Armes de Chasse

Frederick Beesley

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Le fondateur du mythe Purdey

Frederick Beesley a créé une manufactur­e à son nom et une des plus célèbres platines, la mécanique des juxtaposés Purdey. Cette platine si belle, si efficace et si complexe à réaliser donne aussi, on l’oublie souvent, de magnifique­s proportion­s aux armes qu’elle équipe. Elle est née du génie d’un homme d’exception.

Lorsque Frederick Beesley quitte son domicile londonien du 22 Queen Street, Edgware Road, le 3 janvier 1880, la journée s’annonce glaciale et brumeuse. Ses pas le conduisent vers le 25 Southampto­n Building, où se trouve le Patent Office, le bureau des brevets du Royaume-Uni… Le jeune et brillant armurier a rendezvous avec l’histoire. Il s’apprête à déposer une demande de brevet pour une invention sobrement intitulée « Améliorati­on apportée au fusil basculant à armement automatiqu­e » . La 31e demande de cette année à peine débutée comme en atteste son numéro de dépôt et sans doute déjà la plus importante des douze mois à venir pour l’armurerie britanniqu­e. Sept mois plus tard, le 2 juillet, Beesley signe le descriptif complet de son invention et, le lendemain, le brevet définitif lui est accordé. Ce brevet, le premier des trente- cinq qu’il déposera sa vie durant, est celui qui va le faire entrer au panthéon des grands armuriers. Car, sous le numéro 1880/ 31, se cache une de ces idées qui acquièrent le statut d’invention majeure, un mécanisme à l’origine de l’une des plus célèbres armes de l’histoire de l’armurerie, la bascule Beesley-Purdey, dont le succès ne s’est pas démenti depuis bientôt 140 ans. Bien sûr, à l’époque, notre jeune inventeur ne soupçonne pas la postérité à laquelle est appelé son système, sinon il ne l’aurait sans doute jamais vendu à son ancien employeur, James Purdey le jeune, pour à peine 35 livres. Mais avait-il seulement le choix ?

Parti de son plein gré

Frederick Beesley naît le 2 juin 1846 dans un milieu modeste de l’Oxfordshir­e. Son père est fermier et lui va devenir armurier. Il entre comme apprenti chez Moore & Grey à Londres à 15 ans à peine et effectue huit ans d’apprentiss­age ( les sept années réglementa­ires qu’il fera suivre d’une année supplément­aire). Il quitte cette entreprise en juillet 1869 pour rejoindre Purdey, le 30 août de la même année, où il demeurera jusqu’en 1878. La légende veut que Beesley ait été congédié par J a mes Purdey le j eune, pour avoir passé plus de temps au pub que devant son établi. Grâce à un remarquabl­e article de William Jush et Tim Wilkes, paru dans la revue anglaise The Fieldsport de mars 2015, on sait désormais qu’il y a eu confusion entre deux Beesley. Le Beesley qui a été renvoyé n’est pas Frederick, mais son frère aîné Edward. Frederick était lui très apprécié par son employeur pour son sérieux et son remarquabl­e travail de monteur à bois. Mais, même si l’on est estimé par son employeur, à cette époque, le rêve de chaque armurier est de s’installer à son propre compte et de fabriquer des armes portant son propre nom. C’est ce que fait Frederick Beesley, le 4 mai 1878. Comme pour toute nouvelle entreprise, les débuts sont difficiles. En plus de faire vivre sa famille, le jeune patron doit acheter du matériel, recruter des salariés, avancer le loyer, etc. Et tout cela dans le monde extrêmemen­t concurrent­iel de la fabricatio­n d’armes à Londres. Beesley se retrouve bientôt à court d’argent et contraint de vendre son brevet à son ancien employeur. Il le propose même à James Purdey avant d’avoir déposé sa demande de brevet, comme nous l’apprend un courrier qu’il lui adresse le 18 décembre 1879, seize jours avant de se rendre au Patent Office : « Venant d’inventer une bascule sans chiens extérieurs dont je crois qu’elle est égale, sinon supérieure, à tout ce qui a été fabriqué jusqu’ici, je suis désireux de céder mes droits sur celle-ci. Cette bascule est basée sur un principe entièremen­t différent de tous ceux qui sont commercial­isés et possède aussi l’avantage particulie­r de pouvoir être adaptée sur n’importe quelle arme plus ancienne pour la transforme­r à peu de frais en arme à marteaux intérieurs. Je vous propose cette bascule

avant d’en parler à qui que ce soit d’autre dans la profession et serais heureux d’être reçu par vous, si vous jugez cette invention digne de votre attention, pour vous présenter une conversion fonctionne­lle. »

L’armurier du Purdey

La transactio­n permet non seulement à Beesley de résoudre ses problèmes de trésorerie immé- - diats, mais aussi d’installer son n atelier à une adresse prestigieu­se, , au 3 St James’s Street, près du coeur du quartier des armuriers, et d’acquérir une notoriété rapide. Surtout, elle lui donne la liberté nécessaire pour se concentrer sur ce qui le passionne le plus, la conception. Il imagine, fait breveter et concède sous licence d’autres bascules à quelquesun­s des plus grands fabricants du moment, notamment Cogswell & Harrison, James Woodward & Sons ou encore – son opération sans doute la plus lucrative – H. A. A Thorn de Charles Lancaster, à qui il cède la licence du Wrist-Breaker Action, que l’on retrouvera sur les platines à tête de d canard du fabricant produites à des centaines sinon des milliers d’exemplaire­s d au moins jusqu’au milieu m de la décennie 1920. Au cours des années paisibles qui précèdent la Grande Guerre, l’esprit fertile de Beesley se tourne vers un u nouveau domaine, le superposé, dont la popularité ne cesse de croître. Avec la conception de Bob B Henderson, brevetée par John Robertson en 1909, Boss & Co a démontré qu’un fusil peut être fabriqué sur un cadre relativeme­nt peu profond, en utilisant des tourillons plutôt qu’une goupille et les crochets des canons pour assurer la charnière de la bascule. Woodward utilise la même approche dans une conception brevetée en 1913. Frederick Beesley pense aussi à un superposé et ses six derniers brevets – cinq délivrés en

1913 et un en 1914 – couvrent le fusil qu’il appellera le Shotover. Il s’agit d’une conception inhabituel­le en ceci que le devant est fixé à la bascule, que celle-ci incorpore un troisième verrou ascendant ( rising bite) et que le fusil est un vrai self-opening. Alors que les platines semblent standard et identiques de l’extérieur, l’une d’elles est agencée « à l’envers ». Cela permet aux deux chiens de frapper les percuteurs selon une ligne plus directe, plutôt que sous l’angle oblique associé à la plupart des superposés de l’époque. Beesley fabriqua sûrement un ou deux modèles du Shotover avant le début de la Grande Guerre, mais tout porte à croire qu’aucun n’a été fabriqué pour la vente avant les années 1920. On estime à 23 le nombre de Shotover réalisés, la plupart vendus à des clients américains. Les années 1910 et le début des années 20 sont une période noire pour les fabricants d’armes de chasse. Le carnage de la guerre, puis la grippe espagnole suivie du quasi-effondreme­nt de l’économie britanniqu­e en 1920… Frederick Beesley approche alors de la fin d’une vie longue et productive. En 1927, à 80 ans, il prend sa retraite et son fils Herbert Philip lui succède. Frederick Beesley s’éteint le 14 janvier 1928. Alors que l’ombre d’une nouvelle guerre se profile déjà sur l’Europe, Herbert a du mal à gérer son entreprise. Atteint de surdité, il décide de prendre sa retraite et vend la société à Stephen Grant et Joseph Lang le 1er mars 1939. Grant & Lang conserve le nom vivant, comme il le fait avec les noms de tous les autres fabricants qu’il acquiert au fil des ans, mais aucune arme portant le nom Beesley ne voit le jour sous cette ère. La production ne reprendra qu’en 1984, lorsque Frederick Buller, qui possède également Watson et Hellis, rachète le nom. Beesley est peu après intégré à Hellis, Beesley & Watson, puis, en 1986, l’entreprise est rebaptisée Frederick Beesley Gunmaker. Un long silence s’ensuit jusqu’à ce que Gary et Thomas Ward acquièrent l’entreprise en 2014.

Un nouveau chapitre

Ce rachat ouvre un nouveau chapitre de l’histoire de Beesley. Deux superposés à faux corps et à batterie détachable portant la signature de Frederick Beesley, le Phoenix et l’Elegance, sont aujourd’hui proposés, l’un et l’autre fabriqués à Brescia en Italie, par Perugini & Visini. « Nous nous sommes tournés vers ce fabricant pour la qualité et la finition incroyable­s de ses armes, m’a répondu Guy Rathbone, directeur général de l’entreprise, lorsque je l’ai interrogé sur les raisons du choix de la sous-traitance. Contrairem­ent au Royaume-Uni, où les coûts de production sont élevés en raison du petit nombre d’armuriers qualifiés, l’Italie permet de produire des armes à un prix raisonnabl­e. » Quant au choix de ne pas reprendre la fabricatio­n de juxtaposés basés sur le système Beesley ou de superposés construits autour de la mécanique du

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 ??  ?? Frederick Beesley, l’inventeur d’une des plus belles platines jamais inventées et qui équipe depuis près de 140 ans les fusils Purdey.
Frederick Beesley, l’inventeur d’une des plus belles platines jamais inventées et qui équipe depuis près de 140 ans les fusils Purdey.
 ??  ?? Une autre platine hammerless créée par Beesley, qui équipe ici un de ses fusils.
Une autre platine hammerless créée par Beesley, qui équipe ici un de ses fusils.
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 ??  ?? En haut, la lettre que Beesley écrivit à James Purdey pour lui fart part de son invention et la lui proposer. Ci-dessus, un dessin de la platine Beesley originale extrait de The Gun and Its Developmen­t de W. W. Greener. Ci-contre, une publicité de Beesley où il présentait ses nouvelles platines hammerless en signant « Beesley’s (from Purdey’s) ».
En haut, la lettre que Beesley écrivit à James Purdey pour lui fart part de son invention et la lui proposer. Ci-dessus, un dessin de la platine Beesley originale extrait de The Gun and Its Developmen­t de W. W. Greener. Ci-contre, une publicité de Beesley où il présentait ses nouvelles platines hammerless en signant « Beesley’s (from Purdey’s) ».
 ??  ?? Sous l’ère Beesley, les fusils à platines ont été dotés de toutes sortes de mécaniques, ici une Scott. Le détail attestant de leur paternité est plutôt à chercher sur les coquilles, souvent des feuilles de palmier.
Sous l’ère Beesley, les fusils à platines ont été dotés de toutes sortes de mécaniques, ici une Scott. Le détail attestant de leur paternité est plutôt à chercher sur les coquilles, souvent des feuilles de palmier.
 ??  ?? Une gravure bouquet en fine anglaise est proposée sur le Phoenix. Un semi-fond creux avec des motifs floraux et végétaux est également possible.
Une gravure bouquet en fine anglaise est proposée sur le Phoenix. Un semi-fond creux avec des motifs floraux et végétaux est également possible.
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Le Shotover n’était pas un exemple de finesse ou de légèreté, mais Beesley avait réussi à ce qu’extérieure­ment les deux platines aient les mêmes axes apparents en dépit d’une constructi­on inversée.
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Le Phoenix, plus simple que l’Elegance, est proposé en bascule ronde ou carrée.

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