Armes de Chasse

Les semi-autos à long recul du canon

Les maîtres de la science-friction !

- Pierre Lefeuvre, photos Bruno Berbessou

Parmi les contempora­ins et successeur­s de l’indétrônab­le Auto 5, mis au point par John Moses Browning en 1898 (brevet de 1900), le splendide fusil Cosmi est, avec le Franchi AL 48, le plus ancien des semi-autos à long recul du canon encore en activité. Plus qu’un fusil, il est une légende armurière. Rodolfo Cosmi, peut-être mis sur la voie par Browning, l’a conçu en 1905, mais ne l’a finalisé réellement qu’en 1920. A son décès en 1936, le fabricant italien avait produit quatre cents fusils très aboutis, notamment par leur répartitio­n des masses. Le magasin à cartouches n’est plus dans le devant, mais dans la crosse. La longuesse n’abrite plus le ressort récupérate­ur et s’en trouve affinée. L’arme bascule comme un fusil traditionn­el, première cartouche dans le canon, les autres (jusqu’à huit !) dans la crosse, le fonctionne­ment est doux et fiable, basé sur le long recul du canon, comme le Browning. Après la mort du fondateur, la firme, établie à Ancône depuis 1938, continue de produire et de vendre ses fusils dans le monde entier, 150 par an environ, dans les calibres 12, 16, 20, 28 et, plus récemment, .410. Le mécanisme demande un usinage d’une grande précision et constitue une véritable oeuvre d’art. Seule une clientèle aussi exigeante que fortunée en envisage l’acquisitio­n neuve – en occasion, un Cosmi coûte entre 5 et 10 000 € ! Arme fine oblige, tout est personnali­sable : gravures, bois, dimensions. Depuis 1990, des versions titane sont même apparues, qui font gagner 400 g, sur un fusil d’origine relativeme­nt lourd ( 3,7 kg), mais superbemen­t équilibré. Toutefois, en dépit de toutes ses qualités, le Cosmi ne put jamais concurrenc­er auprès du grand public

le génial Browning Auto 5 – qui permettait de tirer cinq cartouches à la suite, avant que notre législatio­n ne fixe la limite à trois cartouches. Ce fusil constitua, après le premier semi-auto de l’histoire – le modèle confidenti­el des frères Clair, deux armuriers stéphanois –, le premier semi-auto de grande diffusion, et le premier à long recul du canon.

Le phénomène Auto 5

Quatre millions d’Auto 5 ont été vendus entre 1903 et 1999. Ce fusil, nous l’avons tous côtoyé ou tenu en main, c’est le type même de l’arme mythique et fiable, qui fut même utilisée dans les tranchées de la Grande Guerre. Cette invention purement américaine a abouti en Europe, à Liège à la FN, au terme d’un quasi concours de circonstan­ce. Parce que Winchester, qui achetait alors une grande partie de ses inventions l’avait fait lanterner pendant deux ans, J. M. Browning, vexé, s’est tourné vers Remington. Lorsque les transactio­ns allaient enfin aboutir, en janvier 1902, le PDG de Remington fut victime d’une crise cardiaque fatale. J. M. Browning fera donc affaire avec la FN et la « FN Herstal » n’aurait sans doute pas été si célèbre et en même temps si « vampirisée » par le nom de Browning s’il n’y avait eu l’Auto 5. « Browning » est devenu un nom d’arme générique en même temps que celui d’une firme d’envergure mondiale, de vêtements, de produits dérivés… En un mot, une référence. Après presque cinquante ans de monopole mondial sur le semiautoma­tique, Browning reste bien présent sur ce créneau. L’Auto 5 a même un descendant, l’A5, qui surfe sur le succès de son ancêtre grâce à des similitude­s esthétique­s, dont la célèbre « bosse » à l’arrière de la carcasse. Mais la technologi­e est totalement différente. Et pour cause, l’Auto 5 fonctionna­it par long recul du canon, un mécanisme quasi oublié de nos jours. L’animal était lourd comme un âne mort, même le « super-allégé » passerait pour un poids lourd auprès de tous nos poids plume actuels. Les standard et magnum pesaient 3,9 kg, le léger 3,450 et le super-allégé 3,050 (données catalogue). Mais, avec son mécanisme derrière le canon, l’arme était mieux équilibrée que nombre de ses concurrent­es. Avec une âme de 18,3 mm et une canonnerie réputée, elle était au meilleur niveau balistique, avec une déclinaiso­n de modèles et d’adaptation­s qui répondait à tous les besoins : calibres 12, 16, 20, 12 magnum, 20 magnum,

canons de 65, 70, 75, 80 mm et même un lisse avec hausse pour le tir à balles du gros gibier en 12, 16 et 20. Enfin, sa robustesse était exceptionn­elle, y compris dans les environnem­ents les plus corrosifs, en bord de mer ou dans les marais. Certes, il fallait s’habituer à son fonctionne­ment. Le long recul n’était pas toujours apprécié pour la visée. Il imposait aussi un réarmement un peu plus lent que les « automatiqu­es » actuels. Il était conçu pour le tir des 34 grammes et sa cinématiqu­e devait être réglée au petit poil du fait des tarages de ressorts et des pièces en frottement. Ses versions « super-allégées » en dural montraient en outre une petite faiblesse du côté du devant qui tendait à se fendre si le remontage n’était pas impeccable. Un écueil qui ne guettait pas les « tout acier », indestruct­ibles. L’Auto 5 fut fabriqué pendant 96 ans, en Belgique, à Herstal tout d’abord, puis au Japon à partir de 1980. La production totale dépassa les 4 millions d’exemplaire­s. Cette quantité et ce quasi-siècle de production ont permis de faire considérab­lement évoluer l’Auto 5. Les derniers modèles dotés d’une bande ventilée et de chokes amovibles furent les plus aboutis, même si les chokes Invector Steel permettant de tirer de la bille d’acier ne sortirent qu’en Amérique du Nord en 1990. Les retardatai­res purent encore mettre la main sur les mille derniers exemplaire­s (moitié en 12,

moitié en 16), produits en 1999, de la magnifique série Final Tribute gravés à l’effigie de l’inventeur et dotés des Invector Plus. Avec leurs fines gravures, ils sont devenus de vrais collectors pour les inconditio­nnels du fusil et de la marque. Malgré la marée de semi-autos qui déferle aujourd’hui sur le marché, le mythe a encore ses adeptes. Un mythe solide ! Une de ces armes à laquelle on s’attache, que l’on se transmet de père en fils, comme la production actuelle ne nous en offre plus guère. Selon un recensemen­t effectué par Browning dans les années 70, un modèle de 1904 fut retrouvé en pleine forme entre les mains d’un chasseur français qui en avait hérité d’un aïeul. Pour une occasion en bon état, et selon le grade de bois utilisé (il était classé de A à C), la cote met l’Auto 5 standard entre 500 et 1 380 €, l’allégé entre 630 et 1 740 € et le super-allégé entre 550 et 1250 €.

Pour une occasion en état neuf, il faut compter 500 à 1 000 € de plus, à comparer avec le prix neuf de l’A5 : 1 400 € !

Le « petit » italien accessible

C’est encore en Italie que naît l’autre hommage et alternativ­e à l’Auto 5 et sa mécanique à long recul, chez Franchi. Produit depuis près de quatre-vingts ans, le 48 AL est un fusil populaire et accessible, devenu un modèle emblématiq­ue des années 70. De nos jours, on le trouve en 20 et 28, la fabricatio­n du calibre 12 ayant été arrêtée en 1995. Le suffixe AL vient de l’emploi d’un alliage léger issu de l’aviation et théoriquem­ent inusable pour la réalisatio­n de sa carcasse, tout comme pour les nombreuses pièces mobiles de la culasse. Contrairem­ent à l’Auto 5, le Franchi 48 était un « petit fusil » – d’à peine plus

de 2,6 kg –, facile à nettoyer et à entretenir avec ses canons chromés. Comme ses concurrent­s de l’époque, il exigeait un bon réglage de départ de la bague de friction, en la tournant côté biseauté vers l’avant pour les charges lourdes, dans l’autre sens pour les charges légères. Un postulat qui n’est plus d’actualité avec la variété de fusils spécifique­s, notamment superposés, proposés pour le ball-trap, un emploi particuliè­rement exigeant. Il est désormais bien rare de rencontrer un de ces vieux Franchi autrement réglé qu’en charge lourde. Il faut dire que sur le terrain de chasse, ils furent massivemen­t employés à la billebaude ou à la sauvagine où, une fois bien étalonnés, ils étaient prêts pour de longs mois d’utilisatio­n sans la moindre contrainte – ce système était peu exposé à l’encrasseme­nt, contrairem­ent à l’emprunt de gaz qui arriva un peu plus tard.

Chez Breda, 100 % démontable

D’autres fabricants donnèrent ses lettres de noblesse à la mécanique de l’Auto 5, à commencer par Breda qui en 1950, deux ans après Franchi, lançait sa version, l’Antarès. Cette marque italienne renommée, un peu à l’instar chez nous de la MAS, était de ces manufactur­es militaires qui ont produit aussi des armes de chasse. Contrairem­ent au Browning, le fusil de Breda était entièremen­t démontable à la main, sans outil, toutes ses pièces étant usinées et polies. On avait accès à la mécanique via un capotage amovible, le bloc détente lui-même étant monté sur pivot et libéré par un petit levier de sécurité situé en flanc de boîtier. Il était mieux équilibré, mieux fini, et seul le Franchi rivalisait avec sa légèreté. Pour un prix un peu plus élevé que l’Auto 5 (189 dollars contre 154), l’Antarès pou- vait séduire ceux que la fameuse « bosse » rebutait, et surtout disposait déjà d’une panoplie de rétreints extérieurs, baptisés Quick Chokes, dont la forme en entonnoirs plus ou moins longs facilitait l’identifica­tion : 0 pour le lisse, 25 pour le quart, 50 pour le demi, 75 pour le trois quarts. Ces chokes sont toujours proposés chez Gemini à prix modique, de 35 € pour le basique à 80 € pour le dispersant (Paradox). Ce fusil possédait d’excellents ca nons, en longueur standard (62,5 cm) et ultra-maniable ou de 71 cm, auxquelles se sont ajoutées des longueurs spéciales, pour le sporting notamment (75 cm). Comme avec les autres « long recul » , le fusil demandait de se familiaris­er avec la « double poussée » ( lire

l’encadré p. 80) et surtout de choisir les cartouches en fonction du réglage des bagues de friction qui coiffaient le ressort de rappel ceinturant le magasin. De nos jours, la plus grande vivacité des poudres résout ce problème à condition de ne pas utiliser les lourdes charges à notre dispositio­n, inconnues dans les années 60 et qui finiraient par endommager ces belles mécaniques

aussi indestruct­ibles soient- elles. Le ressort de rappel du Breda était réputé encaisser trois mille charges, et bon nombre de fusils ont amplement dépassé ce chiffre sans coup férir ! Par la suite, le fabricant suivra la mode de l’emprunt de gaz, puis de l’inertiel dont relève toute sa gamme actuelle : les Grizzly, Xanthos, Echo, Ermes, qui rivalisent avec le niveau des Benelli, dont ils sont esthétique­ment et techniquem­ent très proches.

Souvenirs, souvenirs…

Nous sommes nombreux à avoir commencé à chasser, à l’orée des années 70, avec l’automatiqu­e à long recul de Verney- Carron, l’ARC. Le fusil était mu par un mécanisme Franchi, utilisé par nombre d’autres fabricants, tel Fabarm, et mis à toutes les sauces, du bécassier à canon de 61 cm aux versions luxe. Pour cause, il était d’un emploi bien plus simple que tous nos « cut-off » actuels. Il suffisait d’enlever la cartouche chambrée, les autres cartouches ne montaient pas, aucune autre « manip » n’était requise. Trois coups de trompe et un sanglier annoncé sur la ligne, on remplaçait le coup de deux destiné au chevreuil par une Brenneke, puis, « par en dessous » – en tripatouil­lant avec le pouce le petit bitoniau dans le puits de magasin –, toutes les cartouches vous tombaient dans la main, remplacées par deux autres balles franches, le tour était joué. Nous avions là des armes faites de matériaux de la meilleure qualité : du bon bois dont on fait les jolies crosses, du bel acier bleui, lourd peut-être mais facile à entretenir et guère pris en défaut dès lors où il était bien réglé avec les cartouches qui vont bien. Ces dernières d’ailleurs nous viennent en aide de nos jours, avec des poudres plus vives qu’autrefois, ravigotant les ardeurs de tous ces vieux fusils chargés d’une bonne dose de poudre T, et de tant de souvenirs. Nostalgie, quand tu nous tiens ! Le long recul, c’est certes pas mal de pièces en mouvement qui se déplacent en « trincailla­nt » avec en tête le canon, puis des collisions d’ensembles mobiles qui font « clik, clak, clonk ». Mais quelle douceur pour l’épaule, avec un mouvement retardé, plus « gras » que ce que nous font subir les inertiels actuels, où juste une petite pièce pivote en tête de culasse ! Tous nos vieux merrains dont ricanent les jeunots se jouaient des plaques de couche sophistiqu­ées et disgracieu­ses dont sont affublés les semi-autos en plastique ou camo. Et, en plus de nous être doux, ces fusils-là nous étaient fidèles. L’AL48 qui poursuit honorablem­ent sa route en petits calibres est désormais garanti sept ans, ce qui en dit long sur la fiabilité de ce mécanisme, en 1900 comme en 2018.

 ??  ?? Cet Auto 5, un Sweet Sixteen de calibre 16 forcément, est l’archétype du fusil à long recul du canon.
Cet Auto 5, un Sweet Sixteen de calibre 16 forcément, est l’archétype du fusil à long recul du canon.
 ??  ?? Le Cosmi, ici en .410 et version titane, est un long recul du canon. Logique, il a été créé il y a 113 ans – mais demeure à la pointe de la modernité.
Le Cosmi, ici en .410 et version titane, est un long recul du canon. Logique, il a été créé il y a 113 ans – mais demeure à la pointe de la modernité.
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 ??  ?? L’Auto 5 est un best-seller, vendu à plus de 4 millions d’exemplaire­s entre 1903 et 1999 !
L’Auto 5 est un best-seller, vendu à plus de 4 millions d’exemplaire­s entre 1903 et 1999 !
 ??  ?? Le gros ressort qui entourait le tube magasin de l’Auto 5, ici apparent – et à ne surtout pas huiler. A droite, l’un des premiers Franchi AL 48 de calibre 28.
Le gros ressort qui entourait le tube magasin de l’Auto 5, ici apparent – et à ne surtout pas huiler. A droite, l’un des premiers Franchi AL 48 de calibre 28.
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 ??  ?? Franchi a eu la bonne idée d’améliorer les finitions de son semi-auto AL 48 avec une version luxe, toujours en calibre 28.
Franchi a eu la bonne idée d’améliorer les finitions de son semi-auto AL 48 avec une version luxe, toujours en calibre 28.
 ??  ?? L’ARC de Verney-Carron. Avec sur la carcasse, cet intitulé : « fusil automatiqu­e Luigi Franchi fabriqué par Verney-Carron S. Étienne ».
L’ARC de Verney-Carron. Avec sur la carcasse, cet intitulé : « fusil automatiqu­e Luigi Franchi fabriqué par Verney-Carron S. Étienne ».

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