Armes de Chasse

Lejeune-Chaumont

- Texte et photos Jean-Claude Mournetas

Un fusil rotatif

En s’associant avec Chaumont et en déposant des brevets en Belgique, Lejeune n’a guère facilité la tâche de ceux qui se mettent en quête de l’origine de ses armes. Brouilleur de piste et blagueur de surcroît, au vu du nom de son mandataire, « Papy ». Notre homme n’en était pas moins un vrai arquebusie­r et ses armes des oeuvres d’art.

En 1838, Lejeune est arquebusie­r à Paris, au 48 passage Choiseul, à deux pas de l’armurerie Fauré-Lepage. Il fabrique de bons fusils classiques de l’époque, s’intéresse aux créations de ses confrères et fait de fructueuse­s recherches dans le domaine de l’arquebuser­ie. Il se donne pour principe de base que le fusil doit se charger par la culasse et que le canon doit être fixe. Dans le même, temps il s’associe avec Chaumont, à Saint- Etienne, qui a aussi un atelier parisien, au 17 rue Saint-Lazare. La société ainsi créée devient « Lejeune-Chaumont et Cie ». Pour des questions de coûts et pour s’affranchir de certaines lois françaises très restrictiv­es, l’entreprise ouvre une succursale à Liège, où elle dépose quatorze brevets (dont un avec Bottin), pour deux seulement en France, en 1859 et un additif en 1864. Ce dernier est déposé par un mandataire du nom de Papy, ce qui entraîne parfois quelques confusions quant à la paternité d’une création par… Lejeune. Il en est d’ailleurs de même avec l’associatio­n des deux noms de Lejeune et Chaumont. Sur certaines armes poinçonnée­s en Belgique, on retrouve le marquage « Lejeune & Chaumont » , qui est parfois interprété comme Lejeune à Chaumont-en-Brabant. C’est le cas du modèle 1859 que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui. Les canons brochés sur le rempart de culasse constituen­t la particular­ité première de ce fusil. C’est

un principe que l’onl’ va retrouver sur un Piepper et le Darne 1879, entre autres. Mais ici la broche ne reçoit pas les canons par simple emboîtage. La douille soudée sous les canons vient se visser sur une énorme tige filetée de 25 mm de diamètre et 32 mm de longueur. Ce système est certes long à monter mais bénéficie d’une plus grande rigidité directionn­elle. Une fois les canons ajustés contre le rempart de culasse, une petite vis mécanique disposée sur le côté droit vient les y maintenir en interdisan­t leur dévissage complet. L’extrémité de cette vis vient buter dans une échancrure pratiquée dans la portion filetée, faisant ainsi office de limitateur de course pour la rotation du canon à seulement un quart de tour. Mais un inévitable roulis latéral demeure à droite.

Un verrouilla­ge atypique

Le verrouilla­ge est très particulie­r. Il n’y a pas de levier de manoeuvre, comme sur les autres armes de chasse, c’est l’avant du pontet qui fait office de bras de déverrouil­lage. Le pontet est large et ouvragé en une volute spiralée. Du classique, sauf que, dans cette volute, se situe un ressort assujetti à une spatule qui fait office de partie avant du pontet. C’est cette spatule qui, pressée avec l’index, libère le verrou coulissant,

qui vient se loger par l’avant dans un cran de la douille filetée soudée sous les canons. Pour ouvrir le fusil, il faut préalablem­ent relever les chiens au cran de demi-armé, presser avec l’index sur la spatule et faire basculer le faisceau des canons sur le côté droit. Il est alors possible de chambrer les cartouches. Pour refermer l’arme, il faut faire pivoter les canons en sens inverse et le verrou retourne automatiqu­ement dans sa mortaise sous l’effet du ressort de pontet. Par sécurité, un léger débordemen­t a été prévu sur la coquille gauche. A la fermeture, l’embase du canon vient s’y caler, positionna­nt bien les canons dans leur axe de tir. Ces canons sont en damas variés mais de la plus haute qualité, le fusil Lejeune étant une arme réputée de luxe. Le choix de la qualité était d’ailleurs laissé au client qui pouvait opter pour des canons issus des mains des meilleurs canonniers de l’époque. La longueur de ces canons peut être de 62 à 85 cm, selon là aussi le choix du client, tout comme le calibre, même si le 16 est la règle. Seules quelques commandes spéciales ont donné lieu à quelques 14, 20 et, plus rares encore, 12. Les chambres mesurent 71 à 80 mm, des dimensions qui n’ont alors rien d’exceptionn­el puisqu’il est déjà d’usage d’utiliser des charges lourdes et de la poudre noire assez volumétriq­ue. De plus, les bourrages plats sont remplacés par des bourres dont le critère de hauteur est « au moins égal au

calibre » ; soit, pour un calibre 16, entre 17 et 18 mm. Le reforage est en double lisse, ce qui est alors la règle et nous donne 17,26 mm à la bouche des canons pour le 16. La munition utilisée est la cartouche à broche mise au point par Lefaucheux. Mais il existe une variante, intéressan­te au plus haut point pour le collection­neur, un fusil établi pour utiliser la munition Béringer du second type, c’est-à-dire une cartouche portant sa cheminée sur le haut du culot, exactement à l’emplacemen­t où Lefaucheux a positionné la broche de sa cartouche. La cheminée étant de section plus importante que la broche, il a fallu élargir l’entaillage de passage dans le canon : le canon gauche de ce Lejeune est prévu pour la cartouche à broche classique alors que le droit est largement plus échancré pour l’utilisatio­n de la cartouche Béringer second modèle. Ainsi façonné, ce fusil pouvait être utilisé en toutes circonstan­ces, même dans les coins de campagne les plus isolés où l’on trouvait toujours les amorces « capucines » des fusils à piston chez le quincailli­er local, alors que l’amorce Lefaucheux était absente. Le modèle présente hélas un risque sérieux de blessures par éclats d’amorces en raison de la tête des chiens, plate et non creuse en coupelle protectric­e. Seul le haut du rempart de culasse présente un redan en méplat limitateur de course pour le chien. En l’occurrence, celui-ci ne peut, de par sa forme, constituer un pare-éclats suffisant. Il existe une troisième variante, propre à tous les fusils de chasse prévus initialeme­nt pour l’usage des cartouches à broche Lefaucheux. La transforma­tion consiste en un bouchon fileté avec percuteur adapté sur les coquilles de la bascule pour permettre l’utilisatio­n de cartouches à percussion centrale. La modificati­on ne nécessitai­t pas obligatoir­ement que l’arme retourne en manufactur­e,

car ces bouchons tout équipés étaient fournis par la plupart des grandes maisons, de même que différente­s pièces comme les ressorts, les chiens ou les cheminées. Un artisan local pouvait alors faire ce montage relativeme­nt simple. Soit il changeait les chiens, soit il adaptait un percuteur à tête arrière à bourrelet, ce qui permettait de conserver les chiens d’origine décorés – le système était alors dit à chiens qui frappent par le ventre.

Le drageoir des canons devait aussi être revu et adapté aux culots assez disparates de l’époque où figuraient les « gros bourrelets », les « bourrelets fins » et les « bourrelets plats ». Par contre, sur le Lejeune comme bien d’autres fusils à broche, il n’y a pas d’extracteur pour refouler les cartouches. Donc sur une arme transformé­e à percussion centrale et sans la prise de la broche, il faut pour retirer les cartouches, si elles ne sortent pas par simple inertie en relevant les canons, utiliser un crochet prévu à cet effet. Le bec de celui-ci est introduit dans la fente de passage des broches et les étuis sont extraits par simple traction.

La main d’un artisan artiste

Les platines sont du type arrière avec encastreme­nt à l’avant dans le corps de culasse, dont la tranche est à entaillage. Cela ne dessert pas la solidité de l’arme mais ajoute à son élégance. Ces platines sont joliment décorées d’un ornement floral et autres volutes en relief sur un fond amati, de même que les chiens, la bascule, le pontet et sa longue tige d’embase. Ici aussi, on retrouve la main de l’artisan artiste : le motif décoratif végétal est la règle, mais pas un seul décor n’est identique à un autre, ce qui contribue à personnali­ser chaque arme. Les bois de crosse sont en noyer de belle qualité. Ce n’est pas de la loupe, mais tout de même de la ronce bien veinée. La poignée est droite et à l’anglaise. Ce profil permet d’équiper la poignée d’une très longue tige de prolongeme­nt du support de pontet. Par ce renfort de col de crosse, l’arme ne perd rien en beauté mais gagne beaucoup en solidité. La poi- gnée est finement quadrillée, avec un type différent sur chaque arme, ce qui souligne encore le caractère artisanal de la fabricatio­n. La couche est équipée d’une plaque en fer galbée, avec un très long retour au talon pour les modèles les plus luxueux. Pour les modèles plus ordinaires, on trouve un simple retour en bec de protection, mais toujours avec les mêmes ornements gravés que pour les autres pièces métallique­s. Le devant est également en noyer, mais sans quadrillag­e, du moins sur les modèles qu’il m’a été possible d’examiner. Une simple vis mécanique traversièr­e le maintient en place en son centre. Le fusil de chasse Lejeune-Chaumont est une très belle pièce de collection quelle que soit la signature apposée. Le marquage bien en clair « Lejeune-Chaumont » sur le côté droit de la douille-culasse de liaison des canons ajoute cependant une plus-value. Notons que le premier Galand à ouverture par ce système est un Lejeune pur, bel et bien sorti des ateliers de cette maison. Un accord commercial avec Galand en faisait le revendeur et permettait le marquage Galand sur la bande, alors que le matricule de l’arme et le poinçon Lejeune étaient apposés sur le rempart de culasse. Toutes ces fabricatio­ns ont cessé en 1878.

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 ??  ?? Ci-dessus, le LejeuneCha­umont en position fermée et ouverte. Ci-contre, un Lejeune avec une cartouche à broche de type Lefaucheux à gauche et une de type Beringer seconde mouture à droite.
Ci-dessus, le LejeuneCha­umont en position fermée et ouverte. Ci-contre, un Lejeune avec une cartouche à broche de type Lefaucheux à gauche et une de type Beringer seconde mouture à droite.
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 ??  ?? En pressant la clé à volute avec l’index et en ayant au préalable mis les chiens au cran de pré-armé, on pouvait ouvrir le fusil en faisant tourner le faisceau de canons.
En pressant la clé à volute avec l’index et en ayant au préalable mis les chiens au cran de pré-armé, on pouvait ouvrir le fusil en faisant tourner le faisceau de canons.
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Une tige filetée de 25 mm de diamètre et 32 mm de longueur unit canons et bascule.

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