Purdey, H & H ou Boss
Quelle est la meilleure mécanique ?
Quelle est la meilleure mécanique ?
Purdey, Holland & Holland ou Boss ? Imaginez un seul instant que vous ayez ce luxe suprême : pouvoir choisir entre l’une de ces trois mécaniques et les trois fusils qu’elles équipent. Laquelle l’emporterait, et pourquoi ? Découvrez les mérites comparés de trois chefs-d’oeuvre de l’armurerie fine.
Ils sont la crème de la crème des fabricants d’armes de chasse. Un moment de silence quasi religieux peut faire écho à la prononciation de leurs noms. Nous leur rendons sans cesse hommage, nous sommes impressionnés par leur travail, notre coeur se serre et palpite à la vue d’une arme portant leur signature. Ils sont surnommés « le Big Three » ou « la sainte trinité ». Leurs juxtaposés sont pour le passionné de belles armes de chasse ce qu’une Rolex est pour le collectionneur de montres, un Partagas Lusitania pour l’amateur de cigares, un Pétrus pour l’amoureux du vin. Nous parlons bien sûr de Purdey, de Holland & Holland et de Boss, des marques sacrées qui fabriquent de sacrés fusils, dont la qualité ne saurait faire débat. Alors, vouloir les classer et désigner le meilleur des trois… L’idée pourrait bien paraître sacrilège ! Qu’à cela ne tienne, nous avons osé. Imaginez. Trois fusils sont réunis devant vous, pour vous, trois juxtaposés nés à Londres à la fin du siècle. Tous ont des platines à ressort avant, des canons demi-bloc ainsi que des bois de la meilleure qualité et poncés à l’huile. Ils sont com- prenez que le bois de la crosse court jusqu’aux coquilles de la bascule. Ils partagent le même système de commande de verrouillage, une clé supérieure reliée au double verrou Purdey par la fusée verticale Scott, et le système Anson pour la fixation de la longuesse. Ils peuvent avoir des bouchons percuteurs, un troisième verrou ou un indicateur d’armement, ils sont toujours magnifiquement gravés, l’ajustage et la finition des pièces métalliques riment avec perfection. Ces armes gardent leur valeur au fil du temps, qui vient même accroître encore leur aura. Elles sont associées à une
tradition, une certaine éthique de la chasse, leurs propriétaires sont fiers de les posséder. Voilà pour tout ce qu’elles ont en commun, voyons ce qui les différencie.
Armement, Roger face à Beesley
Holland & Holland et Boss possèdent le même système d’armement, le type Rogers. Ce qui est logique puisque les deux platines ont été développées par le même homme, le grand John Robertson. L’une et l’autre bascules s’arment à l’ouverture. L’armement du Purdey s’opère en revanche selon un système totalement différent, inventé par Frederick Beesley. Le mécanisme est en partie armé à l’ouverture, lorsque les chiens reculent, mais c’est à la fermeture que les grands ressorts sont bandés et que l’armement du fusil est réel. Autre particularité du Purdey, il est intrinsèquement à self-opening, alors que ce dernier est proposé en option pour les deux autres fusils, avec la nécessité d’une opération armurière supplémentaire. La bascule Holland & Holland utilise le système d’éjecteur breveté en 1889 par Frederick Beesley avec ses deux composants, un ressort et un marteau. L’éjecteur Purdey breveté en 1888 par William Wem et celui de Boss breveté par William Adams et John Robertson en 1897 sont quant à eux faits d’un grand nombre de composants et donc un peu plus complexes. Le Boss et le Purdey sont équipés du même type de gâchette de sécurité, une variante du brevet Needham & Hinton de 1879. Elle a la forme d’un long bras qui se prolonge en diagonale à travers la bride et attrape une protubérance sur le côté ou sur l’arrière de la tête du chien. La version Holland & Holland brevetée en 1887 par William Holland et John Robertson consiste en une pièce installée au pied du mécanisme parallèlement à la gâchette principale et en contact avec la partie basse du chien. Sur le principe, la gâchette de sécurité de Holland
& Holland est moins solide que celle des deux autres, mais dans les faits aucune platine H & H bien réglée n’a eu à souffrir d’un défaut résultant de cette gâchette. Enfin, un H& H peut avoir des platines détachables à la main en option, une invention de 1908, ce qui n’est pas le cas du Purdey ni du Boss. Ce tour des ressemblances et des différences achevé, il est temps d’entrer au coeur de notre fameuse interrogation : quel est le meilleur des trois ? Une question qui forcément appelle une grande part de subjectivité. Mais si celle- ci émane des meilleurs spécialistes du domaine, on y prête très volontiers l’oreille ! C’est donc vers eux que nous nous sommes tournés pour notre enquête. Certains se sont montrés indécis, d’autres ont d’emblée exprimé des jugements définitifs, tandis que d’autres encore sont passés par des avis changeants.
Entre les trois, leur coeur balance
Commençons par la catégorie « indécis », avec l’Anglais Douglas Tate, journaliste et auteur expert des fusils de chasse classiques. « Si c’était un superposé, ce serait facile, je choisirais sans hésiter le Boss, mais pour les juxtaposés, cela nécessite réflexion, lance- t- il en
guise d’introduction. Le modèle, la conception, l’âge, l’état de l’arme entreraient en compte dans ma décision. Cependant, en supposant qu’ils soient tous à self- opening, fabriqués pendant les plus grandes années de chaque fabricant et qu’ils soient neufs ou jamais utilisés, c’est la motivation de mon achat qui déterminerait mon choix. Si ma préoccupation était d’ordre pure- ment esthétique, j’opterais pour un Holland & Holland Royal. Pour un investissement, je choisirais un Purdey. Toutefois, je dois reconnaître que les meilleurs fusils qu’il m’ait été donné de voir sont une paire de Boss à bascule ronde fabriquée dans les années 1930 pour un représentant canadien de Coca-Cola. Les deux armes étaient encore à l’état neuf et, par un de ces heureux hasards, m’allaient à la perfection, j’avais l’impression de vivre un rêve en les manipulant. Elles étaient exceptionnelles, les meilleures parmi les meilleures. » Le journaliste et auteur américain Vic Venters rejoint Tate dans son indécision. « Je suis incapable de faire un choix, reconnaît-il. Je pense que le Boss est le plus beau, Purdey le plus intéressant du point de vue mécanique et le Holland le meilleur pour une utilisation intensive en raison de sa relative simplicité. Voilà qui ne vous avance guère ! » Le même flottement a semblé en vahir John Smith, passionné par l’histoire des armes de chasse
et fondateur d’un célèbre club de tir, le Surrey Sporting Club, lorsque nous avons sollicité son avis. Et
pour cause : « Votre question, je me la pose depuis bien longtemps, et je n’ai jamais pu y répondre ! Purdey, qui a fabriqué très peu de carabines et de pistolets, semble être le plus connu et n’a jamais eu à souffrir de la moindre mise en cause. Holland est le plus jeune des trois, puisqu’il a débuté à Londres dans le dernier quart du siècle, alors que Purdey et Boss sont nés dans le premier quart. Il était surtout connu pour ses carabines, mais personne ne critique son modèle Royal. Thomas Boss a refusé d’adopter de nouvelles idées si bien que vers la fin de sa vie ses armes étaient devenues démodées. C’est finalement son décès et l’arrivée de John Robertson en 1891 qui ont fait de ce nom ce qu’il est devenu aujourd’hui. En termes de qualité, entre Purdey et H & H, il n’y a rien à choisir, même si les deux ont parfois vendu des armes de second ordre. Les fusils Boss étaient de meilleure qualité, tout en étant démodés durant la période évoquée à l’instant. Et Boss a produit beaucoup moins de fusils de chasse que les deux autres, ils sont donc plus rares et plus chers. Mais s’il vous faut à tout prix une réponse, et si l’instant d’un pareil choix devait arriver, j’opterais pour un Purdey, tous les propriétaires de ces armes ne sont que louanges envers elles. » Les tergiversations de nos experts démontrent combien le choix est rude et peine à s’appuyer sur des arguments définitifs, voire rationnels. Heureusement pour notre enquête, d’autres spécialistes ont su trancher. Certains y sont parvenus en privilégiant une motivation d’achat particulière ( usage, esthétique, etc.). D’autres, heureux hommes, en se référant à leur usage des trois fusils, suffisamment long pour mettre au jour les avantages et les inconvénients de chacun.
Holland & Holland, pour la fiabilité
Les inconditionnels des Holland & Holland mettent en avant la « simplicité » de leur mécanique, gage de fiabilité, à commencer par Jan Roosenberg, collectionneur américain, grand amateur et connaisseur de fusils à platines. « Les trois fabricants réalisent de très bonnes armes » , déclare- t- il prudemment en préambule, avant de lâcher :
« Holland & Holland fait les meilleurs fusils des trois et possède le plus de connaissances en matière de fabrication des canons. Son selfopening est le plus simple et d’une fiabilité incontestable. L’armement à la fermeture des Purdey ne me convient pas. Ce choix me semble même insensé, il rend la fermeture du fusil difficile, surtout avec les petits calibres et les carabines doubles. Ce qui constituait une nouveauté au XIXe siècle ne trouve plus de justification aujourd’hui. Et, déjà à l’époque, des critiques se faisaient entendre. On raconte qu’un acheteur potentiel qui aurait fait remarquer cette difficulté à Athol Purdey se serait entendu répondre : “Nos clients ne ferment pas eux- mêmes leur fusil.” Bien entendu, tout cela ne retire rien à la très haute qualité des armes Purdey. Quant aux Boss, leur monodétente est parfaite jusqu’à ce qu’elle ne fonctionne plus correctement, elle devient dès lors très difficile à réparer et à régler. A ce sujet, la monodétente mécanique de Holland était supérieure au système d’inertie actuellement utilisé, ils devraient y revenir. J’aime la finition Purdey, surtout du bois, et je la fais suivre de près par la Boss, mais cela n’a aucune incidence sur le fonctionnement de l’arme ! Je mets Holland & Holland à la première place, le Boss à la deuxième et le Purdey à la troisième. »
Boss, pour le raffinement
Pour le Britannique Donald Dallas, autre spécialiste de l’histoire des armes de chasse classiques britanniques, qui a signé une monographie sur chacun des trois fabricants, c’est Boss qui l’emporte : « Absolument rien d’autre que des armes fines de grande qualité n’a été fabriqué dans cette maison, la production y a toujours été réduite, ce nom rime avec une exclusivité toute particulière. » Une opinion partagée par son compratriote Chris Batha, tireur, gunfitter, journaliste et propriétaire de Charles Boswell. « Le Purdey et sa mécanique Beesley à self-opening peut être difficile à fermer et nécessite un peu d’expertise pour un rechargement en douceur, fait
il remarquer à son tour, mais la plupart des propriétaires, du moins au Royaume-Uni, ont un chargeur professionnel, alors, où est le problème ? » (Des propos que n’aurait pas reniés Athol Purdey… Comme le temps semble immobile parfois !)
Le Holland Royal est également à self-opening, mais le ressort est dans un tube et sous le devant, son fonctionnement est très facile et sans heurt. Ce doit être l’une des armes les plus copiées parmi les fabrications continentales. Le Boss est bien sûr un fusil assez rare et fonctionne facilement et sans faille.
Tous les trois sont de superbes fusils, on rêverait de les posséder tous, dans différents calibres pour différents types de chasses qui plus est. Mais vous voulez un choix, n’est-ce pas ? Je pense que la majorité de mes confrères répondront Purdey… Pour ma part, la rareté et l’histoire qui lui sont associées me pousseraient vers le Boss, c’est un investissement judicieux. Et puis quel armurier ! » Robin Brown, fabricant et propriétaire de A. A. Brown & Sons, fait le même choix, même s’il reconnaît que c’est le Purdey qui a longtemps
eu sa préférence. « Au chasseur qui hésiterait entre l’une de ces trois marques, je recommanderais Holland & Holland pour sa simplicité de conception, sa répartition judicieuse du poids et sa fiabilité éprouvée dans les circonstances les plus difficiles. C’est une fabrication superbe et solide. Pour mon propre usage, si vous m’aviez posé la question il y a quinze ans, je vous aurais répondu sans hésiter : Purdey. Ce fusil incarne à mes yeux l’ingéniosité et le raffinement fonctionnels. Mais mon opinion a changé. Je peux même vous donner la date exacte de ma conversion, c’était le 19 décembre 2003 ! Ce jour- là, j’ai découvert chez Boss & Co un round-action [ un fusil à bascule ronde, NDLR]
de toute beauté, d’une élégance et d’une pureté exceptionnelles. C’était un juxtaposé de calibre 12 avec des
canons de 75 cm, qui a pris vie à l’instant où je l’ai eu dans les mains. Il montait à l’épaule facilement et rapidement comme s’il voulait chasser une bécasse imaginaire. J’avais manipulé de nombreuses armes fines et j’en ai manipulé beaucoup depuis, mais rien, absolument rien, ne s’approche et ne s’est approché de ce Boss. »
Purdey, pour la facilité d’usage
Le Britannique Diggory Hadoke, courtier, journaliste et auteur de plusieurs livres sur les armes de chasse, voue un culte aux armes Purdey, particulièrement les fabrications anciennes. Sa réponse ne nous a donc guère surpris, mais son argumentation est intéressante. « Nous parlons là d’un choix personnel, purement personnel : j’aime la bascule Purdey- Beesley de la belle époque plus que toute autre chose. Les Purdey du début du XXe siècle offrent une manipulation impeccable. En tir de battue, je les trouve plus “indulgents”, d’une utilisation facile… et rapide ! Ne croyez pas ceux qui vous disent qu’ils sont difficiles à fermer, il existe une technique simple qui permet un rechargement tout à fait aisé. La bascule Purdey est assez lourde, elle met du poids là où vous le voulez. Bien que compliqué et coûteux à fabriquer, lorsqu’il est réalisé correctement à partir des meilleurs matériaux et bien fini, le Purdey fonctionnera parfaitement pendant un siècle. Quant à la qualité de fabrication des productions antérieures à la Seconde Guerre mondiale, elle était pratiquement parfaite. Le style, la proportion, la forme, l’équilibre, les caractéristiques de manipulation et la force sont inhérents au concept lui-même. Pour autant, je reconnais volontiers que les systèmes d’éjection Holland et Boss sont mécaniquement plus efficaces que le Wem utilisé sur la plupart des Purdey.
Le Holland & Holland Royal est mécaniquement idéal : il est bien fait, très simple, extrêmement fiable et durable. En revanche, je n’ai jamais manié un Boss qui m’ait donné envie d’en posséder un, ces fusils ne me “parlent” pas. La forme de leur platine, pourtant relativement arrondie, n’a pas à mes yeux la même élégance que la Purdey d’avant-guerre. De plus, certains motifs de gravure et lettrages sur les platines Boss me charment moins que les roses et volutes créées par le maître graveur James Luca. Encore une fois, il s’agit là de ma préférence, qui n’implique aucune critique des armes Holland & Holland ou Boss. Mais cette préférence est sans appel : Purdey l’emporte sur tous les plans ! » Nous rencontrons le même enthousiasme en la personne de J. P. Daechler, armurier britannique, expert auprès de Holt’s, qui vient encore enrichir le tableau des vertus du Purdey : « Mon choix ? C’est
Purdey ! s’exclame- t- il dans la seconde qui suit notre question. Le système Purdey est très ingénieux et d’un fonctionnement parfait. Les départs des détentes sont parmi
les plus nets en raison de l’angle des gâchettes. Le self-opening est alimenté par le grand ressort et ce dernier subit peu de tensions lorsque l’arme n’est pas fermée. Le cycle d’armement est astucieux car la bascule n’a pas besoin de leviers d’armement pour armer le mécanisme : rien ne passe par la charnière de la bascule, le fusil peut être ouvert très largement. Le système d’éjecteur est très bien conçu également et simple à régler. » Le collectionneur George Asher se montre tout aussi élogieux à l’endroit du Purdey, non sans égratigner au
passage ses « concurrents » : « Le Purdey est un fusil d’exception au design intemporel qui s’adresse à des connaisseurs. On répète à l’envi que la bascule Holland est la plus copiée, mais c’est parce qu’elle est simple à fabriquer, pas parce qu’elle est meilleure ! Le Purdey s’ouvre complètement lorsque vous poussez la clé d’ouverture et vous pouvez donc le libérer avec une seule main laissant l’autre disponible pour le rechargement. On devient rapidement “accro” à cette ouverture solide et positive, surtout si, comme c’est mon cas, on aime le tir. La conception de la bascule Boss est rudimentaire, sans caractère particulier. En outre, les éjecteurs poussent contre la tranche de bascule sous la pression du ressort à l’ouverture, ce qui crée des marques d’usure sur cette dernière. Certains prétendent qu’un avantage du système Boss réside dans les ressorts hélicoïdaux des éjecteurs, qui fonctionneront encore s’ils se cassent, contrairement aux ressorts en V qui cessent de fonctionner une fois cassés. L’argument ne tient pas. Si un ressort casse, il faut le changer, voilà tout ! Sachons raisonner en termes simples : des toutes meilleures armes, on attend du caractère, cette aura impalpable mais évidente, cette complexité aussi, si coûteuse et exigeante à réaliser, mais qui fonctionne parfaitement et magnifiquement. Tout cela, c’est la bascule Purdey-Beesley ! »
Votre fusil idéal
Aussi entiers que peuvent être les enthousiasmes des uns et des autres, on peut difficilement trouver de faille dans les fabrications de ces trois immenses maisons. La qualité, le soin et l’amour du détail sont là.
Ensuite, c’est une rencontre qui se fait, ou pas, avec chaque personnalité particulière. Comme le résume
Robin Brown, « même si nous ne pouvons pas tous l’acquérir, il est toujours agréable de savoir que le fusil idéal existe pour chacun d’entre nous » !