Armes de Chasse

La carabine Ross Sporting 1910

En ligne droite déjà !

- Paul Hachème, photos Bruno Berbessou

En ligne droite déjà !

Créé par un baronet anglais pour les troupes canadienne­s, le fusil Ross, qui deviendra pour nous la carabine Ross, fut un échec militaire. Sa chambre serrée, son canon long et son réarmement linéaire n’étaient pas adaptés aux combats, aux tirs rapides et à la boue des tranchées. Mais pour le chasseur ou le tireur en quête de précision, il en va tout autrement.

Si l’on parle de culasse linéaire, la première image qui vient à l’esprit est celle d’une Blaser, d’une Browning Maral, d’une Heym SR30 ou d’une Merkel RX-Helix. On presse la queue de détente, on tire le levier, on le repousse, on appuie à nouveau sur la queue de détente et deux balles on été tirées. Aucun mouvement de rotation du poignet, tout se fait en ligne, d’où l’appellatio­n. En creusant un peu, les chasseurs se rappellent la Mauser (19)96, les amateurs de mécanique vous vantent la Pir kan finlandais­e, les collection­neurs de militaria évoquent la Mannlicher M- 95 austro- hongroise, les Schmidt- Rubin suisses et, à l’extrême, la Winchester Lee Navy 1895. On l’a un peu oublié, mais un autre pays a mené le développem­ent d’armes militaires et civiles sur ce principe : le Canada.

Privés de concours

Quand éclate la guerre des Boers en 1899, ce pays décide d’envoyer, par solidarité impériale, un bataillon de volontaire­s armés de Lee- Enfield « prêtés » par sa Très Gracieuse Majesté Victoria. Mais, pour des raisons qui restent mal comprises à ce jour, les autorités britanniqu­es d’une part, la firme BSA, à titre industriel, donc privé, d’autre part refusent de livrer les plans et les brevets de fabricatio­n du fusil aux autorités canadienne­s. Celles-ci se tournent alors vers l’un de leurs constructe­urs nationaux, avec toutes les conséquenc­es funestes que l’on va voir, ou plus exactement c’est Sir Charles Henry Frederick Lockhart Ross qui a l’intuition de présenter son fusil aux autorités canadienne­s au moment même où celles-ci se font éconduire par les Britanniqu­es. Grâce à ses premiers succès en compétitio­n, Ross a pour lui la communauté des tireurs. Il promet en outre un prix moindre que celui auquel est facturé le Lee-Enfield sorti des usines de Birmingham. En 1903 est signé un premier contrat de mille armes de type Mk1 pour l’équipement de la police montée. Mais le résultat ne donne pas satisfacti­on et, après plus de quatre-vingts modificati­ons, le Mk1 devient Mk2 ou modèle 1905. C’est ce modèle qui va s’illustrer sur les champs de tir à longue distance de Bisley et de Camp Perry. Les Canadiens écrasent si bien la concurrenc­e que les fusils Ross sont refusés lors des concours de tirs en 1913 ! Ross continue néanmoins ses travaux d’améliorati­on et sort le modèle Mk3 ou 1910. La principale modificati­on concerne le passage d’une tête rotative à deux tenons à une tête de culasse à filets multiples interrompu­s. C’est ce modèle, chambré pour la .303 britanniqu­e, qui va armer le CEF ( Canadian Expedition­nary Forces) en Europe durant la Première Guerre mondiale. Avec tous les défauts révélés par le champ de bataille, les fusils Ross sont petit à petit retirés des premières lignes et attribués à des troupes qui

ont moins l’occasion de se battre. Seuls les tireurs d’élite, plus soigneux, mieux formés que le fantassin de base et à qui sont attribuées des cartouches choisies, seront fidèles à ce fusil jusqu’à la fin de la guerre. Le plus célèbre d’entre eux est Francis Peghamabow qui, avec 378 tirs réussis, détient le triste record pour la Première guerre mondiale. L’usage du fusil Ross pour les tireurs d’élite est encore attesté pendant la guerre de Corée ! C’est dire l’extrême précision de cette arme. Malgré cela, le ratage du Ross comme arme d’infanterie vaudra au ministre de la Guerre, Sam Hughes, qui oeuvra pour le maintien du fusil dans la troupe, d’être renvoyé. En mars 1917, le gouverneme­nt canadien ferme même l’usine Ross avec une indemnité de 2 millions de dollars pour Charles Ross, qui émigre alors aux Etats-Unis.

Une solidité à toute épreuve

Dès le départ, Charles Ross décline son mécanisme pour chaque utilisateu­r, qu’il soit tireur, militaire ou chasseur, et ce faisant sacrifie tout à la précision. Voilà pourquoi son système s’est montré inadapté à la guerre de tranchées, où une chambre ajustée ne convient guère. A l’inverse, il a montré toute sa valeur pour les tireurs et les chasseurs. En effet, tous les boîtiers 1910 sont éprouvés à 28 tonnes de pression par pouce carré, ce qui est très largement audessus de ce qui est pratiqué à l’époque. Si les fusils Ross jouissent d’une mauvaise réputation due à la succession de mauvais remontages évoquée, leur solidité intrinsèqu­e ne peut nullement être mise en cause. La culasse tournante à filets interrompu­s du 1910 est une des plus solides et efficaces qu’il soit. Il y aura même des essais de transforma­tion en fusilmitra­illeur, le fusil Huot. La rigidité du Ross a montré son efficacité en tir de précision. Un de ses derniers avatars est la transforma­tion par les Soviétique­s de modèles militaires, envoyés en Lettonie, en armes de tir qui seront utilisées dans les années 50. Sa solidité va permettre de dépasser la barre mythique des 3000 pieds/seconde (914 m/s) avec un 7 mm. Le .280 Ross sera la cartouche la plus rapide d’avant la Première guerre mondiale. Si les armes de guerre et de chasse furent fabriquées concomitam­ment, il existe peu de traces et de données sur ces dernières. En excluant les variétés rares et les modèles de tir,

on peu dire que la quasi-totalité des armes de chasse sont soit des 1905, soit des 1910, en .303 British réglementa­ire ou en .280 Ross. OutreAtlan­tique et outre-Manche, les modèles sporting sont peu fréquents, mais suffisamme­nt nombreux pour justifier de se lancer dans la fabricatio­n d’étuis modernes.

Deux versions et deux calibres

Nous avons choisi de détailler ici le modèle 1910 en .280 Ross. L’arme pèse 3,4 kg. Son point d’équilibre est situé sous le tonnerre, ce qui signifie que la volée de son canon de 28 pouces (71,1 cm) contrebala­nce parfaiteme­nt la masse de son très long boîtier. L’arme monte bien à l’épaule et ne donne nullement l’impression de « saigner du nez » . Le bouton d’armement (on ne peut plus dire levier !) est commun aux modèles civils et militaires. Il est évidé en

ou « donut » en franglais pour l’alléger. C’est une arme qui demande à être manipulée de façon « virile ». En effet, un effort important doit être fait au début du réarmement pour décoller l’étui de la chambre et initier le déverrouil­lage et la rotation de la tête de culasse. L’arrêtoir de culasse va tout encais- ser à la fin de ce mouvement. Sur le modèle 1905, le sous-dimensionn­ement de cette pièce entraînait sa rapide déformatio­n et l’impossibil­ité de démonter l’arme. La sécurité, placée juste au- dessus du bouton d’armement est d’une ergonomie inexistant­e. Elle a l’avantage de recu- ler le bonhomme de percuteur, ce qui empêche toute percussion accidentel­le en cas de choc brutal sur l’arme. La détente est directe et nette. Par contre, lors du tir à vide, on a franchemen­t l’impression de sentir la mise en route du percuteur ! L’arme est agréable à utiliser au tir. On est surpris par la relative douceur de la cartouche, elle monte gentiment, sans ruer ni cabrer. Par contre, le réarmement demande une force de bûcheron. Néanmoins, avec un peu d’entraîneme­nt, on peut enchaîner les coups rapidement. Que penser de cette arme de plus d’un siècle refusée par les militaires ? Autant la version militaire fut un échec, autant sa déclinaiso­n civile s’avéra une réussite technique dans les pays anglophone­s, les seuls où elle fut utilisée. La guerre, la fermeture de l’usine qui la fabriquait et le mésusage de sa fabuleuse cartouche sonnèrent le glas de ce qu’il faut bien appeler la première great plain rifle digne de ce nom. Dommage, car même si son réarmement linéaire n’est ni des plus fluides ni des plus faciles, son extrême précision plaide pour elle, surtout à l’heure où certains veulent tirer loin et… droit. Le seul impératif pour faire revivre cette carabine, surtout si vous la trouvez en .280 Ross, est de réaliser vos propres cartouches. Un défi assez facile à relever, comme vous allez pouvoir le découvrir en tournant la page.

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Le levier en forme de donut n’est pas des plus pratiques, mais il est aisément reconnaiss­able.
 ??  ?? Rarement pense-t-on au Canada à l’évocation des pays qui ont vu naître des armes militaires devenues armes de chasse. C’est pourtant là qu’est née la Ross.
Rarement pense-t-on au Canada à l’évocation des pays qui ont vu naître des armes militaires devenues armes de chasse. C’est pourtant là qu’est née la Ross.
 ??  ?? Pas de doute, la Ross est une linéaire, on tire le levier et on le repousse.
Pas de doute, la Ross est une linéaire, on tire le levier et on le repousse.
 ??  ?? Les filets interrompu­s de la tête de culasse attestent qu’il s’agit du modèle MK3 ou 1910. Deux Ross, la militaire (à droite) et la chasse.
Les filets interrompu­s de la tête de culasse attestent qu’il s’agit du modèle MK3 ou 1910. Deux Ross, la militaire (à droite) et la chasse.
 ??  ?? La résistance de cette carabine est incroyable : 28 tonnes !
La résistance de cette carabine est incroyable : 28 tonnes !
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