Les balles sans plomb à l’étude
11371 rapports de tirs décortiqués
E En Allemagne, les balles contenant d du plomb sont interdites depuis p plusieurs années dans certains L Länder. Après un délai et un n nombre de tirs conséquents, u une vaste étude a pu être réalisée pour j juger d de l’ l’efficacité ff réelle des munitions sans plomb et les comparer aux balles classiques.
En 2014, la HNE (Hochschule für nachhaltige Entwicklung – Collège pour le développement durable), établie à Eberswalde dans le Land du Brandebourg, publiait une étude d’envergure menée à partir d’un rapport de 2012 sur l’utilisation des balles sans plomb. Ce rapport avait été commandé par le ministère fédéral de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Protection des consommateurs (BMELV) en vue de légiférer sur l’utilisation des balles sans plomb à la chasse. L’essentiel du document portait sur l’analyse de l’effet létal des projectiles sans plomb de la nouvelle génération par rapport aux projectiles conventionnels. Le lancement de ces recherches avait été décidé quelques années plus tôt, suite à l’organisation d’un symposium international à Berlin, en 2009. Avaient été réunis tous les acteurs concernés par la présence du plomb dans l’environnement. Plusieurs études scientifiques y furent présentées, toutes s’accordant sur la responsabilité du plomb dans la surmortalité des pygargues à queue blanche, aux côtés d’autres causes, établies lors de l’examen de cadavres.
Après le constat, les grands moyens
Il était donc établi que la solution pour protéger cet aigle pêcheur résidait dans la lutte contre la contamination par le plomb de la chaîne alimentaire. Mais afin d’apporter des réponses aux inquiétudes des chasseurs, il fallait également examiner les alternatives proposées par les fabricants de balles pour remplacer les munitions classiques. Ces alternatives sont-elles efficaces ? Tuent-elles proprement sans causer de souffrances sur le grand gibier ? Ne ricochent-elles pas davantage que les autres ?
Bien sûr, ces questions ne sont pas nouvelles et ont déjà fait l’objet d’un certain nombre d’études, à commencer dans notre pays où des observations de grande ampleur ont été menées. Citons par exemple
l’étude de l’ANCGG, portant sur six saisons de chasse ( 1990- 1996) et pour laquelle près de 20 000 rapports de tirs ont été examinés. Mais ce travail est déjà ancien et beaucoup de changements sont intervenus depuis dans la composition et la construction des munitions sans plomb. Avec l’étude allemande, nous disposons d’un travail sans équivalent à cette échelle et portant sur une période assez récente.
Si l’on en juge par l’abondance du courrier que reçoivent les rédactions des magazines de chasse à chaque fois qu’ils se font l’écho de ce type de rapports, autant dire qu’aborder la problématique des munitions sans plomb revient à avancer en terrain miné. Les protocoles retenus, la représentativité des échantillons, l’analyse des résultats, le choix des variables : tout est prétexte à contestation. La célèbre citation d’un Premier Ministre anglais, Benjamin Disraeli, n’a rien perdu de son actualité : « Il y a les mensonges, les maudits mensonges, et les statistiques. »
Il faut aussi compter avec les susceptibilités de certains chasseurs, qui prennent pour une injure personnelle le fait que leur munition favorite ne soit pas citée dans un article, sans parler de l’hypothèse où elle serait citée mais ferait l’objet de critiques. Mais tout métier comporte sa part de danger, et je vais quand même poursuivre au risque de recevoir quelques balles, pardon, quelques noms d’oiseaux !
Une mine d’informations
L’étude de la HNE est disponible en ligne1. Ceux qui déchiffrent l’allemand pourront constater qu’elle fourmille de données et d’analyses utiles. Elle comprend 34 tableaux et 75 photos et autres illustrations dont beaucoup ne nécessitent pas de profondes connaissances linguistiques pour en saisir la teneur. Pour ceux plus à l’aise avec l’anglais, un résumé dans cette langue est inclus dans la publication.
Il est naturellement impossible de présenter toutes les facettes d’un document de 150 pages dans le cadre d’un article. Nous allons en rapporter certains points, ceux qui nous ont semblé les plus intéressants, même si d’autres lecteurs en auraient sans doute sélectionné d’autres. Prenez notre compte- rendu comme une mise en appétit ! Par ailleurs, il faut souligner que cette étude est le reflet de la pratique de la chasse dans certains Länder allemands et n’est par conséquent que partiellement transposable au reste de l’Allemagne et a fortiori à la France.
Les auteurs du rapport, Carl Gremse et Siegfried Rieger, chercheurs à la HNE, n’ont pas travaillé seuls. Ils ont sollicité l’expertise de l’université suédoise des sciences agricoles (SLU), de la DEVA (l’agence allemande d’essai des armes de sport, la référence outre- Rhin en matière de tests d’armes) et de Beat P. Kneubuehl, mathématicien et balisticien suisse qui a longuement étudié la question des ricochets. Il faut bien sûr ajouter le concours indirect des chasseurs du Brandebourg et d’autres Länder, puisque l’étude s’est appuyée sur l’examen de 11 371 rapports de tirs. Il s’agit de tirs menés sur plusieurs années alors que l’utilisation de balles sans plomb était déjà devenue courante. Ce chiffre est suffisamment élevé pour permettre de dégager des tendances significatives, même s’il peut sembler encore limité à l’aune des quelque 1 700 000 pièces de gros gibier prélevées annuellement par les chasseurs allemands. Pour comparaison, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage comptabilisait pour le territoire français 1 191 015 pièces pour la saison 2013- 2014. Mais il conviendrait d’y ajouter les ongulés abattus dans les parcs clôturés (cf. Faune sauvage n° 310, 1er trimestre 2016).
Photographie d’un « morceau » d’Allemagne
L’objectif de l’étude n’est pas de déterminer des cartouches idéales pour tel ou tel mode de chasse. Toutefois, comme elle constitue un instantané des tirs des chasseurs allemands dans certains Länder sur une période donnée, elle nous fournit pas mal d’indications sur les préfé
rences des Allemands en matière de choix de calibres, même si là n’est pas non plus la vocation de l’enquête. Ces choix ne sont pas représentatifs de tout le territoire allemand et un chasseur du Schleswig-Holstein ne s’équipe pas comme son concitoyen de Haute-Bavière. A ce sujet, Gremse et Rieger font référence à une enquête menée sur l’ensemble du pays qui établissait qu’une majorité (54,7 %) de chasseurs allemands s’équipent pour la chasse au bois, 18,2% pour la chasse en milieu ouvert et un quart pour une pratique polyvalente. Les spécialistes de la montagne ne constituant qu’une toute petite minorité de cet ensemble.
Clairement, le coeur des Allemands est acquis à une belle américaine. La .30-06 Springfield, l’ancien calibre militaire américain, est utilisé dans 31,24 % des tirs rapportés. Son vieil adversaire, l’excellent 8 x 57 JS, le calibre national allemand longtemps favori dans son pays, doit se contenter de la troisième place, avec 11,74 % des tirs. Il est aussi devancé par la jeune .308 Winchester et ses presque 70 printemps (12,41 % des tirs). Étonnamment, avec 9,06 % des tirs, la 7 x 64 est représentée à moins du tiers de la .30-06. La redoutable 9,3 x 62 compte tout de même 7,49 % des tirs, tandis que la 9,3 x 74 R doit se contenter de… 1,03 %. La 8 x 57 JRS en compte 3,3 %, la .270 Winchester 1,36 % et la .300 Winchester Magnum 5,17 %. Seuls six calibres dépassent donc le seuil de 5 %. Encore une fois, cet échantillon est non transposable dans l’espace et le temps. Il reflète inévitablement quelques phénomènes de mode tels qu’il en traverse régulièrement le monde de la chasse et qui varient grandement d’un pays à l’autre. Ces mouvements sont souvent réversibles, pour la grande joie des fabricants et des commerçants.
Bouquet de balles
Pour ces 11 371 tirs, les chasseurs ont utilisé une trentaine de balles différentes, aussi bien à base de plomb que d’alliages alternatifs. Un tableau les répertorie en totalité – étant donné leur nombre, il y a toutes les chances que vous y retrouviez votre projectile préféré.
En termes de fréquence d’utilisation, deux balles, quasi inconnues chez nous, se détachent : la Lapua Naturalis, avec 15,32 %, et la Brenneke Tag, qui la suit de près, avec 14,32 %. Viennent ensuite la Barnes TSX (9,51 %) et la Barnes XLC (9,26 %). L’antique TMR, une demi-blindée à pointe ronde en plomb, se place en cinquième position ( 8,45 %), son coût modéré est peut-être à l’origine de ce bon classement.
Comme pour les calibres, ces données sont à considérer pour ce qu’elles sont, des choix dans un contexte et un temps donné. Nulle conclusion ne doit en être tirée sur l’efficacité des projectiles présents, pas plus que des absents. Mais elles attestent bel et bien d’un changement d’habitudes notable, puisque 80 % des tirs ont été réalisés avec des balles sans plomb. Les corvées de « décuivrage » qu’imposent certains projectiles monométalliques de la nouvelle génération ne semblent pas décourager nos chasseurs. La DEVA, comme le mentionne l’étude, recommande de procéder tous les 20 tirs à un nettoyage profond du canon avec un produit à l’ammoniaque. Négliger cet entretien entraîne inévitablement une dégradation des canons, tout comme de mélanger des projectiles sans plomb et les autres.
Avec ou sans plomb, l’efficacité à la loupe
A quoi bon disposer de balles montrant de belles performances au stand de tir ou au laboratoire si l’animal touché s’enfuit au loin et est soumis à des souffrances inutiles ? Le nonrespect de l’éthique de chasse et la frustration face au gibier perdu, peutêtre définitivement, sont des situations que chacun de nous veut éviter à tout
prix… Nous sommes ici au coeur de l’intérêt de notre étude : est-ce que les balles sans plomb nous garantissent une efficacité équivalente aux munitions classiques ? La réponse est au tableau. Les distances de fuite ont été répertoriées, en six ensembles, entre balles avec et sans plomb :
Les chercheurs ont également classé les distances de fuite selon les différentes espèces : cerf élaphe, daim, sanglier et chevreuil. Voici ce que disent les chiffres pour le sanglier : fournissent pas les enseignements les plus intéressants, nous y reviendrons, mais confirment tout de même qu’une énergie cinétique très élevée à l’impact n’est pas la panacée. Toujours pour le sanglier :
tant avec d’autres variables, comme le poids du gibier vidé, la localisation des atteintes, (cf. encadré page ci
contre), etc. Là encore, vous pouvez retrouver le détail en vous reportant à l’étude disponible en ligne.
Les normes sont faites pour être changées !
Sont également détaillées toutes les données de balistique terminale : les cavités temporaires et permanentes, leur profondeur, l’énergie transférée, la vitesse restante, etc. Les tests en laboratoire sont aussi publiés. Si le coeur vous en dit, une plongée dans ce bain balistique est à portée de clics. Ce qu’il nous semble essentiel de retenir de tout cela est la plaidoirie de Gremse et Rieger pour une modifica- ification des normes mes relatives au tir ir du grand gibier r en Allemagne qui prendrait en c o mp t e l’évolution des connaissan- nces scientifiques. ues. Les auteurs considèrent i dèrent l es critères actuels ls trop étriqués. En dehors du cas du chevreuil, qui a sa propre norme me (1 000 J à 100 m), la loi impose chez nos voisins un calibre d’au moins 6,5 mm et une énergie minimale l de d 2 000 J à 100 m – ces critères nationaux peuvent être dans certains cas modifiés par
les règlements des Länder.
En Belgique et en France
En Belgique, l e diamètre minimal est également fixé à 6,5 mm, mais associé à un minimum de 2200 J à 100 m. Dans le cas particulier du chevreuil à l’approche ou à l’affût, l’énergie minimale est de 980 J à 100 m dans les deux régions où sa chasse est autorisée, en Wallonie (avec un calibre d’au moins 5,58 mm) et en Flandre (diamètre d’au moins 5,6 mm). Où l’on voit que la réglementation belge n’a rien à envier aux méandres de notre administration nationale ! En France, le minimum est de 1 000 J à 100 m pour toutes t t les l espèces è de d grand gibier. L’ANCGG recommande cependant au moins 2 500 J à 100 m pour le cerf et le sanglier.
Un résumé en 4 points
Quatre grands enseignements sont à retenir du travail de Gremse et Rieger. D’abord, les balles sans plomb constituent une bonne et réelle alternative aux munitions classiques. Il est possible de trouver dans les deux familles des projectiles bien adaptés aux différentes conditions d’utilisation, avec la garantie d’une grande efficacité. Deuxième conclusion, qui ne surprendra personne, l’endroit où l’animal est touché constitue, même s’il y a des exceptions, une variable importante de l’issue du tir. Ensuite, plus l’animal est lourd, plus le risque de fuite sur une longue distance augmente, avec ici encore quelques exceptions. Enfin, l’énergie à l’impact ne fournit pas un bon outil
de mesure en matière d’efficacité. Ce critère devrait être adapté.
Les ricochets
Comme nous l’indiquions plus haut, les auteurs se sont appuyés sur le travail de Beat P. Kneubuehl – un document de 165 pages que vous pouvez également consulter en ligne2 – pour comparer la nature des ricochets selon les deux types de
munitions. Kneubuehl établit que les balles sans plomb se comportent quasiment de la même façon que les balles classiques. Aucune différence d’angles ne se dessine et tous les projectiles sont susceptibles d’être plus ou moins déviés de leur trajectoire et de prendre des directions aléatoires. La seule variation se situe dans la masse du projectile subsistant après le choc avec le sol, une pierre, un arbre ou autres. Les balles monométalliques sont moins déformées et perdent nettement moins de poids suite à cet impact. Résultat, ce qu’il reste du projectile conserve plus d’énergie et va plus loin, avec par conséquent une dangerosité plus grande. En cela, les monométalliques ne diffèrent pas des balles en plomb dotées d’une chemise épaisse ou soudée au noyau. Le même constat a été établi par une étude menée par la fédération des chasseurs de Rhénanie du Nord-Westphalie3.