La BSA Royal
L’arme d’avant les diktats économiques
BSA. Quand ils nous ont entendu prononcer ces trois lettres, les journalistes de Moto Revue, qui partagent leurs locaux avec la rédaction d’Armes
de Chasse, ont sursauté. Eh oui, chers confrères, avant de créer ses chères pétrolettes, illustres certes mais suintant souvent l’huile par tous leurs joints, BSA avait fabriqué des armes ! Avec les « Petits Bras de Birmingham », comme les motocyclistes surnomment affectueusement la Birmingham Small Arms, c’est tout un pan de l’histoire britannique qui s’illustre. Comme l’empire, la compagnie connut gloire et décadence.
Une page d’histoire
La firme est créée en 1861. Elle commence par fabriquer des fusils Snider en .577, puis des MartiniHenry en .450/ 577 pour armer les « tuniques rouges » . Elle a donc puissamment aidé l’Union Jack à
flotter sur la moitié du monde en convertissant les natives à la loi de la reine Victoria alors régnante. Par la suite, BSA produit, toujours pour le gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté, des Lee-Speed en .303, d’abord à rayures Metford puis Enfield. Arrive la Première Guerre mondiale. L’usine tourne à plein régime pour fournir des SMLE (Short Model Lee Enfield) et des FM Lewis à l’armée britannique. Au lendemain du conflit, dès 1919, les surcapacités de production de temps de guerre sont en partie absorbées par la reconversion dans la fabrication de motocyclettes. Une autre partie est réorientée vers le développement d’armes de chasse sur boîtiers de P14, alors pléthoriques. Trois nouvelles cartouches sont inventées en 1921 : la .26 BSA (.26 Belted Nitro Express), la .330 BSA (. 33 Belted Rimless) et la .400 BSA, toutes conçues à partir de l’étui ceinturé de la .375 H& H mais suffisamment raccourci pour passer dans le magasin du P14 sans transformation de celui- ci.
L’échec est total et la crise de 1929 achève notre trio né sous une mauvaise étoile. On peut arguer que la .330 BSA est presque la copie conforme de la .338 Winchester sortie 37 ans plus tard, mais cela n’a pas le pouvoir de la sauver de l’oubli. Seule une poignée de pyrothécophiles avertis en possède un exemplaire dans ses tiroirs. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, BSA est la seule usine de fabrication d’armes légères. Les dégâts engendrés par les bombardements allemands d’août et de novembre 1940 entraînent la dispersion des unités de production sur tout le territoire insulaire. L’Angleterre sort victorieuse du conflit, mais éreintée. La décolonisation qui s’ensuit transforme un marché exclusif en un marché tout au plus préférentiel. La firme traverse une longue période de convalescence et est démembrée entre ses différentes activités. La branche motocycliste devient indépendante en 1953, les armes de guerre sont désormais fabriquées dans des usines à part, créées lors de la dispersion des unités de production, et de son côté la production d’armes de sport est relancée, avec, c’est désormais la règle, le marché américain pour clientèle privilégiée. Jack Warwick, représentant de la marque aux Etats-Unis, s’empare du prototype d’une carabine de grande chasse, le montre aux clients potentiels et au grand gourou US de l’époque, Elmer Keith, et soumet quelques modifications à l’usine, qui les valide. Le modèle Royal est créé et aussitôt lancé.
De la belle ouvrage
L’arme est déclinée en trois longueurs, ce qui est révolutionnaire pour l’époque ( lire
encadré p. 106). Rationalisation oblige, plusieurs pièces sont communes aux trois modèles : le bloc détente réglable en poids, course et engagement, le bouchon de culasse, qui porte la sécurité, et le pontet, seule pièce en alliage léger de l’arme. La carabine est très bien proportionnée et tombe parfaitement à l’épaule. Sans la lunette, la .22 Hornet pèse 2,9 kg, la .243, 2,75 kg et la .30- 06, 3,2 kg ( notez le surplus de métal de la .22 Hornet !). Les trois boîtiers ont le même tonnerre de 34,3 mm de diamètre, à comparer aux 36 mm d’un Mauser. Sur sa face supérieure, une queue d’aronde de 19,3 mm est fraisée hors masse, pour la fixation des anneaux de lunette. Ceuxci, fabriqués par Parker-Hale, sont en alliage léger et existent en deux hauteurs. Un téton anti-recul prend place dans un logement dédié situé sur le pont arrière. Ces anneaux ne sont plus fabriqués depuis longtemps et deviennent délicats à trouver : on peut leur substituer, avec quelques modifications, des anneaux CZ- Brno adaptés aux queues d’aronde « maison » de 19,5 mm. La face d’appui du canon est légèrement inférieure au dia
mètre du tonnerre, soit 33 mm. Sur les boîtiers moyens et longs, la face arrière du canon n’est pas plate comme sur un Mauser. Il existe une extension cylindrique, comme sur les Remington 700, pour chapeauter la tête de culasse. Mise à part la découpe latérale droite pour le passage de la
lame d’extracteur, cette disposition offre une protection supplémentaire en cas de rupture de culot, celuici étant presque totalement inséré dans le canon. Sur le petit boîtier, la rampe d’alimentation est taillée hors masse dans le canon, avec le travail de fraisage et d’indexation que cela implique !
Bizarreries so british
Outre le frein de bouche déjà mentionné, on relève quelques bizarre ries d’usinage comme on en voit dans toutes les productions mécaniques d’outre- Manche. Ainsi, l’anneau de maintien de l’extracteur dans le verrou est fait en deux morceaux qui s’engrènent l’un dans l’autre, ce qui facilite le montage et le démontage de l’extracteur. Autre étrangeté, sur la .30- 06, il existe deux rampes d’alimentation, l’une pour la pile de gauche, l’autre pour la pile de droite du chargeur. Tout cela sent bon l’armurerie traditionnelle où le plastique et le métal léger ne se sont pas encore taillés la part du lion. Las ! ces pièces devaient revenir trop cher, des simplifications débarquent une à une. En 1959, l’extracteur Mauser est abandonné au profit d’un modèle à ressort en C comme sur une Remington. L’éjecteur à lame est remplacé par un poussoir à ressort logé dans la tête de verrou. Le fond de magasin passe à l’aluminium et le bonhomme de percuteur diminue de taille pour être caché par un carénage. L’appellation change en chemin, notre Royal devient Majestic. Pour introduire une touche de confusion – nous sommes en Angleterre ! –, le boîtier court devient le Regent, le moyen le Viscount, le long l’Imperial. En 1966, nouvelle simplification, la sécurité passe sur le côté droit du bloc de détente, faisant désormais partie intégrante de celui-ci. Autre changement d’importance en 1968, les fraisages pour le montage de
lunette disparaissent et le boîtier devient rond – quatre taraudages pour une paire d’embases Weaver vissée sont plus économiques que l’usinage de deux queues d’aronde.
Clap de fin et appel d’air
Nouvelle appellation, notre carabine est rebaptisée Monarch. Le boîtier court disparaît définitivement. Je
me plais à imaginer ce qui aurait pu être fait si la 6 mm Norma BR et le .243 WSSM avaient existé à
cette époque… Je ne fais que citer une version exclusivement destinée au marché nord-américain qui est la Herter U-9 du nom de l’importateur exclusif qui a fait ajouter des chambrages comme le .22-250 et le 7 mm Remington Magnum. Pour contenir les prix face à une concurrence effrénée, la qualité de finition en prend un sérieux coup. En 1974, notre carabine est définitivement abandonnée au profit de la CF2. En 1986, BSA arrête la production des armes à feu pour ne se consacrer qu’à l’air comprimé. Clap de fin d’un fleuron de l’industrie armurière britannique. Les carabines BSA reflètent le temps où la logique financière ne dictait pas ses lois à la production. Sans être rares, on en rencontre peu chez nous, la plupart sont restées dans le marché anglo-saxon. Pour celles qui ont passé nos frontières – elles n’arrivent que depuis la grande prohibition décrétée dans le Royaume-Uni au lendemain de la tuerie de Dunblane –, leurs propriétaires les ont gardées longtemps et usées. Des marchands en importent dans des lots d’armes de dessaisissement et c’est rarement en très bon état. Quand en plus elles ont bouffé de la cartouche à amorces corrosives… En dehors d’une poignée d’afficionados, peu de gens connaissent ces carabines en France. Peu de demandes, peu d’offres : l’équation donne des carabines accessibles à des prix très raisonnables. Alors si vous en voyez passer une, je compte sur vous pour y jeter un oeil, désormais averti !