Armes de Chasse

Browning Prosteel

Braquage d’enfer au Far-West

- Reportage Laurent Bedu

Coffres-forts, armoires fortes : pour désigner les meubles renforcés abritant nos armes, la langue française n’offre qu’une variété de termes assez pauvre. Cette carence sémantique rend difficile toute comparaiso­n des modèles du marché. Alors, quand les mots ne suffisent plus, il reste la violence !

D ’imposantes masses de bûcheron, deux pieds de biche, une puissante presse hydraul i que, huit l anceflamme­s… Jamais de mémoire de journalist­e un tel arsenal de destructio­n massive n’avait été déployé dans le cadre d’un voyage de presse ! Des instrument­s de torture réunis dans un seul but : tenter de percer, d’ouvrir, de brûler et de détruire tout ce qui nous était présenté, les produits maison comme ceux de la concurrenc­e. Et, le croirez-vous, les tortionnai­res les plus acharnés n’étaient autres que les créateurs des produits qu’il fallait tenter de détruire. Une grande partie de l’équipe de Prosteel, la compagnie qui fabrique des coffres-forts pour armes depuis plus de quarante ans et devenue en 1982 le partenaire exclusif de Browning, était réunie, des Américains propres sur eux, bien sous tous rapports, qui se mirent soudaineme­nt à se déchaîner sur les produits qu’ils avaient mis tant d’effort et d’applicatio­n à concevoir et à fabriquer. Avant que ces événements étranges ne se produisent, tout avait commencé de façon on ne peut plus civilisée. Un accueil chaleureux nous attendait à notre arrivée dans les bureaux de Prosteel, à Provo dans l’Utah, au pied des montagnes et à une quarantain­e de minutes de Salt Lake City. Là, nous avions débuté cette présentati­on presse par un exposé classique sur Power Point et écran géant des vertus et caractéris­tiques des six armoires et coffres forts maison capables d’accueillir de 10 à 27 armes. Puis nous avions pu découvrir le site de production attenant, comprendre comment ces coffres étaient fabriqués en suivant de A à Z la chaîne de montage des deux modèles fabriqués sur place,

les Zenith 19 et 27. Les quatre autres modèles, les trois Defender et le Prestige (cf. encadré p. 96) étant réalisés en Chine, mais selon le même cahier des charges que les Zenith, avec un acier certes plus fin (3 mm au lieu de 6) mais de même compositio­n et avec surtout le même soin du détail, à commencer par les soudures et les gonds externes.

D’abord, une feuille d’acier

Dans l’usine, nous avions découvert que chaque coffre débute avec une seule et même feuille d’acier, si tant est que l’on puisse qualifier de feuille une plaque de plusieurs mètres de long et de large et de 6 mm d’épaisseur. Après avoir été pré-percée, cette plaque est pliée avec des presses hydrauliqu­es monstrueus­es, développan­t plusieurs tonnes de pression, que deux hommes suffisent à contrôler. En quelques minutes, ce qui n’est encore qu’un caisson est prêt. Les dimensions des côtés et de la façade sont vérifiées. Ensuite, dans une entretoise filetée au sommet du coffre, est vissé un anneau dans lequel va être glissé un crochet – relié au réseau de rails aériens qui sillonne l’atelier – afin de pouvoir déplacer facilement le coffre de poste en poste. Le caisson passe à la soudure. Une soudure continue et totale, et non au point par point sur une partie plus ou moins grande. Le but de cette brasure intégrale est que ne subsiste aucun jour, aucun espace entre les panneaux de métal. Le coffre est ainsi non seulement hermétique­ment clos, non seulement protégé de toute insertion d’outil, mais surtout insensible à la chaleur et aux chocs, même avec une grosse masse, qui aurait vite raison d’une soudure discontinu­e. Vient ensuite l’étape de l’habillage. L’intérieur est garni de plaques de Placoplatr­e elles aussi prédécoupé­es et pré-percées. Ces opérations se font avec un jet d’eau chaude à haute précision qui assure une netteté plus grande encore qu’une découpe au laser. Des plaques de gypse sont ajou-

tées sur le fond, les parois et la porte. Il s’agit là d’un fabuleux isolant naturel contre le feu. En cas d’incendie, il entre en fusion et libère d’infimes quantités d’eau qui maintiendr­ont la températur­e interne la plus basse possible pendant de longues et précieuses minutes. La porte est fabriquée dans le même temps. Tirée d’une plaque d’acier plus épaisse que celle employée pour le reste du coffre, elle est pliée et soudée comme cette dernière pour arriver à sa forme finale. Neuf pênes de sécurité sont vissés pour les uns, soudés pour les autres sur les flancs de la porte. Ils sont conçus pour renforcer la fermeture du coffre et pour casser à l’intérieur de sa mortaise en cas de tentative d’arrachemen­t. Du solide. La porte achevée rejoint le coffre pour y être ajustée. Les gonds externes sont alors soudés sur chacun des deux éléments. Ces gonds offrent une ouverture à 180 degrés, laissant un accès total à l’intérieur, et limitent au maximum les échanges thermiques pour assurer une résistance optimale au feu. Ils sont en outre indépendan­ts des neuf pênes de la porte : même s’ils étaient découpés, celle- ci resterait condamnée. Une fois les gonds soudés et la porte installée, le coffre passe à la peinture, qui comme toutes les autres opérations est réalisée en interne. Au préalable, le coffre est poncé, enduit de mastic si besoin, avant d’être poncé de nouveau pour que sa robe noir laqué, presque glossy, ne souffre d’aucune imperfecti­on. L’intérieur reçoit son habillage, ses éléments de rangement modulaires, ainsi qu’une serrure électroniq­ue S & G. Le coffre est prêt à passer au contrôle et, si aucun défaut n’est constaté, il sera emballé pour sa commercial­isation. C’est sur la vision de ces coffresfor­ts flambant neufs que nous avons terminé notre première journée, sans nous douter que la suivante serait remplie de bruit et de fureur.

Le scénario du pire

Le second matin, c’est une ambiance improbable qui nous attend au siège de Prosteel. L’extérieur de l’usine ressemble à une ruche, tout un petit monde s’y affaire. Deux gros coffres sont soulevés à plusieurs mètres du sol par un énorme transpalet­te et via une chaîne pour être déposés dans une sorte de caveau sans toit, carré et en parpaings réfractair­es, mesurant 2,50 mètres de haut et 3 de large. Les deux coffres, un Zenith et un concurrent, possèdent les mêmes normes de résistance au feu. Leurs parois internes et externes sont bar-

dées de sondes reliées par des fils ignifugés à des écrans situés à l’extérieur des murs de béton. Chaque mur comporte deux trous dans lesquels sont glissés des énormes brûleurs raccordés à des tubes de gaz. Et le scénario du pire commence. Les huit brûleurs sont allumés un à un par des employés de l’usine. Un toit amovible en acier recouvert de matériau ignifugé et de deux petites cheminées est placé sur les parpaings et un employé ajuste le robinet de gaz de chaque brûleur. Dès lors, l’air commence à s’emplir des projection­s de ces lance-flammes artisanaux tandis que de la fumée s’échappe déjà des cheminées. On nous invite à regarder les écrans de contrôle affichant la chaleur mesurée autour et à l’intérieur des coffres. L’opération lance-flammes dure ainsi une bonne vingtaine de minutes. Une fumée noire et âcre s’échappe à présent du toit. La températur­e dans la pièce de parpaings dépasse les 900 °C. Au fil de l’incendie, la chaleur a augmenté très lentement à l’intérieur du coffre Browning et vite, trop vite, pour son concurrent. Après très exactement 22 minutes, la températur­e dans le premier est de 142 °C, de 325 °C dans le second. Le gaz est coupé et le toit est retiré. Les coffres sortent de leur piège mortel noircis et fumants, peinture toute cloquée. Le coffre « étalon » est ouvert avec précaution pour éviter un départ de feu, mais il n’y a plus rien à brûler. Une fois la forte et épaisse fumée noire échappée, on découvre un intérieur réduit en cendres. Un dirigeant de Prosteel avait malicieuse­ment placé un billet d’un dollar à l’intérieur, il n’en reste rien, et pour cause, le point d’auto-inflammati­on du papier est de 233 °C. Dans le Browning en revanche rien n’a brûlé et nous découvrons coincé dans l’étagère du haut un billet, non plus d’un dollar mais de cent, intact. Le gypse, l’épaisseur de métal, les gonds externes et le joint interne « Palusol » – qui gonfle sous l’effet de la chaleur pour diminuer les échanges thermiques – ont parfaiteme­nt rempli leur mission, assurant une résistance au feu incroyable. Nous nous remettons à peine de ce crash-test à l’américaine, c’est-à-dire démesuré et au-delà du raisonnabl­e, que l’on nous entraîne déjà dans une autre partie de l’usine. Nous découvrons de nouveaux coffres, des Browning Prestige, la gamme située

juste avant la Zenith qui vient d’être soumise aux flammes, et des coffres européens de même niveau de prix. Sur chacun, une épaisse poutre d’acier a été soudée et reliée au bras d’une presse hydrauliqu­e d’une puissance de 10 tonnes. La presse entre en action. Les coffres concurrent­s ne tardent pas à s’ouvrir dans des grincement­s lugubres. Le Browning se tord aussi, mais ses pênes internes remplissen­t leur rôle, ils se déforment et cassent les uns après les autres,, verrouilla­nt la porte et interdisan­tnt tout accès.

Sourire crispé

Nous n’avons pas le temps de nous apitoyer sur ces coffres détruits en quelques secondes, nous voici dirigés vers un autre hangar abritant d’autres coffres, un Browning Defender et deux concurrent­s d’entrée de gamme, un espagnol et un anglais. Cette fois, nous sommes invités à réaliser nous- mêmes le crash- test sur le coffre Browning, histoire qque l’équipeqp Prosteel ne soit pas soupçonnée de mettre la pédale douce. Armé de masses et de pieds de biche, chacun frappe aussi fort qu’il le peut sur la porte, les gonds, la façade, tente de forcer le métal. En vain. Pendant ce temps, l’équipe Prosteel, pied de biche en main, a ouvert un des coffres concurrent­s en 1,50 minute. Certains parmi nous possèdent ce coffre chez eux, comme le trahit leur sourire crispé. L’autre concurrent, l’anglais, demandera un peu plus d’efforts et d’accessoire­s aux démonteurs­é qui devront jouer de la masse m sur les soudures supérieure­s au point par point. C’est mieux, mais cc’est moins de 2,30 minutes tout de même. Lorsque le calme revient, l’intérieur l’ du hangar est jonché d’outils d éparpillés et de coffres éventrés, tr broyés, béants, à l’exception du Browning B qui, bien que bosselé et portant po les stigmates du traitement infligé, in reste victorieus­ement clos, hermétique. he Ces deux heures de pure violence nous laissent sans voix, presque hagards, convaincus du niveau de résistance­é des coffres dont nous avons av suivi la fabricatio­n la veille et, et pour certains, inquiets de l’écrin qui, qu pensaient- ils jusque- là, protégeait ge leurs armes du vol ou du feu. La L méthode est radicale, efficace. Comme disaient les Tontons flingueurs : « Faut reconnaîtr­e... CC’est du brutal ! »

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 ??  ?? Une large plaque d’acier est pliée à plusieurs reprises jusqu’à former un caisson. Le coffre est ensuite soudé en continu avant que la porte ne soit préparée, meulée et munie de gonds soudés eux aussi au coffre. Ce dernier passe alors à l’habillage, puis au ponçage et à la peinture.
Une large plaque d’acier est pliée à plusieurs reprises jusqu’à former un caisson. Le coffre est ensuite soudé en continu avant que la porte ne soit préparée, meulée et munie de gonds soudés eux aussi au coffre. Ce dernier passe alors à l’habillage, puis au ponçage et à la peinture.
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Un coffre Browning et un modèle concurrent bardés de capteurs sont placés dans un four. VIngt minutes plus tard, ils ressortent fumants et noircis. L’intérieur du concurrent est réduit en cendres, celui du Browning est intact.
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La suite : une presse hydrauliqu­e de 10 tonnes, des pieds de biche et des masses.
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Le Prestige 19 abrite 19 armes (sans leur lunette), dont cinq dans la porte. Des armes qui reposent sur un socle sans rebord, vous ne heurterez pas leur crosse en les retirant.

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