Long recul, emprunt de gaz ou inertie
Quel moteur pour votre semi-auto ?
Quel moteur pour votre semi-auto ?
Décider d’acheter un semi-automatique, c’est s’exposer à tout un tas d’hésitations. Pas tant sur le choix de la marque ou du modèle que celui du système. Car c’est bien là que tout se joue. Les trois systèmes encore exploités aujourd’hui ont tous eu leur heure de gloire, avant d’être plus ou moins délaissés. Pourquoi et était-ce justifié ?
Ils sont trois et chacun a dominé le marché à tour de rôle, pendant une période plus ou moins longue. Nous parlons des trois grands mécanismes qui équipent les fusils semi-automatiques : le long recul du canon, l’emprunt de gaz et l’inertie. Longtemps, l’offre de cette famille d’armes s’est résumée au seul Browning Auto 5. Sans doute parce que les systèmes primitifs – du long recul du canon à l’emprunt de gaz qui le suivit –, qui enchaînaient les tirs à peu près normalement dans une configuration militaire, avaient toutes les peines du monde à fonctionner avec les cartouches de chasse.
Le casse-tête des munitions
La diversité des charges utilisées à la chasse constitua longtemps une entrave à la mise au point des semiautos de chasse. Au temps de John Moses Browning, on arrivait, par un réglage à peu près correct des bagues de friction, à maîtriser un choix finalement assez restreint de munitions, mais par la suite, avec l’explosion de l’offre, régler un mécanisme de semi- auto releva du casse-tête. A partir des années soixante, les fabricants de semiautos durent opérer des choix cruciaux face à l’arrivée de nouvelles munitions, comme les magnum ou les supermagnum, puis de nouvelles législations interdisant le plomb, le tout en maîtrisant les coûts de fabrication pour rester concurrentiels. Ce n’était pas terminé, il fallut bientôt faire du « light », mais sans générer plus de recul. En outre, le démontage des armes devait être facile pour éviter la casse et permettre un entretien régulier. Voilà qui explique pourquoi il s’écoula tant de temps avant que soient proposés des semi-automatiques fonctionnels et fiables. Pour autant, les matériaux et les standards de fabrication des années 70, période bénie de la floraison de ces armes, étaient bien plus élevés que de nos jours. Sur un long recul, le canon et son anneau opérant entre le ressort étaient fraisés dans une seule pièce de bon acier, tout comme le récepteur et la plupart des composants du groupe détente. La majorité des modèles fabriqués à cette époque sont encore fonctionnels aujourd’hui, contrairement aux armes « d’emploi » et bon marché de grande diffusion qui arrivèrent bien plus tard, dans les années 2000. Le long recul est le plus ancien et le premier des trois systèmes, c’est lui qui équipe l’Auto 5 de Browning. En 2018, il n’en est plus guère question, puisque deux modèles seulement le perpétuent, l’exceptionnel et financièrement inaccessible Cosmi et le Franchi AL 48, uniquement en calibres 20 et 28. Quant au « court recul » (cf. encadré p. 48), dont la production fut anecdotique, il a depuis longtemps disparu. En feuilletant les catalogues actuels, on constate que l’inertiel se pose certes comme une évidence face à l’emprunt de gaz, mais ce dernier n’a pas pour autant perdu la partie. Mais avant d’arriver à cette donne, le long recul du canon fut la norme et le resta jusqu’en 1963 et l’arrivée du Remington 1100 « à gaz ».
L’ère Auto 5
L’histoire de l’Auto 5 est assez connue, nous n’en ferons qu’un résumé ici. J. M. Browning l’avait breveté en 1900 et le destinait à Winchester, mais ce dernier pinailla sur les royalties. Notre homme partit donc le proposer à Remington. Hélas, le dirigeant de cette firme décéda en pleines négociations, qui échouèrent. A la grande satisfaction de la FN Herstal qui récupéra la poule aux oeufs d’or ! Ce que l’on sait moins, c’est que Savage et surtout Remington (avec ses modèles 8, 11 et Sportsman), et plus tard Franchi, Breda et même l’arsenal russe de Tula (TOZ) purent exploiter à leur tour le brevet. Le mécanisme est assez simple à comprendre. Au moment où on presse sur la queue de détente et où ça fait « boum ! », canon et culasse sont bloqués, solidaires et reculent ensemble jusqu’à atteindre l’arrière du boîtier. Cela a non seulement pour effet de réarmer le percuteur, mais de retenir un moment la culasse avant qu’un puissant ressort autour
du magasin renvoie le canon vers l’avant, et éjecte au passage la cartouche tirée. C’est lorsque le canon est totalement revenu à son point de départ que l’ensemble culasseverrou-percuteur est libéré et poussé à son tour vers l’avant par un autre ressort. Cet ensemble mobile attrape au passage une autre cartouche sortie du magasin tubulaire ; poussée par un troisième ressort interne à ce dernier, elle est présentée par un transporteur, sorte de petit « ascenseur », devant le lourd chariot et propulsée vers la chambre béante. Le percuteur ayant été réarmé en toute fin de recul,
l’arme est prête à tirer deux, trois fois à la suite, voire plus encore selon la taille du magasin. On parle de « long recul » dès lors que le déplacement de la culasse et du canon dépasse la longueur initiale de la cartouche. Etant donné que l’ensemble mobile est beaucoup plus lourd que le projectile (balle ou charge de plombs) et qu’il effectue un long trajet vers l’arrière, le cycle de rechargement est bien plus lent qu’avec les autres mécanismes, emprunt de gaz ou inertiel. Ce cycle « lent » – terme relatif puisque toutes ces opérations s’effectuent en une fraction de seconde – a la contrepartie d’un fonctionnement fluide et onctueux, qui « accompagne » le tir avec un recul adouci et, action du ressort oblige, « remet en ligne » le tireur vers sa cible. Dans l’ombre du mythique Auto 5, d’autres fusils à long recul du canon connurent tout de même un certain succès, d’estime ou commercial. Le plus ancien est le magnifique Cosmi, véritable légende armurière créée en 1905 par Rodolfo Cosmi.
Dans l’ombre du mythe
Cette arme superbe, unique car basculante et dotée d’un tube magasin à huit coups logé dans la crosse, n’était pas destinée à être produite en grande série. Sa place est davantage parmi les armes fines qu’au sein de la famille des armes de sauvaginiers ou de chasseurs de palombes. En 1950, l’italien Breda se lança à son tour dans le long recul du canon, avec l’Antares. Ce fusil, contrairement à l’Auto 5, était entièrement démontable à la main sans outil, toutes ses pièces étant usinées et polies, et surtout il était léger. D’autres modèles nés par la suite ont disparu depuis longtemps, comme le Verney-Carron ARC, mu par un mécanisme Franchi. C’est avec ce fusil que beaucoup d’entre nous commencèrent à pratiquer « l’automatique » . Luigi Franchi avait été, dès 1948, le premier fabricant européen à se lancer dans la réalisation d’un semi-auto à long recul du canon, avec son modèle 48 AL, dont le nom est sans doute inspiré de l’emploi d’alliage léger pour sa carcasse. C’était un petit fusil facile à nettoyer et à entretenir dont les canons chromés étaient disponibles en 12, 20 et 28. Comme ses concurrents de l’époque, il exigeait un bon réglage de la bague de friction, que l’on tournait côté biseauté vers l’avant pour les charges lourdes, dans l’autre sens pour les charges légères. S’en était terminé du démontage, d’autant plus que le fusil s’encrassait peu, comme tous les long recul. L’AL 48 est toujours produit, quatre-vingts ans après ses débuts, certes seulement en calibres 20 et 28. Une telle longévité est un exploit, a fortiori avec la vague de rachats successifs que la marque a traversée à la fin du XXe siècle. Le règne des semi-autos à emprunt de gaz, qui perdure encore en partie aujourd’hui, ne se fit pas en un jour. La maîtrise du système passa par de longs et complexes tâtonnements. L’année 1963 marque le passage de relais entre le long recul du canon et l’emprunt de gaz, quand le tout nouveau Remington 1100 se vendit plus que l’Auto 5, même si, au final, le Browning totalisera quatre millions d’exemplaires vendus contre un peu plus d’un pour le fusil de
la firme d’Ilion. Il faut dire que le Remington 1100 ne « mangeait » pas toutes les cartouches et que son fabricant hésita longtemps, vingtquatre ans exactement, avant de le faire évoluer en un modèle 11-87 à l’appétit amélioré.
Emprunt de gaz, des débuts difficiles
Beretta s’attaqua à ce mécanisme cinq ans après Remington, en 1968, et se heurta aux mêmes problèmes : poids accru et surtout difficulté à gérer une vaste gamme de cartouches et de charges. Outre- Atlantique, influence du ball- trap oblige, les armes devaient être réglées de base sur des cartouches normales quand en Europe, où la règle était plutôt dictée par le gibier d’eau, on tirait des charges « lourdes ». Il fallait aussi compter avec l’encrassement, revers de la médaille d’un système simple et robuste. Une certaine forme d’inertie fiabilise la cinématique (déverrouillage, extraction, éjection, chambrage, reverrouillage), mais en refoulant des gaz brûlants qui carbonisent les lubrifiants et dont les résidus accumulés peuvent occasionner des enrayages. L’augmentation des frottements liés à cette espèce de calamine peut entraîner une usure prématurée. Fait que les manuels de l’époque taisaient scrupuleusement, arguant au contraire que ces armes-là étaient propres à endurer les pires conditions d’utilisation. Que de tels mécanismes sophistiqués, avec leurs nombreuses pièces en mouvement, puissent souffrir des outrages du temps et des éléments déchaînés, personne ne semblait vouloir y songer. En 1978, les « réclames » pour le Remington 1100 promettaient 24 000 coups sans enrayage ni nettoyage ! Quand sortirent les premiers Beretta A300 (puis 301, 302, 303, avec ou sans le suffixe L pour « light » et les carcasses allégées) dans les an nées 1968- 75, on travailla le poids. Sachant que 10 % de poids supplémentaire génère une perte de maniabilité équivalente. La versatilité d’usage fut atteinte en offrant des canons chambrés soit pour charges normales soit pour charges lourdes. Il fallait aussi tenir compte de la vitesse des cartouches, 10 % de vitesse supplémentaire donnant 20 % de recul en plus ! Plus de gaz, et de vitesse de l’ensemble mobile risquaient à terme, en « tapant » davantage, de nuire à l’endurance de l’arme. En 1985, le A303 parvint enfin à une certaine forme de polyvalence. Simple à entretenir, avec de nombreuses options (carcasse en alliage, cales pour la crosse, chokes à vis), le modèle lança vraiment Beretta sur le marché du semi-auto à emprunt de gaz. Cette position fut consolidée en 1990 par la sortie du A390 et son innovant système de purge secondaire que l’on pouvait désactiver en
cas d’emploi de faibles charges. Il était désormais possible de jouer sur une plus large gamme de pressions via une pièce maintenue par un ressort tout contre l’anneau du canon. Le système annoncé comme « autonettoyant » constitua un excellent argument de vente – mais aussi l’aveu d’un problème récurrent sur ce type d’armes ! En 1999, avec le 391 ou Urika, la machine se perfectionnait, se compliquait encore un peu plus (avec sept pièces mobiles) et devenait solidaire du canon, dans une période où se développaient les cartouches magnum. Il était moins attrayant, car
plus décourageant à démonter pour l’entretien courant, mais en contrepartie assez tolérant à des entretiens espacés, ce qui rendait encore moins scrupuleux les chasseurs peu soigneux ! Sa version ultime fut l’Urika Gold (2002), avec laquelle arrivaient les chokes Optima, en remplacement des antiques Mobil chokes. Cette année 2002 vit régner une certaine confusion, sans doute due à une volonté d’amortir une série parfaitement aboutie. Furent lancés le 3901, un avatar beaucoup moins cher et rentabilisé du 390, et surtout le 391 Extrema, toujours à emprunt de gaz mais avec un verrou rotatif très différent, sans doute influencé par les 612 et 712 de Franchi, marque désormais entrée dans le giron Beretta. C’était là une arme très différente de ses aînées, qui culmina en 2005 avec l’Extrema II, dotée de canons plus légers et d’une détente améliorée, plus simple d’entretien. Elle conserva pourtant l’appellation 391, sans doute pour profiter des campagnes publicitaires investies dans cette gamme ancienne et aboutie. Beretta proposa ensuite une autre gamme de fusils à emprunt de gaz, les A400, mais c’est encore le A300 Outlander qui, depuis 2012, incarne l’aboutissement de cette longue lignée. Avec sa canonnerie moderne, il est un mixte du 391 et de l’Extrema, dont il partage la même action. Une valve modernisée lui permet de quasiment tout tirer sans réglage. Plus la charge est lourde, plus les lèvres du piston freinent et font office d’auto-nettoyant. Pour conclure ce survol de la série A 300-303, il faut, paradoxalement, parler du Browning B80 qui fut un clone de la série 303, et dont plusieurs pièces sont interchangeables avec cette lignée. Produit dans les années 1981-1988, le fusil était le fruit d’un partenariat momentané entre Beretta et Browning, avec des pièces fabriquées en Italie et assemblées par la FN au Portugal. Il fit office de palliatif au très peu prisé B2000 !
Le tournant de l’inertiel
En 1967, alors que l’emprunt de gaz mettait un terme à la durable hégémonie du long recul, l’ingénieur italien Bruno Civolani proposa une innovation qui sera commercialisée deux ans plus tard, en 1969, par Benelli, obscure marque de motos et de mobylettes ! Le principe du mécanisme inertiel était né. Ce troisième système repose cette fois encore sur l’utilisation du recul, mais uniquement dans le but de faire tourner un verrou, dont la course est bien plus courte qu’avec les deux autres mécanismes. Au commencement du processus, verrou et canon sont solidaires. Après le tir, quand l’arme recule, un fort ressort se comprime, puis se dilate et repousse le verrou vers l’arrière. Etant équipée d’un extracteur faisant saillie, la tête de culasse éjecte la douille usagée et comprime un ressort de rappel qui réarme l’arme dans le sens inverse. Ce système a le mérite d’être beaucoup plus simple que tout ce qu’on avait vu auparavant, puisqu’il mobilise peu de pièces : deux ressorts, la culasse massive et sa tête rotative. Plus de retour de gaz qui souillent le mécanisme, plus de longs allersretours et de pièces en mouvement ou en friction. Le processus est également très rapide – jusqu’à cinq cartouches à la seconde sont annoncées ! – et n’est pas obéré par les différences de chargement d’une cartouche à l’autre. Il a permis à Benelli de développer toute une gamme d’armes innovantes et légères. Quand la marque passa sous la houlette de Beretta, le système fut étendu à l’ensemble des semiautomatiques du groupe. Le principe inertiel autorise des armes plus légères, mieux équilibrées, mais qui sont aussi plus chères et moins douces à l’épaule, l’ensemble du mécanisme jouant sur une faible amplitude. Avec les deux systèmes précédents, le va-et-vient des pièces en mouvement délivrait une forme d’amortissement et d’onctuosité, surtout avec le long recul. Le mécanisme à inertie a été adopté par Browning pour son A5, puis par nombre d’autres fabricants cette dernière décennie, sans pour autant envoyer aux oubliettes ses devanciers, dont les technologies et les lignes de production étaient désormais largement abouties et surtout amorties. Si le long recul ne demeure qu’au catalogue Franchi, l’emprunt de gaz reste omniprésent chez la plupart des firmes où il cohabite avec l’inertiel.