Tirer loin : du mythe à la réalité
Entretien avec un maître d’armes formateur au tir à l’arme rayée
Les conseils d’un maître d’armes formateur au tir à l’arme rayée
Benoit Bauduin est maître d’armes, ancien militaire des forces spéciales. Il dispense des formations au tir aux professionnels et aux chasseurs qui font appel à lui. Sa connaissance des armes rayées, de la balistique et du tir en font un interlocuteur de choix pour aborder les tirs lointains à la carabine.
Armes de Chasse : Vous êtes maître d’armes, vous formez cha que année au tir à l’arme rayée des dizaines de professionnels, des tireurs d’élite et des chasseurs qui veulent s’initier ou progresser dans le tir à longue distance. Mais, ditesnous, c’est quoi tirer loin ?
Benoît Bauduin : Pour les chasseurs, je pense qu’il ne faut pas parler de tirer loin, mais de toucher loin. Si on n’est pas sûr de toucher, on ne tire pas. En tirant loin sans certitude, on dégrade la sécurité, puisque l’on ne sait pas où va aller la balle. De plus, l’éthique n’est pas au rendez-vous, car on a de grands risques de blesser et d’infliger des souffrances à l’animal. Je demande toujours à un chasseur que je forme de marquer la chute de son projectile à 200 m sur sa cible avant de tirer. Il marque au crayon cette zone, et on va à 200 m. Là, il vise la cible et tire. Et on vérifie si la chute correspond à ce qu’il avait indiqué avant le tir. Huit à neuf fois sur dix, les chasseurs ne connaissent pas la chute de leur projectile. C’est souvent dû à une méconnaissance de la vitesse initiale et de la chute réelle du projectile. Le chasseur utilise les indications figurant sur la boîte de ses balles, sans songer que le canon de sa carabine est plus court que ce qui est mentionné sur la table balistique. Forcément, les résultats diffèrent et certains tombent de haut, c’est le cas de le dire. Les chasseurs ne com prennent pas, se disent alors qu’ils n’ont pas la technique suffisante pour toucher à 200 m ou qu’ils ne connaissent pas assez leur projectile et sa trajectoire pour compenser comme il le faut. « Toucher loin » sont donc des termes plus appropriés que « tirer loin ». On doit parler de l’homme avant d’évoquer le matériel. A l’heure actuelle, en 2017, il n’y a plus de mauvaises armes, toutes sont globalement précises. Le matériel proposé « fonctionne bien », ce qui n’est pas toujours le cas de l’être humain
qui presse la détente. Si on veut toucher loin, il faut se demander si on a les compétences, la technique, la maîtrise du tir pour cela, puis si son matériel convient et si on le connaît suffisamment. Lorsque l’on veut chasser et tirer à longue distance, il convient de se poser les bonnes questions et de savoir si notre balle a assez d’énergie aux distances envisagées.
A. de C. : Quelles qualités faut-il posséder pour « toucher loin » ?
B. B. : Il faut maîtriser les cinq fondamentaux du tir : une bonne prise en main, une bonne position de tir, une visée conforme, une respiration interrompue et une maîtrise de la détente. Pris isolément, ces fondamentaux posent pas ou peu de problème. C’est quand il s’agit de les coordonner que cela se complique, surtout quand la fenêtre de tir est réduite et qu’il faut faire vite, très vite même. L’un des plus gros défauts des chasseurs concerne leur prise en main, mauvaise parce que pas assez ferme. La crosse qui n’est pas maintenue recule et le cerveau mémorise que tir égale douleur. Le tir suivant se fait dans la crispation et cela dégra de la qualité du tir et notamment la précision. L’autre défaut concerne le manque de maîtrise de la détente. Généralement les chasseurs n’ont pas assez tiré pour connaître leur détente, en appréhender la course, la dureté, savoir si elle gratte, etc. Ils n’ont pas non plus assez tiré à sec pour maîtriser le départ de la détente. Et de fait le départ de la balle ne se fait jamais quand il le faudrait. Souvent, le coup part trop tôt, le réticule n’est pas aligné, ni au bon endroit. Ce problème est amplifié par un autre phénomène fréquent, des lunettes mal montées. Je ne dis pas mal réglées, mais mal montées. La distance oculaire, autrement dit le vide qui sépare la lunette de l’oeil, n’est pas la bonne. Souvent les armuriers fixent et règlent euxmêmes la lunette, ils se placent sur un chevalet et positionnent l’optique en fonction de leur propre gabarit ou de leurs habitudes. Or leur client n’a ni la même morphologie ni la même façon de tirer. On le voit quand, au stand, les chasseurs avancent et reculent sans cesse la tête à la re - cherche de la bonne position. A. de C. : Tirer loin n’est pas inné ? B. B. : Non bien sûr, même si, comme dans toute pratique, certains apprendront plus vite que d’autres. Et encore, cela est très relatif, quelques personnes sont douées, elles gagnent du temps lors de l’apprentissage, mais cela passe tôt ou tard par de l’entraînement et encore de l’entraînement. Pour la chasse, tirer proprement un animal à 200 ou 300 m à la première cartouche suppose avant tout une bonne technique. A. de C. : Quelle est la part qui revient à apprentissage ? B. B. : Comme pour n’importe quelle discipline, elle est primordiale, on doit apprendre et bien apprendre. Je prends souvent l’exemple d’une feuille de papier que l’on plie en deux. Si on ne joint pas correctement les bords, on peut recommencer le pliage de façon à ajuster les bords. Seulement, lorsque l’on déplie la feuille, deux plis sont marqués et, pour faire disparaître celui qui est faux, il faudra passer et repasser. C’est pareil dans l’apprentissage du tir. Le jeune chasseur va découvrir le tir en famille. Dès le premier gibier tué, on considère qu’il sait tirer et son perfectionnement va se faire au fil des années sans forcément adopter les bons fondamentaux. Pour acquérir les bons gestes et se perfectionner, mieux vaut démarrer avec la bonne technique que de devoir « déprogrammer » et « reprogrammer » le cerveau, ce qui passe par plus de temps et d’efforts.
A. de C. : Les techniques de tir sont mal connues, pouvez-vous nous en dessiner les grandes bases ?
B. B. : J’en reviens aux cinq fondamentaux, encore et toujours. Il faut commencer à 25-30 m, à bras francs, et apprendre les bons gestes et les répéter. Ce qui compte à ce stade est d’acquérir la bonne technique. Pas question de mettre tout de suite une canne pour s’aider ni de tirer assis. L’entraînement au tir avec un chevalet n’est pas une bonne méthode, on n’emporte pas cet accessoire à la chas se. Même le chasseur à l’approche qui va tirer avec sa canne de pirsch doit tout de même savoir tirer sans. A bras francs, on n’a pas d’aide, on fait tout. L’arme bouge bien plus, et on est obligé d’améliorer sa technique, cela permet de progresser.
A. de C. : Le tir debout, assis, couché… qu’est-ce que cela change ?
B. B. : La prise en main des trois positions est la même, il faut qu’elle soit ferme. C’est d’autant plus vrai avec les carabines de chasse qui sont de plus en plus légères. Plus l’arme est légère, plus la prise en main doit être ferme. Lorsque l’on tire couché avec une carabine de tir de 7 kg, la masse de l’arme absorbe le recul et ne bouge pas. Avec une carabine de chasse légère et magnum, le recul est très présent, d’où l’importance d’une solide prise en main. Elle évitera au chasseur d’être secoué, ce qui lui permettra d’être plus précis. Il faut bien distinguer ce que font les tireurs sportifs ou les tireurs d’élite, dont c’est le métier, avec leurs armes spécifiques et leur gros frein de bou-
che, et ce que peuvent faire les chasseurs avec une carabine légère en 7 Remington Mag ou .300 Winchester Mag au canon plus ou moins court et sans frein de bouche. Ce qui s’applique aux tireurs n’est pas toujours valable pour les chasseurs. A. de C. : On sait que la respiration est fondamentale, il faut la bloquer, mais conseillez-vous de tirer poumons vides ou poumons pleins ?
B. B. : Je préconise le tir poumons vides, systématiquement. C’est facile à adopter pour tous les chasseurs et tireurs, cela fonctionne pour tout le monde. Quand on est stressé ou que l’on vient de vivre une grosse émotion, le premier réflexe est de souffler, on vide naturellement ses poumons. Cela permet de reprendre un peu ses esprits. C’est pareil lorsque l’on est essoufflé, c’est plus facile de vider ses poumons que de faire du demiplein, trois-quarts-plein en fonction de son souffle. Lorsque les poumons sont remplis, on a moins d’aisance dans le haut du corps. A l’inverse, poumons vides, on peut se plier, se ramasser au sol, on gaine les abdominaux plus facilement et cela permet de mieux contrôler son tir. Et
quand on doit tirer couché, en vidant les poumons, on s’écrase au sol, on fait corps avec lui et on a forcément plus d’appuis, donc de contrôle sur l’arme et la visée.
A. de C. : Au fusil de chasse, le tir, c’est le pied, dit-on ! Ce qui signifie que la position des pieds est fondamentale. Est-ce le cas pour le tir à longue distance à la carabine ?
B. B. : Non. Bien sûr, lorsque l’on tire couché, la position des pieds est importante, il faut notamment veiller à avoir la plus grande surface de corps possible au contact du sol. C’est pourquoi il faut placer l’intérieur des pieds vers le bas. Ainsi le pied est tout entier en appui, de la pointe au talon. Mais quand on tire debout, ce n’est pas vraiment la position des pieds qui importe. Par contre, l’orientation des hanches est elle primordiale. Si on est droitier, les hanches sont orientées à 10 h et 4 h – la hanche gauche à 10 h, la droite à 4h. De cette façon, les pieds, les hanches et les épaules sont dans le même axe et si les pieds ne sont pas parfaitement orientés, ce n’est pas dramatique. Pour un gaucher, c’est l’inverse, il doit positionner les hanches à 2 h et 8 h.
A. d. C. : Quelles sont les causes les plus fréquentes d’un tir raté ?
B. B. : On retrouve souvent le symptôme déjà évoqué, avec une crispation au départ du coup. La carabine n’est pas tenue fermement, ce qui entraîne une appréhension du recul et une crispation sur l’arme au moment du tir et de là un impact trop bas. L’autre cause est le classique coup de doigt. Plutôt que d’appuyer progressivement sur la queue de détente, on la presse d’un coup sec et on fait baisser le canon, ce qui provoque là encore un tir trop bas. Une autre cause de raté est un tir trop à droite dû, toujours, à une mauvaise prise en main de l’arme. Si on ne tient pas assez fermement la carabine, elle vrille légèrement et tourne dans le sens des rayures du canon entraînant une élévation en haut à droite du canon. Enfin, une dernière source fréquente de ratés se joue dans les tremblements du réticule. Le problème n’est pas dans les tremblements, c’est un phénomène normal à longue distance – puisque jusqu’à nouvel ordre nous ne sommes pas des machines ! –, mais dans notre tentative de lutter contre. On voit le réticule trembler, on attend un peu que cela aille mieux mais les tremblements ne font que s’accentuer. On cherche alors à compenser en montant ou en descendant le réticule et ce faisant on se crispe un peu plus et on accentue les tremblements. Ce qu’il convient de faire dans ces caslà est de se placer au bon endroit, de laisser trembler légèrement le réticule, de vider ses poumons tout en pressant doucement la queue de détente. Les compensations forcées, consistant à remonter le réticule en se disant « je lâche la balle quand j’arrive presque au bon endroit », ne sont pas souvent payantes. Au
contraire, on disperse. La vraie difficulté, on y revient, est de synchroniser la prise en main, la position de tir, la respiration, la visée et la pression sur la queue de détente. A. d. C. : Avez-vous des conseils pour éviter le coup de doigt ?
B. B. : Il faut travailler à sec, sans munition. On vise un petit point – le coin d’une cible, un piquet, une pierre à 25 m –, on laisse trembler légèrement le réticule et on va presser doucement la queue de détente. Le but ici est de viser un point donné, de presser en douceur la queue de détente, de garder le doigt enfoncé et ensuite de vérifier que la visée n’a pas bougé. Une fois que l’on a entendu le clic, on s’assure que l’on est toujours au même endroit. Si on est crispé au moment du tir, le point visé ne sera plus le même après la pression sur la queue de détente, ce dont, sans munition, on s’aperçoit très facilement. A force de répéter ces exercices, on va améliorer sa maîtrise de la détente et son tir, et ne plus faire de coup de doigt. Dans mon livre, je préconise ces tirs à sec en visant de petites cibles noires et circulaires de 3 à 5 cm de diamètre. Lorsque je dis que le réticule reste au même endroit, cela signifie qu’il reste dans un cercle de 3 à 5 cm, n’oublions pas que le réticule tremblote. Tant que, pendant la visée, le réticule est dans ce cercle, on peut tirer, dès que l’on en sort, on désépaule et on recommence. Et après le tir bien sûr, on doit être resté dans le cercle. A. d. C. : Que préconiseriez-vous à un jeune chasseur qui veut apprendre à tirer loin ? B. B. : Pour ce qui concerne le matériel, je lui conseillerais un calibre doux et confortable, le but étant qu’il
n’appréhende pas le départ du coup : un .243 Winchester, un .270 Win. ou un .308 Win. Ensuite, il doit régler correctement sa lunette avec une bonne distance oculaire. C’est à lui de le faire avec l’aide de l’armurier. Pas question d’avancer ou de reculer la tête en permanence, comme je l’évoquais, cela prouve que la lunette n’est pas installée où il le faudrait. Ensuite, notre jeune chasseur va devoir tirer à sec, sans munition, avec son arme afin de l’appréhender comme il le faut et de la connaître parfaitement, toujours avant d’aller au stand. Il doit voir si, à force de répéter, il trouve une position de tir convenable. Ce n’est qu’à ce stade qu’il peut aller au stand et tirer quelques balles, mais sans régler la lunette. C’est important, le but est de faire le meilleur groupement, pas de mettre une balle dans la mouche. Le chasseur tire ainsi à bras francs, à 25 m, et doit mettre ses trois balles dans un cercle de 5 cm. Pour débuter, il est inutile d’être trop ambitieux, il sera temps ensuite de passer à 3 cm. Une fois que c’est fait, le tireur est « réglé », ses compétences techniques sont déjà bien acquises, il est temps de régler la lunette ! D’ordinaire, on règle l’arme sur une seule balle, qui peut être bonne, mais qui peut aussi être une erreur. Aussi il est préférable de régler sur un groupement de trois balles. Dans sa saison de chasse, le chasseur va tirer une vingtaine de balles, il faut donc régler l’arme sur une moyenne. Une moyenne de vitesses, toutes les balles ne sortent pas à la même vitesse, une moyenne de visée et de pression sur la queue de détente. A. d. C. : Vous formez autant les tireurs que les chasseurs, avez-vous observé des défauts et des manques plus courants chez les seconds ? B. B. : Les chasseurs connaissent en général les cinq fondamentaux, mais la mise en pratique et la coordination ne sont pas au rendez- vous. Tout simplement parce qu’ils ne sont pas passés par un véritable apprentissage. Souvenons-nous qu’il y a encore une dizaine d’années, il n’existait aucun endroit en France pour apprendre à tirer. Les chasseurs manquent d’un bagage technique. Bien sûr, il y a l’institut François Sommer, mais sa vocation n’est pas de former au tir des centaines de chasseurs. Et l’ANCGG a démarré un programme visant à former des cadres pour améliorer les qualités de tir des partici-
pants au brevet. Mais il faut remettre l’homme au coeur de l’apprentissage, pas le matériel. Les investissements en carabine, lunette, balles sont parfois colossaux mais peuvent être anéantis par une absence de mise en pratique. La course à l’armement n’est pas toujours bénéfique. Un débutant doit se contenter d’acheter de l’entrée ou du moyen de gamme et privilégier sa technique. A. d. C. : Que vérifier avant de partir chasser à l’approche vers une destination où l’on sait que l’on va tirer loin ?
B. B. : Il faut s’assurer que le matériel est bien adapté à ses besoins, à ce que l’on veut faire. Plus on veut tirer loin et plus il faut prendre le vent en compte, la chute du projectile… Il faut aussi vérifier qu’à grande distance il reste assez d’énergie pour l’animal convoité. Il faut que le calibre soit adapté et que le chasseur ait pu s’entraîner avant afin d’améliorer sa technique. A. d. C. : Bien tirer loin impose de comprendre son arme et la balistique, et de s’entraîner… B. B. : Oui, vous avez bien résumé les choses, améliorer l’ergonomie de l’arme, comprendre la balistique et ensuite s’entraîner doivent être les maîtres mots de celui qui veut bien tirer loin. Tirer à la cible de plus en plus loin permet de rendre les tirs de chasse aux distances standards plus faciles. Mais savoir tirer loin, c’est aussi mieux tirer près !