Silencieux mode d’emploi
Comment fonctionnent les modérateurs de son
Si le monde du silence est pour vous au moins aussi obscur que les profondeurs abyssales des océans, lisez ce qui suit vous saurez comment fonctionnent les silencieux et aussi comment les choisir.
Le tir d’une cartouche équipée d’un projectile génère deux formes principales de bruit : celui créé par la pression des gaz en sortie de bouche et celui créé par le vol de la balle dans l’air ambiant. Nous laisserons de côté le second, seul le premier nous intéresse ici, c’est sur lui que peut intervenir un modérateur de son.
Des chicanes en tout genre
Réduire une pression, quel que soit le facteur qui la crée, requiert d’agir sur un ensemble de variables : la vitesse de débit, le volume dans lequel cette pression s’exerce, sa durée d’écoulement, mais aussi, dans le cas des armes à feu ou des moteurs à explosion, la chaleur des gaz issus de la combustion, les fréquences, etc. De très nombreux procédés pour réduire le niveau de pression sonore ont été inventés, du plus simple au plus complexe – en la matière, le plus complexe fut rarement le plus efficace, seulement le plus coûteux. Les premiers brevets de silencieux déposés dans les années 1908-10 par Hiram P. Maxim, et dont le principe a donné aussi bien les silencieux des pots d’échappement que ceux des armes de tir, faisaient appel à un système de chicanes au dessin complexe. Il s’agissait d’inventions très en avance sur leur époque, mais elles représentaient une difficulté de réalisation et d’assemblage extrême à l’aune des outils existants. Dans le domaine des armes de tir, certains de ces rares modèles parvenus jusqu’à nous – véritables objets de collection aux Etats- Unis – ont été testés et comparés avec des produits modernes à la fin des années 1990. Ils se sont révélés rien moins que ridicules et parfois plus efficaces que certains modèles récents, en particulier en .22 LR. Les modérateurs modernes peuvent être monoblocs et indémontables (ASE, UTRA, RDS) ou démontables, voire construits en deux ou plusieurs modules, comme chez Stalon, Aimsport ou A-Tec, entre autres. Les premiers sont le plus souvent en acier inoxydable et destinés à des armes militaires et d’usage intensif. Les seconds sont généralement en alliage léger, voire en carbone pour l’enveloppe externe et prévus pour des utilisations chasse et tir, avec une diversité d’applications très étendue, à l’exemple des modèles de chez Hausken illustrant cet article, qui offrent une grande adaptabilité en fonction de l’activité du tireur, de l’arme et du calibre. Chez A-Tec, beaucoup de modèles sont composés de modules monoblocs qui se vissent les uns aux autres, chaque module faisant à la fois office de chicane, de chambre de décompression et de corps du silencieux. Mais pour la majorité, les silencieux destinés à un usage civil sont constitués d’une enveloppe externe avec à l’intérieur un groupe de chicanes,
qui peuvent être soudées sur un tube diffuseur ou usinées directement avec le tube, ou encore être associées à une chambre de décompression primaire, qui possède parfois une chicane supplémentaire de forme plus ou moins tarabiscotée forçant les gaz à ralentir. Le tube diffuseur peut être de forme conique, allant en diminuant vers la bouche du modérateur. Le volume plus important du tube à l’entrée du silencieux facilite l’expansion de la veine gazeuse, réduisant sa vitesse et limitant l’échauffement du modérateur au niveau de sa fixation. Sur certains modèles, un fin treillis métallique tressé complète l’ensemble. Les chicanes sont de formes très variables et plus ou moins complexes, selon les fabricants et les applications : concaves, convexes, inclinées, hélicoïdales. Leur rôle est de forcer les gaz à ralentir tout en perdant de la chaleur. Une partie de ces gaz reste piégée entre le tube diffuseur, les chicanes et l’enveloppe extérieure où ils se détendent réduisant encore la pression de l’onde sonore. Il y a une bonne trentaine d’années, j’avais fait tourner et fraiser des blocs-chicanes en aluminium inspirés par les bobines de fil à coudre. Percées de multiples évents selon un schéma hélicoïdal, calées par trois ressorts et deux rondelles, elles équipaient un silencieux amélioré. Avec des .22 LR subsoniques sur une petite carabine, il en résultait moins de bruit qu’un tir à sec. Si l’on fait abstraction du vol de la balle, la détonation devenait comparable à celle d’une « air comprimé ».
On décompresse
Lorsque la balle quitte la bouche du canon, elle est suivie par les gaz brûlants et à haute pression qui la poussent. Une infime partie des gaz précède la balle. Le volume du modérateur étant amplement plus important que celui de l’âme du canon, les gaz se détendent rapidement et perdent instantanément beaucoup de vitesse et de chaleur dans les premières chambres, tout en restant contenus dans le silencieux. Le tube diffuseur dont sont dotés certains modèles, percé d’orifices de tailles variables et d’angles différents, force les gaz à tourner, ce qui leur fait perdre de l’énergie. Les chicanes qui cloisonnent l’intérieur du tube créent un nombre variable de chambres où les gaz continuent de se détendre et de perdre leur énergie. A ce stade, leur vitesse est très inférieure à celle de la balle qui les précède. Au cours de leur progression, les gaz, fortement détendus et dilués dans les chambres du silencieux, freinés par les chicanes qui les canalisent, voient donc leur pression chuter considérablement : le bruit est proportionnellement amoindri. Le son de la déflagration que nous percevons résulte de la différence de pression des gaz en sortie de bouche, ou dans
le cas présent en sortie de modérateur, dérateur, et de la pression ambiante. Plus le diamètre interne du tube diffuseur iffuseur et celui de la bouche du modérateur dérateur est proche du calibre de la balle,lle, plus grande sera l’atténuation sonore.nore. Si le niveau de la pression de l’l’onde d sonore était abaissé au niveau de la pression atmosphérique, la déflagration serait totalement annulée – c’est quasiment le cas avec des munitions subsoniques et des modérateurs de volume conséquent.
Une tresse de silence
Pour renforcer le travail des chicanes et de la chambre de décompression, certains fabricants (Hausken pour sa série Extrem par exemple) ont recours à une tresse métallique au maillage extrêmement fin qui s’enroule autour du tube diffuseur et entre les chicanes et joue le rôle d’échangeur thermique. La perte de température des gaz réduit encore leur vitesse et leur pression. Très utilisée autrefois pour les silencieux militaires, cette méthode simple et peu onéreuse permet de gagner encore quelques décibels. Le cuivre de la tresse métallique est désormais remplacé par de l’acier inoxydable pour des raisons de longévité. Le système peut être utilisé sur des modérateurs de diamètre standard, permettant un gain de 1 à 3 dB. Le même principe se retrouve sur les silencieux de pots d’échappement de moteurs thermiques mis au point par Hiram P. Maxim.
Aujourd’hui, la modélisation numérique et les ordinateurs associés aux centres d’usinage numériques permettent de fabriquer des modérateurs de son aux performances décuplées. Il s’agit pour le moment de petites séries, dont le coût reste hors de portée du commun des mortels. Le détail de leur conception est bien sûr gardé secret par leurs fabricants, mais, pour ce que l’on en sait, elles recourent à des formes de chicanes particulièrement complexes et à de nouveaux matériaux en mesure d’annuler la fréquence de l’onde ou de la transformer en ultrason pour en supprimer la perception par l’oreille humaine. Pour autant, leur principe reste le même : traditionnelles chicanes et chambre de décompression font toujours le travail.
Maintenant que vous en savez un peu plus sur son principe, il vous reste à déterminer le modérateur de son dont vous avez besoin. Comme souvent, la règle des compromis prévaut. Lorsque les techni ques de conception sont semblables et à calibre égal, un modérateur de plus grand volume atténue davantage le bruit qu’un modèle plus petit. Cela ne signifie pas que l’un est meilleur que l’autre, mais simplement qu’il est plus adapté à une utilisation donnée. Comme toujours, c’est l’usage qui dicte le choix. Un tireur à la cible se tournera vers un modérateur de taille et de volume plus importants que celui qui traque les sangliers ou conduit un chien de rouge.