongé et son poids augmenté. De plus, le percuteur d’origine présente une forme particulière qui n’autorise la percussion que verrouillage complètement engagé, détail le plus souvent absent sur les pièces de remplacement. Enfin, pour conférer une énergie suffisante à ces percussions allégées, il est nécessaire d’augmenter la force du ressort, ce qui engendre des vibrations parasites et rend l’armement plus lourd à l’ouverture. Si l’on veut intervenir efficacement sur la percussion, on doit d’abord se préoccuper de la taille de la tête du percuteur et surtout de son trou de passage. Si cette ouverture est trop importante, on observe, avec les pressions engendrées par nos cartouches modernes, un reflux de l’amorce qui peut conduire à une condition critique. Outre- Rhin, FZH( 6) produit d’excellents percuteurs munis de pointes au diamètre réduit. Pour en tirer parti, il faut auparavant réduire le trou initial, soit par un bushing en acier trempé, soit par TIG, et le calibrer parfaitement au nouveau diamètre de la tête de percussion. On pourra aussi remplacer le ressort par un neuf, un FZH, un FN ou encore un Wolf, tous trois Cr-Si (chromesilicium). Naturellement, on veillera à ce que la saillie en butée n’excède pas 1,6 mm et au parfait coulissement de l’ensemble à l’intérieur du corps du verrou, surtout en position armée où les spires ne doivent pas chevaucher ou gonfler. Le corps du percuteur soigneusement poli ajoutera à l’aisance. Si l’on ne conserve pas le mécanisme original, ce qui peut être le cas pour une double détente allemande ou un stecher à pousser, on peut opter pour une détente directe réglable de qualité. Les offres actuelles ne manquent pas. Les blocs détentes proposés par Recknagel comptent parmi les plus aboutis, mais, si par chance on en trouve une, rien n’égale une ancienne Canjar. Quoi qu’il en soit, cette détente reste une base sur laquelle il faut travailler car, pour mieux positionner la queue dans le pontet, on est souvent obligé de refaire cette pièce afin de la mieux conformer. Notez aussi que la gâchette qui fait saillie dans la fenêtre ouverte dans la queue du boîtier doit être parfaitement libre, ce qui oblige à la rectification de l’ouverture ou à la modification de la face avant de la pièce basculante. La sûreté originale système 98 est le fameux drapeau qui engrène sur le marteau de percussion et verrouille la culasse mobile lorsqu’elle est basculée à 180 degrés. C’est certainement le dispositif le plus fiable en matière de sécurité, mais il est difficilement compatible avec une lunette. Dès avant-guerre, Winchester a développé pour son modèle 70 une variante aussi efficace, commandée par un levier à débattement horizontal conservant les trois positions : libre (Fire), percussion bloquée et verrou libre, sûreté totale tout ver-
rouillé ( Safe). Ce type de noix de sûreté existe pour le système 98’, produit par de nombreux spécialistes d’accessoires tels Ed Lapour, ERA, Jung, Gottfried Prechtl, etc. Certaines sont inutilement compliquées par une sûreté auxiliaire ou stalking latch( 7). Ces blocs de sûreté doivent impérativement être ajustés avec le système de détente définitif, car de la position d’appui du marteau de percussion sur la gâchette dépend l’engagement du levier de blocage. On peut contrôler l’efficacité du mon tage lorsqu’en engageant la commande on observe un léger recul du marteau qui libère son appui sur la gâchette. Une autre variante, plus élégante, consiste à modifier la belle noix d’origine par l’ajout d’un levier à débattement horizontal. C’est une opération complexe qui, si elle conserve la forme surannée des pièces originales, n’autorise que deux positions : prête au tir ou sûreté totale. C’est souvent le choix des amoureux du classique. Bien qu’une arme de chasse ne soit pas soumise à des cadences de tir intensives, le mécanisme doit pouvoir résister aux pressions sans aucune altération des portées qui assurent la rigueur de la feuillure et la qualité du fonctionnement. A l’origine, les actions Mauser recevaient un traitement thermique de carbonitruration, une cémentation austénitique permettant l’augmentation de la résistance à l’usure et la dureté de la surface grâce à la création d’une couche superficielle dure. Les opérations de préparation, de rectification et de rodage ont altéré cette cémentation jusqu’à la faire disparaître par endroits, ce qui rend nécessaire un nouveau traitement.
Une trempe par induction
Si le boîtier doit par la suite être fini en trempe jaspée ou grise par nitruration gazeuse, ce traitement thermique n’est pas immédiatement nécessaire. Si par contre l’action doit être finie en bronzage traditionnel, il faut traiter l’ensemble du verrouillage, verrous et portées. Pour ce faire, le meilleur procédé actuel est la trempe par induction, un processus de durcissement qui, en augmentant la résistance à l’usure et la dureté de surface par la création d’une couche de surface durcie, n’affecte pas la microstructure du noyau et convient parfaitement aux aciers alliés. Dans le même temps et après en avoir testé l’état de surface, on traitera si nécessaire les cames d’armement et de sûreté ainsi que toutes les surfaces de glissement et d’accrochage du système de détente. Une remise en blanc des surfaces ainsi traitées et un glaçage garantiront fiabilité et douceur de fonctionnement. L’action est désormais prête à ac - cueillir le canon, ce sera le programme de notre prochain épisode.