Anciennes contre modernes
La guerre des cartouches Les munitions nouvelles sont-elles meilleures que les anciennes ? La question revient souvent dans vos courriers. Puisque tel est votre souhait, reprenons l’éternel débat entre anciens et modernes, à la mode balistique !
Souvent présenté comme un phénomène récent, la course aux petits calibres commence réellement entre 1890 et 1915. Inévitablement, le tir du plus gros ou plus dangereux des gibiers avec le plus petit calibre devient un « sport » prisé. Avec sa longue liste de morts et de blessés. Certains fabricants, pragmatiques, développent des munitions susceptibles de tout faire ou presque dans les mains de « l’humain moyen ». Les cartouches « militaires » reçoivent des balles de chasse (.303 British, 8 x 57 I/ IS, 6,5 x 53 R/ 54, 7 x 57, etc.) et servent avec brio tant que le chasseur ne les sort pas de leurs limites. Des munitions spécifiques voient le jour : 9,3 x 62, 9,3 x 74R, 375 H & H, .350 et .416 Rigby, .318 Westley Richards, .404 Jeffery… Les Européens dominent largement le marché des munitions africaines. Il faudra la Première Guerre mondiale pour que l’Amérique commence lentement à prendre le relais d’une Europe en ruine.
1890, tout est dit
C’est de cette période africaine et de ces cartouches que découle tout ce que nous employons aujourd’hui. Autrement dit, les cartouches modernes sont nées il y a 130 ans. Et si les cartouches créées à cette époque sont nombreuses à avoir disparu, elles le doivent plus à la Seconde Guerre mondiale, qui finit de détruire les puissances européennes, qu’à un défaut de conception ou un manque de performance. Ensuite, l’Amérique va dominer et imposer ses choix et préférences : des armes à prix abordable pour un maximum de consommateurs et des cartouches de dimensions souvent plus réduites, plus polyvalentes et de plus en plus rapides avec des résultats parfois peu convaincants mais dans l’ensemble satisfaisants.
Faut-il parler de cartouches modernes ou de balles et poudres modernes ? C’est la question qu’on doit se poser. Car toutes les cartouches, hormis de rares exceptions dont on va parler plus loin, datent d’avant 1965. Seule l’évolution de la chimie et de la « métallurgie » les a rendues théoriquement plus performantes. Quand
commence le modernisme en matière de munitions ? Au vu de ce qui vient d’être évoqué, j’ai tranché, ce sera 1970 comme année charnière. Tout ce qui a été conçu avant sera considéré comme plus ou moins ancien.
C’est parti pour les comparaisons
Commençons par des cartouches vraiment modernes selon mon critère principal, créées après 1970, et attaquons par ce qui devait révolutionner la chasse du deuxième millénaire : les WSM.
Fin des années 1990, Winchester USA fait une enquête auprès des détaillants et grossistes pour savoir s’il existe un marché potentiel pour une nouvelle gamme de cartouches.
Au même moment, Rick Jamison, journaliste cynégétique et wildcater très connu outre-Atlantique, planche sur une gamme de cartouches basées sur un étui de .404 Jeffery ( véritable nouveauté en 1909, très en vogue chez les wildcaters américains) recoupé et rétreint. L’Amérique étant ce qu’elle est, Jamison présente ses « chats sauvages » dans les revues auxquelles il collabore, dont le très lu Shooting Times. Du côté des résultats de l’enquête de Winchester, ils semblent indiquer qu’il existe un marché potentiel pour de nouvelles cartouches magnum sans ceinture. Les WSM voient le jour… des copies conformes des cartouches de Rick Jamison, qui étaient brevetées. L’intéressé lancera des poursuites
contre Winchester qui lui vaudront d’empocher un joli pactole. On notera aussi qu’un microfabricant américain, Lazzeroni, possède dès 1997 des munitions très proches des WSM.
.300 WM contre WSM
En 2001, Winchester sort la .300 WSM, propulsée sur les devants de la scène par une campagne de marketing et de publicité rarement vue depuis les années 1958/62 et la « magnumite ». Le .300 WSM va enterrer la vieille .300 Winchester Magnum. Cette dernière est trop longue, son collet trop court, elle brûle trop de poudre, elle possède une ceinture qui la rend délicate à faire tirer droit… blablabla. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. On se garde de nous dire que la WSM travaille avec un peu plus de pression, mais on insiste sur le fait que la munition tient dans un boîtier court, que son recul est réduit et qu’elle est plus précise. C’est parfait. Seulement, lorsqu’on tire lourd ( 200 ou 220 grains) ou long (balles cuivre) le .300 WM est toujours devant. Comme un calibre 300 magnum n’est pas fait pour tirer des 150 grains, l’argument prend toute sa valeur.
Entre-temps, Winchester développe trois nouveaux calibres basés sur l’étui du .300 WSM : les .270, 7 mm et .325 WSM. Si le 7 mm voit son étui souvent employé aux Etats-Unis pour le tir à longue distance dans des carabines « custom », il ne décollera jamais comme munition de chasse (voir les Remington RSUM). Le .270 va connaître chez nous un certain engouement dans les Bar, vanté par de nombreux auteurs et une campagne de pub qui en fait un calibre de battue, marché où il est en concurrence avec son aîné, le .300 WSM. Le .325, qui aurait vraiment pu apporter un plus en battue si Browning-Winchester l’avait chambré, agonise lentement. En 2019, .270 et .325 ont disparu du catalogue des Bar et même aux EtatsUnis leur implantation reste plus que limitée. Comme quoi ce n’est pas parce qu’une munition est moderne, théoriquement supérieure à une autre plus ancienne, qu’elle apporte quelque chose. Au sujet du .270 WSM, hormis un étui plus long, le .270 Weatherby de 1944 fait aussi bien et même mieux avec les balles de 160 à 180 grains. D’ailleurs, d’autres fabricants que Norma l’ont au catalogue et d’autres que Weatherby le chambrent. Je n’épiloguerais pas sur les munitions Ruger Compact Magnum ou sur les Blaser Magnum, entre autres. Toutes ont des avantages théoriques, toutes sont performantes, mais toutes restent confidentielles car aucune ne change la donne en termes d’efficacité. Je connaissais l’excellente cartouche précise et puissante qu’est le .300 Blaser uniquement par le tir jusqu’à ce que j’aie l’occasion de l’employer sur des gibiers résistants. Avec un succès conséquent, mais la mort des animaux tirés avec les balles CDP n’a été ni plus rapide ni plus spectaculaire qu’avec les mêmes CDP en .300 WM. J’ai utilisé le .375 Ruger. Excellent, avec la possibilité de boîtiers courts, de carabines moins lourdes et moins onéreuses. Mais ce sont moins ces avantages que la disponibilité de carabines en acier inoxydable courtes et rustiques qui le font préférer au mythique H & H en Alaska.
Succès réel contre succès d’estime
Il existe des calibres modernes qui apportent de vrais plus, tant en théorie qu’en pratique. Pourtant, ils ne connaissent qu’un succès d’estime car le chasseur européen n’est par définition pas l’américain. Soit il rechigne à acheter une autre arme, soit il est limité par la législation en vigueur. Ces calibres s’adressent surtout à un marché de niche potentiellement plus important en théorie que les munitions citées plus haut.
Le .338 Federal est de ceux- là. Conçue par Federal pour offrir plus de puissance qu’un .308 Winchester dans un étui de même longueur, cette cartouche vise à l’origine le marché des MSR (Modern Sporting Rifle) aux Etats-Unis. En fait, la petite cartouche fait mieux qu’un .30- 06 ou qu’un 8 x 57 IS. Elle est au .308 Winchester ce que le .338-06 est au .30-06. Aux Etats-Unis, elle connaît un bon succès d’estime dans les MSR sur base AR10 pour le tir des cochongliers. En Alaska et dans les forêts du Nord-Ouest ou du Maine, elle est appréciée dans des carabines à verrou rustiques et légères. Lorsqu’elle arrive en France, en 2005, les munitions « militaires » sont loin d’être légalisées (2013). A ce moment-là et pour huit ans encore, elle constitue une fantastique alter
native aux 8 x 57 IRS, 7 x 64, 7 x 65 R et 9,3 x 62 pour notre chasse la plus courante, la battue. Avec moins de recul que le 9,3 x 62 mais plus de masse et de surface frontale que les 7 mm et beaucoup plus puissante que le 8 x 57 IRS, elle est disponible dans la démocratique Tikka T3 et les plus onéreuses Sako 85. Incomprise et non disponible en semi-auto ou linéaire, il a dû s’en vendre moins de cinquante, la mienne incluse. Depuis 2005, c’est le calibre que j’emploie le plus lorsque je chasse chez moi. Mais en fin de compte, il reste chez nous purement anecdotique, le gain apporté ne se justifiant pas suffisamment, surtout depuis l’arrivée des .30-06 et 8 x 57 IS.
Le cas du 9,3 x 66
Les Finlandais sont de grands wildcaters. Après les Américains, ce sont certainement les plus grands bricoleurs de cartouches. Début 2000, un Finlandais chasseur et balisticien amateur, grand utilisateur de 9,3 x 62, emploie sa cartouche favorite chargée par ses soins à des pressions « modernes », proches de celles du .270 Winchester ou du .25-06. A ces pressions, la bonne vieille teutonne change de visage, le recul grimpe mais l’énergie s’envole. Lorsqu’on utilise des balles plus légères, le 9,3 x 62 vient chatouiller certains magnum réputés. Bien introduit chez Sako (il y travaille), notre Finlandais arrive à imposer son idée. Comme l’évolution des cartouches est bridée par la CIP et la SAAMI, Sako décide d’allonger l’étui du 9,3 x 62 de 4 mm le 9,3 x 66 est né.
Cette munition apporte un réel plus, elle fait en mieux tout ce que fait un 9,3 x 62 et fait aussi bien que le très rare 9,3 x 64 Brenneke et le long .375 H & H (pardon pour les pinailleurs, mais c’est la vérité toute nue). Avantage sur ces deux redoutables cartouches, son étui standard permet une capacité de magasin accrue sans avoir à bricoler : six coups en comptant celle de la chambre avec une Sako 85.
Si le monde de la chasse était rationnel et si Sako était Winchester ou RWS, la vieille cartouche d’Otto Bock ne serait peut-être plus qu’un souvenir pour de vieux ronchons rétrogrades et passéistes tels que moi, le 9,3 x 66 l’aurait supplantée. Sako, même sous contrôle Beretta, n’étant que Sako (excellente maison s’il en est), le 9,3 x 66 vivote, même si Federal lui a donné une appellation magnum (.370 Sako Magnum) et le propose en deux chargements. D’autres petits fabricants ou wildca
ters européens ont sorti des munitions théoriquement avantageuses, comme les cartouches de Messner ou Reb, mais là encore ces avantages ont peu de poids dans le monde réel.
2013, année permissive
Il est temps de parler spécifiquement du marché français. En 2013, le gouvernement franchit un pas après des années de tergiversation, les calibres militaires honnis et interdits sont légalisés pour la chasse.
Si le 8 x 57 IS est complètement ignoré, tout comme le .308 Winchester, le .30- 06, la « meilleure cartouche » , est poussée en avant, en particulier par Winchester et Browning qui ont des carabines et des munitions toutes prêtes pour nos battues.
Les premiers mois, le râtelier des occasions des armuriers se remplit de carabines délaissées en .280 Remington, 7 x 64 et même .300 WM. Le .30- 06 a longtemps été un fantasme véhiculé par l’image des Springfield 1903, Enfield 17 et autres Garand. C’est plus à eux qu’à un véritable avantage balistique qu’il doit son succès.
Aujourd’hui, les fabricants délaissent peu à peu les 280 et 7 x 64, ce qui renforce la position du .30-06, surtout auprès des jeunes chasseurs qui ne connaissent pratiquement rien d’autre. Mais balistiquement il n’apporte pas grand-chose. D’ailleurs, son étui a servi à développer des cartouches destinées à combler ses lacunes : .2506 Remington, .270 Winchester, .280 Remington, .338-06, .35 Whelen, etc. Ni bon ni mauvais, polyvalent comme un 7 x 64, il n’est certainement pas le meilleur calibre de battue ni de montagne. Aujourd’hui, les fabricants d’express voulant exploiter le succès de l’américaine proposent des modèles dans ce calibre. Une pure hérésie mécanique (extraction), qui entraînera tôt ou tard des déboires, surtout quand on connaît la passion du nettoyage qui anime nos nemrods. On doit toutefois lui reconnaître un avantage : son recul inférieur à celui du .300 WM a conduit de nombreux chasseurs à le choisir malgré sa puissance moindre mais suffisante. Dans ce cas, on peut parler de démarche logique.
Le 8 x 5 7IS qui lui est supérieur en battue – balle plus lourde, plus grosse, étui plus court, pour un meilleur fonctionnement théorique en semi-auto – stagne. Qui voudrait chasser avec la cartouche des perdants ? Dommage, car c’est une vraie bonne cartouche. Je pourrais continuer longtemps, parler des .450 Marlin, .45 Blaser, mais je vais passer à une petite cartouche qui gagne du terrain car elle apporte un vrai plus dans sa catégorie, même si elle ne se destine pas de prime abord à la battue et si elle manque de polyvalence : le 6,5 Creedmoor.
Le petit Creedmoor
On ne reviendra pas sur sa conception ni sur ses performances mais cette cartouche offre les qualités des 6,5 européennes et fait souvent mieux
tout en étant optimisée pour un boîtier court. Peut-être qu’en Scandinavie elle ne détrônera pas le vieux 6,5 x 55, mais chez nous, où la munition scandinave ne jouit pas du même prestige mérité, le 6,5 Creedmoor est pleinement justifié pour celui qui désire un 6,5 mm standard. Et c’est un achat plus logique que le 6,5 x 55 ou 57 : pléthore de fabricants, choix de balles, de types de munitions (entraînement, tir, chasse). Sako ne s’y trompe pas et livre le Creedmoor avec une balle Deerhead de 156 grains qui surpasse tous les chargements de 6,5 Suédois à balle de poids égal. Pour l’avoir utilisée cet été à l’approche, je sais ses performances remarquables.
Je ne dénigre pas le 6,5 Suédois, je l’apprécie beaucoup, mais la logique pure favorise le Creedmoor si on se base simplement sur les performances et la disponibilité. D’ailleurs, contrairement à beaucoup de munitions précitées qui devaient faire oublier les « anciennes » et sont en perte de
vitesse ou n’ont été fabriquées que par quelques manufacturiers, la cartouche d’Hornady est acceptée et reconnue par tous. Il arrive parfois qu’une munition moderne trouve sa voie et une justification logique.
Cartouches « réglementaires »
Il existe aussi des munitions modernes qui sont nées de l’obligation de respecter une loi ou une réglementation. Bien qu’il soit difficile de faire comprendre certains concepts sans passer par de longs développements, je citerais deux de ces cartouches récentes et intéressantes (bien que très éloignées en matière de puissance et de conception) si on les étudie dans leur contexte spécifique : la 10,3 x 68 Magnum de RWS et la .350 Legend de Winchester. La première répond à une loi des Grisons, canton montagneux de la Suisse, où le seul calibre autorisé à la chasse est le 10,3 mm dans une carabine monocoup. Le second va permettre aux chasseurs de certains Etats américains du centrenord d’employer une carabine pour la chasse au cerf de Virginie au lieu d’un fusil. Les lois et règlements forcent parfois les fabricants à être réactifs et inventifs.
Présentée par Blaser au dernier Iwa, une autre cartouche moderne très attendue, la 8,5 x 55 Blaser, sorte de version standardisée des différents wildcats .338-300 WSM, est censée apporter une nette amélioration en termes de balistique terminale, particulièrement avec des balles sans plomb. Je ne suis ni balisticien ni fabricant, mais au vu de ce qu’on en sait, je me permets de douter du bienfondé de l’idée. Blaser faisant pour la première fois cette année le forcing sur le marché nord-américain avec sa R8, c’est ce marché qui déterminera le succès de cette nouvelle cartouche. C’est le pire que nous pouvons souhaiter à la maison d’Isny. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas qu’elle tuera plus « mort que mort ». Une fois encore, ce n’est pas la nouveauté qui changera la chasse, mais bien le placement au bon endroit de la balle adaptée au gibier.
Et demain ?
Même si de nouveaux concepts ont été développés depuis les années 1970, même si de nouvelles cartouches ont vu le jour, peu d’entre elles ont été de francs succès. Lorsque cela arriva, ce fut souvent en fonction de la configuration de marchés spécifiques – comme en France, où la .270 WSM connut un réel succès chambrée dans la Browning Bar – et rarement en fonction d’une véritable amélioration des performances, que l’on parle de balistique de vol ou de balistique terminale.
La réelle amélioration des munitions de chasse découle principalement des nouvelles poudres et balles, de l’ultraprécision des machines modernes et des contrôles de qualité, mais pas de la conception miraculeuse d’un étui ou d’une cartouche – je mets de côté les cartouches de tir spéciales, type .300 Norma Magnum. Optiques modernes et armes de grandes qualités font le reste.
Chez nous, la plupart des nouveautés ont plus de 110 ans et tueraient certainement aussi bien dans 99 % des cas avec leur balle d’origine que ce qu’elles tuent avec des balles modernes pour peu que le chasseur les place dans la zone vitale. L’observation de ce monde où presque tout ce qui s’y fabrique a l’espérance de vie d’une libellule n’a de cesse de me surprendre et de m’amuser… Longue vie aux anciennes !