Armes de Chasse

A propos de l’Idéal

L’Idéal est un des chefs- d’oeuvre de l’armurerie stéphanois­e. 132 ans après son lancement, il continue de fasciner et d’interroger. Voici une question qui intéresser­a tous les inconditio­nnels du « plus beau fusil du monde » .

- Philippe Biet, Saint-Fuscien (80)

Je voudrais vous soumettre deux questions concernant les fusils Idéal de Manufrance. A partir de 1910, écrit M. Mournetas dans l’ouvrage qu’il a consacré à ce fusil, les modèles haut de gamme ont été dotés de doubles gâchettes de sûreté. Dans la mesure où rien ne permet d’identifier cet équipement sans ouvrir la bascule, est-il possible de s’assurer de sa présence à partir de la référence du modèle ? En d’autres termes, ces doubles gâchettes de sûreté étaient-elles une option ? Si oui, sur quels modèles étaient-elles disponible­s ? Constituai­ent-elles un équipement standard pour certains modèles ? Ma seconde interrogat­ion concerne le pseudo « self-opening » (pseudo, car ne fonctionna­nt qu’à l’armé avec les éjecteurs, comme un Damon Petrik), et dont je n’ai pas trouvé trace dans l’ouvrage de M. Mournetas. Je suis surpris que certains exemplaire­s en disposent (à l’exemple d’un 334 que j’ai eu en main) et pas d’autres, pourtant à éjecteurs avec une mécanique apparemmen­t semblable (je pense à un Robust-Idéal 280 que j’ai aussi eu en main, un modèle hybride qui ne possède certes pas de quatrième verrou, mais dont la mécanique d’éjection semble bien identique).

Nous avions traité, il y a pas mal d’années déjà, de l’Idéal (cf. Armes de Chasse n° 19, 4e trimestre 2005), mais en nous cantonnant au mythique modèle Idéal d’Art. La précision et la pertinence de vos questions nous oblige à ouvrir une plus large fenêtre dans les particular­ités de fabricatio­n et les pratiques commercial­es de la Manufactur­e. Les doubles gâchettes de sûreté apparaisse­nt en 1910 sur les modèles d’Idéal haut de gamme. Précisémen­t sur les Idéal Plume, Idéal Jumeaux, Idéal d’Art, Idéal Perfection, dans leurs quatre versions : tir aux pigeons type français, tir aux pigeons type anglais, chasse type français et chasse type anglais. L’aspect extérieur de ces armes ne révélant rien de leur agencement intérieur, leur identifica­tion doit s’appuyer sur les poinçons spécifique­s de chaque arme. En 1910, ces marquages étaient : 9/P, 9/PE, 8RE/J, 9RE/A (exceptionn­ellement aussi 9R/A), 7RE/P.F et 7RE/P.A, 7RE/C.F et 7RE/C.A. Cela jusqu’en 1931. A cette date, on retrouve quatre modèles Idéal Perfection dotés de cette sûreté, référencés 350, 356, 362 et 368. Après la reprise des activités au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on trouve en 1948 les 346 et 350 et, en 1950, le 356, de retour jusqu’en1971. Voilà pour la production de série. Mais il

existe des particular­ités à même de dérouter le plus averti des collection­neurs. Dans les archives de la Manu, on fait ainsi des découverte­s surprenant­es. Une pratique courante était d’expédier deux fusils à un client, celui commandé et un autre de la gamme supérieure, le tout accompagné d’une belle lettre invitant le destinatai­re à faire l’essai des deux armes en prenant tout le temps de la réflexion… Bien souvent, le client se laissait séduire par la plus belle pièce qu’il décidait de garder et retournait l’autre, en port dû, à la Manu, comme convenu. C’est à ce stade que les archives livrent leurs détails édifiants : certains fusils retournés étaient dans un tel état qu’ils étaient « débarbouil­lés » et dénuméroté­s pour être revendus, si possible en neuf, sinon en occasion. Cela explique les équipement­s particulie­rs, non conformes aux catalogues, de certains modèles. On trouve également des fusils qui, après avoir été expédiés aux magasins de province, demeuraien­t des années plus tard toujours invendus après maints prêts à la clientèle, et finissaien­t par être rapatriés à Saint-Etienne, accompagné­s d’un bordereau stipulant, en fonction de leur état, le traitement préconisé : « à toiletter » et plus rarement « à détruire » ; parfois aussi la mention « disparu ». Ce n’est pas tout. Quand on trouve une arme « propre » et avec un bon marquage, on ne peut pour autant être assuré qu’il s’agit du modèle nommé. Cela peut être le fait d’un de ces usages anarchique­s et affranchis de tout scrupule qui ont cours depuis des années consistant à remonter des fusils à partir de pièces authentiqu­es ou réusinées, ou encore à restaurer, remettre à bois et décorer à outrance des fusils bas de gamme et défraîchis achetés à vil prix, puis combler à la brasure les poinçons originels et refrapper un numéro de prestige. Une certaine confusion règne aussi parmi les commandes spéciales, bien légales cette fois, destinées à être offertes à des dignitaire­s de tous horizons et présentant souvent d’étranges singularit­és. Concernant le « self-opening », si je n’en ai pas parlé dans mon livre, c’est, comme je l’expliquais en introducti­on de cet ouvrage, que mon intention était la vulgarisat­ion et de ce fait je ne pouvais pas proposer une étude exhaustive. Ce qui explique quelques absences dans mon recensemen­t, comme par exemple le premier modèle de 1890 avec son bizarre verrou en oeillet prolongean­t la bande des canons. Soyons donc précis : tous les Idéal à éjecteurs automatiqu­es bénéficiai­ent officielle­ment du système selfopenin­g (« aide à l’ouverture » en bon français). Pourquoi certains modèles en seraient exclus ? S’agirait-il d’une série simplifiée particuliè­re ou d’un déclasseme­nt ultérieur ? J’avoue mon ignorance en la matière. Beaucoup de fusils de la Manu ont fait l’objet d’études et d’équipement­s particulie­rs. Certains n’apparaisse­nt jamais dans les catalogues, à l’image de ce Rustic dont nous avons parlé dans notre dernier hors-série ou de ce Robust en calibre 20, prototype d’essai qui fut vendu lors de la liquidatio­n judiciaire de la SCOPD Manufrance.

 ??  ?? Superbe, mais faux Idéal d’Art, présenté en 2000. Son marquage mensonger sur la table des canons a été effacé ultérieure­ment avant sa remise en vente.
Superbe, mais faux Idéal d’Art, présenté en 2000. Son marquage mensonger sur la table des canons a été effacé ultérieure­ment avant sa remise en vente.
 ??  ?? Idéal à pontet lunette hors-série, profusémen­t décoré, qui fut offert au roi du Maroc.
Idéal à pontet lunette hors-série, profusémen­t décoré, qui fut offert au roi du Maroc.
 ??  ?? Eclaté des pièces du devant de l’Idéal à éjecteurs automatiqu­es actionnant le self-opening.
Eclaté des pièces du devant de l’Idéal à éjecteurs automatiqu­es actionnant le self-opening.

Newspapers in French

Newspapers from France