Et si vous passiez à la kipplauf ?
Choisir sa carabine mono-coup basculante
Choisir sa carabine mono-coup basculante
Considérées, à tort, comme les armes d’une élite, les kipplaufs gagnent en popularité avec le goût pour la chasse d’été et l’approche et avec la démocratisation de leurs prix. Légères, souvent précises et entièrement démontables, elles font la joie de leurs utilisateurs des deux côtés de l’Atlantique. Qu’en est-il pour vous ?
Les kipplaufs furent conçues en Europe centrale pour chasser en mon tagne ou « à la pirsch », avec esthétisme et raffinement et dans des calibres spécifiques. Empreintes de la tradition cynégétique des empires centraux, on les connaît aussi sous le nom de Karpathenbüsche, donné par Merkel à son premier modèle, défini par le chasseur naturaliste et écrivain Alexander Florstedt. Deux carabines à chien apparent de type kipplauf, baptisées Ischler Stutzen, furent spécialement fabriquées pour l’empereur François-Joseph et son frère l’archiduc Johann. Une arme qui se perpétue aujourd’hui, toujours sous son nom de naissance, dans le catalogue d’artisans aussi célèbres que Peter Hofer et Johann Fanzoj. Outre-Atlantique les kipplaufs sont incarnées par des carabines simples, souvent modulables, destinées à ser- vir par tous les temps. En France, elles ont eu leur heure de gloire de la fin du XIXe à la Seconde Guerre mondiale. En petits calibres, comme le 8 mm 1892, le .22 WCF ou le .32 WCF, elles servaient au tir des nuisibles, dont le loup et le renard. Des versions plus puissantes, en 8 mm Lebel, .405 Winchester, voire .375 H& H, basées sur des bascules de Simplex se retrouvaient dans les mains des colons, en Afrique ou en Indochine française. De nos jours, les « basculantes » se portent bien, avec des fabricants comme Chapuis Armes, l’Atelier Verney- Carron, Tony Gicquel ou Pierre Artisan. Bien qu’à l’origine les kipplaufs soient des carabines relativement simples et légères, elles existent dans de nombreux systèmes d’armement et d’ouverture, avec des canons plus ou moins lourds ou longs et des crosses spécifiques qui les rendent parfois plus adaptées au tir qu’à la chasse en mouvement et en terrain montagneux. C’est le cas du nouveau modèle de Krieghoff, Max Hunt, à crosse GRS et canon lourd, réalisable sur demande. L’Europe, de la Russie à l’Atlantique, domine le marché des monocanon basculantes. De la très populaire Baïkal IJ18, à moins de 300 €, aux modèles de Peter Hofer, Borovnik, Scheiring, Hoffmann, de plusieurs milliers d’euros, en passant par les Blaser K95, Merkel K3, K4 et autres Zanardini, Chapuis ou Sabatti, toutes ces armes ont une chose en commun : leur canon bascule pour le chargement, elles sont conçues pour prélever le gibier d’une seule balle bien placée. Le calibre détermine souvent le gibier recherché, des petits nuisibles comme le goupil aux grandes antilopes africaines.
Dérivées du superposé
Les modèles les moins onéreux sont souvent chambrés dans des petits ou moyens calibres. Ils s’articulent généralement autour de bascules simples, dérivées de fusils mono-canon ou d’express superposés. L’ouverture s’effectue à l’aide d’une clé classique, ou d’un levier situé au niveau du pontet qui agit sur le ou les verrous plats s’insérant dans le ou les crochets arrière. Ce système universel employé depuis des années sur les carabines doubles, avec des calibres aussi « chauds » que le .30R Blaser, équipe les Baïkal IJ 18 en .222, .243 et .270, les CZ Effect, les anciennes Brno 110 ou les Fair 500. Ces dernières, originales, utilisent une bascule de fusil de calibre 28, le logement du canon inférieur servant ici de réserve pour une cartouche. La même fermeture se retrouve sur des modèles bien plus onéreux ou luxueux, les Sabatti SKL 98, les Chapuis Oural, les Heym 44, les
Krieghoff Hubertus ou les modèles à bascule ronde de Johann Fanzoj. Eprouvé, maîtrisé par les fabricants, ce verrouillage offre les garanties de solidité et de rigidité nécessaires, d’autant plus que la faible hauteur de bascule rapproche le verrou de l’axe de recul. L’Atelier Ver neyCarron fabrique une carabine basculante sur la base d’une bascule Azur à triples crochets. L’Everest de Pierre Artisan est construite sur une bascule d’express. Elle peut être équipée de différents jeux de canons lisses, mixtes ou rayés, tout en restant fine et légère. Comme sur les carabines doubles à bascule en alliage, le principal problème peut provenir de l’impact du culot de l’étui sur le tonnerre. C’est pourquoi celui-ci est la plupart du temps protégé par un insert en acier. Les kipplaufs sont toutefois moins malmenées que les carabines doubles du fait des chasses auxquelles elles sont destinées.
Batterie, platines ou Anson & Deeley ?
Pour l’armement et la percussion, les systèmes varient d’un modèle à l’autre, en fonction du prix et du prestige du fabricant. Sur les modèles d’entrée de gamme, comme nos IJ 18, Brno ou Fair, la batterie s’apparente en général à un système Anson& Deeley plus ou moins modi- fié, connu de tous les chasseurs. Les modèles haut de gamme adoptent des batteries de type Blitz ou des systèmes propres à la marque. C’est le cas chez Krieghoff, avec le CombiCocking Device, un système d’armement combiné indépendant. L’armeur indépendant sur le col de crosse permet un second tir rapide en se réarmant à l’ouverture si le tireur a laissé le poussoir en position avant, contrairement à la plupart des autres armes à armement séparé. Ce dispositif fait gagner un peu de temps lorsque la première balle n’est pas immédiatement mortelle. L’avantage de l’armement séparé reste la sécurité en cas de chute ou de choc pour ces armes destinées aux chasses en mouvement et en terrain difficile. Il per- met aussi des poids de départ réduits, un peu trop parfois, sans avoir à utiliser de stecher. Sur les modèles haut de gamme toujours, la percussion peut être assurée par un système à platine propre à l’artisan ou, le plus souvent, de type H& H, modifié ou pas. Les Ischler Stutzen à chien apparent, copies du modèle conçu il y a cent soixante ans pour François-Joseph, possèdent une platine originale. Dans la catégorie des basculantes à chien apparent, on retiendra la Legend de l’Atelier Verney-Carron, splendide oeuvre d’art armurière, dont le prix débute à 25 000 €. Certaines Kipplaufs, en général artisanales et de moyenne à très haute finition, emploient une fermeture de
type Kersten, Greener ou doll’s head (tête de poupée), simplifié ou non, qui ajoute un ou deux verrous à la partie supérieure de la frette et de la bascule. Le système Greener, connu de tous et immortalisé par les fusils, carabines doubles juxtaposées et drillings de Merkel, ajoute un verrou transversal qui prend place dans un logement entre les deux canons ou dans le prolongement du canon unique des kipplaufs. Le verrouillage Kersten en est une évolution. Développé par un officier allemand basé à Strasbourg du temps où l’Alsace était germanique, il double le nombre de verrous du Greener et les déplace de part et d’autre du ou des canons. Plus adapté aux superposés qu’aux juxtaposés, il est aussi la marque de fabrique de Merkel sur ses superposés. Il a équipé les premières Karpathenbüsche semiindustrielles Merkel 180/181, inspirées de celle conçue pour Alexander Florstedt. Utile ou non, ce choix se retrouve sur des « basculantes » chambrées dans des calibres un peu chauds. Qui peut le plus peut le moins et il ajoute une touche de classe et de bon goût à la carabine, venant au passage en justifier le coût, hors bois et gravure. Sur ces modèles, l’éjecteur était déjà proposé en option.
Le verrouillage oscillant ou Jäger
Depuis près de vingt-cinq ans, un système de fermeture s’impose sur les kipplaufs allemandes mais aussi italiennes. Un brevet de Franz Jäger de 1909, qui s’avéra à l’époque trop compliqué à convertir en production, en est à l’origine, lorsqu’il fut redécouvert par Blaser pour sa carabine K77. Ce verrouillage a ni plus ni moins relancé le marché de l’arme mono-coup basculante en lui offrant la possibilité de tirer des munitions puissantes dans une bascule en alliage, fine et légère. Il repose sur un bloc en acier basculant ( tilting bloc chez les AngloSaxons), jouant le rôle d’une culasse. Ce bloc épais en forme de L se verrouille dans la partie supérieure de l’extension du canon ou de la frette, alors qu’un crochet sur la frette vient se loger dans la partie inférieure du bloc basculant, assurant une fermeture acier sur acier d’une solidité extrême. Les tolérances réduites des machines d’usinages CNC permettent un ajustage d’une précision optimale avec un jeu presque nul. D’un démontage aisé, ce bloc permet un entretien plus complet de l’arme. Massif, en acier inox spécial et traité, il répartit les forces de recul, encaisse le choc des culots lors du tir, la bascule ne supportant aucune contrainte directe. Il sert aussi de pièce intermédiaire pour la percussion et inclut le percu teur, monté sur ressort. L’enclouage est impossible et le système sert de bouchon de dégagement au cas où une rupture d’amorce surviendrait. Le brevet étant public, Merkel l’a adopté sur ses K1/ 2 puis K3/ 4, ainsi que sur les carabines Haenel. D’autres fabricants ont suivi en Italie, comme Fair Vi-Ma avec sa Pegaso et, cette année, Rizzini, qui annonce sa kipplauf, tout comme Sabatti, mais dans son cas la nouveauté n’arrivera qu’en 2018, ses capacités de production étant monopolisées par les carabines Alpine Tactical et la fabrication des canons de la Franchi Horizon. La Fair Vi- Ma Pegaso combine en réalité un verrou Greener au verrou Jäger, ce qui en fait une carabine unique et originale, avec une fermeture que nous pouvons considérer à trois verrous. Les calibres dis poni bles vont du .222 Remington au .30 R Blaser ou .300 Winchester Mag. La fermeture extrêmement solide, très rigi de du verrou Jäger, associé à
l’armement séparé, permet d’obtenir une précision re marqua ble, même avec des canons légers, généralement supérieure aux autres systèmes équipant les kipplaufs, sans regard de prix. Je parle d’expérience, pour avoir réglé et vendu de nombreuses carabines basculantes, pour avoir eu la chance d’en posséder et de chasser avec, dont certaines coûtant quel ques dizaines de milliers d’euros. Les K95 de Blaser, les K1 à K4 de Merkel, les Hubertus de Krieghoff ont toujours été les plus faciles à mettre au point et les plus précises. Armement séparé, détente et qualité de la canonnerie contribuent aussi à leur efficacité. La technique moderne a du bon. La plupart des kipplaufs possèdent un simple système d’extracteur pour retirer l’étui tiré. C’est logique puisque l’on cherche avec ces armes la précision et non la quantité de bêtes à terre ou de coups tirés. Certains artisans proposent des éjecteurs, débrayables ou pas. Pour avoir passé quelque temps avec une onéreuse Scheiring à deux canons (.300 Winchester Mag et .243 Winchester), je dois dire que ce type d’accessoire me laisse dubitatif, le mot est faible. C’est un gadget dont l’amateur de carabines se passe aisément.
L’outillage américain
Le grand atout de la plupart des modèles basculants européens réside dans leur démontage facile qui autorise un transport aisé, que se soit en voyage ou sur le terrain lors d’une progression ardue. Légèreté, compacité et surtout discrétion ne sont pas à négliger en ces jours de politiquement correct, d’état d’urgence et de peurs entretenues. Aux Etats-Unis, les carabines à canon basculant ( break open ou tip up) ne sont pas des inconnues. Même si, pour les puristes, les kipplaufs sont européennes, elles sont appréciées outre-Atlantique, des économiques Harrington & Richardson ou NEF aux techniques et performantes Thompson Center. Harrington & Richardson dispose d’une gamme complète de carabines basculantes. Solides, simples, ces modèles ne rivalisent pas avec les meilleures européennes mais sont une alternative économique, comme les Baïkal russes, à qui cherche un « outil ». Les H& R possèdent une solide bascule en acier. L’ouverture se fait par l’intermédiaire d’un poussoir placé sur le haut de la bascule, le canon est plutôt lourd, il n’y a pas d’armement automatique. La percussion se fait par un chien externe armé à la main. Une barre de transfert interdit tout départ si la détente n’est pas pressée. Il existe des canons de différents calibres ajustés à chaque arme, mais c’est là une option qui n’existe pas en France. Les Thompson Center sont d’une autre trempe. Elles dérivent du pistolet mono-coup Contender, qui a évolué en carabine à canon basculant maniable et puissante. L’Encore, plus solide que le Contender, est un véritable système d’arme. Les calibres optionnels sont pléthoriques, jusqu’au .416 Rigby ou Remington en passant par le 7 x 65 R et le 9,3 x 74 R. Les préparateurs comme JD Jones offrent le .458 Winchester et des wildcats surpuissants. Les bascules d’une extrême solidité sont obtenues par microfusion. Les canons interchangeables s’articulent sur une goupille amovible en acier haute résistance et se verrouillent à l’aide d’un verrou plat solidaire de ce qui tient lieu de crochet. L’ouverture se fait en actionnant la prolongation du pontet. Le chien est externe. Le percuteur est monté sur un « bouchon » en acier traité qui protège le tonnerre.
Sur le Contender G2 et l’Encore, le chien peut être désarmé et réarmé sans avoir à basculer la carabine, contrairement aux premiers modèles. Bien qu’étranges à nos yeux européens, les crosses de ces carabines offrent une excellente prise en main et une tout aussi excellente tenue au recul. La précision va du très bon à l’exceptionnel, suivant les calibres et le canon. Formes de crosse, devant, matériaux synthétiques, bois, gravure, acier carbone ou inoxydable ont longtemps fait de l’Encore un Meccano magnifique, capable d’affronter tout ce qui court sur terre, du chien de prairie à l’éléphant. Mais désormais intégrée à S& W, TC Arms a vu ses choix et ses options réduits de façon drastique, business et profit maximum obligent. Les TCR83 et 87 étaient des carabines basculantes plus proches des kipplaufs européennes que du Contender. Ma TCR87 en 7 RM me donne toujours entière satisfaction. Son canon est interchangeable sans ajustage.
Pourquoi ne pas succomber ?
A en croire de nombreux spécialistes, les kipplaufs, conçues pour la chasse individuelle, sont trop exclusives. Rien n’est plus faux. Il suffit de changer son état d’esprit et de s’entraîner un peu pour apprécier, comme François-Joseph et Johann, ce type d’arme en battue. Il n’y a rien de plus plaisant que de culbuter d’une seule balle un animal en pleine course. Je connais des traqueurs qui misent sur une H& R en .35 Whelen. Excellents meneurs de chiens, ils ne sont pas là pour faire le tableau. Ils apprécient une arme puissante, simple, peu sensible aux chocs et aux agressions, pour achever un animal blessé ou dangereux pour les chiens. Dans leur rôle d’origine, les kipplaufs combinent légèreté, précision, maniabilité et facilité de transport. Dans les chasses de montagne, à l’approche du brocard, seul le premier coup compte, blessé, l’animal reste rarement en vue, raté, il dé - campe, aucun second coup ne rattrapera le premier tir loupé. Malgré l’arrivée de carabines techniques industrielles (Sako-Sauer) ou artisanales (Dorléac & Dorléac) de poids égal, elles restent les reines de la montagne et de l’approche. Devenues plus abordables qu’autrefois, les carabines mono-canon basculantes ne sont plus réservées à l’élite. Si ces armes vous attirent et que vous hésitez depuis longtemps, le moment est venu de vous laisser tenter. Découvrez-les, comprenezles, vous ne serez pas déçu.