Armes de Chasse

Restaurer ou pas

Un peu, beaucoup, radicaleme­nt…

-

Un peu, beaucoup, radicaleme­nt…

Un héritage, une trouvaille sont autant d’occasions de devenir propriétai­re d’une arme au passé illustre mais dont le présent n’est plus guère brillant. Faut-il la restaurer ou la laisser dans son jus ?

En décembre 2016, un ami m’appelle pour me dire qu’une cousine éloignée lui propose de lui céder quelques vieux fusils ayant appartenu à son mari, aujourd’hui décédé. Comme elle habite non loin de chez moi, il me demande si je veux bien aller voir les armes pour évaluer leur état. Rendez-vous pris, je découvre trois armes exposées sur une table de salon. Il y a là une carabine non signée, un Anson juxtaposé stéphanois de calibre 16 et un superposé Verney-Carron de calibre12.

Il est là, le beau dormant

Alors que j’examine les armes, mon hôtesse s’en va dans une autre pièce et en revient avec une valise en cuir, qu’elle pose avec peine sur la table. Elle l’ouvre… et je reste sans voix. Dans un intérieur en feutre bordeaux patiné, une bascule encore merveilleu­sement jaspée et gravée de fins bouquets et de rinceaux capte mon regard comme un aimant attire le fer. La crosse en noyer rougie à l’orcanette et les longs canons m’hypnotisen­t. Je sais avant même de m’approcher que je vais lire sur la bande supérieure des canons : « J. Purdey & Sons Audley House South Audley Street London ». Et trouver sur la bascule la même mention abrégée. La mallette abrite aussi tous les accessoire­s de l’arme : baguettes de nettoyage, huilier, tournevis et fausses cartouches. De retour à mon domicile, j’envoie un mail à mon ami pour lui annoncer qu’il vient de trouver le « dormant » qu’il a tant cherché. « J’aimerais, m’écrit- il quelques jours plus tard, faire monter une nouvelle crosse sur le Purdey, rebronzer les canons, requadrill­er le devant et rejasper la bascule. Je veux lui donner l’apparence d’une arme tout juste sortie d’Audley House. Peux- tu me conseiller un armurier, un bon, capable de faire le travail ? » À peine ai-je fini de lire ces mots qu’un nouveau mail arrive : « Après réflexion, je me demande si je ne vais pas le garder dans son jus. Je crains qu’il ne perde de sa valeur si je le restaure. » Je reçois beaucoup de courriers comme celui- ci. Certes, ils ne concernent pas toujours un Purdey, mais ils sont invariable­ment écrits avec passion et les meilleures inten- tions du monde. Il n’est pas toujours simple de répondre à ces demandes de conseils sans froisser le détenteur de l’arme. Non pas qu’il y aurait quelque impossibil­ité technique à restaurer un vieux fusil, pas plus qu’un certain déshonneur à vouloir faire du neuf avec du vieux. Quiconque considère les armes comme plus que de simples outils apprécie leur beauté intrinsèqu­e. D’un côté, la patine du temps vient sublimer cette beauté. D’un autre, il est juste de vouloir restituer une partie ou la totalité de l’éclat originel d’un bon vieux fusil. On rend ainsi hommage au savoir-faire des artisans qui l’ont fabriqué, ainsi qu’à ses matériaux. Mais la restaurati­on implique à la fois un aspect émotionnel et un aspect économique, et des problèmes qui semblent simples

peuvent s’obscurcir en un instant. Quand on a la chance de trouver, comme mon ami, ce qu’on appelle dans le jargon des armuriers et collection­neurs un « dormant », c’est-àdire un fusil qui a été conservé par une même personne ou famille et à peine utilisé depuis des décennies, nous sommes confrontés à un réel dilemme : garder le fusil dans son état d’origine ou le restaurer. Certaines personnes veulent que l’arme retrouve autant qu’il est possible son aspect d’origine, à l’intérieur comme à l’extérieur. Idéalement, cela implique l’applicatio­n de nouvelles finitions, en recourant à des méthodes traditionn­elles et à des armuriers qualifiés. Certaines des grandes maisons britanniqu­es, Atkin Grant & Lang ou Westley Richards notamment, s’en sont d’ailleurs fait une spécialité, rachetant des vieux fusils de leur propre fabricatio­n pour les restaurer et les revendre. Pour reproduire l’apparence du fusil à sa sortie de l’atelier, les canons vont devoir être rebronzés, les bois requadrill­és, les bosses et les rayures enlevées. Il pourra même être nécessaire de reprendre des gravures usées, changer la crosse ou le devant, voire les canons, de retremper et de jasper la bascule et les pièces du mécanisme. La chambre, si elle est de 65 mm, sera rallongée à 70 mm et si le fusil est éprouvé à la poudre noire, il sera éprouvé à la poudre vive. D’autres veulent au contraire garder le fusil dans son état d’origine, « dans son jus », comme m’écrivait mon ami. Dans ce cas, nous avons souvent affaire à des collection­neurs. J’en connais quelques- uns qui seraient prêts à subir une interventi­on chirurgica­le corrective du cou et de l’épaule plutôt que d’adapter un Purdey à leur morphologi­e. La simple évocation d’une modificati­on de leur fusil frôle le péché mortel. Et pourtant. Un fusil, quelles que soient sa valeur et sa finesse, ne sert sa mission que s’il est utilisé et correspond à son propriétai­re. Et puis, que signifie un fusil « dans son jus » ou « d’origine » ? Allez tenir ce langage à un armurier anglais, il vous regardera comme si vous aviez trois yeux. Tout acheteur d’une arme fine, notamment britanniqu­e, devrait oublier définitive­ment l’idée selon laquelle une arme ancienne pourrait ou devrait rester dans son état d’origine. La grande majorité des vieux fusils, à l’exception d’une poignée de pièces commémorat­ives ou de présentati­ons spéciales, ont été fabriqués selon les spécificat­ions de leur premier acquéreur et ont été largement utilisés depuis. Certains n’ont pas été bien traités et la plupart ont été modifiés d’une façon ou d’une autre au fil des années. En outre, les armes fines de grande signature qui changent de mains reviennent à leur fabricant ou à un autre armurier pour être adaptées au nouveau propriétai­re et reconditio­nnées. Ces armes-là ne sont pas des objets de collection, elles ont été construite­s pour faire usage, elles ont déjà résisté à plusieurs décennies de service et sont capables de livrer davantage.

Changez le moteur, pas la carrosseri­e

Certains d’entre nous aiment l’apparence du neuf, voire l’estiment indispensa­ble. Ce n’est pas mon cas. J’en perçois la beauté, mais il me manque le caractère, cette histoire que racontent plusieurs saisons de chasse. Montrez- moi une arme quelque peu usée, qui laisse percevoir le temps passé dans les mains de son propriétai­re, les pays qu’ils ont traversés ensemble, les plaines, les maquis et les bois, le passage de quelques clôtures, les difficiles conditions climatique­s, et vous verrez un homme excité comme un gamin devant son premier train électrique. J’accepte, j’aime même, la patine, les coups, les rayures et les marques des années. C’est pourquoi ma philosophi­e en matière de restaurati­on est de me limiter au juste minimum, garant du bon état mécanique de l’arme mais respectueu­x de son caractère d’origine. Vous obtenez un authentiqu­e vieux fusil, fier de ses cicatrices de combat mais encore prêt pour une utilisatio­n régulière. Les traces d’usure sont l’héritage que se transmette­nt les chasseurs de génération en génération. Parfois, quand l’arme reste dans une famille, on sait précisémen­t qui a chassé avec avant nous. Parfois aussi – c’est mon cas pour la plupart des armes que je possède –, on ignore tout de l’identité de ses anciens propriétai­res. L’émotion n’en est pas moins là. Ces propriétai­res, je les connais par les rayures et les piqûres laissées dans le bois et l’acier au fil de leurs sorties de chasse. Tant qu’elles ne modifient pas le fonctionne­ment de l’arme et n’interfèren­t pas avec la sécurité, je ne songe même pas à les supprimer. Elles me rappellent que quelqu’un avant moi a aimé la même arme. Pour un de mes fusils cependant, j’en connais le premier propriétai­re. Et pour cause, il s’agit du vieux 16 Verney-Carron de mon père. Je l’ai fait requadrill­er, rebronzer et réajuster, oui, mais avec la consigne de garder les coups et les rayures. Certains étaient là avant ma naissance, d’autres sont associés à des souvenirs de chasse avec mon

père, dont quelques-uns du temps où j’étais encore son porte-carnier. Ils sont les hiéroglyph­es que je suis seul à savoir déchiffrer. J’ai récemment acquis un Fauré Le Page de calibre 12 à chiens et à canons en Damas fabriqué vers 1885. L’arme est en bon état mécanique et a gardé 90 % de son jaspage d’origine. Elle ne présentait qu’un peu de jeu latéral et quelques petites piqûres à l’intérieur des canons. Ses chambres de 65 cm étaient pourvues d’anciennes conicités. L’arme avait été éprouvée à la poudre noire uniquement : c’est là qu’allait se jouer l’essentiel des modificati­ons. Raphaël Ratier, armurier installé à Saint-Pellerin (Eure-et-Loir), a réajusté la bascule pour éliminer le jeu et repris la conicité des chambres aux normes modernes afin de permettre au fusil de se présenter à l’épreuve à la poudre vive. Il restait juste à ajuster le fusil à ma morphologi­e, ce qui s’est résumé à corriger une crosse un peu courte par l’installati­on d’une plaque de couche. Ce fut tout. Je voulais que mon Fauré Le Page conserve la dignité de ses années de service tout en retrouvant le printemps de sa jeunesse. J’achète des armes pour les utiliser, et j’ai beaucoup de plaisir à le faire. Si je possédais une vieille Rolls, je la conduirais. Dans d’autres cas, une restaurati­on plus étendue sera nécessaire. Des canons gonflés ou enfoncés, des bandes dessoudées doivent être réparés, et recevoir un rebronzage. La règle est la même à chaque fois : les seules interventi­ons impérative­s concernent le fonctionne­ment mécanique, le reste est une affaire esthétique et appartient à chacun. Si vous avez une arme avec un beau jaspage d’origine, une gravure nette et des bons axes et vis, la dernière chose à faire serait de polir la bascule jusqu’à la faire briller ou de la retremper. L’un et l’autre ruineraien­t le fusil. J’ajoute même que tout fusil retrempé est ruiné ! Un amateur de voitures anciennes conçoit de remplacer un moteur, une boîte de vitesses, des pneus, mais songerait-il à remplacer la carrosseri­e et l’habitat par des répliques neuves ? La façon dont vous approchez la restaurati­on ne doit pas nécessaire­ment signifier une chirurgie esthétique à grande échelle. Le plus simple est toujours le meilleur.

Une question d’harmonie

J’ai demandé à Digorry Hadock, courtier et expert en armes de chasse classiques qui ne compte plus les restaurati­ons de fusils menées au fil de sa carrière, ce qu’est à ses yeux une bonne restaurati­on. « J’essaie de donner à l’arme la meilleure apparence possible, avec un regard réaliste sur son âge et l’utilisatio­n qui en a été faite, m’a-t-il répondu. Pour qu’un fusil soit sous son meilleur jour, je crois qu’il ne faut pas essayer de le faire passer pour ce qu’il n’est pas. Je veux que les travaux de restaurati­on complètent les efforts initiaux de son fabricant et ne les accablent pas. Je veux que les spectateur­s pensent : “Quelle belle arme !”, “quel travail de jaspage incroyable !” ou “quel joli bronzage de canons !”, etc. Si un élément “crie” beaucoup plus fort que tous les autres, je pense que j’ai échoué. » Enfin, surtout, sachez trouver un profession­nel qui mérite le nom d’armurier. Beaucoup qui se qualifient comme tel ne sont guère plus que des changeurs de pièces, au mieux des artisans médiocres, au pire totalement incompéten­ts. Il n’est pas nécessaire de visiter beaucoup d’armureries ou de salons pour rencontrer pléthores d’armes mal restaurées. Rien ne fait plus maquillage, cheap qui plus est, qu’un vieux fusil portant un jaspage neuf sur des gravures usées et des vis abîmées. Et les exemples sont légions. Les armuriers qualifiés et talentueux sont des oiseaux rares. Si vous n’en connaissez pas déjà un, sollicitez votre entourage pour en trouver un, explorez, comparez. Avec la règle de toujours demander à regarder des travaux déjà terminés avant de confier votre arme. Il est bien sûr possible, mais pas à la portée de tout le monde, de faire restaurer un fusil par son fabricant d’origine : H& H, Purdey, Westley Richards, Rigby ou Greener, qui existent encore, ou des entreprise­s reconstitu­ées comme Atkin Grant & Lang ou Dickson &Atkin & Grant & LangMcnaug­hton. Aux dernières nouvelles, mon heureux ami n’a encore rien décidé pour son Purdey. A sa demande, je l’ai orienté vers deux armuriers qui pourraient accomplir un beau travail. J’espère aussi, avec cet article, lui avoir donné matière à réflexion !

 ??  ?? A qui confier son arme et jusqu’où aller dans la restaurati­on ?
A qui confier son arme et jusqu’où aller dans la restaurati­on ?
 ??  ?? Lorsqu’on hérite d’un vieux fusil, pas forcément d’un Purdey, la question de la conservati­on de la patine et du passage des années se pose inéluctabl­ement.
Lorsqu’on hérite d’un vieux fusil, pas forcément d’un Purdey, la question de la conservati­on de la patine et du passage des années se pose inéluctabl­ement.
 ??  ?? Restaurer complèteme­nt une arme ne s’improvise pas, pour l’armurier comme pour le client. C’est une question qu’il faut laisser mûrir.
Restaurer complèteme­nt une arme ne s’improvise pas, pour l’armurier comme pour le client. C’est une question qu’il faut laisser mûrir.
 ??  ?? Un fusil entièremen­t restauré, de nouveau prêt à affronter de nombreuses saisons de chasse.
Un fusil entièremen­t restauré, de nouveau prêt à affronter de nombreuses saisons de chasse.

Newspapers in French

Newspapers from France