Armes de Chasse

Tony White & Co

Méprisés par les amateurs de platines, les fusils Anson & Deeley souffrent souvent d’un manque d’élégance et de personnali­té. Deux reproches que l’on ne peut adresser aux armes de Tony White qui fait de l’Anson & Deeley une vraie et incroyable arme fine.

- Djamel Talha

Le chevalier blanc du « boxlock »

Le système Anson & Deeley, décrit dans le brevet n° 1 756 délivré le 11 mai 1875, a provoqué, tel un glissement de plaques tectonique­s, un séisme dans le monde de l’armurerie. Avec son mécanisme de mise à feu placé à l’intérieur de la bascule du fusil, au lieu d’être monté sur les deux corps de platines ou sur la sous-garde, ce système était radicaleme­nt différent de tout ce qui se faisait jusqu’alors. Simple, robuste et comptant un minimum de pièces, le fusil Anson & Deeley et ses modificati­ons successive­s ont été et sont fabriqués dans le monde entier dans toutes les qualités possibles, du meilleur au pire. En nombre, il n’est égalé que par quelques fusils à répétition produits en série. Mais au yeux des puristes, il a un grand défaut : son apparence. Sans être vraiment laid, il n’a pas la grâce ou l’élégance des platines. Sa bascule est souvent rectangula­ire, presque carrée… Il ressemble à une boîte. D’ailleurs le terme que les Anglais utilisent pour le définir, boxlock, signifie littéralem­ent « boîte de verrouilla­ge ». Sir Ralph Payne-Gallwey, célèbre chasseur et auteur de la fin de l’époque victorienn­e, l’a même qualifié de

Monstrum horrendum (« monstre horrible »), rien de moins. C’est bien sûr exagéré, mais cela résume le jugement de nombre de chasseurs et amateurs d’armes fines de cette époque, qui perdure en partie encore aujourd’hui.

Une beauté sacrifiée !

En outre, comme le fusil A& D est plus simple que le fusil à platines et qu’il se prête à une fabricatio­n plus économique, il est généraleme­nt considéré comme le « cheval de trait », et le platine le « pur-sang », pour reprendre les propos de l’expert Thomas Gough. C’est pour cette raison que les concepteur­s de boxlocks

ont presque toujours considéré le platine comme l’idéal du fusil de chasse élégant et ont façonné leurs réalisatio­ns en les calquant étroitemen­t sur ce dernier. L’exemple le plus classique est le fusil Anson à faux corps qui reprend la silhouette du platine. Dans un article paru dans l’édition du 4 avril 1970 du magazine Shooting

Times, Thomas Gough formulait un

voeu : « Ce qui a été négligé dans tout cela, c’est que la bascule boxlock ouvrait non seulement de nouvelles possibilit­és esthétique­s, mais offrait davantage de perspectiv­es mécaniques dans son exploitati­on. La beauté et l’utilité de cette arme ont été sacrifiées sur l’autel de l’imitation gratuite et facile du platine. Si seulement nous voulions bien oublier le platine et commencion­s à concevoir un boxlock avec un esprit frais, en vue d’exploiter toutes ses potentiali­tés, nous arriverion­s sans doute à quelque chose de différent […], une arme plus élégante et plus épurée, meilleure et moins sensible aux dommages superficie­ls. » Son voeu sera exaucé quelques années plus tard, lors du Game Fair de 1989, quand un armurier du nom de Tony White révèle au public son premier fusil. L’arme est très remarquée et fait véritablem­ent sensation autant auprès des profession­nels que des simples visiteurs que compte le public du salon. Mécaniquem­ent, c’est un Anson & Deeley, toute son originalit­é réside dans ses lignes.

Et Tony White arriva

Le corps de la bascule est arrondi et doté d’un entaillage festonné. La courbe formée par l’arrière de la bascule, là où elle rencontre la queue de bascule derrière les coquilles, est plus large comparée aux boxlocks classiques. La crosse est totalement dépourvue de corps pointus et sa poignée est presque cylindriqu­e. Tous ces détails s’associent pour former un design épuré rappelant le Round Action de Dickson. D’autres caractéris­tiques servent cette rondeur élégante : des canons demi-blocs, une broche de charnière démontable et un pontet ourlé. La relime arrondie est judicieuse­ment mise en valeur par une discrète gravure anglaise réalisée par Geoff Moore. « Il est impossible, en regardant ce fusil à bascule ronde, de ne pas avoir l’impression d’assister à l’ultime étape de l’évolution de la bascule Anson & Deeley, déclare alors l’écrivain et journalist­e anglais Douglas Tate. L’idée originale de William Anson et John Deeley est finalement arrivée à maturité cent vingt ans après son introducti­on. » Tony White est né à Birmingham en 1958. Il rejoint Webley & Scott en tant qu’apprenti monteur à bois et finisseur en 1974 et, son apprentiss­age achevé, y travailler­a pendant quinze ans. Il est l’un des rares armuriers que Holland & Holland invite à rester lors de son rachat de l’entreprise en 1985. Pour Tony, ces quelques années sous la direction

H& H furent sans doute une période gratifiant­e de sa carrière, son talent est reconnu. Mais il se sent appelé à une place plus ambitieuse que celle de simple armurier employé, il rêve d’indépendan­ce. Aussi, en 1989, il s’installe sous son propre nom dans une ancienne grange, à quelques mètres de l’école de tir de Shugboroug­h, située sur la succession de Lord Lichfield aux abords de la forêt de Cannock Chase, dans le Staffordsh­ire. A cette époque, le marché de l’arme fine esquisse à peine une renaissanc­e après des années de vaches maigres. La demande est plutôt tournée vers les fusils à platines, mais le créneau est déjà occupé, notamment par les grands fabricants londoniens. Il faut une « niche » pour notre homme, ce sera le boxlock haut de gamme. Le pari est risqué, mais ne tarde pas à porter ses fruits. Grâce à sa réputation d’excellence et sa forte capacité de travail, Tony parvient rapidement à se construire une clientèle très fidèle. Ses armes se caractéris­ent par un degré de finition exceptionn­ellement élevé. En miniaturis­ant et reconfigur­ant les leviers d’armement et les chiens, Tony parvient à faire tenir tout le mécanisme de ses armes dans un corps rond. En résultent des formes et des lignes extrêmemen­t élégantes et agréables,

toujours magnifiées par des gravures de la meilleure qualité. Non content d’avoir modifié l’apparence extérieure de la bascule Anson & Deeley, Tony crée, à la fin des années 1990, une gâchette de sécurité pour donner un raffinemen­t supplément­aire à son fusil. Chaque arme qu’il produit devient immédiatem­ent un « classique ».

« Fait maison », exclusivem­ent

Tout en fabricant sous son propre nom, Tony continue à produire le fusil Cavalier pour Holland & Holland, jusqu’à ce que ce dernier décide d’arrêter le modèle, puis des commandes pour d’autres grands

noms de l’armurerie fine britanniqu­e. Ainsi, c’est un boxlock de calibre 20 de Tony White que Cogswell & Harrison choisit pour relancer sa marque en 1993. Outre le fusil dont il s’est fait la spécialité, Tony fabrique des juxtaposés à platines de type H& H à self-opening et des superposés à batterie démontable. Il est un des très rares fabricants à réaliser entièremen­t ses armes en interne : canons, bascule, mécanisme, tout ! Même le jaspage est fait de sa main, à part lui, seul Robin Brown peut se targuer de cette prouesse. Il n’est que la gravure qui est faite hors de ses ateliers. Voilà pourquoi la production annuelle ne dépasse jamais six à dix armes. Il y a des années, lors d’un voyage à Londres, à la veille d’une vente aux enchères organisée par Christie’s, j’ai eu le bonheur de prendre pour la première fois en main un Tony White. Il m’est apparu comme l’un des plus élégants et plus beaux fusils sans platines et sans mécanisme monté sur la sous-garde (le trigger

plate des Britanniqu­es) que j’ai eu l’occasion de voir. Le trigger-plate n’est pas vraiment un A& D, mais plutôt une fabricatio­n à mi-chemin entre le platine et le boxlock, comme le Round Action de Dickson ou de Mckay – les Allemands parlent de mécanique « Blitz ». J’aurais aimé que Thomas Gough soit à mes côtés ce jour-là, pour pouvoir lui montrer ce fusil et observer l’expression de surprise et de plaisir qui n’aurait pas manqué d’animer son visage devant sa vision devenue réelle, son voeu exaucé. Je pense que c’est ainsi qu’il imaginait un fusil Anson & Deeley, doté de sa propre personnali­té et surtout d’une incroyable beauté.

 ??  ?? Le dernier arrivé dans le catalogue Tony White & Co, un superposé à batteries détachable­s, avec devant de type Boss et bascule arrondie. La gravure de feuilles d’acanthe est signée Peter Spode. Le fusil est entièremen­t fabriqué en Angleterre et proposé dans tous les calibres.
Le dernier arrivé dans le catalogue Tony White & Co, un superposé à batteries détachable­s, avec devant de type Boss et bascule arrondie. La gravure de feuilles d’acanthe est signée Peter Spode. Le fusil est entièremen­t fabriqué en Angleterre et proposé dans tous les calibres.
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 ??  ?? De gauche à droite : Ted Atkinson (ancien de chez Scott, H& H et Westley Richards), Tony White, Matthew, son fils, et un jeune apprenti.
De gauche à droite : Ted Atkinson (ancien de chez Scott, H& H et Westley Richards), Tony White, Matthew, son fils, et un jeune apprenti.
 ??  ?? L’une des plus élégantes armes de type A& D jamais produite. Tony White pour la mise à bois, le basculage et la finition, Ted Atkinson pour le garnissage, Ryan Glyde pour les canons et Geoff Moore pour la gravure.
L’une des plus élégantes armes de type A& D jamais produite. Tony White pour la mise à bois, le basculage et la finition, Ted Atkinson pour le garnissage, Ryan Glyde pour les canons et Geoff Moore pour la gravure.
 ??  ?? Tony White concentré sur le réglage d’une détente, étape d’une exigence extrême, qui nécessite une main de maître et une longue d’expérience.
Tony White concentré sur le réglage d’une détente, étape d’une exigence extrême, qui nécessite une main de maître et une longue d’expérience.
 ??  ?? Ici, Tony White a choisi la mécanique Holland & Holland à self-opening, parce que, comme tant d’autres fabricants, il la sait fiable et robuste, parfaite pour un usage intensif. La gravure animalière a été conçue par l’artiste gallois Owen Williams et réalisée par Peter Spode.
Ici, Tony White a choisi la mécanique Holland & Holland à self-opening, parce que, comme tant d’autres fabricants, il la sait fiable et robuste, parfaite pour un usage intensif. La gravure animalière a été conçue par l’artiste gallois Owen Williams et réalisée par Peter Spode.
 ??  ?? Ce A&D de calibre 20 à batteries détachable­s, achevé en 2014, a été vendu aux enchères en 2016 pour 14 500 €. La gravure en feuilles d’acanthe a été réalisée par Geoff Moore, la mallette et ses accessoire­s par Ian Tomlin.
Ce A&D de calibre 20 à batteries détachable­s, achevé en 2014, a été vendu aux enchères en 2016 pour 14 500 €. La gravure en feuilles d’acanthe a été réalisée par Geoff Moore, la mallette et ses accessoire­s par Ian Tomlin.

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