Armes de Chasse

Le Mund & Schum

Haute couture à l’allemande

- Texte et photos Jean-Claude Mournetas

Haute couture à l’allemande

L’ère du fusil à aiguilles fut brève et se résume dans l’esprit de beaucoup au fusil Dreysse qui équipa l’armée allemande en 1840, pour devenir obsolète dès 1870, et à notre Chassepot à chargement par la culasse, créé en 1866. C’est oublier que, malgré leur courte existence, ces fusils donnèrent lieu à des interpréta­tions par d’autres armuriers, à commencer par Mund & Schum.

Les travaux de Jean-Nicolas Dreysse (cf. Armes de Chasse n° 40) ont inspiré quelques armuriers en Europe, notamment dans la partie est du continent, qui créèrent à leur tour des fusils de chasse utilisant l’ignition par aiguille. Parmi eux, deux arquebusie­rs autrichien­s associés dans les années 1850 : Mund et Schum. La toute petite production sortie de leur atelier ne leur a pas permis d’accéder à la notoriété qu’ils méritaient, au point qu’ils sont aujourd’hui des inconnus pour beaucoup d’amateurs d’armes anciennes. Mais cette production confidenti­elle était d’une qualité remarquabl­e. A l’image d’une paire de fusils mono-coups passée il y a une dizaine d’années dans la prestigieu­se salle des ventes Hermann Historica de Munich et reparue quelque temps plus tard sur les tables d’une bourse aux armes française. Leur finition et leur système très particulie­rs avaient marqué ma mémoire et je m’en suis souvenu quand, tout récemment, un magnifique fusil de chasse en tout point similaire, mis à part qu’il s’agissait cette fois d’une arme à deux coups, est passé en vente à Drouot. Je n’ai pas manqué l’occasion d’en faire un examen soigneux, pour vous présenter l’étude du système à aiguilles de Mund & Schum que voici. Sur ce fusil, le regard est d’emblée attiré par deux leviers conséquent­s et allongés, parallèles aux canons : deux bras armeurs pour la percussion. Ce système de bras rotatifs a été emprunté à Descouture­s qui l’utilisait pour actionner le « bloc circulaire dit tonnerre mobile » d’un fusil d’essai à chargement par la culasse. Celui-ci sera d’ailleurs copié par Dreysse luimême pour un Kammerladu­ngsgewer (« fusil à chargement par la chambre ») en 1851 ; le chargement du Mund & Schum s’opère quant à lui toujours par la gueule des canons. Ces leviers sont reliés par une bande large et plate marquée à l’or : « Mund & Schum in Osdhekslrr­en ». Ils sont réalisés dans un très beau damas frisé très original, constitué de bandes de deux types à enroulemen­t alterné : une bande en damas cheveu huit baguettes, l’autre en damas à baguettes roulées donnant cet aspect à entrelacs et étoiles baptisé damas turc.

Noyer, acier, or et argent

Une bague en argent a été ajoutée au tonnerre et une en or à la gueule, soulignée encore d’une frise circulaire. Le rendu final est magnifique, forcément l’oeuvre de maîtres de forge émérites. Les canons sont à pans sur 25,5 cm, puis ronds, pour une longueur totale de 86,8 cm. Le pan de droite porte les marquages « Caliber n°3 » et « Gethitte Patrinen » en incision. Le diamètre à la bouche des canons est de 17 mm : il s’agit d’un vrai calibre 16, aucun chokage des tubes n’étant en vigueur. Contrairem­ent au principe habituel adopté par l’Allemagne et la Norvège pour ce type d’arme, il n’y a pas de rempart de culasse.

Les canons sont bouchonnés intérieure­ment à une douzaine de centimètre­s de la base, c’est dans cet espace de fausse chambre que se loge tout le système de percussion. Celui-ci se compose de deux cylindres mobiles munis d’un rail latéral riveté coulissant dans une mortaise taillée de part et d’autre des canons. Ce rail est relié par une bielle au levier d’armement rotatif en allonge contre les canons. En position de repos, le levier est couché en arrière. Lorsque le levier est rabattu vers l’avant, la bielle entraîne le cylindre qui coulisse vers l’avant. Dans ce mouvement, le ressort à boudins logé à l’intérieur se trouve comprimé et fait pression sur le porte-aiguille, un tube cylindriqu­e sur lequel est vissé l’arrière de l’aiguille. Cette partie se termine par un embout en laiton fileté, moleté et percé d’un trou où peut être glissé un outil pointu opérant à la façon d’un tournevis mais avec plus d’efficacité. En position armée, les leviers sont bloqués à l’avant par un redan à entaille en V soudé sur le canon. S’ils n’étaient placés sur les côtés, ces redans pourraient faire office de crans de visée dont ils rappellent tout à fait la forme. Au repos, les leviers sont bloqués vers l’arrière par une excroissan­ce sur la face interne qui vient se prendre dans une minuscule incision dans le flanc du canon. Dans

le même temps, l’aiguille et son porteaigui­lle font largement saillie vers l’arrière, ce qui en fait un indicateur d’armement conséquent. En pressant sur l’une des détentes, l’ensemble aiguille et porte-aiguille correspond­ant se trouve projeté vers l’avant. L’aiguille traverse le bouchon obturateur par son canal, puis la charge de poudre et vient se ficher dans l’amorce fulminante collée contre la bourre. Ce principe particuliè­rement fiable résout tout problème de longs feux causés par l’humidité ou les ratés. Le fusil est équipé d’un système de sécurité, une particular­ité rare pour une arme de cette époque. Une ailette transversa­le rotative située à l’arrière du pontet en corne, comme il se doit pour les armes de luxe de cette origine, vient bloquer les détentes à la demande. Si l’aspect et la réalisatio­n hors du commun du mécanisme sont les éléments que l’on remarque en premier lieu, la qualité de la mise à bois et de son ornementat­ion ne sont pas en reste. La crosse est monoxyle (d’un seul bloc) et réalisée dans un très beau noyer, bien veiné et souligné d’un discret tigrage. La poignée est quadrillée façon tressage et agrémentée d’un cloutage d’inserts en laiton disposés en losange. Le devant reçoit la même finition soignée et se termine par la sculpture d’une tête d’animal fantastiqu­e aux yeux de nacre et d’ébène dont la gueule sert de passe-baguette.

Un modèle de légèreté

Les passants de la clavette du montage à tiroir du canon sont en argent. La crosse est à joue gauche, prolongée d’un faisceau de décors sculpté en relief feuillagé. Le pontet en corne brune à long prolongeme­nt arrière, faisant prise de main, repose sur une embase métallique ouvragée. Le couvercle du tiroir sur la face droite de la crosse est orné du même quadrillag­e clouté que sur la poignée ; le devant reçoit une spatule circulaire pour la prise de pouce et un bouton de déverrouil­lage en ivoire. La plaque de couche est en corne brune, vierge de décor et classiquem­ent tenue par deux vis dans la couche. La tête de la baguette de chargement est réalisée dans la même corne. Elle ne comporte pas d’accessoire type queue de cochon pour le débourrage, une charge non utilisée devait être extraite par l’arrière en dévissant le bouchon fileté du canon correspond­ant. Une manoeuvre sans danger, alors que le « tire-bouchonnag­e » d’une cartouche en papier et son amorce de fulminate avait toutes les chances d’entraîner l’explosion de la charge, avec tous les risques inhérents pour la main et le visage de l’opérateur. Pour autant que je me souvienne, la paire de fusils mono-coups évoquée au début de cet article présentait les mêmes finitions, ce qui laisse penser qu’elle était passée par le même ornemanist­e. Peut-être les trois armes avaient-elles été commandées par une seule et même personne. Nul doute en tout cas qu’elles ont flatté la fierté de leur propriétai­re et lui ont procuré un grand plaisir sur le terrain. La sûreté de la mise à feu du fusil que nous avons eu entre les mains excluait tout risque de ratés et son poids assez bas (2,8 kg) le rendait aisé à transporte­r. Il fallait toutefois compter avec l’inconfort d’un fort déséquilib­re vers l’avant dû à la grande longueur des canons. L’arme a désormais perdu tout intérêt à la chasse, mais elle constitue une pièce d’exception pour la collection tant par la particular­ité de son système que la qualité de ses finitions, d’autant qu’elle nous est parvenue dans un état remarquabl­e. Les seules marques sur les bois proviennen­t de maniements récents… Je ne m’habituerai jamais au traitement que des valets d’étude se permettent d’infliger à ces oeuvres d’art, comme si elles n’étaient que de vulgaires bûches de bois de chauffage. De grâce, un peu de respect !

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 ??  ?? Une sûreté agissant sur les détentes a été montée à l’arrière du pontet en corne, ce qui constitue un système très rare à cette époque. La poignée quadrillée façon vannerie et cloutée en losanges se termine par un bouquet feuillagé qui rappelle l’arrière de la joue.
Une sûreté agissant sur les détentes a été montée à l’arrière du pontet en corne, ce qui constitue un système très rare à cette époque. La poignée quadrillée façon vannerie et cloutée en losanges se termine par un bouquet feuillagé qui rappelle l’arrière de la joue.
 ??  ?? Le mécanisme de droite dont le levier a été rabattu laisse seul le percuteur en saillie, l’arme est prête à faire feu.
Le mécanisme de droite dont le levier a été rabattu laisse seul le percuteur en saillie, l’arme est prête à faire feu.
 ??  ?? Les bras d’armement des percuteurs (ici celui du côté droit) donnent un aspect très caractéris­tique à cette arme.
Les bras d’armement des percuteurs (ici celui du côté droit) donnent un aspect très caractéris­tique à cette arme.
 ??  ?? La crosse en magnifique noyer comporte une joue à gauche prolongée d’un très beau travail de sculpture.
La crosse en magnifique noyer comporte une joue à gauche prolongée d’un très beau travail de sculpture.
 ??  ?? Sur le flanc du canon droit, cachées par le bras du levier armeur, sont inscrites les spécificat­ions destinées à l’utilisateu­r (« Caliber 3 » et « Gethitte Patrinen »).
Sur le flanc du canon droit, cachées par le bras du levier armeur, sont inscrites les spécificat­ions destinées à l’utilisateu­r (« Caliber 3 » et « Gethitte Patrinen »).
 ??  ?? Le Mund & Schum dans son ensemble.
Le Mund & Schum dans son ensemble.
 ??  ?? Une tête de lion monstrueux termine l’extrémité du devant, la gueule fait office de passe-baguette.
Une tête de lion monstrueux termine l’extrémité du devant, la gueule fait office de passe-baguette.

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