Le musée d’Armes de Liège
Renaissance en bord de Meuse
Renaissance en bord de Meuse
Sous l’impulsion de son jeune conservateur, Adrien Marnat, et grâce au soutien de sa ville, le musée d’Armes de Liège retrouve enfin son rang. Avec l’ambition de revenir parmi les plus belles vitrines armurières du monde.
Les collections du musée d’Armes de Liège sont extrêmement riches et diverses, à la mesure de ce qui fut longtemps le plus important centre armurier de la planète : plus de 20 000 armes se serrent dans ses dépôts. Les plus intéressantes, les plus représentatives et les plus belles sont désormais dévoilées aux visiteurs, qui, pour les plus connaisseurs, furent longtemps frustrés par la mise sous le boisseau de pièces exceptionnelles. Pour vous donner un avant-goût de votre plaisir, nous nous sommes rendus en bord de Meuse pour une redécouverte qui a un petit parfum de renaissance… Fini, le spleen, Liège est de nouveau fière d’exposer sa riche tradition armurière.
133 ans après
En 1885, le musée ouvre ses portes dans l’hôtel de Hayme de Bomal qui avait été le domicile d’un fabricant d’armes, Pierre-Joseph Lemille. Ce sont ses donations qui président à la naissance du musée. En cette grande époque de l’armurerie, l’institution brille de tous ses feux – cela restera vrai jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où elle amorcera un lent déclin. Elle n’est pas qu’une simple vitrine, elle est également une source de documentation et un outil de promotion pour les nombreuses entreprises du secteur. Le lieu ne manque pas de grandeur et témoigne de l’aisance de son ancien propriétaire. Il avait d’ailleurs été choisi, au temps où la région de l’Ourthe était un département français, pour être le siège de la préfecture. Une période économiquement peu favorable pour les armuriers liégeois qui s’étaient vu imposer une réduction massive des quotas d’exportation, puis l’attribution d’un monopole des fabrications
militaires à Jean Gosuin. Leur tentative d’infléchir la volonté du Premier Consul en lui offrant, à l’occasion d’une visite officielle, un beau fusil de chasse fit long feu, Bonaparte quitta Liège sans son cadeau – que le préfet jugea bon d’expédier malgré tout à Paris. Le pire restait à venir. En 1813, la fabrication de toute arme civile est purement et simplement interdite aux armuriers liégeois, contraints de produire exclusivement des fusils modèle 1777 corrigés an IX. La production en masse de cette arme de guerre s’avérera paradoxalement profitable : en se pliant à des stan- dards stricts auxquels ils n’étaient pas habitués, les fabricants ajoutent une carte à leur savoir-faire traditionnel. Quelques décennies plus tard, l’âge d’or de l’armurerie venu, ils font preuve d’une force de production sans égale, qui atteint son apogée en 1907, avec pas moins de 1 549 479 armes éprouvées. On n’en revient pas, à Birmingham et ailleurs. Liège inonde les marchés du monde entier grâce à des coûts de production très bas. Certes, il y a quantité d’armes médiocres, de « la quincaillerie » , comme le disent même certains Liégeois, soucieux pour la réputation de leur ville. Mais il y a aussi une production de premier plan favorisée par une main- d’oeuvre abondante et hautement spécialisée. En 1902, une délégation de fabricants de Birmingham se rend à Liège pour étudier les méthodes locales. Leur rapport mentionne que, comme eux, les armuriers de Liège fournissent différentes qualités et couvrent tous les segments du marché. Eh oui, « comme eux »… Dans ces circonstances, ils n’osent pas nier l’évidence, des maisons d’excellente réputation vendent énormément d’armes liégeoises dans leurs boutiques de Londres, Paris ou Dresde
Souvent, la véritable origine est soigneusement dissimulée, un procédé très banal à l’époque et bien des années après. En Grande-Bretagne, des armes de chasse de Birmingham sont envoyées à Londres pour y être éprouvées. Mieux, quantité d’armes portant la signature de grands noms londoniens proviennent des Midlands – le sujet restait un peu tabou il y a encore vingt ans. Quant aux canons, ils ont de fortes chances d’être nés sur les bords de la Vesdre. Comment prononce-t-on les noms Nessonvaux ou Jupille quand on est anglais ? Difficilement, c’est pourquoi sans doute on préférait les taire ! Si Liège est alors le sous-traitant de tant d’armuriers de par le monde, la cité mosane compte également des fabricants fiers, à juste titre, de vendre leurs armes de luxe sous leur nom. Il y a Lebeau-Courally bien sûr, toujours aujourd’hui au sommet de l’armurerie fine. D’autres se sont hélas éteints, comme Francotte, Defourny, Cordy, Duchâteau, etc. Leur savoir- faire se perpétue néanmoins, grâce à des armuriers remarquables – Jean-Marc Stevaux, Pascal Collard, Paul Pletsers ou Alexandre Hanssen pour ne citer que quelques noms. L’Ecole d’ar- mureriemurerie de Liège, dont l’inauguration officielle remonte à 1898 mais dont l’activité avait débuté des années plus tôt, contribue aussi à la pérennité de la tradition et du savoir- faire liégeois, tout comme l’Institut Léon Mignon où tant d’armuriers et graveurs français se sont formés. Et puis, bien sûr, il y a le puissant Herstal Group qui, en parallèle à sa production indusindustrielle,trielle, maintient une fabrication d’armes de luxe au sein du Custom Shop de Browning. Faisons un bon saut dans le temps, temp jusqu’en 2009. Le musée quitte son hôtel particulier pour s’installer au Grand Curtius, un vaste complexe permettant de réunir sur un même site des collections illustrant à la
fois le passé et le présent de la cité armurière, tout en mettant en pleine lumière la part artistique de cette tradition – orfèvrerie, sculpture, verrerie…
Un vent de renouveau
Si les armes présentées satisfont ceux qui, en quelques heures, veulent avoir un bon panorama de l’histoire de l’armurerie liégeoise, elles laissent sur leur faim les plus passionnés et connaisseurs. Le palais de Jean de Corte, latinisé en Curtius, laissait présager de plus grandes ambitions. Ce bâtiment ne fut-il pas la résidence d’un richissime munitionnaire, qui jouissait de la confiance de Philippe II d’Espagne et du monopole de la fourniture de poudre pour l’armée ? De quoi s’assurer de confortables rentrées en ces temps troublés de fin de XVIe siècle et de début XVIIe. Jean Curtius n’était certes pas arquebusier, mais on conçoit qu’il n’eût pas vu d’un mauvais oeil que sa demeure prenne place parmi les plus importants musées armuriers du monde. Qu’il se réjouisse : un vent de renouveau allait bientôt souffler en sa maison ! Moins de dix ans après avoir installé ses quartiers au Grand Curtius, l’ancestral musée d’armes retrouve une nouvelle jeunesse et surtout un nouveau dynamisme. Cette cure de Jouvence, il la doit à son jeune et ambitieux conservateur, Adrien Marnat, qui entend présenter les plus belles pièces des collections et en augmenter le nombre. Pas seulement des armes belges, également des chefs- d’oeuvre d’ailleurs, venus d’Angleterre certes, mais aussi, entre autres, de France ou d’Allemagne, des pays qui ont largement contribué au développement de l’armurerie. En cela, il poursuit le travail de ses prédécesseurs, qui ont toujours veillé à promouvoir le talent et l’inventivité des entreprises locales tout autant que les inspirations, esthétiques ou techniques, qui les nourrissaient. On sait combien des inventions mises en oeuvre par la crème des fabricants anglais ont influencé les armuriers partout en Europe, du fait de l’excellence britannique, mais également il est vrai de la profonde anglomanie qui régnait alors dans les milieux influents. Parmi les acquisitions réalisées pour le musée à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1900 figuraient un extraordinaire fusil James Purdey & Sons ciselé par un artiste français, Aristide Barré, et un superbe express Holland & Holland, plus caractéristique du discret goût londonien. Les fabricants de Birmingham ne furent pas négligés, un Westley Richards et un Greener se retrouvaient aussi dans le « panier » parisien de la délégation liégeoise où ils
côtoyaient notamment des fabrications stéphanoises, un Idéal etdeux Darne, l’un à culasse tournante et l’autre à culasse coulissante. Du côté des fusils à canons fixes, les vitrines liégeoises abritent unun juxtaposéjuxtaposé de Régis Darne à la sobriété remarquable.remarquable Dans sa simple robe bronzé noir, la ligne du fusil se fait merveilleusement fluide. Elle démontre qu’une arme bien née peut être belle sans porter quantité d’ornementations. En outre, ce Darne-là semble avoir une élégance toute particulière, un petit supplément d’âme… D’où vient cette impression ? Pardi, ses canons ne sont pas frettés : pas de ligne soulignant le mode d’assemblage, pas de guimpe ! Si ce joli fusil se trouvait dans les vitrines du musée depuis des années, des centaines d’autres joyaux de noyer et d’acier attendaient patiemment leur tour dans les réserves. Promesse leur avait été faite qu’ils rejoindraient les belles salles en cours de rénovation à l’été 2018, l’échéance a été respectée.
Priorité aux armes civiles
Face au volume des collections, il fallut fixer les priorités. Pour notre plus grand bonheur, ce sont les armes civiles quiqui, les premièrespremières, ont été désignées pour prendre place dans les nouvelles vitrines. Ce sont quelque 850 armes de chasse et de tir qui sont dorénavant exposées. Ravissement garanti ! L’attente des autres amateurs ne sera pas trop longue. Pour les armes militaires, le redéploiement est prévu pour 2019 et, pour les armes blanches et autres, pour 2020. Cette splendeur retrouvée, le musée la doit bien sûr à son site, le Grand Curtius, qui permettait des travaux de grande ampleur. Mais elle la doit aussi et surtout à son conservateur. A en juger par sa passion, qui sait si le meilleur n’est pas encore à venir. Il faut voir Adrien Marnat s’enthousiasmer devant la perfection d’un superposé Lebeau-Courally ou l’ingéniosité d’un mécanisme. Quand il parle d’elles, des armes acquises il y a plus d’un siècle reprennent vie, racontent leur histoire, révèlent un détail inattendu. On l’écouterait des heures, ce jeune Bourguignon, qui a appris si vite et si bien à aimer Liège et ses armuriers. Non seulement il gère de main de maître les
collections – et sait se tourner vers les meilleurs spécialistes pour mener les restaurations les plus délicates –, mais il veille à les faire évoluer. Ayant constaté que, malgré leur importance, elles comptent peu d’armes belges contemporaines, il a entrepris de combler ce déficit par sa politique d’achats. Ainsi, une magnifique carabine artisanale de type Mauser réalisée dans la meilleure tradition armurière en la personne de Paul Pletsers vient de faire son entrée au musée. Non, la vénérable maison n’est pas figée dans le passé, les idées nouvelles y circulent en liberté. Pour preuve, un autre des grands chantiers initiés par Adrien Marnat est le volet pédagogique, nouvelles technologies à l’appui. Grâce aux images de synthèse, le fonctionnement des mécanismes des armes devient limpide, et on attend impatiemment l’ouverture prochaine d’un portail de fiches numériques. Le tout, avec différents « niveaux de lecture » pour satisfaire tous les profils de visiteurs – chasseurs, spécialistes des armes ou simples curieux. Enfin, une encyclopédie de l’armurerie mondiale devrait paraître à la rentrée. Que de bonnes nouvelles ! Pour mener ces projets, Adrien Marnat peut s’appuyer sur l’aide et les immenses connaissances de deux
illustres spécialistes : Claude Gaier, directeur honoraire du musée, qui a signé notamment le monumental et passionnant ouvrage Cinq siècles
d’armurerie liégeoise, et Philippe Joris, ancien conservateur et auteur lui aussi d’ouvrages de référence. Avec de tels soutiens, la relève est assurée. Vous l’aurez compris, chers lecteurs d’Armes de Chasse, la visite du Grand Curtius est un incontournable pour votre été 2018.