Armes de Chasse

Platines : ressort avant ou arrière ?

Deux types de moteurs, deux philosophi­es

- Laurent Bedu

Deux types de moteurs, deux philosophi­es

C’est le détail qui change tout. La position du ressort de chien sur un fusil à platines modifie considérab­lement la cinématiqu­e de l’arme, sa douceur de fonctionne­ment, sa percussion et son équilibre. Mieux vaut donc savoir reconnaîtr­e ces deux types de mécaniques.

Lorsque l’on évoque les différente­s platines, on pense immédiatem­ent aux deux grands noms de l’armurerie britanniqu­e, Purdey et Holland & Holland, qui ont inventé les deux grands types de platines, les plus connus au monde. Mais deux groupes sont moins souvent évoqués et pourtant tout aussi essentiels pour les armuriers : les platines dites à ressort avant et, par opposition, celles à ressort arrière. Comme leur nom l’indique, leur différence se joue dans le positionne­ment du grand ressort, celui du chien, sur la platine. Sur la première, il est placé sur la partie fine de la platine, en avant du mécanisme. Sur la seconde, il est beaucoup moins long et se situe sur la partie la plus haute de la plaque de métal, juste derrière le mécanisme. Ces deux systèmes, qui cohabitent toujours aujourd’hui, ne sont pas destinés à équiper les mêmes armes. Celui à ressort avant, le plus connu, est employé sur de nombreux fusils juxtaposés de calibre 12, 16 et 20, voire 28, 24 ou même .410, qu’ils soient signés Holland & Holland, Purdey, ou tout autre fabricant britanniqu­e, mais aussi belge, italien ou français. Le mécanisme à ressort arrière est quant à lui utilisé par la quasi- totalité des fabricants d’armes fines pour la réalisatio­n de leurs carabines doubles, plus connues sous le nom d’express.

Un choix sous contrainte

Une platine à ressort oblige l’armurier à évider les flancs de la bascule pour permettre non seulement le passage, mais aussi le mouvement du levier d’armement ainsi que du ressort. Le levier monte et descend

tandis que le ressort se détend brutalemen­t. Oter de la matière à la bascule ne pose aucun problème avec un fusil de chasse dont les cartouches développen­t lors du tir 1 300 bars de pression maximale. En revanche, pour un express et ses 4 300 bars, une bascule massive, épaisse et rigide s’impose. Chaque millimètre d’acier préservé sur cette pièce fondamenta­le revêt une importance capitale pour la solidité et la longévité de l’arme. C’est pourquoi, par obligation•••• davantage que par choix délibéré, les armuriers utilisent les platines à ressort arrière pour leurs express. C’était particuliè­rement vrai au début du XXe siècle, quand l’acier employé, cémenté et sans élasticité, n’avait pas la qualité de celui utilisé aujourd’hui. Sans son ressort, logé ici à l’arrière, la partie avant du corps de platine ne dépasse pas 2 à 3 mm d’épaisseur et il n’est plus besoin d’évider la bascule. Cependant, certains armuriers, pour se démarquer de leurs concurrent­s ou par préférence esthétique, proposent des platines à ressort arrière sur leurs fusils. C’est le cas notamment des Anglais Churchill, pour ses fusils de chasse Premier, et Lancaster, pour ses Twelve-Twenty, qui utilisent une platine à ressort arrière à self-opener. Ce choix reste minoritair­e, dans 90 % des cas, une platine à ressort arrière est issue d’un express ou d’un fusil superposé. Les exceptions à la règle sont encore plus rares pour les platines à ressort avant, qui sont presque toujours associées à un fusil juxtaposé. En guise de contre-exemple, citons l’express Aiglon fabriqué en 1930 par le Français Aimé Coeur Tyrode, qui possède une bascule forgée non trempée mais au taux de carbone élevé et dont la mécanique est mue par un système à ressort avant. Avec une platine à ressort arrière, le chien est poussé vers l’avant au moment de la percussion par le ressort, tandis qu’avec un ressort avant, il est tiré. Le système à ressort arrière possède par conséquent moins de force, on dit que le ressort manque de puissance ou de fouet. Son démontage est également plus complexe, il faut démonter la bride, puis la gâchette de sécurité avant de l’atteindre puisqu’il passe entre la platine et ces pièces. L’ouverture de l’arme est parfois plus diffi- cile, plus résistante. Mais du fait du poids des canons, plus important sur un express, l’ouverture peut paradoxale­ment sembler plus facile, les canons créant un phénomène d’inertie.

Le ressort arrière, plus exigeant

Le problème majeur d’une mécanique à ressort arrière reste toutefois sa percussion moins franche que celle d’un modèle à ressort avant, au point de ne pas suffire quand les amorces sont très dures. Ce qui était suffisant pour déclencher le tir avec les amorces de cartouches métallique­s en cuivre mou de l’époque de son invention ne l’est plus avec les amorces actuelles, plus dures. Les ratés de percussion existent. De fait, la qualité du centrage du percuteur sur l’amorce est encore plus importante qu’avec un ressort avant. Le mécanisme à ressort arrière ne donne aucun droit à l’erreur, particuliè­rement avec un superposé dont les percuteurs sont en outre obliques. Certains fabricants, comme Boss sur les premières versions de son superposé, ont eu recours à un artifice, avec la mise en place d’un galet à la place de la chaînette qui d’ordinaire relie le gros ressort au chien. Le rôle de ce galet est de faciliter le déplacemen­t du chien, voire de le rendre plus rapide, plus efficace. Une façon comme une autre d’utiliser ce type de mécanisme en palliant astucieuse­ment ses inconvénie­nts. Cependant, sur les très belles armes, les mécanismes à ressort arrière sont aussi doux et efficaces que ceux à ressort avant. Si tel n’était pas le cas, il n’y aurait jamais eu de fusils superposés. Car bien plus que

la réalisatio­n des express, ici réside le grand intérêt des mécanismes à ressort arrière et la raison principale de leur maintien : ils constituen­t le « moteur » de tous les superposés à platines.

L’histoire ancienne des superposés

Les juxtaposés sont devenus pour nous l’archétype de notre fusil de chasse moderne, mais c’est dès les débuts de l’arme à feu que des fabricants tentèrent de réaliser des armes à plusieurs coups ou plusieurs canons. Très tôt, des fusils à deux canons virent le jour, le plus souvent des juxtaposés. Parfois, il s’agissait encore de fusils à deux canons et quatre coups en chandelle romaine – les charges étaient réparties l’une derrière l’autre. Deux jeux de chiens ou des chiens articulés permettaie­nt d’atteindre deux bassinets différents et de faire partir en premier la charge placée la plus en avant, puis celle placée au fond du canon. Des fusils à quatre canons tournants, sortes de juxtaposés-superposés, furent également inventés. Toutes ces créations ne firent pas école, certaines étaient même dangereuse­s. Pour autant, un certain nombre d’armes à silex étaient bel et bien superposée­s. À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe , on vit apparaître des armes à un seul chien mais à deux canons superposés tournants, destinées à permettre deux coups dans un laps de temps très réduit. Après le premier tir, il suffisait

de rame- ner le chien en arrière, de tourner le canon pour placer le canon inférieur au-dessus et, avec le même chien, de tirer de nouveau. Les plus célèbres et sans doute aussi les plus beaux exemples de ces réalisatio­ns étaient signés Boutet ou Lepage. L’arrivée de la percussion, avec Pauly ou Lefaucheux, marqua l’hégémonie des juxtaposés. Le superposé passant quasiment aux oubliettes, jusqu’en 1840 et l’invention de Lobnitz, un Danois, qui réalisa ce que l’on peut considérer comme le premier fusil basculant superposé de l’histoire. Ce fusil à chiens extérieurs fonctionna­it avec des capsules de fulminate. Vingt-huit ans plus tard, le génial William W. Greener fit breveter un fusil de

chasse à deux canons superposés, basculant non pas de haut en bas mais de droite à gauche, latéraleme­nt, à la façon d’un juxtaposé que l’on aurait fait pivoter d’un quart de tour vers la droite. Si rien ne prouve que cette arme fut réellement fabriquée, puisque seuls subsistent les écrits et qu’aucun prototype ou mécanisme n’a jamais été retrouvé, l’idée fut néanmoins reprise quelques années plus tard par deux firmes, l’une belge et l’autre écossaise, Britte et Dickson. Quant au superposé tel que nous le connaisson­s ou presque, il n’apparaît qu’en 1885, à Auxerre, quand l’armurier Pidault fait breveter un fusil basculant de haut en bas sur des tourillons placés entre les canons. C’est ce système que l’on retrouve ensuite sur le plus beau modèle du genre, le Boss.

Les Allemands suivent à leur tour cette voie et réalisent de nombreux superposés auxquels ils associent des crochets de verrouilla­ge quasi identiques à ceux d’un juxtaposé classique, c’est-à-dire situés sous les canons. Dispositif qui sera rendu éternel plus tard par les fusils Merkel. John Moses Browning viendra, avec le B25, modifier cette dispositio­n en créant les doubles crochets de verrouilla­ge situés sur le même plan. Mais il faut finalement attendre les brevets 3 307 et 3 308, en 1909, du superposé Boss pour voir le premier fusil de chasse à canons superposés élégant, fiable et d’un poids acceptable. Il sera suivi par le superbe Woodward et le lourd modèle à six verrous de Purdey, qui ne connaîtra jamais le succès escompté.

Le guerre des brevets est finie

Les fusils superposés à platines sont caractéris­és par deux éléments. Tout d’abord, ils utilisent tous des platines à ressort arrière, le positionne­ment des canons interdisan­t l’emploi de mécanismes à ressort avant. Ensuite, ils emploient tous, ou presque, exactement le même mécanisme. Ils ne donnèrent pas lieu à une guerre des brevets et à une course aux systèmes les plus imaginatif­s et les plus novateurs, comme ce fut le cas avec les fusils juxtaposés, pour la bonne et simple raison qu’à l’époque tardive de leur production les brevets de prati- quement toutes les grandes inventions armurières étaient tombés dans le domaine public. Il était logique, facile et sûr de n’utiliser que le meilleur de tout ce qui avait été conçu alors. C’est pourquoi la platine à ressort arrière Holland & Holland, adoubée par des années d’utilisatio­n sur des express juxtaposés de gros calibres, s’imposa d’elle- même pour ces fusils superposés. Voilà pourquoi aussi les systèmes de platines à ressort arrière sont peu ou prou tous identiques, contrairem­ent aux platines à ressort avant. Même le prestigieu­x fusil Boss superposé possède une platine proche de celle mise au point par Holland & Holland. Cette relative facilité de conception se trouva contrebala­ncée par un nouveau problème propre à la fabricatio­n des superposés : l’alignement des percuteurs et des chiens. Sur un juxtaposé, les canons étant répartis de part et d’autre de la ligne matérialis­ée par la bande de visée, il est aisé de positionne­r les platines latérales en face de chaque percuteur, puisque ces derniers sont eux aussi excentrés. Sur un superposé en revanche, les trous de percuteur sont exactement l’un au- dessus de l’autre alors que les platines et leur mécanisme sont situés sur les côtés. Les fabricants ont dû chercher un système permettant aux chiens d’atteindre les percuteurs. Une des solutions fut d’inverser les platines gauche et droite, à savoir construire une platine de façon tout à fait classique et une autre à l’envers, avec un chien tête en bas. Les deux chiens réalisent la même trajectoir­e et viennent frapper de la même façon les percuteurs inférieur et supérieur. Le monteur à bois devait tenir compte de cette asymétrie lorsqu’il réalisait la crosse. Les Belges Courally et Francotte et surtout l’Anglais Beesley sur son modèle Shotover ont utilisé ce dispositif. L’autre technique, la plus courante, et celle retenue par les Britanniqu­es, consista à ne plus placer les percuteurs à la perpendicu­laire des tonnerres, mais à l’oblique. Les percuteurs sont inclinés vers le bas pour l’un et vers le haut pour l’autre. Mais de chaque côté de la bascule, la face postérieur­e des deux percuteurs, là où vient s’abattre le chien, est située sur une même ligne. De ce fait, les deux platines peuvent être en tous points identiques. Cet artifice permet de réaliser des platines symétrique­s à gauche et à droite, comme le sont les platines d’un juxtaposé. En dépit de ces innovation­s et du succès grandissan­t des fusils superposés, le mécanisme à platine à ressort arrière reste sous-représenté dans la fabricatio­n des armes lisses, tant l’hégémonie des platines à ressort avant est grande. On peut même qualifier ce dernier mécanisme de véritable best-seller de l’armurerie fine, surtout concernant le plus célèbre et le plus copié de tous, la platine Holland & Holland.

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 ??  ?? Cette arme est bien un fusil à platines de calibre 12, un Churchill à mécanique Baker, bien que ses platines possèdent un ressort arrière, souvent réservé aux express ou aux superposés.
Cette arme est bien un fusil à platines de calibre 12, un Churchill à mécanique Baker, bien que ses platines possèdent un ressort arrière, souvent réservé aux express ou aux superposés.
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© L. Hindryckx
 ??  ?? Les deux mécanismes, à ressort arrière, en haut, et à ressort avant. Tous deux ont été inventés par Holland & Holland. Le premier équipe les express et les superposés, le second une très grande majorité de fusils à platines.
Les deux mécanismes, à ressort arrière, en haut, et à ressort avant. Tous deux ont été inventés par Holland & Holland. Le premier équipe les express et les superposés, le second une très grande majorité de fusils à platines.
 ??  ?? Un rare express Holland & Holland à platines arrière et monodétent­e. Ce genre d’arme possède des départs aussi doux que si la mécanique était équipée d’un long ressort avant.
Un rare express Holland & Holland à platines arrière et monodétent­e. Ce genre d’arme possède des départs aussi doux que si la mécanique était équipée d’un long ressort avant.
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Les fusils bar-in-wood étaient souvent dotés de platines à ressort arrière afin de ne pas trop évider le bois.
 ??  ?? Cet express PIotti ne déroge pas à la règle, il a pour mécanisme la platine à ressort arrière type Holland & Holland.
Cet express PIotti ne déroge pas à la règle, il a pour mécanisme la platine à ressort arrière type Holland & Holland.
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