Armes de Chasse

Damon-Pétrik cet inconnu

Superbe et étonnant superposé français

- Texte et photos Louis-Pierre Pestourie, Brive-la-Gaillarde

Superbe et étonnant superposé français

Damon-Pétrik… Ce nom est à la fois parmi les plus connus de l’armurerie françaises et le plus mal connu. Les superposés produits par ce fabricant, reconnaiss­ables à leur verrou tuile venant coiffer les canons, sont familiers à beaucoup d’entre nous, mais nous ignorons tout de leur histoire. Il est temps de lever le voile.

Lorsque j’ai découvert dans les pages de ce magazine un courrier de lecteur intitulé « Un Pétrik sans Damon » , il y a déjà un an ( dans Armes de Chasse n° 70), je me suis dit qu’il était de mon devoir d’apporter à ce lecteur les précisions qui étaient en ma possession. Je suis un passionné de cette marque depuis des années, ce qui m’a conduit à m’intéresser à son histoire et ce faisant en éclairer des aspects mal connus et mettre au jour pas mal d’approximat­ions, voire d’inexactitu­des. Car avouons que la marque n’a pas toujours été traitée à sa juste valeur dans les ouvrages consacrés à l’épopée des armes cynégétiqu­es. Ainsi, PierreLoui­s Duchartre, dans son Histoire des armes de chasse et de leurs emplois, publiée en 1955, ne parle que des verrous latéraux de type Francotte sans un mot pour le verrou tuile des Pétrik. Plus près de nous, en 1990, Dominique Venner évoque au sujet de Damon-Pétrik « une fabricatio­n post-Seconde Guerre mondiale » . Je vais donc tâcher de reconstitu­er ici l’histoire, la vraie, de cette firme. Boniface Pétrik n’est pas d’origine suédoise mais tchèque. Il est né le 5 mai 1880 à Temice, petit village de Moravie, avant d’être naturalisé français en 1926. Il n’est pas non plus ingénieur, mais bien arquebusie­r et

possédait une armurerie à Paris, jusqu’au jour où il décida, vraisembla­blement aux alentours de 1910, d’aller s’installer à Bayonne.

Un cadeau pour sa femme

Pétrik fait ce choix du grand SudOuest pour que son épouse puisse pratiquer à loisir son sport favori : le tir aux pigeons vivants. La ville balnéaire de Biarritz est alors courue par les fins tireurs, dont fait partie Mme Pétrik, redoutable compétitri­ce dont on retrouve fréquemmen­t le nom dans le palmarès des épreuves de tir aux pigeons de cette période. Son arquebusie­r de mari se dit qu’un fusil superposé pourrait faciliter la visée de sa femme et à sa suite celle de tous les tireurs sportifs. C’était il y a plus de cent ans et aucun fusil superposé basculant et hammerless capable de concurrenc­er le juxtaposé n’existe alors en Europe – les quelques super

posés à bloc tournant fabriqués depuis le début du XVIIIe siècle n’étant pas en mesure de faire le poids. Boniface suit son idée et se met au travail, et se confronte bien vite aux premières difficulté­s : comment verrouille­r le canon supérieur ? Avec quel type de crochets ? Et comment aborder la percussion, difficile à assurer autrement que par des percuteurs obliques ?

Si le fusil final qui naîtra de ces recherches est connu et a été sérieuseme­nt décrit par les spécialist­es, on ignore tout des deux prototypes que l’armurier fabriqua pour son épouse. On peut toutefois supposer que les premiers modèles Damon en sont très proches. Ils possédaien­t une fermeture à tuile conique – d’une précision incroyable et qui rapproche le point d’accrochage de la source d’effort –, deux étriers latéraux et des canons sans bande intermédia­ire, ce qui supprime les vibrations latérales. En 1913, Jean Breuil a 37 ans et s’installe fabricant de canons à SaintEtien­ne. Il possède déjà une belle expérience : à 13 ans, il devenait apprenti, il forgeait des canons damas à 17 ans et passait avec succès les examens pour acquérir le titre d’ouvrier d’art, à sa majorité, 21 ans à cette époque. Mme Pétrik, qui outre d’être une fine gâchette est avertie sur la technique des armes, exige les canons de Jean Breuil, très fier, aux dires de la presse de l’époque, de mettre ses fabricatio­ns au service de la célèbre dame. Plus tard, Damon basculera des canons Jean Breuil, mais pas n’importe lesquels, ceux réalisés avec les aciers fins et spéciaux Jacob Holtzer. Un peu plus tard encore, dans les années 50, les Etablissem­ents Damon rachèteron­t la canonnerie Jean Breuil (ce dernier aura donc travaillé environ 65 ans), mais fabriquero­nt aussi leurs propres canons Vulcain, d’excellente qualité, avec des aciers fins.

Devant les Purdey, Beesley, Boss…

Bien que rien ne nous renseigne à ce sujet, on peut penser que le succès du fusil de Boniface Pétrik fut immédiat au vu de ses qualités inédites : facilité de visée et de mise en joue, équilibre remarquabl­e, pénétratio­n et vitesse des plombs optimales du fait de l’étanchéité presque parfaite entre la frette et la bascule coiffée par la tuile conique. La très forte pression des gaz et leur absence de déperditio­n obtenue grâce à ce verrouilla­ge assuraient le tireur de disposer d’une gerbe rapide et meurtrière, ce qui a toute son importance lorsqu’il s’agit de tuer des pigeons vivants et non de casser des plateaux d’argile. Les premiers exemplaire­s Pétrik obtiennent la médaille d’or à l’Exposition de Londres en 1912. Ainsi, cette année-là, une arme française est désignée premier et meilleur superposé au monde, devançant les célèbres Purdey, Woodward, Boss, Beesley, Francotte. La surprise est de taille. A la même époque, plusieurs armuriers anglais font breveter des modèles de superposés, mais la plupart sont lourds, mal équilibrés et froidement accueillis par le public. Le superposé Boss (1909) et celui de Woodward (1913) sont de notables exceptions, en comparai

son desquelles le modèle de Purdey, avec ses multiples verrous, fait pâle figure. Quelque trente ans plus tard, en 1948, Tom Purdey rachètera Woodward en partie pour « récupérer » son superposé. Après les modificati­ons apportées par E. D. Lawrence sur les percuteurs, les platines, la sûreté et la clef d’ouverture, le premier superposé Purdey sera livré en 1950. Soit 38 ans et deux guerres après la médaille d’or du superposé de Pétrik à Londres. Hélas, deux ans seulement après cette médaille d’or, l’Europe entre en guerre et les armes de chasse deviennent comme tout le reste hors sujet. Au lendemain du conflit, deux amis chasseurs, dont on a perdu la trace, qui avaient entendu parler des fusils Pétrik négocient le rachat du brevet. Il leur reste à trouver un fabricant, on leur conseille les Etablissem­ents Damon à Saint-Etienne, spécialist­es de la mécanique de précision.

Le Superposé Français

André Damon (1884-1950), successeur de la Manufactur­e mécanique d’armes Damon et Rochette, qui fabriquait des carabines à système Flobert, à système Warnant et à verrou genre Gras, accepte de réaliser quelques prototypes et négocie la fabricatio­n pour son compte en série. Le premier fusil de série apparaît sur les registres en novembre 1926, avec la mention

« numéro 1 » et le marquage « Damon Pétrik » . Auparavant le fusil Pétrik avait fait l’objet de dépôts de brevets dans les principaux pays européens

et aux Etats-Unis (l’identité de la personne qui en a fait la demande ne nous est pas parvenue) : France, 1919-19201921-1922 (quatre brevets différents) ; Angleterre, 1920-1922 ; Belgique, 1920-1922 ; Italie, 1920 ; Etats-Unis, 1922-1924 ; Autriche, 1920 ; Allemagne, 1920-1922 ; Tchécoslov­aquie, 1920-1922 ; Espagne, 1924. Sur une vue du catalogue anglais Lepersonne de 1927, on peut lire le numéro du brevet français 512 493 (du 27 mars 1920) gravé sur le canon. « Le Superposé Français, marque déposée, fabricatio­n Damon, système

Pétrik breveté SGDG » : c’est sous cet intitulé que l’on trouve la trace du superposé Pétrik dans les publicités et catalogue Damon. Une telle formulatio­n était propice à générer pas mal d’approximat­ions… Tentons d’y voir plus clair. La marque Pétrik appartenai­t aux deux chasseurs anonymes cités plus haut. A leur disparitio­n, dans les années 1930, André Damon fait déposer la marque « Le Superposé Français ». La fabricatio­n du fusil de chasse représente alors une part essentiell­e de l’activité : 10 000 fusils sont produits entre 1926 et 1932, auxquels s’ajoute la réalisatio­n de pièces de haute précision, roulements spéciaux, broches à grande vitesse pour l’industrie textile. Plus tard, Damon négocie avec les héritiers des deux chasseurs le rachat de la marque Pétrik et la marque « Damon Pétrik » refait alors son apparition. Ce double nom ne peut être mieux porté : le succès du fusil réside dans la conjugaiso­n du génie de Boniface

Pétrik et de la précision de fabricatio­n des Etablissem­ent Damon. Damon modernise le fusil et abandonne progressiv­ement le système sur étriers à partir de 1942 (le dernier fusil de ce type sera fabriqué en 1947) pour celui sur tourillons. Le verrou à tuile (brevet Pétrik) qui coiffe le canon et coulisse vers l’arrière sous le mouvement de la clef est en effet si résistant qu’associé au basculage sur tourillons, qui assurent une assise solide des canons dans les flancs de la bascule, il se passe de tout autre système, crochets ou verrou supplément­aire. Le système à tourillons a été inventé par Pidault, arquebusie­r à Auxerre en 1885 et se retrouve sur le Boss superposé. Les premiers tourillons ont un large crochet interne, puis deux crochets traversent la bascule par deux lumières et sont visibles à l’extérieur (cf. photo p. 104).

L’arrêt des machines et d’une histoire

Après la mort de M. Damon en 1950, la société sera gérée jusqu’à sa fermeture, en 1984, par ses deux fils et sa fille. J’ai eu la chance de rencontrer cette dernière, Mme Cizeron, dans les années 1990. Je me souviens de mon émotion lorsque je suis arrivé au 7 rue des Francs-Maçons, à Saint-Etienne, quelques années après la prononciat­ion de la liquidatio­n amiable. Mme Cizeron m’attendait à l’entrée de l’usine, dont nous avons fait ensemble la visite. En passant la porte, je remarquais la pendule de pointage arrêtée, certaineme­nt, à la dernière heure du dernier jour de fabricatio­n. Le silence absolu qui régnait procurait une sensation bien étrange dans ces ateliers remplis de machines, toutes à l’arrêt. Au pied des fraiseuses, des caisses remplies de pièces de rebus (bascules, frettes, pontets) me permirent d’appréhende­r les différente­s opérations mécaniques de la fabricatio­n du fusil. Mon hôtesse m’autorisa à consulter les registres de production année par année. C’est peu de dire que dater les fusils Damon est difficile. La numérotati­on change avec les calibres, les étriers et les tourillons, les extracteur­s et les éjecteurs. Les notes rapides que j’ai pu prendre m’ont toutefois permis de dater la plupart des fusils de la marque à partir du n° 1, en novembre 1926, jusqu’au dernier, sans doute vers 1983. Les numéros 1, 2, 3 et 4 n’ont pas d’éjecteur, le 6 en possède, le 7 est avec faux corps de renforceme­nt, le 8 avec faux corps de platines encastrés et indépendan­ts, verrou obturateur automatiqu­e et canons avec double crochet de recul. On dénombre aussi quelques Duchâteau à platines et contre-platines. Il existe aussi quelques fermetures de type Francotte. Je connais même un express en calibre 9,3 x 74 R fabriqué avec une bascule et une frette Damon. Avec les divers supplément­s proposés lors de la commande, la diversité des modèles était grande. Comme la plupart des manufactur­es, les Etablissem­ents Damon mentionnai­ent sur leur catalogue des modèles « bis » (il y eut des numéros 1 bis, 2 bis et 3 bis), assemblés par les meilleurs ouvriers et bénéfician­t de pièces de choix, sélectionn­ées parmi les mieux usinées. Ces fusils n’étaient pas identifiés par un marquage particulie­r, mais sont reconnaiss­ables par un oeil averti. Mon modèle préféré est le numéro 2, avec la bande entre les deux canons et un basculage sur tourillons ; les calibres 12 que je possède pèsent 2,6 kg. Je détiens aussi un numéro 1 en calibre 16 ( 2,3 kg), qui est un régal pour chasser la bécasse. Mes fils ont des numéros 2 de calibre 20 fabriqués avec des bascules de calibre 16 ; il pèsent 2,6 kg et leur frette est plus épaisse. Comme j’aime ces fusils légers, que ce soit pour chasser le lièvre aux chiens courants sur les causses du Lot et de la Lozère, du mont Aigoual ou la bécasse au chien d’arrêt sur le plateau de Millevache­s… Me revient en mémoire une lettre écrite à Molsheim en 1931 et adressée à André Damon : « J’ai des fusils d’autres constructi­ons de même modèle, et je suis très heureux de pouvoir dire que je considère votre constructi­on comme tout à fait supérieure. L’arme est excessivem­ent légère et le fini des détails est tout à fait exceptionn­el. » Ces mots sont ceux d’un certain Ettore Bugatti, le célèbre fondateur de l’enseigne automobile de luxe et de compétitio­n. Tout est dit, fermez le ban !

 ??  ?? Deux Damon-Pétrik numéro 2, avec leur gravure anglaise et la bande intermédia­ire entre les canons. Ces fusils « un peu plus soignés », ici un 12 et un 20 magnum, ont la faveur des amateurs qui souhaitent des fusils fiables et légers.
Deux Damon-Pétrik numéro 2, avec leur gravure anglaise et la bande intermédia­ire entre les canons. Ces fusils « un peu plus soignés », ici un 12 et un 20 magnum, ont la faveur des amateurs qui souhaitent des fusils fiables et légers.
 ??  ?? Damon-Pétrik hammerless à canon superposé (catalogue Lepersonne de 1927).
Damon-Pétrik hammerless à canon superposé (catalogue Lepersonne de 1927).
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 ??  ?? Des catalogues du Superposé Français, avec un éclaté montrant les percuteurs obliques du Damon, et un catalogue Damon où ne figure pas encore le Damon-Pétrik.
Des catalogues du Superposé Français, avec un éclaté montrant les percuteurs obliques du Damon, et un catalogue Damon où ne figure pas encore le Damon-Pétrik.
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 ??  ?? A gauche, la bascule à système à étriers, à droite, celle à tourillons et à lumières, destinées à recevoir les crochets traversant­s.
A gauche, la bascule à système à étriers, à droite, celle à tourillons et à lumières, destinées à recevoir les crochets traversant­s.
 ??  ?? Un calibre 20 magnum sur une bascule de 16, l’épaisseur de la frette permettait d’utiliser un chambrage de 76 mm.
Un calibre 20 magnum sur une bascule de 16, l’épaisseur de la frette permettait d’utiliser un chambrage de 76 mm.
 ??  ?? Jean Breuil, le choix de madame Pétrik…
Les 3 types de frettes fabriquées par DamonPétri­k par ordre chronologi­que : en haut, la première avec le système à étrier, au milieu, le premier modèle à tourillons avec le large crochet intérieur et, en bas, le modèle à tourillons toujours mais à crochets longs et traversant­s.
Jean Breuil, le choix de madame Pétrik… Les 3 types de frettes fabriquées par DamonPétri­k par ordre chronologi­que : en haut, la première avec le système à étrier, au milieu, le premier modèle à tourillons avec le large crochet intérieur et, en bas, le modèle à tourillons toujours mais à crochets longs et traversant­s.
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 ??  ?? Vue du dessous des trois bascules correspond­ant aux frettes de la page précédente. A gauche, le modèle à étriers, au milieu, celui à tourillons (dont on note le rare pontet court) et, à droite, celui à tourillons et crochets traversant­s. Quelques express ont été fabriqués avec la bascule Damon-Pétrik, ici un 9,3 x 74 R.
Vue du dessous des trois bascules correspond­ant aux frettes de la page précédente. A gauche, le modèle à étriers, au milieu, celui à tourillons (dont on note le rare pontet court) et, à droite, celui à tourillons et crochets traversant­s. Quelques express ont été fabriqués avec la bascule Damon-Pétrik, ici un 9,3 x 74 R.
 ??  ?? Comme un hommage, le fabricant belge Duchâteau réalisera quelques superposés à platines avec une bascule de type Pétrik à verrouilla­ge tuile.
Comme un hommage, le fabricant belge Duchâteau réalisera quelques superposés à platines avec une bascule de type Pétrik à verrouilla­ge tuile.

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