Victimes de la mode
Redonner vie aux calibres qui ne sont plus dans l’air du temps
Redonner vie aux calibres qui ne sont plus dans l’air du temps
Ces dernières années, une multitude de nouveaux calibres a vu le jour. Plus performants, plus courts, plus longs, plus fiables, plus « plus », ils n’ont pas tous percé ou survécu. Le rechargement s’impose, mais, bonne surprise, souvent ce ne sont pas des cartouches compliquées à faire.
Récemment, un chasseur n’en trouvant pas chez plusieurs armuriers m’a demandé de la .243 WSSM. Je lui ai rétorqué que je n’avais pas sur mes étagères de la « toute roulée » prête à l’emploi, mais que je pouvais lui recharger ses étuis tirés. Finalement, après moult tergiversations, il a préféré revendre sa carabine. Cette histoire qui a dû arriver à certains d’entre vous illustre le caractère aléatoire de la distribution de certaines cartouches. Il en va dans les armes de chasse comme dans les autres domaines de la consommation. Les fabricants s’évertuent à tort et à raison à sortir de nouveaux produits qui d’après leur publicité doivent envoyer aux oubliettes les précédents promis à l’obsolescence immédiate. Je suis un peu cruel en comparant implicitement les fabricants d’armes aux fabricants de yaourts, mais avouez qu’il y a un peu de ça. A leur décharge, on n’utilise pas uniquement des cartouches ayant fait leurs preuves depuis plus d’un siècle, comme la 8 x 57 S (113 ans) ou la .30-06 (112 ans). Des cartouches bien plus récentes, la .222 Remington (1950), la .243 Winchester (1955) et la .300 Winchester Magnum (1963) sont désormais, en dépit de leur jeune âge, des standards planétaires. Mais que de ratages commerciaux pour quelques succès ! Le marché étant ce qu’il est, surtout aux Etats-Unis qui est le premier consommateur mondial, toutes les micro-niches sont exploitées. A l’est, à l’ouest, au nord, au sud, au centre, le chasseur est submergé de nouveautés qui ont la prétention de devenir « la » solution définitive à leur type de chasse. Mais après deux saisons de sable, de boue et de neige, on se demande si ça valait vraiment la peine de revendre une 7 RM éprouvée pour la toute nouvelle 7 mm Inter Galactic Annihilator . Un autre problème se pose pour nous, utilisateurs. Quand un fabricant sort une nouveauté, il tord un peu le bras de ses concessionnaires (nos importateurs à nous !) pour leur imposer sa nouvelle seringue qui va révolutionner le monde. Notre importateur voulait une cartouche toute « bête », il se retrouve avec un « machin » qu’il va falloir écouler. Le stade suivant, c’est la fourniture de la nouvelle cartouche. Si celle-ci rencontre le succès, pas de soucis, l’intendance suivra. Mais dans le cas contraire, la galère commence. Mais revenons à nos cartouches nouvelles. Je vais passer en revue un certain nombre de calibres récents (comprenez que je ne mentionnerai pas les « antiquités » antérieures à 1980) pour lesquels le rechargement est le moyen le plus sûr, le moins cher, voire le seul pour continuer à utiliser votre arquebuse qui sinon prendra la poussière sur son râtelier, faute de munitions. Comme vous allez le constater, ce sont surtout des calibres américains qui sont dans la liste, étant donné qu’il reste plus simple de faire venir une boîte d’Amotfors en Suède (Norma) que d’Anoka (Minnesota).
A-Square
Cette marque, créée par Arthur Alphin ( initiales AA, soit A au carré, d’où le nom) en 1974, était
spécialisée dans les calibres africains. La distribution était assurée par l’armurerie du Maine à Paris. Malheureusement, la mort de son propriétaire a tout stoppé. De plus, la maison mère n’existe plus. Alors .338 A-Square, .375 A-Square, .500 A-Square, à vos presses !
Blaser
Il était plus que tentant pour les ingénieurs de cette firme, grisés par le succès de leurs produits, d’inventer des cartouches « à leur nom ». C’est ce qu’ils ont fait avec les 7 mm, .300, .338 et .375 Blaser Magnum, sans oublier la .45 Blaser. Les quatre premières sont d’un dessin conventionnel sur base de .404, elles sont plus longues que les WSM, mais plus courtes que les RUM. Encartouchées par Norma, elles risquent de durer. Mais pour combien de temps pour la dernière ? Heureusement, il reste la .30 R Blaser, qui va très bien merci pour elle, son succès dans l’Hexagone devrait assurer sa pérennité.
Dakota
Vu le faible nombre de ces (très) belles carabines importées dans notre douce France, il y peu de chance que vous ayez une arme chambrée en 7, .300 , .338, .375 ou .404 Dakota. Si c’est le cas, faire venir de la cartouche des Etats- Unis relève du parcours du combattant : passer commande à l’importateur via votre armurier et survivre aux formalités douanières américaines et françaises. Ensuite ? Elles ne pourront pas vous être vendues car elles ne sont pas homologuées CIP. Passage au banc pour homologation européenne, etc. Et je dois en oublier. Je vous laisse deviner le prix de la douloureuse pour trois boîtes. Par contre, quelques boîtes d’étuis vides et un jeu de matrices ne présentent aucun problème. C’est dans un tel cas que le rechargement prend tout son sens.
Federal
Qu’un encartoucheur développe un nouveau produit, quoi de plus normal ? Quoique… Cette marque a déjà essuyé un échec lamentable avec son 9 mm lancé en 1989 et arrêté en 1992. Les étuis de ce calibre d’armes de poing mal conçus font désormais la joie des pyrothécophiles ( collectionneurs de cartouches pour ceux qui sont rétifs à la langue de Homère et de Thucydide). En 2006 est créée la .338 Federal qui est ni plus ni moins une .308 Winchester dont le collet est élargi pour tenir un projectile de .338. Le but est de tirer une balle relativement lourde dans un boîtier court étudié pour la .308. On réinvente la .358 Winchester de 1955 dont la quasi-disparition reste un mystère pour moi vu la somme de qualités à son actif. Plusieurs fabricants chambrent la nouvelle cartouche : Kimber, Ruger, Tikka, etc. Elle est l’exemple parfait du rechargement « facile » , la base, c’est-à-dire l’étui vide de .308, se négociant à vil prix. Dans le pire des cas, c’est- à- dire l’arrêt de la fabrication, l’achat d’un jeu de matrices vous rendra autonome pour le restant de votre vie.
Lazzeroni
Je n’ai jamais vu en France d’armes de ce fabricant qui a développé des calibres conçus pour la chasse à des distances totalement impensables pour nous. Si vous en avez une, bravo ! Une fois que vous aurez tiré toutes les cartouches achetées avec votre arme (ce qui aura certainement « rincé » votre canon), vous n’aurez plus qu’à vous mettre au rechargement, si vous avez précieusement gardé les étuis tirés. Sinon…
Marlin
La raison d’être de ce fabricant est de fournir des armes à levier de sous- garde aux chasseurs de l’est américain dont les conditions de chasse en biotope fermé sont assez proches des nôtres. Quasiment obligés par l’histoire de chambrer des calibres Winchester, il est normal que les décideurs aient voulu s’émanciper de ce diktat en créant plusieurs cartouches « maison » . Le .444 Marlin leur a plutôt bien réussi. Plus récemment ont été conçues la .308 Marlin Express (qui est une resucée de la .307 Winchester), la .450 Marlin et la .338 Marlin Express. Sur le papier, la .450 Marlin est la cartouche idéale pour nos battues hexagonales. Version moderne de la .45-70, elle est
parfaite pour envoyer un projectile lourd à faible distance et à une vitesse suffisante – le caffer caffer se fait rare dans le Bas-Berry. Malheureusement (ou heureusement ?) le look cow-boy est rédhibitoire pour beaucoup de chasseurs. Toujours est- il qu’en 2009 Marlin a arrêté de chambrer son modèle 95 dans ce calibre. A ma connaissance, il ne reste que la Browning BLR qui est disponible. Ça sent mauvais… Là encore, l’achat d’étuis encore couramment disponibles à ce jour et d’un jeu d’outils palliera les mauvaises surprises dans dix ans.
Nosler
Cette marque a été créée dans un garage en 1948. Grâce au succès de sa balle Partition, une cloisonnée devenue star, elle a grossi, grossi… A tel point que les décideurs se sont dit qu’il serait opportun d’inventer des cartouches au nom de la firme. Il existe désormais des .22, .26, .28, .30, .33 Nosler, qui ne sont pas distribués en France à ma connaissance. J’ai un gros doute sur la pérennité de ces cartouches.
Remington
Chez Remington, on sait concevoir des cartouches. Le but : offrir une cartouche de chasse de la puissance d’une magnum en optimisant le dessin en vue d’une précision maximale. Pour cela, on va appliquer les mêmes règles que celles des cartouches de bench-rest et de tir : – Une cartouche courte pour être tirée dans un boîtier court qui présente plus de rigidité et produit moins de vibrations parasites au départ du coup. – Un angle d’épaulement très fermé. – Une colonne de poudre courte et large en diamètre aussi proche que possible de la sphère avec un taux de remplissage à 100 %. On partira donc d’un étui large. – Une absence de ceinturage, celuici étant préjudiciable à la concentricité lors du chambrage, donc à la précision. De plus, les cartouches non ceinturées se rangent mieux dans les magasins et coulissent mieux au réarmement. On part d’une douille de .404 Jeffery (10,75 x 73) que l’on raccourcit. C’est sous ces bons auspices que naissent les 7 mm et .300 Remington Short Action Ultra Mag. Les cartouches sont parfaites et obéissent entièrement au cahier des charges. Le produit est au point, est- ce qu’on prend le risque commercial de le sortir ? Patatras ! Winchester annonce ses WSM avant Remington et, attrait de la nouveauté aidant, impose immédiatement son standard. Nos deux bébés sont mortsnés, à tel point que les quelques carabines sorties dans ces calibres commencent à s’arracher à titre de collector. Quelques- unes sont parvenues chez nous, je conseille vivement à leur propriétaire d’acheter de la douille pendant qu’il y en a encore. Dépités par cet échec, on sort une autre carte : nos clients veulent toujours plus de vitesse ? On va leur en donner ! Sur la même base de .404 sortent les 7 mm, .300, .375 Remington Ultra Mag dont le succès est bien supérieur à celui de leurs petites soeurs.
Ruger
Cette firme a révolutionné le monde de l’armurerie en introduisant des techniques de moulage de haute précision. Ajoutez une extrême intelligence du design et vous transformez un simple atelier en un acteur majeur de la fabrication d’armes aux Etats-Unis. Ici comme ailleurs, la hubris guette et il faut des cartouches au nom de la maison. Toujours sur le principe des magnum courtes, mais avec un corps qui est proche mais non identique à celui du .404, sont créées les .375 Ruger Compact Magnum ( boîtier standard) puis les .300 et .338 RCM (boîtier court). L’avenir nous dira si elles vont détrôner les .375 H & H, .300 Win. Mag et .338 Win. Mag, mais on peut en douter…
Sako
Je me perds en conjectures sur les raisons qui ont poussé des ingénieurs finlandais à sortir la 9,3 x 66 (ou .370) Sako alors que l’excellente 9,3 x 64 Brenneke se morfond dans son coin.
Steyr-Mannlicher
La très vénérable et respectable firme autrichienne a elle aussi succombé à la tentation de sortir une cartouche à son nom. Une vague de plus dans le tsunami des « magnum courtes », c’est la .376 Steyr qui utilise une base de 9,3 x 64 proche mais différente de ses cousines. Conçue avec l’aide du grand gourou du tir de combat Jeff Cooper, elle n’est déjà plus chambrée dans le modèle « scout » initial.
Weatherby
Dans la liste des calibres de cette marque, il manquait un 6,5. Qu’à cela ne tienne, on en sort un évidemment le plus rapide possible : c’est le 6,5-300 Weatherby. Chose curieuse, il existait déjà sous la forme d’un wildcat créé dans les années 1950 pour le bench-rest à 1 000 yards. La 6,5-300 Weatherby-Wright-Hoyer,
puisque c’est ainsi que la cartouche se nommait, a été abandonnée par la suite, la disproportion du ratio du poids de poudre/projectiles amenant une distribution erratique des pressions. Je ne parle même pas de la durée de vie du canon. Quand on sait que la .264 Winchester Magnum de 1954, pourtant d’une capacité inférieure, a été abandonnée pour ces mêmes raisons…
Winchester
Comme on l’a déjà vu, Winchester a suffisamment devancé Remington pour imposer son standard de short magnum. Une fois sorties les .270 WSM, 7 mm WSM et .300 WSM, il était tentant de décliner la petite famille en augmentant le calibre (.325 WSM) et en le réduisant avec raccourcissement de l’étui. Ainsi est née la série des Winchester Super Short Magnum en .223, .243 et .257. Autant le .270 se taille un franc succès chez nous, autant les autres végètent. Voilà pour ce tour d’horizon des calibres en vogue à leurs débuts qui sortent doucement des écrans radar et qu’il va falloir veiller à maintenir en vie dès à présent. J’espère que je ne vous ai pas flanqué le bourdon. Allons, rien n’est perdu ! Si vous possédez un ou plusieurs des calibres cités, avant de déprimer, commencez par acheter un jeu de matrices de rechargement, une bonne cinquantaine d’étuis neufs, en n’oubliant pas de garder systématiquement tous vos étuis tirés, et enfin une presse. Vous ne le regretterez pas, peu importe que vous ne débutiez pas votre carrière de rechargeur dès la semaine prochaine.