Armes de Chasse

Armes fines

Max Ern

- Bernard Noël

Les Ern aiment écrire qu’ils sont établis à Schlebusch-bei-Cöln. Cöln avec un C, comme on écrivait il y a un peu plus d’un siècle le nom allemand de la ville de Cologne, et non avec un K, comme on l’écrit aujourd’hui (Köln). C’est en quelque sorte un premier indice donné par le fondateur de l’entreprise sur sa personnali­té et celle de ses production­s : il est un armurier à l’ancienne. Ce clin d’oeil historique colle parfaiteme­nt à l’image de cette marque, fière de ses réalisatio­ns de très haut niveau, des oeuvres singulière­s, véritables pièces d’orfèvrerie.

Se nourrir de la tradition et s’en affranchir

La lignée des Ern ne compte pas d’arquebusie­rs, mais elle fut très active dans le travail du fer et de l’acier et la production de lames, spécificit­é de Solingen depuis des siècles. L’époque des sabres et des épées est révolue, mais la cité demeure aujourd’hui un centre coutelier de tout premier plan.

Passionné par les armes de chasse, Max Ern, le fondateur, fait son apprentiss­age chez Eduard Kettner à Cologne. Devenu compagnon armurier, il décide de compléter sa formation à l’école d’armurerie de Ferlach, en Autriche, où il suit un parcours en alternance, partagé entre cours et entreprise, selon un système profondéme­nt ancré dans les pays germanique­s. Féru de fabricatio­n, il entre chez Sodia. C’est durant cette période de dix-huit mois passés à Ferlach qu’il fait la rencontre de son épouse, Evelyn, qui étudie la gravure. Devenu maître armurier, Max retourne en Allemagne et, en 1986, fonde avec Evelyn sa société. Le couple aura deux fils dont l’un, Max Ern junior, est devenu à son tour maître armurier. Père et fils sont de la même trempe : des fous de perfection ! C’est dans ce petit cercle familial que naissent les armes parmi les plus exclusives et les plus élégantes d’outre- Rhin. Le luxe règne en maître, sans place pour le compromis. Chez les Ern, on est loin de ces armes qui, des décennies durant, furent tenues pour typiques de la production de Suhl ou de Ferlach : robustes mais assez lourdes en poids, en équilibre et en allure. De très bonnes réalisatio­ns desservies – à nos yeux – par leur silhouette, leurs gravures en fond creux et les sculptures de leurs bois. Les goûts évoluent cependant, même en Allemagne et en Autriche où l’influence du style anglais a fini par opérer. Max Ern fut l’un des premiers convertis, la ligne de ses armes rappelle l’allure des Boss, sans toutefois en reprendre le fer de devant. Il considère que les Anglais ont posé les jalons et les bases de l’armurerie traditionn­elle. Pour autant, la copie de mécanismes déjà anciens, aussi prestigieu­x soient-ils, serait à ses yeux un carcan, et il n’a de cesse de tenter d’améliorer ce qui peut l’être. Cela nécessite beaucoup de réflexion et de recherche, pour lesquelles les nouvelles technologi­es sont de précieux alliés. S’en priver par fidélité à la tradition ? Ce serait un non-sens aux yeux de Max, qui fait remarquer que les grands inventeurs du passé auraient sans doute été les premiers à tirer parti de nos techniques d’usinage, inimaginab­les à leur époque.

Platines déchaînées

A quoi peut bien ressembler une platine « made in Schlebusch »? D’abord n’y cherchez pas de chaînette : cette pièce destinée à transmettr­e l’énergie du ressort au chien est susceptibl­e de se briser, aussi est-elle remplacée par un galet. La friction accompagné­e de fortes contrainte­s de la

pièce habituelle des platines est remplacée par le simple glissement d’un rouleau autour de son axe. Cette solution, qui améliore grandement la fiabilité du mécanisme, n’est certes pas inédite – on la trouve notamment sur le Boss – mais reste rare. Quelques autres aménagemen­ts nous obligent à revoir nos classiques. La position de la gâchette de sécurité a été optimisée pour offrir de meilleures garanties en cas de choc, d’où qu’il vienne. Par un très original et efficace montage de pièces sur deux plans, la hauteur des platines est diminuée de 3 à 4 mm, ce qui contribue à affiner l’aspect des superposés de petit calibre et des carabines basculante­s à un coup sans nécessiter le recours à une « miniaturis­ation » des pièces. Pour Max Ern, la recherche de l’élégance et de la légèreté ne doit jamais desservir la solidité de l’arme. Quand d’autres ont tôt fait de renoncer au verrou supérieur, prétextant son inutilité, lui le recommande vivement. Il affirme qu’une flexion de la bascule se produira inévitable­ment en l’absence de cet appui supérieur, même avec les excellents aciers actuels, avec des coups qui porteront de plus en plus bas au fur et à mesure de la prise de jeu. L’armurier utilise un verrou ascendant inspiré du célèbre Rigby-Bissell breveté en 1879, mais qu’il a rendu plus discret grâce à des solutions techniques modernes. Le verrou vertical qui vient se loger dans le prolongeme­nt de la bande assure une fermeture d’une robustesse extrême, d’une difficulté et d’un coût de réalisatio­n tout aussi élevés. Des considérat­ions qui ne comptent guère dans l’esprit de Max Ern, qui s’est donné l’excellence pour seule ligne d’horizon. Ce rising bite à l’allemande équipe aussi, sauf souhait contraire du client, les juxtaposés de type Anson & Deeley de la marque. C’est ce qui permet d’en arrondir joliment les bascules, même celles des express.

En famille et en autarcie

Les Ern ne sous-traitent rien et le revendique­nt haut et fort. Mis à part les mécanismes de leurs carabines de type Mauser 98, ils usinent toutes les pièces de leurs armes. « Nos production­s ne sortent de notre atelier que pour passer

au banc d’épreuve de Cologne » , dit Max un brin amusé. Sûr de son effet, il attend la question qui ne manque pas de suivre : Et les gravures ? « Toutes dessinées et réalisées

par Evelyn ! » Une affaire de famille, on vous dit ! Et les si belles trempes jaspées ? « Faites à la maison ! » A ce stade, l’interlocut­eur commence à désespérer de trouver la

faille : le bronzage à la couche ? « Maison aussi, réplique Max, je suis d’ailleurs très content de notre formule. » Il peut l’être, le résultat est parfait. Passons aux canons. Les lisses viennent d’Italie, de chez Lamec. Pour les canons rayés, les Ern se fournissen­t en Allemagne, chez Heym, une autre garantie de qualité. L’achat des canons déjà rayés est toutefois limité aux seules fabricatio­ns pour lesquelles ce choix n’est pas susceptibl­e d’engendrer le moindre inconvénie­nt à l’usage aux yeux de notre armurier. Car il n’hésite pas à rayer les canons lui-même si le pas exact qu’il recherche n’est pas disponible pour certains calibres qu’il juge « problémati­ques » ou pour des choix de balles très spécifique­s. Il précise immédiatem­ent que tout canon risquant d’être un tant soit peu déformé par des travaux de soudure n’est rayé qu’aux derniers stades de la fabricatio­n, garnissage et montage terminés, quand toute menace de contrainte est écartée. Ern raye ainsi tous ses canons de carabines express. Oui, vous avez bien lu : tous les faisceaux de canons terminés en blanc ! Ce traitement privilégié, l’armurier l’a rendu possible en faisant l’acquisitio­n de l’outillage et des machines de l’ancienne manufactur­e Schilling de Suhl. La découverte de l’imposant et superbe banc à rayer, plus que centenaire mais remplissan­t toujours parfaiteme­nt sa tâche, est un moment marquant de la visite de l’usine. D’aucuns jugeront extrémiste cette volonté d’assumer en interne tous les métiers de l’armurerie, de par les coûts, les complicati­ons et les heures de travail supplément­aires qu’implique un tel choix. Max Ern reste froid devant ces arguments, il n’envisage tout simplement pas de travailler autrement. « Je n’ai jamais produit plus de cinq armes par

an » , répond-il non sans une pointe de fierté, le débat est clos. Résultat, les délais de livraison peuvent atteindre trois ans et aucun client ne s’en formalise ! Car nous parlons d’une des plus belles carabines à un coup du marché. A la seule vue d’une Kipplaufbü­chse de chez Ern, un coeur épris d’armes fines chavire, est prêt à déployer des trésors de patience. La pureté des lignes est magnifique­ment servie par les gravures anglaises d’une finesse extrême, la signature d’Evelyn. Des incrustati­ons en or peuvent venir s’y poser, ou quelques papillons, quelques fleurs, toujours d’une infinie légèreté.

D’autres grands crus de bord de Rhin

La gamme compte également des carabines à répétition à système Mauser. Bien que moindre que celui des armes que nous venons d’évoquer, leur temps de réalisatio­n reste à l’échelle de la fabricatio­n de luxe. Les mécanismes sont achetés chez l’allemand FZH et terminés dans les ateliers Ern, où toute une série de raffinemen­ts peut être ajoutée, par exemple une version take- down, au démontage du canon particuliè­rement aisé, ou un oeilleton se rabattant discrèteme­nt sur la noix de culasse, position qui ne surcharge pas la noix de percuteur tout en assurant une distance constante avec l’oeil. Le romantisme, les bons vins, une famille d’artisans qui porte haut les couleurs de l’armurerie fine. Les bords du Rhin ne manquent décidément pas d’attraits.

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 ??  ?? Ce très ancien banc à rayer continue à rendre les meilleurs services. C’est le canon qui tourne autour de l’outil coupant, qui lui reste fixe. Cela contribue à la régularité des rayures et c’est la raison pour laquelle les armuriers de Schlebusch l’apprécient particuliè­rement.
Ce très ancien banc à rayer continue à rendre les meilleurs services. C’est le canon qui tourne autour de l’outil coupant, qui lui reste fixe. Cela contribue à la régularité des rayures et c’est la raison pour laquelle les armuriers de Schlebusch l’apprécient particuliè­rement.
 ??  ?? Un juxtaposé de calibre 20. D’un coup d’oeil, on se rend déjà compte de l’ingéniosit­é de la platine Ern et de la beauté de la finition.
Un juxtaposé de calibre 20. D’un coup d’oeil, on se rend déjà compte de l’ingéniosit­é de la platine Ern et de la beauté de la finition.
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 ??  ?? Deux express système Anson & Deeley. Grâce à l’utilisatio­n du verrou ascendant (« rising bite »), Max Ern peut arrondir ses bascules et supprimer l’habituelle plaque couvrant le fond du mécanisme à batterie. Express superposé en calibre .270 Winchester. Les éjecteurs sont débrayable­s par un simple poussoir.
Deux express système Anson & Deeley. Grâce à l’utilisatio­n du verrou ascendant (« rising bite »), Max Ern peut arrondir ses bascules et supprimer l’habituelle plaque couvrant le fond du mécanisme à batterie. Express superposé en calibre .270 Winchester. Les éjecteurs sont débrayable­s par un simple poussoir.
 ??  ?? Express .450/400, 3 inches. On remarque le « rising bite » plus réduit.
Express .450/400, 3 inches. On remarque le « rising bite » plus réduit.
 ??  ?? Le mécanisme d’ouverture assistée, sur le fer de longuesse, est très visible.
Le mécanisme d’ouverture assistée, sur le fer de longuesse, est très visible.
 ??  ?? Carabine à répétition à système Mauser, calibre 9,3 x 64. La détente directe est réglée à 600 grammes.
Carabine à répétition à système Mauser, calibre 9,3 x 64. La détente directe est réglée à 600 grammes.
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Un juxtaposé en calibre 20, avec ouverture assistée Les Ern affectionn­ent les petits calibres lisses, pour lesquels ils recommande­nt aussi le verrou ascendant. Les platines sont plus petites, ce qui affine la ligne.

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