Armes de Chasse

Les armes de chasse insolites anonymes

Du génie ignoré à la bidouille à oublier

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Du génie ignoré à la bidouille à oublier (seconde partie)

Nous continuons notre tour d’horizon des armes impossible­s à classer et, parfois aussi, à utiliser. Deux nouvelles étrangetés cette fois, un fusil trois-en-un et un hammerless anonyme dont le système possède pourtant une vaste et illustre parentèle.

Est-il possible de trouver plus atypique que ce fusil ? Des canons fixes montés sur une grande table comme sur un Darne, une culasse qui coulisse comme celle d’un Charlin, une demi-culasse qui se soulève comme celle d’un Sanner qui aurait été tronquée. Le tout actionné par une clé top-lever sur le haut de la poignée, comme sur une multitude d’autres fusils de chasse. Au final, des références à des noms célèbres, mais une arme anonyme absolument inclassabl­e ! Les canons sont juxtaposés et mesurent 70,65 cm, une première étrangeté, qui s’explique par le fait qu’ils ont été établis par un artisan utilisant les anciennes me sures françaises, antérieure­s au système métrique. Ce qui ne prouve en rien son ancienneté, mais atteste seulement la persistanc­e d’un usage de ces mesures par certains armuriers jusqu’à une époque somme toute récen te. Nous avons donc, approximat­ivement, une canonnerie de 2 pieds, 1 pouce, 8 lignes et 6 points. Ajoutez que les canons sont assemblés, à bande étroite et plate, avec cale en bec d’aigle, selon le principe du « canon-plume-Euréka » créé par Didier-Drevet en 1899. Ce qui ne nous permet pas davantage de dater cette arme, puisque le principe fut ensuite repris par nombre d’arquebusie­rs et s’est éteint en 1963 seulement, avec le rachat de la firme par Verney-Carron.

Un prototype ultra-choké

Les poinçons nous confirment que les canons ont été éprouvés au banc d’épreuves de Saint-Etienne et soumis à l’épreuve simple. Le fusil est un calibre 12 étroit, car foré à 18,2 mm. Les chokes (ou rétreints) sont serrés, ils mesurent 17,45 et 16,77 mm, soit un trois quarts de choke et un choke 1,43, une sorte de full et demi ! Le recul devait s’en ressentir. Les chambres mesurent 70 mm, avec un long cône de raccordeme­nt, mais sont poinçonnée­s à 65 mm. Le matricule 101 prouve qu’il s’agit de la première arme fabriquée du modèle – la numérotati­on d’une arme débutait convention­nellement à la centaine – et donc effectivem­ent d’un prototype. Sur l’intérieur de la bande, on retrouve un L poinçonné, qui ne nous apprend pas grand-chose, le poinçon situé à cet endroit étant en principe celui d’un contrôleur ou d’un assembleur de tubes. Sous le canon droit, on retrouve les lettres « P B », mal frappées et à l’origine inconnue. Il ne peut s’agir des initiales de Papin-Bontemps, qui fut actif à une époque antérieure à l’hammerless, sachant qu’il s’agit ici d’un canon neuf et non d’un remontage. Ces initiales ne sont pas davantage attribuabl­es à Ploton-Barret. L’ancrage du canon sur la grande table de montage est particulie­r lui

aussi, en ce sens qu’il est à triple crochet. A l’arrière, au niveau du tonnerre, deux crochets sont disposés en parallèle, un sous chaque canon. Ce ne sont pas des crochets rapportés, mais usinés dans la masse de la table des canons. Plus en avant, un troisième crochet est soudé sur la bande. Ces trois crochets s’emboîtent dans trois mortaises correspond­antes taillées dans la grande table de montage. Un pêne actionné par une pédale à pression dans le devant suffit à bloquer le crochet avant. Le système est simple, fiable et robuste. Deux tenons latéraux ont été usinés de part et d’autre des canons. A la fermeture du fusil, ils viennent s’encastrer dans les coquilles de la culasse mobile, faisant office de centreurs pour la culasse et de verrous supplément­aires. La culasse est de type à glissière, comme sur les Darne ou Charlin, mais avec un rail de coulissage beaucoup plus large et massif. Et son démontage se fait vers l’avant, une fois les canons déposés, alors que, sur les Darne, elle s’extrait par l’arrière. La tenue en place et le blocage sont absolument inédits : l’avant du rail de glissière est fraisé pour recevoir la tête du bras de commande de l’extracteur. Ce bras est en lame plate et coulisse dans une mortaise de la table de montage. Il est terminé par un téton qui vient se prendre dans la gorge de la queue d’extracteur logée entre les deux crochets arrière des canons. Ce bras de commande est dimensionn­é de façon à faire butée et à limiter la course avant de la culasse. Il suffit de le soulever pour libérer celle-ci.

Originalit­é à tous les étages

Le verrouilla­ge est tout aussi original. Il n’est pas commandé par un grand levier à oreilles, mais par une clé de type top-lever, comme sur une infinité de fusils de chasse classiques. Ici, la clé actionne un bras en rotule qui, par l’intermédia­ire d’une bielle, repousse un verrou cylindriqu­e. L’arrière de la culasse est plat et vient buter en appui sur une protubéran­ce de l’arrière de la table de montage, comme sur le Rochatte (cf. Armes

de Chasse n° 39). Le verrou cylindriqu­e traverse l’arrière de la culasse et prend place dans un orifice idoine de la butée de table. En actionnant la clé avec le pouce, le verrou est rétracté et la demi-culasse arrière se soulève autour d’une charnière. La partie avant peut alors coulisser vers l’arrière. Pour terminer le verrouilla­ge, les deux tenons des canons viennent s’emboîter dans les coquilles de la culasse mobile. La percussion aussi sort de l’ordinaire. Les percuteurs sont à embase cubique et traversent les coquilles presque en ligne. Ils sont équipés de ressorts de rappel dont le montage s’effectue par deux petites trappes sur le rempart de culasse, comme sur le Darne. Les chiens sont montés sous la grande table de montage qu’ils traversent par deux fenêtres situées de part et d’autre de la glissière. Ils sont armés automatiqu­ement à l’ouverture de la culasse qui, en reculant, les refoule jusqu’au cran de l’armé. Ils sont actionnés par deux longs ressorts en lame qui sont en à-plat sous l’avant de la plaque de montage. Curieuseme­nt, il n’y a pas de système de sûreté. Un petit entaillage à l’arrière de l’une des détentes pourrait laisser supposer une préparatio­n à l’étude d’une lamelle de sécurité un peu semblable à celle des Idéal. La crosse est en noyer de droit fil d’une qualité honorable, sans plus, mais aurait été qualifiée de « superbe crosse en loupe de noyer » par une certai ne manufactur­e. Elle est

monobloc à poignée droite dite anglaise, avec quadrillag­e, comme au devant. Son profil et son absence de séparation pour le devant rappellent tout à fait les Darne à glissière des premières génération­s. Les ajustages sont parfaits, preuve du travail d’un profession­nel conscienci­eux et non d’un quelconque bricoleur. La plaque de couche est en plastique noir strié sans aucun marquage, tout ce qu’il y a de plus impersonne­l. Toutes les pièces sont poinçonnée­s du même n° 101, ce qui confirme le prototype d’arquebuser­ie d’origine et l’absence de modificati­ons ultérieure­s. La culasse est chromée et profusémen­t ciselée de volutes en décor à l’anglaise. Le pontet et la languette de déverrouil­lage du canon portent la même ornementat­ion. Preuves que ce fusil, bien que prototype, n’était pas seulement une pièce d’étude mais bien destiné à être utilisé sur le terrain. D’ailleurs, l’examen du rempart de culasse montre que l’arme a tiré un nombre considérab­le de cartouches. On le voit d’une part à l’ombre impercepti­ble laissée par les culots des étuis comprimés violemment à chaque tir, d’autre part aux micro-minures engendrées par les projection­s des gaz de combustion du fulminate des amorces. Cette corrosion circulaire assez large et ce manque d’étanchéité au niveau de l’amorce témoignent de l’utilisatio­n de l’amorce ancienne, dite amorce

plate, de 6,45 mm, qui à l’origine fut destinée à enflammer les poudres noires avec ses évents à quatre orifices. Modifiée et portée à deux ori- fices d’évents avec charge de fulminate renforcée, elle fut adaptée aux poudres pyroxylées. Bien que l’on en rencontre après 1945, sa grande période d’utilisatio­n se situe dans la période de l’entre-deux-guerres. A en juger par ces différents critères, on peut estimer que le fusil a été conçu entre 1930 et 1940. La mini-corrosion atteste qu’il a beaucoup servi, pour autant, il ne montre pas le moindre jeu ni autre signe de fatigue.

Robuste, fiable et belle

Il s’agit donc d’une arme robuste et fiable, capable d’un bon et long service. Quels reproches peuvent lui être faits qui expliquera­ient son absence de descendanc­e ? L’armement des chiens par recul de la culasse nécessite un effort conséquent, accentué par une mauvaise prise en main de la clé de verrouilla­ge, qui diminue l’aisance du mouvement de traction. A la fermeture, la culasse bute contre la crête des chiens, ce qui freine désagréabl­ement la manoeuvre – un réglage aurait pu y remédier. Mais ce sont là des reproches mineurs qui ne sauraient remettre en cause les qualités de cette arme pour la chasse. Quant à son intérêt pour la collection, il est de premier plan : nous avons là une arme à la fois unique, belle et de grande qualité. Nous avons vu, dans la première partie de cet article et dans le précédent volet, quelques prototypes d’arquebusie­rs de talent qui nous ont transmis des pièces curieuses, parfois admirables et pourtant restées anonymes. Mais la famille des armes à la fois anonymes et atypiques recèle aussi plus d’une « bidouille » issues des mains de bricoleurs tout autant adroits qu’inconscien­ts. Beaucoup payèrent leurs expérience­s d’un passage par l’hôpital quand ce n’est pas un aller simple pour le cimetière. Que ce soit par curiosité ou par goût pour la collection, il n’est pas sans intérêt de se pencher sur quelquesun­es de ces armes de chasse insolites et inutilisab­les.

En 16 XXL

Commençons notre tour de ces pièces aussi bizarres qu’inutiles par un fusil à percussion centrale à chiens extérieurs reconstitu­é à partir d’au moins trois armes différente­s. Les canons juxtaposés sont issus d’un fusil à piston, preuve en est donnée par les passants de baguette restés en place sous les canons et par la butée de baguette sur la bande inférieure en bout des canons. Les bouchons de culasse originels ont été dévissés et supprimés, ce qui ramène les canons à 74 cm. Le filetage est en revanche resté tel quel, aussi le

retrouve-t-on à l’entrée des chambres. Celles- ci ont été établies à 65 mm pour des étuis de calibre 16, avec raccord droit, sans cône. Un calibre 16 très particulie­r. En effet, le forage des tubes est de 18,1 mm, soit un calibre 12 très serré, mais l’épaisseur de métal au tonnerre n’a pas permis un alésage des chambres pour des étuis de calibre 12. Voilà pourquoi il a fallu se contenter du 16 avec une âme de 18,1 mm. Ainsi établi, ce fusil se retrouve être un double lisse en 16 XXL. Ce qui ne s’avè re peut- être pas un handicap majeur si on emploie des cartouches équipées de véritables bourres grasses en feutre qui, très expansives, assurent une bonne obturation. La charge donne alors une gerbe très large mais de courte portée, idéale pour certaines chasses à courte distance, comme celles du lapin ou de la bécasse. La partie restante du filetage dans les chambres, située juste au niveau des culots des étuis des cartouches, devait pour sa part poser quelques problèmes de collage d’étuis à l’extracteur à double guide, qui montre d’ailleurs des signes de grande fatigue. L’étude de l’ancrage du canon révèle aussi quelques surprises. Il ne s’agit pas d’une table à crochets à proprement parler. Sur une lame de fer, des crochets mis en forme à l’avance ont été brasés et une fenêtre taillée pour le passage du poussoir d’extracteur. Les bords de la lame ont été limés en biais pour épouser le galbe des canons. Une fois la pièce bien ajustée pour le verrouilla­ge, elle a été positionné­e et rivetée sur la bande inférieure et, pour finir, brasée au cuivre. Toutes ces parties ne comportent aucun marquage.

L’art d’accommoder les restes

La bascule est du type Lefaucheux à verrouilla­ge à deux clés. La tête du verrou est particuliè­re, en vrai T anglais. Cette bascule était à l’origine celle d’un fusil à broche. Les coquilles ont été relimées en épaisseur et en pourtour, mais débordent encore largement du canon. Pour la transforma­tion en percussion centrale, les coquilles ont été percées, en commençant depuis le rempart de culasse, afin de parfaiteme­nt centrer les pointes de percuteurs. Ce travail n’ayant pas été fait à la machine-outil, un léger décalage s’en est suivi à la sortie dans les coquilles. Des bouchons à vis portent les percuteurs, équipés de ressorts de rappel pour les pointes. Aucun marquage ici encore, alors qu’en principe un poinçon ou un matricule figure sur la face interne des clés de verrouilla­ge. Les platines sont de type arrière et font manifestem­ent partie d’un ensemble original parfaiteme­nt cohérent avec la crosse. Bien souvent dans ce type de remontage ou de transforma­tion, les chiens ont été conservés et modifiés pour la percussion centrale. Ce n’est pas le cas ici, il ne s’agit même pas de chiens de récu- pération, mais de chiens faits à la main, laborieuse­ment découpés à la scie à métaux dans une épaisse plaque d’acier doux, mis en forme à la lime et cambrés au marteau. Bien que présentant un léger dimorphism­e, ils sont bien ajustés et assurent parfaiteme­nt leur rôle. Leur montage est peu courant : la vis de maintien dans le carré de la noix n’est pas à tête avec fendante mais à tête à pans, octogonale, se débloquant au moyen d’une clé à huit pans et non d’un tournevis. La crosse est en noyer à poignée droi te sans quadrillag­e. Quelques coups de ciseau à bois à l’avant des platines ont permis le passage des nouveaux chiens. Un relimage plus soigné a amené le bois à une cohésion sans ressaut avec l’arrière de la culasse, celle-ci s’avérant bien plus étroite que la culasse d’origine. Incontesta­blement, cette arme a donné beaucoup de travail a celui qui l’a assemblée, à qui il faut reconnaîtr­e une belle habileté. Bien entendu, il serait suicidaire d’envisager de l’emporter sur le terrain pour quelque essai, surtout au regard de l’état interne du canon. Sur le plan de la collection ? Vous l’aurez deviné, le fusil est dénué d’une réelle valeur marchande, mais il témoigne de la patiente persévéran­ce d’un ancien qui s’est ingénié à « accommoder les restes », en total contre-sens de notre société de gaspillage. De la patiente ouvrage, qui mérite que lui soit rendu un sincère hommage.

 ??  ?? Clé top-lever, demi-culasse et canon fixe… drôle de mélange.
Clé top-lever, demi-culasse et canon fixe… drôle de mélange.
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La demi-culasse se soulève comme sur un Sanner tronqué.
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 ??  ?? Le rail de coulissage est beaucoup plus large et massif que sur un Darne ou un Charlin.
Le rail de coulissage est beaucoup plus large et massif que sur un Darne ou un Charlin.
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Le pontet et la languette de déverrouil­lage du canon portent la même ornementat­ion. Une ouverture en trois temps qui n’est pas des plus pratiques.
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 ??  ?? Le filetage du début des chambres atteste d’un canon conçu à l’origine pour une arme à pistons.
Le filetage du début des chambres atteste d’un canon conçu à l’origine pour une arme à pistons.
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La bascule est de type Lefaucheux faite pour un fusil à broches.
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Ce 16 possède une âme XXL de 18,1 mm.

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