Armes de Chasse

La fabricatio­n d’une carabine artisanale (2e partie)

Si vous êtes amateur d’armes artisanale­s bâties sur le système Mauser, vous savez que cette constructi­on ne relève pas du simple assemblage d’un canon sur le mécanisme d’un fusil de guerre. Après les travaux opérés sur l’action Mauser, voici la deuxième é

- Texte et photos Joël Dorléac-Guisset

Le canon : son choix, son chambrage et son montage

Plus que la qualité sup - posée du canon, c’est la manière de le monter qui compte. Du reste, les canons modernes offerts aujourd’hui sur le marché sont quasiment tous d’excellente qualité. Contrairem­ent à une croyance partagée, les canons européens n’ont rien à envier aux production­s américaine­s et sont souvent aussi bons sinon meilleurs. On citera l’incontourn­able firme Lothar- Walther, mais aussi Heym, Merkel ou encore Bergara. La coopérativ­e de Ferlach produit de superbes tubes en acier Bohler, notamment des Super Blitz extrêmemen­t légers, et il reste encore quelques stocks de canons FN rayés par enlèvement de matière.

Filetage et chambrage

Sur le barreau brut, l’axe de référence est celui de l’âme, toutes les opérations seront faites par rapport à cette constante. La première étape est le centrage dans le tour et la rectificat­ion d’une portée externe par rapport à l’axe. C’est sur cette portion rectifiée que l’on prendra le tube, soit avec un mandrin 4 mors, soit avec un 3 mors si l’on dispose d’une bague de centrage dans la broche. On contrôlera encore le parfait centrage de l’alésage en utilisant un pilote, avant de dresser la face arrière et de procéder au filetage. Le filetage utilisé est un Whitworth avec des filets à 55 degrés, et non les 60 degrés traditionn­els, et il devra être réalisé sans jeu ni point dur, suffisamme­nt « gras » pour permettre l’engagement à la main sans ballant. Lors de l’ajustage sur le boîtier, l’ensemble doit porter à la fois sur le

voile interne et sur la face avant du tonnerre. Cette portion ayant été parfaiteme­nt rectifiée lors de la préparatio­n de l’action, on privilégie­ra cette portée même s’il reste impératif d’obtenir un appui constant sur le voile interne. Pour réaliser cette opération, l’utilisatio­n de noir de fumée est nécessaire. Il est en revanche inutile d’appliquer un couple « militaire » à l’as semblage, cela n’apporte rien d’autre que des tensions néfastes à la précision ( 1). Le chambrage consiste à créer dans le canon une cavité correspond­ant aux cotes de la cartouche. Pour chaque calibre, la CIP ou le SAAMI (2) détermine une forme de chambre avec des dimensions minimales et maximales pour cha que mesure. Ce sont ces cotes qui sont reproduite­s sur l’outil qui va tailler la chambre : la fraise à chambrer. On distingue deux types de tailles, celle à coupe droite et celle à coupe hélicoïdal­e, et deux modèles de fraises, celle d’ébauche et celle de finition. Chaque fraise porte un pilote, idéalement amovible, un carré d’entraîneme­nt et un point de centrage. Le canon étant rigoureuse­ment centré par rapport à son axe, on usine une entrée et on introduit la fraise guidée par son pilote. Le carré d’entraîneme­nt est maintenu dans un portefrais­e, outil spécifique autorisant une légère variation orbitale, lui-même contraint dans la poupée mobile par son cône morse.

L’ajustage de la feuillure

Le mandrin enserrant le canon tourne à faible vitesse (50/100 tours/minute) alors que, sous une abondante lubrificat­ion, la fraise est poussée en avant. Dès que les copeaux commencent à courir entre les lames, on retire la fraise, on nettoie pour éviter les bourrages et on recommence jusqu’à ce que la jauge de chambre indique qu’à quelques dixièmes on approche de la dimension finale. Sur un canon de 98, la saillie moyenne de la douille est de 2,80 mm, mais après rectificat­ion, il faut conserver une marge sous peine d’avoir à reprendre les portées pour rattraper un excès de feuillure. Les derniers dixièmes sont gagnés en faisant tourner le mandrin et en contrôlant l’avance à la main. La chambre parfaiteme­nt nettoyée, le boîtier est remonté. On contrôle la feuillure avec le verrou, qui ne doit pas pouvoir fermer sur la jauge « nogo » et se verrouille­r sur la « go » . Ces deux jauges, et leur emploi adéquat, sont les garants d’une feuillure bien réalisée. Une fois la feuillure établie, on passe à l’usinage du chanfrein convexe qui aidera à l’alimentati­on avant de polir la chambre (Scotchbrit­e, huile et pâte à polir extra-fine) sans en modifier les contours. Contrairem­ent à ce que beaucoup peuvent penser, ce n’est pas la longueur du canon qui garantit la précision (loi du général Journée). Pour autant, cet élément est déterminan­t pour l’équilibre de l’arme. Le souci avec les tubes longs tient à l’analogie avec les fabricatio­ns industriel­les qui, pour une facilité de production, utilisent un profil unique dont on fait varier la longueur en fonction du poids souhaité. Lorsque l’on construit une arme artisanale, on adapte le profil du canon à sa longueur et on peut revenir aux fondamenta­ux. Lorsqu’en 1905 Otto Bock créa le 9,3 x 62, il n’imaginait pas que l’on puisse utiliser sa cartouche dans des

canons de moins de 24 pouces ( 608 mm), optant le plus souvent pour des tubes de 26 pouces, soit 660 mm( 3). On peut actuelleme­nt construire une carabine dans ce calibre avec un canon de 25 pouces (635 mm) en conservant l’équilibre et le poids d’une arme industriel­le de même calibre pourvue d’un canon de 20 pouces (508 mm). Quand on détermine le profil, on doit tenir compte de la répartitio­n des masses et des différente­s sections aux diamètres rectifiés devant supporter les éléments rapportés (supports de montage, d’organes de visée et grenadière­s). Pour cela, rien n’égale un plan précisémen­t coté. Ce plan doit être établi en fonction des éléments suivants : calibre et poids de balle souhaité, type de lunette et emplacemen­t de l’embase avancée du montage, types de hausse et guidon et positionne­ment de la grenadière. Une fois figée la position des supports, il reste à déterminer les transition­s entre les différents diamètres, soit par raccords concaves ou convexes (en poire), coniques ou à redans. La variation de ces formes et le diamètre à la bouche déterminer­ont le poids et l’équilibre, c’est pourquoi on veillera à centrer les masses sur le premier tiers du tube. La bouche est un point déterminan­t en matière de précision, car il est impératif que la sortie des rayures soit rigoureuse­ment perpendicu­laire à l’axe du canon. Elle peut être ourlée comme sur la majorité des carabines, parfaiteme­nt plate comme sur les H& H d’avant-guerre ou en léger retrait conique à 11 degrés comme sur nos production­s.

La marche sous contrôle

Une fois le canon tourné et monté, on va s’assurer du bon fonctionne­ment du système en contrôlant la marche du cycle alimentati­on-extraction-éjection. Le système Mauser est un système à alimentati­on contrôlée, c’est-à-dire que la prise d’extracteur intervient dès le début de l’alimentati­on pour ne cesser que lors de l’éjection, interdisan­t une double alimentati­on, cause majeure d’enrayage. D’autre part, cette cinématiqu­e ne permet pas, en principe, de fermer la culasse sur une cartouche déjà chambrée, l’extracteur n’étant pas en prise. On peut modifier ce dernier point si l’on est prêt à sacrifier une part importante de la force d’extraction qui caractéris­e ce mécanisme. L’opération peut à la rigueur être réalisée sur une stalking rifle (carabine pour l’approche de gibier non dangereux), mais en aucun cas sur une dange

rous game rifle, le bris de la griffe d’extracteur sur une douille sertie dans la chambre rendant l’arme définitive­ment inopératio­nnelle.

Pour parfaire la marche, on utilisera le verrou libre de toute percussion, extracteur monté, et plusieurs cartouches dont on aura neutralisé l’amorce et remplacé la poudre par du sable. Cela est préférable à l’emploi de fausses cartouches inertes usinées en métal léger dont ni la masse ni la conformati­on ne sont identiques à la munition d’origine. L’alimentati­on d’une Mauser s’effectue en quinconce, les cartouches se présentant alternativ­ement de chaque côté. Les parois du magasin ajustées en continuité de l’ouverture du boîtier maintienne­nt les cartouches poussées par la planchette à double étage. Lorsque la cartouche arrive en position haute, elle est maintenue par le rail latéral dont la surface inférieure est creusée spécifique­ment en fonction du groupe de cartouches pour lequel le boîtier a été conçu. On peut donc altérer cette dimension en l’ouvrant, mais il est difficile de la réduire. C’est ainsi que l’on peut modifier un système 7x57 pour alimenter du 9,3x62, mais qu’il est illusoire de vouloir faire fonc- tionner en .243 Winchester une action en 10,75 x 68 d’origine. La modificati­on des rails et de leur ouverture doit s’exécuter avec beaucoup de modération afin d’éviter que, par excès d’enlèvement de métal, les cartouches n’échappent lors de l’ouverture du verrou.

Une rampe bien inclinée

Dans le même temps, on modifiera la rampe dont l’inclinaiso­n ne doit pas être trop brutale, surtout sur les systèmes d’origine militaire conçus pour fonctionne­r avec des cartouches chargées de balles spitzer blindées dont la géométrie est à des lieues d’une demi-blindée de chasse classique comme la Tig Brenneke. Quand on intervient sur cette rampe, on ne doit pas en réduire la partie avant, qui constitue la portée du tenon inférieur, sous peine d’affaiblir l’obturation dont toute la force sera reportée sur le tenon supérieur. Tous les amateurs ont en mémoire la mise en garde d’Oberndorf à l’encontre de certains fabricants anglais qui, pour faire l’économie de systèmes magnum trop onéreux, chambraien­t de la .375 Mag ou de la .404 Rimless (étuis de 73 mm de long) dans des actions standard modifiées. On a coutume de dire qu’une marche bien réglée permet d’alimenter une douille vide… Il s’agit d’une boutade, tant il y a de variations de formes dans les étuis, mais ça s’en rapproche. La transition doit être parfaite et la prise d’extracteur constante jusqu’à ce que, dans son retour arrière, le tenon gauche vienne buter sur l’arrêtoir et que la lame d’éjecteur fasse basculer l’étui vide hors de la griffe d’extracteur. Selon la longueur de la cartouche, la butée d’arrêtoir peut être réduite pour reculer le point d’éjection et, toujours en fonction du calibre, on choisira une lame d’éjecteur à trou fixe ou ovalisé en veillant bien à biseauter sa partie frontale afin qu’elle glisse aisément au travers du tenon gauche. L’éjection étant fonction de la vitesse du recul de la culasse mobile, on en fait varier la violence en maîtrisant la manipulati­on, le seul facteur important restant sa franchise qui ôte toute possibilit­é à l’étui tiré de rester dans la fenêtre d’alimentati­on. Le canon est à présent monté et chambré. Tout est prêt pour que, dans notre prochain nu méro, nous passions à l’installati­on des organes de visée et des optiques.

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 ??  ?? Prêt pour l’assemblage et les premiers essais avant le banc d’épreuve. (1) Sur les carabines de haute précision (bench rest) les canons sont assemblés à la main et serrés avec une clé légère. (2) Sporting Arms and Ammunition Manufactur­ers' Institute.
Prêt pour l’assemblage et les premiers essais avant le banc d’épreuve. (1) Sur les carabines de haute précision (bench rest) les canons sont assemblés à la main et serrés avec une clé légère. (2) Sporting Arms and Ammunition Manufactur­ers' Institute.
 ??  ?? Du barreau brut au canon terminé en passant par le profilage, le filetage, le chambrage et le montage des garnitures.
Du barreau brut au canon terminé en passant par le profilage, le filetage, le chambrage et le montage des garnitures.
 ??  ?? Pour en arriver au stade du remontage, il aura fallu profiler, assembler et chambrer le canon avant de faire la marche du système.
Pour en arriver au stade du remontage, il aura fallu profiler, assembler et chambrer le canon avant de faire la marche du système.
 ??  ?? Dressage de la portée arrière du tube. (3) Le 9,3 x 62 avait une vocation coloniale et fut longtemps utilisé en Afrique avant d'être considéré comme le meilleur calibre continenta­l pour la battue.
Dressage de la portée arrière du tube. (3) Le 9,3 x 62 avait une vocation coloniale et fut longtemps utilisé en Afrique avant d'être considéré comme le meilleur calibre continenta­l pour la battue.
 ??  ?? 1. et 2. Le profilage du tube doit se faire par passes légères avec peu d’enlèvement de métal afin de ne pas stresser le canon. 3. Le porte-fraise autorise un léger déplacemen­t orbital afin de prévenir une infime erreur d’alignement. 4. La fraise de chambre doit être largement lubrifiée.
1. et 2. Le profilage du tube doit se faire par passes légères avec peu d’enlèvement de métal afin de ne pas stresser le canon. 3. Le porte-fraise autorise un léger déplacemen­t orbital afin de prévenir une infime erreur d’alignement. 4. La fraise de chambre doit être largement lubrifiée.
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 ??  ?? Assemblage de l’action canonnée. Les organes de visée ouverte et le montage à crochets sont installés.
Assemblage de l’action canonnée. Les organes de visée ouverte et le montage à crochets sont installés.
 ??  ?? Premier test de feuillure sur le montage grossièrem­ent indexé.
Premier test de feuillure sur le montage grossièrem­ent indexé.
 ??  ?? Fermeture parfaite sur la jauge go.
Fermeture parfaite sur la jauge go.
 ??  ?? D’indispensa­bles outils de contrôle : une jauge calibrée et un pied à coulisse de profondeur.
D’indispensa­bles outils de contrôle : une jauge calibrée et un pied à coulisse de profondeur.
 ??  ?? Pas de fermeture possible sur la jauge no-go.
Pas de fermeture possible sur la jauge no-go.

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