Canons : faits machine ou faits main
Et si la technologie l’emportait sur le savoir-faire ?
Et si la technologie l’emportait sur le savoir-faire ?
«L es deux principales qualités mécaniques que l’on demande à un canon de fusil sont la résistance et l’élasticité. Un hybride du chêne et du roseau, en quelque sorte. L’emploi d’un acier de nuance mi-dure et un traitement thermique approprié permettent d’obtenir une résistance à la traction de 85 à 90 kg/mm2 avec une limite élastique de 70 kg/mm2, très supérieure à celle offerte par le même acier avant son traitement. C’est donc parfait. Plus que parfait, mais attention : les canons finis, il faut les assembler. Et pour cette opération, le brasage au laiton qui exige une température d’environ 900 degrés ramènerait l’acier des canons à l’état recuit. C’est-à-dire, parodiant Perrette et son pot au lait : « Adieu ma résistance et ma belle élasticité ! » Moralité, pour que subsistent les heureux effets du traitement thermique, il est indispensable que les tubes constituant les canons soient soudés à l’étain, procédé à basse température. Et les services techniques et compétents que nous avons consultés à ce sujet sont formels : on ne peut faire mieux dans ce domaine et l’on n’est pas près de trouver mieux. Malgré tout, question industrielle, l’utilisation des courants électriques à haute fréquence permettrait ( peut- être) un gain sur le temps d’assemblage, mais n’ajouterait rien aux parfaites qualités de résistance et d’élasticité des canons soudés à l’étain.
La science a du bon
En possession d’une barre d’acier de dimensions suffisantes pour l’exécution d’un type de canon, disait naguère M. Piaut-Beaurevoir, nous commencerons par lui donner par forgeage et refoulement le profil convenable. Bien des crues sont depuis passées par la vallée du Furens, car à Saint-Etienne, par exemple, ce n’est pas par là que commence l’opération. La barre d’acier, avant toute chose, passe à la machine électronique.
Dans Chasse et balistique, L. R. de Riquez évoque longuement les canons de fusils de chasse. Il pose notamment la question de la qualité de leur fabrication selon que le travail est effectué « à l’ancienne » ou au contraire avec les techniques les plus modernes de l’époque, les années 60, comme le martelage ou la soudure électrique. La question est toujours d’actualité.
Laquelle indique sans aucune chance d’erreur si la qualité de l’acier est bien celle qui convient pour subir le travail projeté. Ainsi, aucun risque de déboire ou de mauvaise surprise au cours des opérations. Bref, la barre est dressée, puis percée. Ce travail d’ébauche s’effectue sur des machines permettant l’usinage de plusieurs canons à la fois. Puis, de machine en machine, de mèche en alésoir, tournés extérieurement, les canons en arrivent à leur forme quasi définitive. La barre d’acier qui pesait sept ou huit kilos n’en pèse alors plus qu’un et quelques grammes. Après, c’est le dressage, le polissage, toutes opérations ayant pour but de produire une merveille de netteté sous tous ses angles. Mais le choke, direz-vous ? Il faut peut-être pour le faire des alésoirs spéciaux ? Autrefois – et il n’y a pas très longtemps encore – l’alésage et le choke des canons étaient terminés par des ouvriers spécialistes qui, à l’aide de machines et d’outils assez primitifs ap pelés « ételles » donnaient, ou plutôt croyaient donner, à la partie cylindrique de l’âme et au choke un profil convenable pour obtenir le maximum de rendement. Cette opération, faite à l’aveuglette et dépendant entièrement de la conscience professionnelle de l’ouvrier et de son équilibre nerveux du moment, donnait des résultats assez surprenants et assez dispersés. Un fabricant d’armes ne pouvait jamais prévoir à l’avance quel serait le rendement de ses canons. D’où la légende encore bien ancrée chez le chasseur de « son » canon, fait ou tiré spécialement pour lui par « son armurier ». Aujourd’hui, les ingénieurs se sont penchés sur le problème et ont découvert qu’un canon choke n’est pas autre chose qu’une « tuyère », analogue à celle d’un avion à réaction ou d’une fusée intercontinentale, et que les problèmes de dimensions et de forme devaient être traités de la même manière afin d’obtenir à la sortie un maximum de vitesse des gaz, donc des plombs, et un minimum de turbulence de ces mêmes éléments. D’où la création d’une technique d’alésage par rodage au diamant ( honing, disent les anglosaxons) donnant à la partie cylindrique de l’âme des dimensions et des états de surface parfaits. Ensuite, sur des machines spéciales très puissantes, l’extrémité est resserrée en laissant « fluer » littéralement la matière des parois sur des mandrins en acier extra-dur, d’une précision inférieure au micron et d’un état de surface parfait, de façon à obtenir un « profil tuyère » aussi près que possible du profil théorique idéal, en maintenant correctes les épaisseurs des parois. Une telle technique a permis de gagner près de 15 % de vitesse à la bouche pour les plombs et des rendements sur cibles qui n’étaient autrefois obtenus que par hasard, par des ouvriers d’élite introuvables, sur des armes de très grand prix. Après cela, il n’y a plus lieu de s’étonner de l’extraordinaire régularité de résultats de canons fabriqués à
l’aide de procédés scientifiques aussi précis. Mais les progrès techniques sont continuels et cette méthode par forage tombe à son tour en désuétude, et recule devant le procédé par forgeage de précision [on parle aujourd’hui de martelage, NDLR]. Le premier avantage de celui-ci est d’éviter la perte – le gaspillage peuton dire – de 3 à 4 kg d’acier fin par canon fabriqué. Les métallurgistes diraient que l’on opère non plus par « enlèvement » de métal, mais par « déformation », mot qui dans leur bouche n’a rien de péjoratif bien au contraire, car le forgeage donne au métal une structure fibrée et accroît sa résistance. L’ébauche employée est un cylindre d’acier de faible longueur, égale au tiers environ de celle du canon fini, de diamètre relativement important et percé suivant son axe sensiblement au diamètre du calibre à obtenir. Cette ébauche est placée au centre d’une machine à forger de très grande puissance et portée localement par induction de courants électriques haute fréquence à une température de 900 à 1 000 °C contrôlée et régulée par un oeil électronique.
Une qualité inégalable
Par un martelage radial à mille coups par minute et en avançant petit à petit, cette ébauche est étirée sur un mandrin ayant le profil de l’âme du canon à obtenir, choke compris. L’opération dure à peine une minute et demie. Après quoi le mandrin est extrait à la presse hydraulique. Seules restent à faire les opérations de rectification intérieure et extérieure pour arriver au canon fini. La qualité des canons ainsi obtenus est inégalable. Leur structure à fibres allongées, leur rectitude leur confèrent en plus du maximum de résistance et d’élasticité des qualités balistiques incomparables. Les ingénieurs se sont également penchés sur d’autres problèmes, afin d’appliquer les techniques les plus modernes à d’autres détails de la fabrication des armes de chasse. Il s’agit en particulier de l’utilisation de la propriété des courants à haute fréquence (fréquence radio) d’induire très localement dans des pièces métalliques une quantité importante d’énergie calorifique. Cette propriété a permis de développer la technique des traitements techniques locaux. En effet, si dans les canons on de mande à l’âme d’être à la fois résistante et élastique, sur les portées des verrous par exemple on demande à l’acier une dureté superficielle importante, excluant néanmoins toute fragilité. Cette technique a permis de « personnaliser » en quelque sorte les caractéristiques, après traitement, du même acier suivant le rôle qu’il est destiné à jouer, et ce dans une même pièce complexe : le canon. Peu de choses à dire sur l’assemblage des canons, pour les fusils doubles ; nous avons déjà vu que seule la soudure à l’étain laissait à l’acier toutes ses qualités. Néanmoins, divers procédés sont en usage dans le montage de ces canons. Une cale profilée en queue d’aronde, dans laquelle sont découpés les crochets d’assemblage avec la bascule, est brasée sur la face inférieure de l’intervalle des deux tonnerres. Solidité suffisante en général [crochets dits « encastrés », NDLR]. Pour les armes fines, la disposition dite « demi- bloc » est préférable, dans laquelle on a relevé sur chaque tube une masse suffisante de métal pour y tailler la moitié des crochets. Le tout est rivé et soudé, et dans le montage du fusil Idéal, par exemple, muni d’une queue d’aronde verticale. Quant au Robust, sa culasse double dite « frette », comportant le métal nécessaire à l’établissement des crochets, est usinée séparément. Les deux tubes, dont la fabrication se trouve alors facilitée, n’ont plus qu’à être insérés dans les logements de la frette pour y être simplement soudés à l’étain. Le réglage des tubes, dans les fusils doubles, est assez délicat. On place entre eux une série de cales, de telle sorte que leurs axes soient convergents. Leur point de rencontre varie suivant la conception de l’arme et son mode de fabrication. Il se situe entre 1,50 m et 10 m à l’avant de la bouche du canon, de telle manière que, compte tenu des phénomènes vibratoires et de la déformation élastique qui se produisent au tir, faisant dévier à droite le coup droit et à gauche le coup gauche, les charges se trouvent sur l’axe à la distance normale de tir.
Les tubes sont-ils solides ? Voilà une question qui inquiète toujours peu ou prou le profane. Voire le néophyte en l’art cynégétique. Pourtant, l’expérience a prouvé qu’un canon de fusil ne peut éclater que si, pour une cause ou une autre, il est obstrué au moment du tir. Et une simple feuille de papier à cigarettes peut occasionner pas mal de dégâts ! Normalement, vous pensez bien que la répartition des pressions a été depuis belle lurette étudiée par les canonniers, qui s’en inspirent heureusement quant à l’épaisseur à donner aux différentes longueurs de leurs tubes. Quoi ? La pression engendrée par la combustion de la poudre varierait-elle au long de son trajet dans le canon ? Mais oui. Rien de plus normal. Et si votre scepticisme égale votre curiosité, ayez alors le courage d’absorber les quelques lignes qui vont suivre…
Les canonniers sont gens prudents
Dans un canon de fusil, la résultante de la pression des gaz tend à rompre le tube à la fois transversalement et longitudinalement. Considérons maintenant le seul effort de rupture dans le sens longitudinal. C’est-àdire de part et d’autre d’un plan passant par l’axe du canon et séparant le tube en deux parties égales. Cet effort de rupture est égal au produit de la pression par la surface du plan se trouvant dans l’âme du canon. C’est dire que les défauts du métal (s’ils existaient !) auraient une gravité bien différente suivant leur direction. Mais ne nous affolons pas. Les canonniers sont gens prudents et sérieux. Et les épaisseurs qu’ils donnent aux canons de nos armes sont bien plus fortes que celles qui, théoriquement, seraient encore plus que suffisantes. On ne fabrique plus, de nos jours, de fusil à la légère, et loin d’employer les méthodes empiriques d’autrefois, c’est à la science que l’on s’adresse pour savoir où l’on va. Ainsi le quartz piezo- électrique, autrement dit le transistor, permet des choses étonnantes quant aux renseignements sur le développement des pressions dans le canon d’un fusil. En effet, le transistor a la propriété de transformer les variations de pression en courants électriques de faible voltage et de faible intensité. De là à pouvoir lire sur un cadran ce qu’il en est de ce qui se passe lors de l’inflammation d’une charge de poudre, il n’y avait plus qu’à réaliser les appareils adéquats. Partant de ces données précises, connaissant la limite d’élasticité de l’acier employé, il est facile de déterminer l’épaisseur théorique que doit avoir le canon pour résister à ces pressions. Remarquez que l’on ne s’en tient pas à l’épaisseur théorique. Le métal peut en effet ne pas être toujours et partout parfaitement homogène alors que les calculs supposent évidemment qu’il l’est. D’autre part, les tubes doivent avoir la rigidité nécessaire pour ne point exagérément vibrer au départ du coup. Il faut en outre tenir compte de l’équilibre de l’arme, dans la répartition du poids du métal au long du canon. Il faut penser aux chocs extérieurs subis tout au long de la vie du fusil, éviter que ses canons ne se bossellent à la moindre chiquenaude. Alors dans la pratique, les canons sont-ils construits avec des épaisseurs dépassant au moins du tiers au tonnerre, et du triple à la bouche, les valeurs théoriques données par
le calcul. Moralité : vous pouvez faire confiance à votre arme, ses canons ne peuvent pas vous péter dans le nez ! A moins, comme je vous l’ai déjà dit, qu’une obstruction accidentelle... »