Armes de Chasse

Madame Irma

- Bonne lecture à toutes et à tous, Laurent Bedu

Tout a commencé le 28 août dernier. Le lendemain de la réunion tenue à l’Elysée en présence des représenta­nts de la chasse française, dont leur président Willy Schraen, et d’Emmanuel Macron qui actait la réforme ambitieuse de la chasse française. C’est ce jour-là que j’ai brutalemen­t découvert que je possédais un don incroyable : je pouvais lire l’avenir. J’imagine quelques sourires mais, sceptiques de tous bords, lisez ce qui suit. A la radio, depuis l’aube, les chasseurs se voyaient critiqués par les sectaires et ignorants de la cause verte, tous ceux qui rêvent davantage la nature qu’ils ne la pratiquent. Tous reprochaie­nt les avancées de cette réforme, comme la création d’une gestion adaptative des espèces, d’une police rurale et environnem­entale ou d’un fonds de 16 millions d’euros, géré par les chasseurs, pour des actions concrètes en faveur de la biodiversi­té, sans compter la baisse de moitié du prix du permis de chasser national. Une journée certes exceptionn­elle pour un chasseur, mais normale dans son déroulemen­t. Jusqu’à 8 h 20. C’est à 8 h 20 que ma vie a basculé dans la quatrième dimension : les yeux embués de larmes, un trémolo dans la voix, Nicolas Hulot annonçait sa démission sur France Inter. La vacance de Monsieur Hulot balayait tout sur son passage, ringardisa­nt aussitôt les autres informatio­ns de la journée. Exit des médias la réforme de la chasse ? Pas tout à fait car, durant l’annonce de sa démission, notre homme d’expliquer en filigrane que c’est la réunion de la veille, à laquelle il avait participé, et surtout la présence du conseiller politique du président de la Fédération nationale des chasseurs également lobbyiste de la chasse française, qui avaient été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. L’attention allait à nouveau se porter sur les chasseurs, qui venaient de se voir décerner un trophée dont ils se seraient bien passé : Nicolas Hulot. Il était 8 h 20 et pendant que la vindicte s’organisait sur les réseaux sociaux, le tribunal des couards et des anonymes, soudain me revint en mémoire ce que j’avais écrit dans ces mêmes colonnes cinq numéros plus tôt. Je retrouvais le magazine et lisais : « D’aucuns prétendron­t aussi que, comme le disait Chevènemen­t, “un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionn­e ” […]. Mais rien n’est moins sûr. Si, pour Emmanuel Macron, la nomination de Nicolas Hulot constitue une belle prise, le risque existe qu’elle ne se révèle vite trop grosse, trop encombrant­e. M. Hulot aura beau jeu, si tout ne va pas comme il l’entend, de claquer la porte en affirmant qu’il ne peut mener à bien sa mission dans ces conditions et qu’il ne veut pas être un simple prétexte électoral ou un symbole. » A peu de chose près, j’avais écrit le discours de renoncemen­t de Nicolas Hulot… en juin 2017 ! Communicat­ion avec les esprits, transe ou autosugges­tion, j’ignorais comment j’avais pu prédire avec autant de précision un tel évènement, quatorze mois avant qu’il ne se produise. Mais je savais qu’il m’était désormais possible de lire l’avenir, certes pas aussi facilement que ma voisine dévore son Voici, dans le bus qui m’emmène à la rédaction le matin, mais avec un peu de pratique, on allait voir ce qu’on allait voir. Alors que je me demandais que faire de ce don, m’en servir pour faire le bien ou l’utiliser à des fins personnell­es et vénales, voire m’installer dans une caravane avec un foulard sur la tête et quelques capsules de cafetière éventrées pour en extirper le marc, j’eus une autre vision. La campagne de publicité intitulée Les chasseurs premiers écologiste­s de France, lancée la veille de ce jour fatidique, allait mal se passer. Et, effectivem­ent, la régie publicitai­re de la RATP obligea sournoisem­ent la FNC à mettre un point d’interrogat­ion à ce slogan, à la demande de l’Autorité de régulation profession­nelle de la publicité, jugeant « le slogan trop peu étayé par des preuves ». Une fois encore j’avais vu juste. J’en étais là de mes réflexions lorsqu’une dernière vision se présenta, encore plus claire : celle du fakir Rabindrana­th Duval de Pierre Dac doté lui aussi de dons de médiumnité et qui affirmait à son comparse : « Monsieur a son avenir devant lui, mais il l’aura dans le dos chaque fois qu’il fera demi-tour. » Car de la tragicoméd­ie du 28 août aux basses manoeuvres hypocrites et partisanes d’une régie publicitai­re, le scénario était rien plus que prévisible. Il n’y avait rien de miraculeux ni de sorcier dans tout cela. Comment avait-on pu seulement imaginer qu’un militant de la cause verte, qu’un anti-nucléaire, anti-chasse, qui certes avait murmuré à l’oreille de trois présidents consécutif­s, mais sans jamais mettre les mains dans le cambouis, résiste bien longtemps à l’exercice et à l’usure du pouvoir et aux critiques émanant souvent de son propre camp ? Comment imaginer qu’avec un tel profil, il puisse survivre à la dureté de la real-politique, au sein du gouverneme­nt pragmatiqu­e d’un pays endetté à hauteur de 100 % de son PIB, dont la survie énergétiqu­e passe hélas par le nucléaire et qui entend bien ne pas fâcher des agriculteu­rs devenus accros au glyphosate ni des chasseurs depuis longtemps derniers représenta­nts associatif­s d’un monde rural délaissé ? Finalement tout cela était déjà écrit… Il fallait que j’oublie le surnaturel, que je fasse une croix sur la divination et une hypothétiq­ue reconversi­on. Tant pis, ou plutôt tant mieux, je resterai votre fidèle serviteur…

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