Taux de rayures
Savez-vous danser le twist ?
Là où il nous fallait autrefois choisir parmi 10 balles, c’est désormais de 40 à 50 options qui s’offrent à nous. Là où il nous fallait juste opter pour un nez rond ou pointu, nous devons naviguer parmi un éventail de profils et de poids. Pour ne pas nous perdre dans cet océan de possibilités, et abandonner en route la précision de notre arme, mieux vaut prendre en compte le pas de rayures du canon.
Pour les vieux birbes dont je suis, habitués de la battue et fidèles à des outils éprouvés (.270 Winchester et Core-Lokt pour ce qui me concerne), les réflexions balistiques nous sont longtemps demeurées étrangères. Et nous nous en sommes fort bien portés jusqu’à ce que l’offre en balles et en calibres ne se diversifie plus que de raison. Pour rester « in » et surtout efficaces, nous avons dû nous documenter afin de comprendre les raisons de nos choix. La construction des balles a évolué, il y a maintenant pléthore de sansplomb, des ogives monométalliques
coiffées de polymères, des balles « premium » – comprenez hautes en qualité, en coefficient balistique et en prix. Même pour celui qui ne recharge pas, l’offre « usine » s’est tant élargie qu’il devient préférable de vérifier si les nouveautés correspondent bien au « taux de torsion » des rayures de notre vieux canon. Le pas de rayures est exprimé en tours par pouce ( 25,4 mm) et sa valeur optimale (souvent déterminée par la CIP ou le SAAMI à destination des fabricants) dépend du calibre, de la longueur de la balle, de sa forme et de sa vitesse. Le plus courant est de 1/10, soit 1 tour pour 10 pouces : la balle fait un tour sur elle-même dans 10 inches (25,4 cm) de canon. Il y a moins de torsion à grande qu’à basse vitesse, mais une balle plus longue et plus lourde en méritera davantage à vitesse égale. C’est ce qui explique qu’avant l’ère des poudres sans fumée les lourdes balles « Minié » des guerres de 1870 et de Sécession étaient poussées dans des canons au taux extrême de 1/78. Plus de taux de torsion amène plus de pression et d’usure, surtout si on emploie des balles légères et frangibles à chemise fine.
Vieux pots et jeunes carottes
Comme l’auront cependant remarqué les plus attentifs d’entre nous, certains calibres courants, comme les .222 et.223 Remington, peuvent varier de 1/7 à 1/14, là où un de leurs cousins, le .22-250 par exemple, n’en offrira qu’un seul (1/12). Dans le premier cas, le calibre conçu au départ pour une petite balle de 55 grains au taux de 1/14 nécessita un projectile plus gros (77 grains), qui lui-même nécessita une accélération et un alourdissement de la torsion (jusqu’à 1/7). Le .22-250, efficace mais passé de mode, resta pour sa part sur sa balle de 55 grains, tout comme le .220 Swift d’ailleurs, et au taux de 1/14. Comme le .222 Remington, ces deux derniers calibres « font tout bien » pour taper du renard au chevreuil en tir placé, mais le premier est universellement connu de nos jours quand les deux autres ne sont plus que des souvenirs, ou de belles occasions à saisir pour les amateurs éclairés ! C’est dans les vieux pots, dit-on, qu’on fait la meilleure soupe. Le choix de ce « taux » ( rate twist chez les Anglo-Saxons), à la fois mystérieux et abscons pour le commun des chasseurs, a pu consacrer certains calibres et en envoyer d’autres tout droit dans les oubliettes de l’histoire. Quelques exemples. Winchester adopta pour le .243 le taux idéal et passe- partout de 1/ 10 pour ses balles de 100 grains quand Remington fit de même avec le 6 mm et surtout le .260… pour pousser des grosses balles de 160 grains, là où il aurait fallu 1/8. Ce dernier pas fait d’ailleurs le succès grandissant du 6,5 Creedmoor qui pousse des balles de 140 grains. Contemporain du .243 Winchester, le .244 Remington souffrit de la même erreur avec son taux de 1/12 prévu pour tirer coyotes et chiens de prairie avec des balles de 70-85 grains. Ce taux de 1/12 empêche de dépasser 90 grains et les utilisateurs ne pouvaient pas tirer les gibiers moyens universellement convoités aux EtatsUnis, contrairement à ceux qui avaient opté pour le .243 Winchester et ses balles jusqu’à 105 grains. Remington réagit immédiatement pour monter à 1/9, mais c’était trop tard… Son .244 resta dans les râteliers quand le .243 du concurrent devint un bestseller mondial. Mais alors, vous demandez- vous, pourquoi l’universel .30- 06 se débrouille si bien avec sa pléthore de chargements allant du simple au double, grosso modo de 100 à
220 grains, avec un taux invariable de 1/ 10, voire 1/ 12 ? Parce que ce calibre fut conçu au départ pour pousser une grosse balle militaire de 220 grains, « descendue » ensuite pour les chasseurs autour de 150170 grains, sans conséquence pour la précision. Comme dit l’adage, « qui peut le plus peut le moins », surtout aux distances habituelles de chasse, même aux Etats- Unis où elles ne sont pas aussi supérieures aux nôtres qu’on le dit, avec une moyenne de 100 m selon les statistiques de l’équivalent de notre ANCGG. A cette distance familière pour nous tous, même sans être un adepte de l’affûtapproche, le placement et le choix de la balle jouent davantage que la précision intrinsèque.
Un mauvais moment à passer
Plutôt que le poids et même la forme, c’est avant tout la longueur du projectile qui préside à la multiplication à l’extrême des chargements. En effet, les nouveaux projectiles sans plomb nécessitent, pour le même poids, plus de longueur et surtout de rapidité pour se stabiliser correctement en vol. L’instant le plus délicat à traverser pour une balle est le transsonique, quand elle passe du supersonique au sonique (ou subsonique), soit le seuil des 340 m/s (le fameux « mur du son »), bien au-delà de la portée courante de l’utilisation à la chasse. Dans un projectile long, le centre de pression (là où toutes les forces se concentrent) est un peu en avant du centre de gravité. Le moment transsonique le fait migrer encore plus vers l’avant et commence à faire tanguer la balle. Autrement dit, plus celle-ci est longue, plus ça bouge, à la différence des balles courtes où centres de gravité et de pression sont proches. C’est la raison pour laquelle les balles courtes d’armes de poing (où la région transsonique est pourtant celle où elles effectuent la plus grande partie de leur voyage dans l’espace) sont beaucoup moins troublées par ces phénomènes balistiques. C’est en revanche un cap crucial pour le .22 LR aux distances d’utilisation des balles hypervéloces et c’est pourquoi on préconise en tir précis à 50 m des balles subsoniques ipso facto non affectées par ces perturbations. A contrario, cela explique que les balles extrêmement performantes, à coefficient élevé, de type Berger VLD ( Very Low Drag) ne soient quasiment jamais chargées « usine », mais vendues comme composants à l’attention des rechargeurs accompagnées de la recommandation dûment estampillée sur les emballages d’utiliser le taux de torsion ad hoc. Pour le .308 Winchester par exemple, calibre employé par les chasseurs mais aussi, sous l’appellation 7,62 Nato, par les militaires de plusieurs forces occidentales, ces taux sont parfaitement identifiés : 1/15 pour les balles de 150 grains, 1/14 pour les 168, 1/8 pour les 220 et plus. L’emploi militaire à des distances très éloignées des distances de chasse, à 600 m et plus, exige une gestion optimale du fameux moment transsonique. En misant plus lourd et plus vite, on obtient un meilleur coefficient balistique, autrement dit une meilleure résistance au vent sur un vol plus long affranchi de la gravité, mais avec la contrepartie d’un supplément de poudre et de recul. Dans le doute, avant tout achat de nouvelles balles performantes, notamment pour le tir long, voire le nuisible ou l’affût/ approche, il est prudent de bien examiner leurs spécifications ou de demander conseil à votre armurier.