Armes de Chasse

Bascule haute ou bascule basse ?

- Alain de l’Hermite

Ce que changent quelques millimètre­s de différence

L’histoire des armes de chasse s’écrit aussi avec des revirement­s de modes. Les superposés, qui ont détrôné les juxtaposés sur les stands de tir puis sur les terrains de chasse, étaient à bascule haute, mais désormais ce sont les bascules basses qui s’imposent.

La littératur­e cynégétiqu­e nous offre un témoignage unique sur ce qui était autrefois un véritable la boratoire d’expériment­ation des nouveaux systèmes d’armes lisses : le tir aux pigeons vivants. Dans Le Testament du tireur ( paru aux Éditions de Saint-Hubert en 1953), le Belge Jean Lurkin raconte comment les tireurs aux pigeons de l’entredeux-guerres testaient sans relâche les nouveaux systèmes de fusils. On l’a oublié, mais les plus grands tireurs au fusil de chasse jouissaien­t alors d’une réputation équivalent­e à celle de nos joueurs de tennis actuels. A San Remo, Deauville, Monte- Carlo notamment, l’argent coulait à flot grâce au betting ( paris) pour qui savait tirer son épingle du jeu sur la planche de tir. On venait de très loin pour tenter sa chance, parfois même, par bateau, des Etats- Unis, sans être sûr pour certains de pouvoir s’offrir le billet retour, à l’exemple de deux Américains sans le sou, Renfro et Warren. Au tout début du XXe siècle, une arme nouvelle, l’Auto 5, « le Browning » disait-on alors, avait accompli des merveilles entre les mains de ceux qui avaient osé s’en servir. Quelques années plus tard, avec un succès jamais démenti jusqu’à aujourd’hui, de rares tireurs allaient cette fois s’essayer au fusil superposé. Les juxtaposés, jusque- là en position de domination et souvent encore équipés de chiens extérieurs, se retrouvero­nt rapidement surclassés et iront rejoindre les réserves des armes de compétitio­n devenues obsolètes.

Merkel, le précurseur

« Renfro est vraisembla­blement le plus grand tireur que l’on ait vu en Europe de tous temps. Il se servait d’un ou plutôt de plusieurs superposés Merkel. Son compatriot­e Warren, qui hanta les tirs européens pendant près de dix ans et le valait sans doute, nous rendit visite la première fois en 1930, pour le championna­t du monde de Rome.

Il avait également un Merkel. Merkel Peu de temps après que la FN eut lancé son superposé [le B25, NDLR], il y vint et y resta fidèle jusqu’à ses derniers voyage » , lit- on sous la plume de Lurkin. A l’époque, bien qu’elle existât déjà, la bascule basse qui équipe majoritair­ement nos superposés modernes n’avait pas encore fait valoir ses lettres de noblesse. Seuls prévalaien­t les deux modèles de bascules hautes : l’allemande Merkel et la belge Browning. Résumer la manufactur­e Merkel à son savoir-faire dans la fabricatio­n des carabines rayées revient à oublier un peu vite une invention révolution­naire, celle du premier fusil superposé fabriqué en série, en

1905 1905. Même si cette architectu­re des canons remonte au XVIIe siècle, c’est bien Merkel qui lui donna sa réelle existence à grande échelle. Ferdinand Courally qualifiait d’ailleurs de « genre allemand » le basculage Merkel, dont les crochets de verrouilla­ge se trouvent sous le canon inférieur. Ce principe directemen­t issu des fusils juxtaposés engendre une certaine hauteur de la bascule, ce qui donna lieu à notre appellatio­n contempora­ine de « bascule haute » (cf. encadré ci-dessous).

En 1931, le fabricant de Suhl enregistre­ra même l’utilisatio­n commercial­e du nom Bock (« superposé »), pour cette dispositio­n des canons sur ses armes, telle qu’elle apparaît dans les catalogues de cette époque. Dans celui de l’année 1935, on voit Renfro, le fameux champion du monde de tir au pigeon déjà évoqué, poser avec son 301E. Merkel Frères a donc été un précurseur dans le domaine des canons over and under, comme disent les Anglais. Le grand avantage de cette architectu­re est sa ligne de visée, à la fois fine et précise ; bien dégagée, elle permet un contrôle optimal des oiseaux. Contrairem­ent aux juxtaposés, rien ne vient gêner la vision de part et d’autre de la bande – ni canon droit ni canon gauche –, le champ visuel est maximal. Plus d’un siècle plus tard, alors que le tir sportif à l’arme de chasse connaît un engouement sans précédent, tous les compétiteu­rs utilisent des superposés. Trois reproches ont néanmoins été faits aux bascules hautes. D’abord au sujet de leur solidité, prétendume­nt desservie par le verrouilla­ge situé très bas, sous le canon. Ce grief n’est absolument pas justifié. Mais certains n’en démordent pas et affirment af même qu’il explique l’engouement actuel pour les bascules basses, qui seraient moins enclines au cisailleme­nt et donc plus solides. Deuxième reproche, exprimé notamment par Courally et peutêtre plus justifié : la difficulté à extraire les cartouches non tirées des chambres d’une bascule haute, à plus forte raison « quand le crochetage est pris sur des loupes très saillantes – genre Greener » . Enfin, la silhouette « germanique » de la bascule peut être discutée, mais cela reste une affaire de goût ou de mode. Sa surface généreuse a au moins une vertu esthétique, celle de permettre aux graveurs d’y déployer tout leur talent.

Années 80, on passe à la taille basse

Ces trois arguments peuvent difficilem­ent suffire à expliquer le succès actuel de la bascule basse. Il faut chercher son origine ailleurs, à commencer dans le fait que, par ses dimensions, la bascule haute peut accentuer le phénomène de dévers, surtout si la conformati­on entre le talon et le bec de crosse n’est pas convenable ou adaptée. Si tel est le cas, les canons ne se présentent pas parfaiteme­nt verticaux en position épaulé. Ils « vrillent », généraleme­nt vers la droite, autour de la bande de visée. Le coup de fusil porte un peu plus bas et dans le sens du dévers. Ce qui ne constitue pas la meilleure assurance contre les ratés. On entend régulièrem­ent dire sur les terrains de chasse et de tir que certaines armes seraient plus « faciles » à tirer que d’autres, étant entendu que les armes en question peuvent changer au fil des années

et des modes. Au début des années 80, alors que les B25 avaient remplacé les superposés Merkel sur les stands, une nouvelle arme pointait déjà le bout des canons, le Perazzi, doté d’une bascule basse. Il y eut d’abord les modèles MT6, avec les premiers chokes amovibles, et SCI, qui n’est autre qu’un MX8 sans le renfort latéral de bascule. Constatant la qualité incontesta­ble des départs de la batterie amovible Perazzi équipée de ressorts à lames, beaucoup voulurent abandonner la bascule haute belge. Mais le changement ne se fit pas sans quelques grincement­s de dents : il fallut du temps et de nombreuses cartouches brûlées avant que soit surmontée la difficulté de passer de la bascule haute à la basse. On entendit alors répéter à l’envi que les bascules basses étaient « moins faciles à tirer » que les hautes. La différence de position de la main sur la poignée de la crosse entre les deux configurat­ions est bien réelle et on peut reconnaîtr­e à la bascule haute son adéquation avec une position anatomique : la main est plus basse, le poignet se trouve dans le prolongeme­nt de l’avant- bras, la mise en crosse et en joue s’en trouve plus naturelle et confortabl­e. Des tireurs habitués à une bascule haute peuvent perdre leur latin et surtout leur swing avec une bascule aux faibles dimensions. Une solution est d’adapter leur nouveau fusil à la forme de la poignée de leur ancienne crosse. Ils retrouvent leur qualité de tir, en même temps que s’évanouit la légende des fusils « difficiles à tirer » .

Simple mode ou ère durable ?

George Digweed est vraisembla­blement le plus grand tireur de tous les temps. Il se sert d’un ou plutôt de plusieurs superposés Perazzi, peut- on constater aujourd’hui en paraphrasa­nt l’éloge de Jean Lurkin au sujet de Renfro et Warren. La pratique sportive finissant toujours, dans un délai plus ou moins long, par influencer les choix des chasseurs, nous sommes entrés dans l’ère de la bascule basse. A telle enseigne que cette bascule – de quelque 60 mm de hauteur pour un calibre 12 – équipe désormais l’immense majorité de nos fusils superposés. Elle incarne tellement les armes contempora­ines que l’on tend à oublier que son invention a précédé la bascule haute, qui était à l’origine une déclinaiso­n à moindre coût d’un système de verrouilla­ge et de basculage de juxtaposé destinée au fusil superposé. L’invention de la bascule basse, également appelée « bascule Boss », est attestée autour de 1885 et est l’oeuvre d’un arquebusie­r français, M. Pidault, établi à Auxerre. Boss en reprendra le principe plus de vingt ans plus tard, à partir de 1909. Sur la mécanique imaginée par Pidault, qualifiée de « principe français » par Ferdinand Courally, deux tourillons prennent appui sur les flancs internes de la bascule et permettent de situer le pivot d’ouverture au niveau du canon inférieur. Plus sous le canon, comme précédemme­nt, mais symétrique­ment de part et d’autre. Deux verrous latéraux complètent ce système de basculage. Ils peuvent se situer à différente­s hauteurs en regard du tonnerre, même sous le canon inférieur ( Rizzini), voire à l’extérieur (Krieghoff) dans le cas d’un verrou « à tuile » ou au milieu du tonnerre (Beretta). Les Beretta SO à platines, créés dans les années 1930, possèdent un verrouilla­ge bas et sont eux- mêmes inspirés des modèles superposés à bascule très basse de LebeauCour­ally. Outre ces deux maisons, Perazzi ou Woodward ont également adopté la bascule basse, ainsi que de nombreux fabricants industriel­s, Zoli notamment. Même Browning, qui est avec Merkel le représenta­nt le plus emblématiq­ue de la configurat­ion haute, a modifié son approche sur le B725, dont la bascule a été abaissée grâce à l’emploi d’une broche de moindre épaisseur. Ce système se montre quasi indestruct­ible dès lors que l’on prend garde à ce que la clé d’ouverture conserve un peu de rappel. Elle ne doit jamais atteindre l’exact emplacemen­t de l’axe de la queue de bascule, mais doit rester légèrement à sa droite. Si ce n’est pas le cas, il faut sans tarder effectuer un remplaceme­nt du tenon (interne) de verrouilla­ge. En plus de cette solidité à toute épreuve, la bascule basse procure à nos superposés une ligne harmonieus­e aux proportion­s équilibrée­s. Le recul est moins ressenti lors du premier coup ( canon inférieur), la force s’exerçant au plus près de l’axe central de la plaque de couche. De ce fait, le canon relève moins au tir, on conserve mieux la ligne de visée. Le couple des forces exercées par l’intermédia­ire des mains sur le centre de gravité, situé plus en arrière, permet aussi une meilleure réactivité de l’arme et une plus grande précision grâce aux sensations plus fines qui en résultent. Nul ne peut présager de l’avenir et encore moins des modes, mais tant d’atouts réunis nous font croire que le règne des bascules basses ne semble pas prêt de s’éteindre ni même d’être un tant soi peu concurrenc­é par les bascules hautes.

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 ??  ?? De bas en haut, la bascule Merkel ou « à l’allemande », la Browning et une bascule basse, celle d’un Thonon, sur laquelle (ainsi que sur la paire de Boswell à gauche), on discerne bien l’absence de crochets sous les canons.
De bas en haut, la bascule Merkel ou « à l’allemande », la Browning et une bascule basse, celle d’un Thonon, sur laquelle (ainsi que sur la paire de Boswell à gauche), on discerne bien l’absence de crochets sous les canons.
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Les superposés Merkel, sacrés champions de tir aux pigeons vivants à de nombreuses reprises, reprennent le verrouilla­ge de nos juxtaposés, avec un troisième verrou Kersten de chaque côté du canon supérieur.
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De nombreux fusils italiens reposent sur le verrouilla­ge Browning et une bascule haute. Témoins les deux crochets massifs logés sous le canon inférieur dans lesquels vient s’insérer à la fermeture un large verrou inférieur.

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