Armes de Chasse

Poids ou vitesse

Le syndrome des tables de tir

- Jean-Pierre Menu, extrait de « Maîtriser le tir à balles », Editions du Gerfaut

Pour comparer des calibres ou des balles au sein d’un même calibre, on se fie aux tables balisitiqu­es et à la sacro-sainte énergie. Dans la nouvelle édition de son livre, Maîtriser le tir à balles, Jean-Pierre Menu nous propose une autre méthode permettant de comparer les cartouches en privilégia­nt d’autres valeurs. Voici un extrait de cet ouvrage, passionnan­t et hautement utile.

Il faut poser en postulat préliminai­re, vérifié par la pratique quotidienn­e, qu’un calibre efficace sur un gibier donné est un calibre assez puissant pour transperce­r les deux poumons en cas de tir au coffre. Le mieux est de transperce­r l’animal de part en part ou, ce qui arrive assez souvent, de retrouver la balle du côté opposé, juste sous la peau dont l’élasticité agit comme amortisseu­r. La taille de l’animal conditionn­e donc le choix du calibre. Ainsi, une 7 mm Magnum traversera un cerf de 100 kilos à 100 m, mais pas un koudou à 250, malgré une balle de 165 grains.

Il y a au moins deux raisons de vouloir obtenir cette « traversée ». D’abord, une double perforatio­n donnera plus de sang qu’une seule, en cas de pistage. Ensuite, un animal dont les deux poumons sont percés n’ira pas loin. Avec un seul poumon touché, en cas de pénétratio­n insuffisan­te, il sera presque certaineme­nt perdu, et survivra peut-être. Voyons ce qu’il faut savoir sur les données qui régissent les performanc­es d’un calibre.

La vitesse

Dès qu’une balle quitte le canon, sa vitesse fléchit sans cesse jusqu’au moment où elle touche le sol. Une balle déterminée expansera de différente­s manières à différente­s vitesses, donc à différente­s distances. En fin de course, elle n’expansera plus du tout. Une .300 Magnum de 9,7 g aura un véritable effet explosif, donc très peu de pénétratio­n à 50 m et sera efficace à 250 sur gibier léger. Dans l’étude du (trop ?) fameux effet de choc, nous avons vu l’importance du facteur vitesse. Il y a une très fine ligne de partage entre vitesse adéquate et vitesse excessive. Si une balle a une vitesse excessive à l’impact, sa pénétratio­n en pâtira soit par le fait d’une expansion, voire d’une désintégra­tion non contrôlée, soit, et c’est aussi important, par une déviation de la trajectoir­e après impact.

Je pense qu’une vitesse à l’impact supérieure à 800 m/s est limite, sauf recherche de l’expansion maximale avec effet de choc sur gibier léger ou si l’on tire des balles « dures » à expansion lente. Une vitesse de 680 à 780 m/ s semble la plus efficace avec des balles de bonne densité sectionnel­le.

Insistons encore sur le fait qu’il s’agit ici de vitesses à la distance d’impact et non à la bouche. Le grand problème des fabricants de balles est de parvenir à concevoir une balle qui expansera convena

blement à 80 m comme à 250, la balle en question pouvant être en outre sertie dans différente­s douilles, normales ou magnum, et avec différente­s charges de poudre.

Pour guider nos choix de balles, nous verrons dans les tables de tir que des balles différente­s d’un même calibre mais de même poids développen­t une énergie parfois très différente à longue, voire moyenne distance, en raison de leur forme, en clair de leur coefficien­t balistique. Plus vite la balle perd sa vitesse, plus vite elle perd son énergie.

L’ indice momentum

L’énergie libérable d’un projectile est certes une bonne manière de comparer la « puissance » d’une munition avec une autre. S’il faut examiner cette donnée non seulement à la sortie du canon ( muzzle), il faut aussi et surtout le faire à 100, 200 et 300 m.

Une balle pointue conservera plus d’énergie qu’une balle à tête ronde à distance équivalent­e. Cette donnée est appelée le coefficien­t balistique d’une balle, que certains fabricants impriment sur les boîtes. Elle est le ratio entre la densité sectionnel­le de la balle et sa forme. Elle indique la manière dont un projectile se comportera en vol. Personnell­ement, je n’y attache pas trop d’importance, cette donnée étant intéressan­te pour les tirs à très longue distance ou pour les snipers. Sachons simplement qu’une balle pointue aura une meilleure trajectoir­e qu’une de même poids à tête ronde et donc plus de puissance à longue distance. L’énergie cinétique d’une balle est un facteur très important car elle sera transmise au corps du gibier et dans certains cas l’abattra seule. Mais cette donnée est trompeuse et doit être couplée avec d’autres. Elle n’est qu’une composante du problème de la déterminat­ion de l’efficacité d’une balle.

Exemple : une .300 Magnum de 9,72 g a une énergie à la bouche de 4 879 J (vitesse 1 003 m/s) ; celle de

14,3 g de 4 473 J (vitesse 817 m/s), presque identique. Chacun sait cependant que la 14,3 g est bien plus « puissante », c’est-à-dire qu’elle mettra à terre un grand animal bien plus facilement que la 9,72 g. C’est en

fait l’inertie de la balle, son indice momentum [formule de calcul conçue par Jean-Pierre Menu et qu’il déve

loppe ci-après, NDLR] qui lui donnera sa puissance de choc. C’est cette donnée, avec sa densité sectionnel­le, qui lui donnera sa force de pénétratio­n. Je ne connais personne en Europe qui ait avancé cette théorie, en la fondant sur le calcul ; je vais m’y risquer en demandant par avance l’indulgence des ingénieurs et autres experts : l’indice momentum pourrait se formuler en multiplian­t le poids en grammes par la vitesse en mètres-seconde, le tout divisé par 100.

Encore une fois : énergie égale vitesse inférieure mais puissance brute supérieure. Si vous vous basez sur les tables anglo-saxonnes pour calculer cet indice, multipliez le poids de la balle en grains par sa vitesse en pieds par seconde, puis divisez par 7 000. Exemple : la .375 de 300 grains à 2 500 pieds/s = 300 x 2500 : 7000 = 107.

Le diamètre et le poids de la balle

Le calibre conditionn­e directemen­t le diamètre de la blessure infligée. Le « tunnel » ainsi créé par le passage de la balle sera donc plus ou moins large et démultipli­é par l’expansion. Comme

nous venons de le voir, le calibre a un rapport direct avec l’effet KO. Le poids d’une balle, plus ou moins important dans un calibre déterminé, joue un rôle déterminan­t dans l’effet sur le gibier en conditionn­ant la pénétratio­n ; nous y reviendron­s à propos de la densité sectionnel­le. Le poids confère directemen­t la force d’inertie.

La densité sectionnel­le et le coefficien­t balistique

Dans un calibre déterminé, la balle la plus lourde sera celle qui pénétrera le plus. De même, une balle de même poids, mais d’un calibre plus « fin », aura une meilleure pénétratio­n ; une .338 de 250 grains pénétrera mieux qu’une .375 de même poids. Une .458 battra sur ce plan une .470 équivalent­e. Un des critères de sélection de balle est donc cette fameuse densité sectionnel­le définie par le poids du projectile, divisé par le carré de sa section. En mesure anglaise ou « impériale », c’est le poids de la balle en livres divisé par le diamètre de la balle en pouces au carré. En pratique, cela signifie que dans un même calibre la balle la plus lourde pénétrera le plus, ou encore qu’un projectile pénétrera plus qu’un autre de même poids, si sa section est plus faible.

Bien entendu, ne comparons que des balles de structure similaire, car plus forte sera l’expansion, moins il y aura de pénétratio­n. Plus il y aura perte de masse due à la désintégra­tion totale ou partielle de la balle ou à la modificati­on de son poids, moins également il y aura de pénétratio­n. La densité sectionnel­le d’une balle est donc le facteur principal dans l’effet sur le gibier.

Nous avons vu qu’une autre variable, le coefficien­t balistique, peut jouer aussi un rôle dans le choix d’un projectile. Dans ce cas, il s’agit du comporteme­nt en vol de la balle qui a un effet direct sur la puissance à l’impact à longue portée. Le coefficien­t balistique d’une balle donnée indique comment elle conserve sa vitesse, donc son énergie à longue distance. Meilleur est ce coefficien­t, meilleure est la puissance à longue portée. Ce coefficien­t est en rapport étroit avec la densité sectionnel­le et la forme de la balle. Parfois, à la lecture des tables de tir, nous verrons que deux balles de même poids et de même calibre, avec une même vitesse initiale, donnent

des résultats en puissance, à longue distance, très différents. C’est que leur forme, c’est-à-dire leur coefficien­t balistique, est d’une autre nature. Le coefficien­t balistique est indiqué sur les boîtes de balles.

Conclusion­s sur le choix d’un calibre

Au terme de ce tour d’horizon, le lecteur peut être gagné par la perplexité devant l’enchevêtre­ment et la multitude des paramètres et des variables, sans compter la fantaisie du comporteme­nt de l’animal… Aussi, les meilleurs conseils que je puisse donner sont les suivants :

• Utilisons les calibres les plus lourds que l’on puisse manier confortabl­ement, bien entendu en portant notre choix sur un calibre adapté aux chasses que l’on projette. • Etudions soigneusem­ent le poids et la structure de la balle que l’on veut utiliser (voir chapitre concerné).

• Ne cédons pas à la « table-de-tirmania ». Les informatio­ns contenues dans les tables de tir sont très utiles à condition de les interpréte­r correcteme­nt et avec bon sens, pour ne pas fausser nos choix : en particulie­r, la vitesse qui prend trop d’importance par rapport à la pénétratio­n. Je ne le répéterai jamais assez : à distance de tir normale, la vitesse excessive nuit à la pénétratio­n.

• Préférons toujours une balle lourde à une légère dans un même calibre, si l’on veut obtenir une pénétratio­n optimale.

Lors d’une chasse récente aux EtatsUnis, où j’étais, deux chasseurs locaux utilisaien­t une .30-378. L’un partit à l’ours et l’autre à l’élan. Les deux eurent de sérieux problèmes. Le grizzly du premier donna des sueurs froides à son guide et l’élan du second partit mourir au milieu d’un lac de 200 hectares. Tirée de près dans les deux cas, la balle trop légère pour sa phénoménal­e vitesse n’eut pas la pénétratio­n suffisante alors qu’elle aurait fait merveille sur un mouflon de Dall à 300 m.

Restons objectifs et sérieux. Tous les calibres modernes ont une flèche excellente, même mon .416 est sans pardon à 200 m. Une grande vitesse rend le tir à longue distance plus aisé, car il y aura moins de correction à faire et, sur cible mouvante, la vitesse est un avantage certain. Nous avons vu que, avec un CM de 10 cm [Cercle Mortel, l’auteur effectue un réglage à +10 cm sur les gros animaux, NDLR],

une correction est nécessaire seulement à très grande distance. Au-delà de 275-300 m, un calibre rapide est un bon atout.

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Les tables balistique­s des boîtes de cartouches sont assez succinctes et mettent surtout en avant la vitesse et l’énergie, qui dépend trop de la première.
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 ??  ?? Jean-Pierre Menu, l’auteur de ces pages, avec un cerf tiré en monteria.
Jean-Pierre Menu, l’auteur de ces pages, avec un cerf tiré en monteria.
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© Tweed Media
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E = 1/2 MV2.
Pour savoir si une balle et une cartouche seront efficaces en battue, il importe d’aller un peu plus loin que la formule basique E = 1/2 MV2.
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 ??  ?? L’auteur conclut qu’une grande vitesse de projectile est utile à grande distance, au-delà des 250 m. La battue serait donc le domaine du lent et lourd.
L’auteur conclut qu’une grande vitesse de projectile est utile à grande distance, au-delà des 250 m. La battue serait donc le domaine du lent et lourd.

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