Armes de Chasse

Les Canons Plume

À l’origine de « l’allégé » dès 1925

- Texte et photos Pierre Lefeuvre

À l’origine de « l’allégé » dès 1925

Canons Plume : cette appellatio­n qui remonte à plus d’un siècle nous reste familière. Mais la multiplici­té des marques auxquelles elle a été associée rend malaisée la reconstitu­tion de son histoire. Les nombreuses branches de la lignée d’armuriers qui l’a fait naître ajoutent encore à la confusion.

Si vous avez entre les mains un fusil équipé de canons Plume, vous risquez de vous heurter à pas mal de flous quant à son origine, mais vous pouvez tout de même être sûr de deux choses. Un canon Plume est toujours associé aux marquages spécifique­s du banc d’épreuve de Saint-Etienne et équipe forcément un fusil français fabriqué dans l’entredeux-guerres, mais dont l’usage a pu se prolonger jusqu’aux années 1960, quand les juxtaposés cèderont le pas aux superposés, avec notamment la mode du sporting et du ball-trap.

La lignée Didier-Drevet

L’invention du principe du canon Plume est due à un armurier stéphanois, Jean-Pierre Didier (1831-?). Au départ « aiguiseur » de canons à Rochetaill­ée, dans la Loire, il s’installe à Saint-Etienne en 1862 en tant que canonnier, au 7 rue de Villeboeuf. Après son mariage avec Marie Drevet, en 1855, il modifie le nom de sa marque, qui devient Didier-Drevet, souvent pris à tort pour le prénom et le nom du fabricant. On retrouve trace de la firme en 1868, à l’exposition de Saint-Etienne. A partir de 1870, Jean-Pierre Didier est contrôleur adjoint au banc d’épreuve. En 1887, il devient président de la Chambre syndicale des fabricants de canons de la Loire, membre fondateur du Conservato­ire de l’arme fine et de la Corporatio­n chrétienne des armuriers stéphanois. Surtout, il obtient plusieurs grands prix aux exposition­s universell­es de Paris en 1889 et 1900. Un an plus tôt, en 1899, il a déposé la marque Canons Plume Eureka. Une certaine confusion a pu se créer avec son parent Joannès Didier (1874-1954), également armurier, récompensé par une médaille d’or à l’exposition de Saint-Etienne de 1904. Or c’est aussi en 1904 que Didier et Cie, qui, comme nous allons le voir tout de suite, est la marque du fils de JeanPierre Didier, se voit récompensé par la médaille d’or du prix Escoffier de la chambre de commerce pour son canon plume Euréka à cale unique en acier mandriné. Mais le canon Plume est bien à rattacher au fondateur de la marque Didier- Drevet et à son fils, Jean (1856-1940), ainsi qu’aux fils de ce dernier, Pierre (1883-1969) et Clément (1888-1955). Jean-Pierre Didier passe la main à Jean en 1920. Ce dernier est lui-même canonnier, rue du Haut-Vernay d’abord, puis au 11 Grande-Rue-Saint-Roch. On lui doit une associatio­n féconde, à partir de 1901, avec la veuve Ronchard-

Cizeron. Ensemble, ils vont déposer les marquages « acier comprimé » et « RC rectifié ». Avec leur canon Plume, les deux ateliers, réunis sous le nom de Didier et Cie, vont truster les lauriers européens : Liège (1905), Londres (1908), Bruxelles (1910), Turin (1911). Qu’en est-il des marques Didierfusi­l et Didierétui, qui nous sont sans doute tout autant, sinon plus familières ? Elles sont celles de ClémentMar­ius Didier ( 1888- 1955), autre fils du fondateur, qui après avoir été associé avec son père et son frère, dut continuer seul après la retraite du premier en 1920 et la cessation d’activité du second après la Première Guerre mondiale qui l’avait laissé amputé d’une jambe. En 1920, Clément - Marius Didier fonde donc la société Didier Fils, toujours à Saint-Etienne, qui siège successive­ment rue Cizeron, Tissot et des Mouliniers. Ses production­s sont des armes à système Anson et canons classiques ou Plume.

Au régime avant tout le monde !

La particular­ité de ces tubes pionniers dans la quête de légèreté est d’être dépourvus de bande intermédia­ire grâce à un assemblage par une cale unique brasée. La micro-bande de visée pointue est surnommée bec d’aigle et assure une visée de qualité malgré ses trois petits centimètre­s. L’absence de bande de visée véritable permet une économie de 200 g par rapport à des canons traditionn­els. L’amincissem­ent des tubes ici et là, tout en préservant une épaisseur suffisante dans les parties sensibles (au niveau des chokes et de la liaison avec les grenadière­s notamment), permet de soustraire encore une centaine de grammes. Ce qui donne un fusil à la fois léger (2,6 kg en 12, et ce bien avant guerre !), maniable (souvent avec des tubes de 68 cm) et totalement modulable, « à la carte » , comme la majorité des production­s de haute volée de l’entre-deux-guerres ; tout était disponible, platines, crosses anglaises, jaspage… La maison Didierfusi­l privilégie la qualité à la quantité, se limitant à une production de 500 unités par an, garantie cinq ans. Bien qu’ayant activement participé à l’effort de guerre, le fabricant qui ne cessa de se débattre dans les problèmes financiers durant toute la durée de son activité, ferme en 1924. Les marques Didierfusi­l et DidierDrev­et sont cependant reprises par Laspoussas-Driol qui, jusqu’en 1950, perpétue et renouvelle le genre avec « Didierfusi­l 1919 OP, marque déposée ». Laspoussas a déjà absorbé, en 1923, les frères Berthon, créateurs des fusils à platines Perfecta et euxmêmes dépositair­es depuis 1910 de Martin Gesret, grand prix de l’exposition de Paris de 1900 et de Liège de 1905. Martin était le fils d’Antoine Gesret (1830-1914), fondateur de la chambre syndicale en 1885 et secrétaire général de l’Union des armuriers stéphanois à partir de 1903. Cette manière de réaliser des canons légers pris dans une frette va vite être enviée et copiée, et cela au grand jour dès l’instant où elle tombe dans le domaine public. Darne et surtout le canonnier Fanget, avec son modèle Epervier qui équipera bien des armes stéphanois­es jusque dans les années 50, reprennent les dispositif­s de frette des canons Plume. En 1930, Didierfusi­l se fond dans la Sifarm (Société industriel­le de fabricatio­n d’armes de chasse), une fusion de petits artisans (Berthon, Francisque Darne, Gerest, Ronchard-Cizeron) qui tentent, par cette associatio­n, d’accroître leur résistance commercial­e face à la concurrenc­e de la Manu, qui tourne alors à plein régime. Maisonnial équipe sur demande ses fusils, déjà réputés pour leur finesse tant en qualité qu’en poids, de canons Plume. Des armureries de bon niveau, telle Vouzelaud, commandent plusieurs de ces armes juste avant l’arrêt de leur fabricatio­n, en 1965. Louis Zavattero, dont la maison fut fondée en 1880 et disparaîtr­a en 1968, épaulé par son fils Joanny, réalise un fusil Zedef Plume sur des canons signés Jean Breuil. Notons que le fabricant a également donné dans le procédé Darne. Didier- Drevet est devenue une marque sinon oubliée du moins fort méconnue, mais bien des fusils stéphanois des années 1930-1960, pas toujours faciles à identifier, sont estampillé­s de ses fameux canons. Ils cessèrent d’être produits en 1963, quand Verney-Carron reprenait tout à la fois la Sifarm et la société Jean Breuil, mais sans utilisatio­n ultérieure de leurs procédés. Le Sagittaire, et ses innombrabl­es variantes depuis sa création en 1968, est en quelque sorte le descendant de ces fusils légers, qui retiennent l’attention des connaisseu­rs actuels. Ils nous arrivent le plus souvent en bon état tant les chasseurs qui consentaie­nt avant-guerre à mettre un prix conséquent dans une arme de qualité savaient en prendre soin. Ils nous ont légué des Plume dont la vivacité est encore aujourd’hui étonnante, toujours aussi efficace face aux rapides bécasses et bécassines.

 ??  ?? Deux indices pour reconnaîtr­e un rare canon Plume : le bec d’aigle, qui sert de bande de visée, et la signature « Canons Plume » et Eureka, qui figure sous les tubes devant les chambres.
Deux indices pour reconnaîtr­e un rare canon Plume : le bec d’aigle, qui sert de bande de visée, et la signature « Canons Plume » et Eureka, qui figure sous les tubes devant les chambres.
 ??  ??
 ??  ?? 1. Jean-Pierre Didier (1831-?). 2. Jean Didier (1856-1940). 3. ClémentMar­ius Didier (1888-1955). 4. Pierre Didier (1883-1969).
1. Jean-Pierre Didier (1831-?). 2. Jean Didier (1856-1940). 3. ClémentMar­ius Didier (1888-1955). 4. Pierre Didier (1883-1969).

Newspapers in French

Newspapers from France