Beretta SL3
Le nouveau visage des superposés italiens
Dévoilé l’année passée, le Sovraposto Lusso 3 de Beretta est enfin disponible. Un fusil magnifique, qui prend place entre les inaccessibles S0 à platines et les modèles chasse de grande série, les 686 et 687. Avec lui, Beretta entre dans une ère nouvelle en matière de design, ce dont il y a tout lieu de se réjouir.
Même si je n’aime pas le reconnaître, une certaine routine peut s’installer dans les essais d’armes, qu’il s’agisse de fusils ou de carabines. Au fil des années, soumettre au même protocole des modèles assez proches en termes de lignes, de performances, de poids, mondialisation et effets de mode obligent, fait perdre au journaliste l’enthousiasme de ses débuts. Fort heureusement, de temps en temps, il y a la très bonne surprise,
l’arme que l’on essaie et qui d’emblée vous surprend, vous intrigue, vous plaît et, encore mieux, vous va comme un gant. Vous reconnaissez en elle le bel outil, l’objet parfaitement conçu et finalement le fusil ou la carabine que vous feriez vôtre sans plus attendre. C’est ce scénario idéal qui se déroula pour moi lors de l’essai du nouveau superposé semi-luxe de Beretta.
La routine est rompue
Annoncé en 2018, ce fusil à contreplatines, appelé à remplacer le Giubileo au sein de la gamme Beretta, arrive réellement en armurerie cette saison. Il est présenté comme un modèle semi-luxe, mais mérite en réalité de figurer parmi les modèles haut de gamme. Il prend place sur une marche qui surplombe les 686 et 687 à batterie et précède les SO à platines. Bien sûr, l’appellation « luxe », et même « semi-luxe », signifie un modèle hors de portée de la plupart des bourses. Pour vous consoler, vous pouvez vous dire que la part de rêve ne coûte rien. Et si vous préférez ne pas quitter terre, sachez qu’il faut s’affranchir de 21 700 € pour s’offrir ce fusil hors du commun. Le Sovraposto Lusso 3 (« superposé luxe 3 ») nous arrive dans une superbe mallette en canvas bleu roi ; l’intérieur est tendu d’une feutrine rouge matelassée. L’ensemble est superbe, on se dit que le fusil logé dans cet abri doit être exceptionnel. C’est le cas. On ouvre la mallette, on extrait de leur fourreau de coton la crosse et la bascule d’un côté, les canons et la longuesse de l’autre et on a sous les yeux une arme extraordinaire au sens littéral du terme. Les bois sont clairs mais parcourus de veines noires à l’aspect glacé qui atteste d’une ponce à l’huile et d’un bouche-porage effectués dans les règles de l’art. Une fois assemblé, le fusil en impose par sa beauté, vous ensorcelle. Il y a longtemps, je l’avoue, qu’un modèle de série, même s’il s’agit ici d’une petite série, ne m’avait autant plu. Les lignes sont fluides, nerveuses, à la fois modernes et classiques. Beretta s’est inspiré du travail du designer australien Marc Newson qui avait revisité le juxtaposé à bascule ronde de la marque, le 486 Parallelo, pour donner au SL3 une relime à la fois ronde, fine et très affirmée grâce à ses filets nombreux et imposants. La bascule est à l’image du travail effectué sur le 486, basse mais étirée vers le haut avec un dessin des coquilles très nerveux, mince du fait d’une épaisseur réduite à sa plus claire expression et en même temps dotée de beaucoup de relief.
Mariage d’élégance et d’originalité
Les contre-platines sont peu hautes, notamment dans leur partie arrière, elles ne viennent pas s’unir à la crosse sur une surface plane comme c’est souvent le cas avec un corps de crosse traditionnel qui se termine parfois par une goutte ou une pointe. Le bois reste rond et sans angle, sans cassure. Cette relime, dite Lebeau, ne surcharge pas la contre-platine et lui apporte beaucoup de finesse. La partie avant est assez haute et soulignée par un large bouquet de roses. La relime supérieure est rehaussée d’un renfort (ou filet à moustache), tel qu’on en trouve sur certains anciens express juxtaposés, mais ici il a été affiné et redessiné. Il est vierge de toute gravure et a été poli miroir, ce qui lui donne plus de présence. C’est ce renfort qui a été choisi par Beretta comme logo du SL3. L’aileron de canon trapézoïdal et bronzé noir, qui joue aussi le rôle de portée de recul, vient presque se poser sur ce renfort (ou filet à moustache). Derrière, la coquille supérieure forme une ogive presque parfaite, que la coquille inférieure souligne en remontant vers la clé de bascule parallèlement au filet. Enfin, la petite clé, fine et plate, à l’identique du 486 Parallelo revisité
par Marc Newson, remonte presque à l’oblique pour donner au pouce un meilleur appui à l’ouverture. Les deux coquilles et le filet offrent des épaisseurs différentes, comme une construction pyramidale. Plus le regard s’élève, plus l’arme s’affine. Le filet est plus épais que la coquille inférieure, elle-même plus large que celle qui la coiffe. La bande de visée constitue le sommet de la pyramide. C’est le même principe qui avait été retenu par Robertson en 1909 lorsqu’il avait inventé le superposé Boss, il y a pire référence ! Cette relime est accompagnée d’un pontet totalement nouveau, ovale et ouvert, et d’un double jambage arrière tronqué, qui renforce l’impression de légèreté.
Bouquets de roses et tapisserie anglaise
Le modèle qui nous a été confié a reçu une trempe grise vieil argent, qui mérite parfaitement son nom, et une ornementation très couvrante, une fine gravure anglaise bouquet. Trois bouquets de roses courent sur les contre-platines, une rosace prend place sur le tourillon de basculage, les noms Beretta et SL3 habillent avec discrétion et élégance la partie haute de la bascule qui suit l’aileron de canon. Sous la bascule, on retrouve trois bouquets de roses ovales, un quatrième habille le pontet. Les zones restantes sont ornées de petits rinceaux de type Churchill, ou tapisserie anglaise comme on les appelle en Belgique. Deux autres ornementations sont proposées outre cette anglaise bouquet : une composée de feuilles d’acanthe, profonde, façon fond creux, et une gravure animalière – faisans à gauche, canards à droite et perdrix en dessous. Ces décors tous très beaux et très couvrants sont obtenus à l’aide d’une nouvelle machine laser à cinq axes qui n’étire plus les traits dans les courbes et les angles de la bascule. Le dessin qui en résulte pourrait presque être signé de la main de l’homme. Une version poli miroir, totalement nue, est aussi proposée, avec un supplément de prix du fait d’un travail de polissage plus intense, ainsi qu’une version à graver, forcément la plus chère puisque vous déciderez de l’ornementation et de celui qui la réalisera parmi les graveurs de Beretta. Quel que soit l’angle sous lequel on regarde ce fusil, on est surpris par sa finesse, son originalité et sa façon de se distinguer des autres armes de la marque tout en leur empruntant ce qu’elles ont de meilleur. Le même constat va être fait concernant ses caractéristiques mécaniques. Malgré la bascule très basse, ce n’est pas le traditionnel verrouillage tronconique des 686 et 687 qui a été choisi, mais celui du plus récent S0, le SO10, un verrouillage bas de type Boss. Il s’articule autour de deux larges verrous rétractables et rectangulaires logés dans les tonnerres qui, à la fermeture, viennent prendre appui sur deux protubérances découpées dans la partie basse de la frette des canons. Le verrouillage s’opère métal contre
métal, avec des pièces massives et à hauteur de la moitié du canon inférieur, c’est du solide ! Comme sur toutes les armes fines et semi-fines de la marque, les portées de recul sont amovibles, maintenues par une seule vis, et peuvent toujours être remplacées en cas de réajustage. Les canons pivotent sur des tourillons et la bascule ne mesure que le strict minimum pour abriter la frette des canons, de dimension réduite elle aussi puisqu’elle se limite à la seule hauteur des deux tubes positionnés l’un sur l’autre.
Acier Excelsior
Pour le choix de la canonnerie, une logique d’uniformisation de la production semble avoir prévalu. Notre fusil est un 12/76 mm. Le calibre 12/70 mm tend à disparaître, sans doute par souci de réduction des coûts. C’est particulièrement regrettable avec ce genre de fusil fin, qui ne verra sans doute pas de cartouches magnum ou même semi-magnum de toute son existence. Les canons sont ceux du 691 et des nouveaux 686, réalisés en acier Excelsior HSA Steelium, un alliage tripartite au comportement sans faille et conçu pour optimiser la gerbe. La frette des canons est habillée d’une gravure en guimpe censée masquer la soudure mais qui hélas la rend encore plus visible. Un montage en berceau du tube supérieur aurait évité cette faute esthétique, particulièrement malvenue sur une arme de ce prix et de cette beauté. Les tubes de notre SL3 possèdent des âmes suralésées à 18,6 mm pour un calibre 12. Ces alésages sont de type Optima Bore, c’est-à-dire associés à une âme spécifique des canons. On trouve deux nouveaux cônes de raccordement de 80 mm de long à la bouche et à la sortie des chambres. Ils améliorent la gerbe des plombs
en facilitant leur sortie de la chambre et en diminuant la pression et les frottements au passage des chokes. L’absence de marche en sortie de chambre et le long cône limitent le recul et la déformation des plombs, si préjudiciable au bon comportement de la gerbe. Il en est de même à l’autre extrémité des canons : passage des chokes facilité, chokes Optima Bore également et allongés pour un meilleur rendement. Ces chokes mesurent
70 mm et cinq rétreints sont livrés avec l’arme, full, trois quarts, demi, quart et lisse. Les trois derniers sont conseillés pour l’emploi de billes d’acier dans ce fusil frappé de la fleur de lys. Les canons sont bronzés dans un noir profond et légèrement brillant. Ils sont soudés à l’argent au niveau de la frette et à l’étain au niveau des bandes intermédiaires, qui sont pleines, et de la bande de visée, ventilée – nous l’aurions préférée pleine, avec un petit supplément de poids certes, mais d’une élégance plus appropriée pour ce fusil. La bande droite mesure 6 mm ; une bande fuyante débutant à 9 mm pour s’achever à 6 mm est également proposée. Les canons sont disponibles en quatre longueurs, 66, 71 (celle du modèle que nous avons testé), 76 et 81 cm. Ce large choix est encore complété par une version en 76 cm avec des chokes fixes, demi et quart, ce qui fait du SL3 la seule arme Beretta à disposer de rétreints fixes à l’ancienne. La crosse est tirée d’un bloc de noyer, classé en grade 4 chez Beretta mais qui recevrait 5, 6 ou même 7 étoiles chez bien d’autres fabricants. Sur notre fusil, elle est de type Prince de Galles ; elle est aussi proposée en relime anglaise et pistolet. Deux pentes sont disponibles, 35/55 ou 38/60 mm. Le noyer a été poncé à l’huile dans les règles de l’art. Le bouche-porage est parfaitement réalisé, donnant cet aspect glacé qui est l’apanage d’une finition à la main par des artisans aguerris. La teinte est assez claire, presque blonde. Si, contrairement à moi, vous n’êtes pas séduit par cette nuance, vous pourrez demander que le bois soit foncé avant ou après la livraison de l’arme. La crosse mesure 37 cm. La longuesse est classique et affinée au niveau des canons, c’est un choix assez rare aujourd’hui mais très élégant. Le quadrillage est discret, à double pointe et à simple filet.
Une voie d’avenir
A l’instant où je fermais ce fusil et le prenais en main alors que le plateau quittait le lanceur, je savais que son ramage valait son plumage ! L’équilibre et la maniabilité s’affirment, une sensation inexplicable m’envahit. Non seulement le SL3 fonctionne parfaitement, même si cette fois encore les éjecteurs Beretta sont bien mous, non seulement il dégage de la solidité et de la sérénité, mais il procure un vrai plaisir à la prise en main et au tir. C’est certes bien le moins pour un peu plus de 20 000 €, mais ce n’est pas toujours le cas ! Il arrive même que des fusils peu coûteux se comportent mieux que la version plus chère proposée par une même marque. J’ai pu le penser au sujet de Beretta, moi qui n’étais pas un grand supporter du Giubileo. Mais rien de tel avec le SL3, dont l’essai s’est terminé trop vite à mon goût. Cette fois, le fabricant signe un quasi-sans-faute. Le fusil « me tombe parfaitement » et mes résultats sont flatteurs. Si mon enthousiasme est partagé par d’autres, qui sait, ce modèle de petite série pourrait servir de base aux prochains superposés de grande série et incarner l’avenir du design Beretta. C’est en tout cas un souhait que je fais pour la firme italienne qui, dans sept petites années, entamera son sixième siècle d’existence.