Armes de Chasse

Des escarpins en forêt

- Bonne lecture à tous et à toutes Laurent Bedu

Drawno, dans le nordouest de la Pologne, le 23 septembre dernier. Il est 19 h, je viens de quitter le mirador que j’occupais depuis plus de deux heures. Le cerf que nous guettions n’est jamais apparu et surtout est resté bien silencieux. Vojtek, mon guide, a décidé de forcer le destin en tentant d’aller à la rencontre de ce vieux douze-cors… Sur mon épaule, une Sako 85 Finnlight II chambrée pour le petit 6,5 Creedmoor. Une balle Sako de 10,1 g à noyau soudé, la Deerhead, a été glissée dans le canon. Nous progresson­s ainsi dix minutes, en lisière d’une roselière, dans le jour déclinant lorsqu’une tache noire nous fait nous arrêter en même temps. « Dzik » , souffle Vojtek. Oui, c’est un sanglier et de belle taille.

L’animal vient vers nous. Il est à moins de trente mètres, à peine masqué par le petit tertre qui nous sépare de lui. Il pénètre dans la roselière qui borde le champ et passe à notre droite, à trois mètres de nous. Je me retourne. Comme dans un rêve, l’animal sort des roseaux et s’arrête en lisière, parfaiteme­nt de profil et à moins de vingt mètres. C’est un animal énorme ! Le plus gros qu’il m’ait été possible de voir en dépit de nombreuses années de pratique assidue. Je l’épaule aussitôt. Il fait sombre mais j’y vois assez pour placer le réticule sur le défaut de l’épaule. Je ne veux pas tirer, nous sommes ici pour le cerf et il nous a été demandé de ne pas tirer de gros Keiler. Je pourrais prétexter qu’il ne s’agit pas d’un gros Keiler mais d’un très très gros Keiler… Je ne vais pas tirer.

J’entends du bruit sur ma gauche. Du coin de l’oeil, je vois Vojtek la bouche tordue dans un rictus de souffrance, la tête rentrée dans les épaules, qui me regarde en écarquilla­nt les yeux et en faisant « non, non » du menton. Dans la lunette, le sanglier reste immobile, sa masse noire se détache encore du ciel désormais bleu marine et, avec elle, la double bosse de son dos et son énorme hure. Soudain, dans un souffle puissant, il jaillit. Un demi-tour brutal, un bond gigantesqu­e, et il est déjà à l’abri des roseaux. Le bruit de sa fuite et des tiges brisées, broyées même, nous ramène d’un coup à la réalité. J’entends Vojtek soupirer, je lui souris tandis que je désépaule, mais c’est tout juste s’il esquisse un geste. Il semble épuisé.

De retour à l’hôtel, je demande à l’interprète de venir débriefer avec Vojtek et moi ce qui vient de se passer. Vojtek lui annonce que nous avons vu un énorme Keiler, il l’estime à 200 kilos sur pied et, précise-t-il, 150 à 170 kilos vidés.

Il explique aussi que je chasse avec un tout petit calibre, qu’il ne connaît pas mais sur lequel il émet visiblemen­t de sérieuses réserves. Je comprends bien – certes entre les lignes et malgré les formulatio­ns courtoises que l’interprète y met – qu’il pense que le 6,5 Creedmoor est au cerf ou au sanglier ce que des escarpins sont à une balade en forêt. Il ajoute d’ailleurs plus tard, dans une traduction cette fois sans fard car instantané­e, qu’il s’est «vu mourir ».

« J’ai eu peur qu’il tire, ajoute-t-il. Et à cette distance, une charge nous aurait

été fatale » . Voilà donc, comme je le pensais, ce que disaient ce rictus et ces yeux exorbités.

Le lendemain, Vojtek m’expliquera qu’il tire au .308 Winchester, un bon calibre selon lui. Comment lui expliquer que le 6,5 Creedmoor est des plus performant­s ? Comment lui dire que les balles Deerhead à noyau soudé du 6,5 mm sont non seulement plus lourdes que les 9,7 g à pointe plomb classique qu’il utilise dans son .308 Winchester mais également plus performant­es ? Comment lui dire que la balle n’aurait pas rebondi sur le sanglier ou juste suffi à provoquer sa colère et à nous valoir de terminer au mieux en caleçon ?

Certes, la suite du séjour prouvera les qualités du 6,5 Creedmoor, mais sans suffire à totalement convaincre ni rassurer Vojtek qui continuera de vanter les mérites de « son » .308. Difficile de lui en vouloir. Nous sommes tous pareils, nous avons nos calibres, nos balles préférés et sommes souvent un peu hermétique­s aux autres munitions, même quand elles présentent un solide CV. Le 6,5 Creedmoor en est une démonstrat­ion, le monde de la balistique évolue sans cesse. Nouveaux calibres, nouvelles balles, nouveaux chargement­s, jamais il n’y a eu autant d’innovation­s et de choix dans les munitions de chasse au grand gibier, au point parfois d’y perdre son latin. L’arrivée des calibres autrefois interdits a également pu accroître la confusion de l’offre. Tous ces éléments font que beaucoup d’entre vous se posent, et nous posent, des questions à propos de leur équipement et de son adéquation avec la battue et son gibier emblématiq­ue. Voilà ce qui nous a décidé à réaliser ce hors-série spécial battue : un numéro entièremen­t conçu pour vous aider à vous y retrouver dans ce paysage mouvant. Et vous permettre d’acquérir la certitude d’avoir fait les bons choix et, si ce n’est pas le cas, d’y remédier. Il n’est jamais trop tard !

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