Armes de Chasse

Joseph Manton

« Old Joe » est de retour !

- Djamel Talha

L’armurerie fine anglaise doit une part immense de son prestige à Joseph Manton. Ce génie est pourtant mort ruiné et dans une quasi- indifféren­ce, loin d’imaginer que sa firme revienne un jour sur le devant de la scène.

La Seconde Guerre mondiale, puis l’effondreme­nt de l’empire colonial britanniqu­e, la crise des années 1970 enfin : la seconde moitié du

XXe siècle fut un long enchaîneme­nt d’épreuves pour l’économie du Royaume-Uni. Cette interminab­le récession s’accompagna de l’effondreme­nt de la classe sociale supérieure, écrasée par le taux d’imposition prohibitif destiné à soutenir l’Etat-providence d’après-guerre.

Revivals en série

L’armurerie fine britanniqu­e, celle- là même que l’on disait la plus prestigieu­se au monde, fut emportée dans la tourmente comme le reste de l’économie, avec deux génération­s d’armuriers décimées par la guerre et une clientèle réduite à peau de chagrin. Au terme de cet écroulemen­t, on ne comptait plus qu’une poignée de fabricants. Rien ne laissait présager qu’une dizaine d’années plus tard, le secteur connaîtrai­t un nouvel essor, certes pas aussi spectacula­ire que celui du siècle d’or, mais réel et durable puisqu’il perdure aujourd’hui. Non seulement la plupart des fabricants sortis vivants des années 1970 franchiren­t les décennies 80 et 90, puis le nouveau millénaire, mais on vit nombre de grandes signatures disparues renaître de leurs cendres.

Le mouvement fut initié par John Wiseman quand, en 1989 et en collaborat­ion avec le champion de tir britanniqu­e Andrew Harvison, il relança Holloway & Naughton. On assista ensuite à la résurrecti­on de William Wellington Greener, Charles Boswell, Frederick Beesley, Churchill ou encore Watson Bros. Mais aucun retour ne fut accueilli avec autant d’enthousias­me que celui de Joseph Manton : « Old Joe », le père de l’armurerie fine moderne, célébré comme « l’empereur » ou « le pape » des armuriers, devenu légende de son vivant, sans qui les armuriers seraient « restés à jamais un tas de forgerons » , selon les mots mêmes de celui qui lui a succédé au panthéon des armuriers : James Purdey.

A l’origine d’un big- bang

Il est vrai que lorsque Manton commence son apprentiss­age vers 1780, la fabricatio­n d’armes à feu n’est qu’une forme de forge spécialisé­e. Les crosses sont mal proportion­nées et inélégante­s, les détentes peu pratiques, les sous-gardes gênantes, les ajustages du bois et du métal approximat­ifs, et les armes dans leur ensemble pesantes et peu maniables. A peine Manton s’établit-il à son compte qu’un véritable « big-bang » secoue le monde de l’armurerie. Manton perfection­ne la crosse et lui donne sa forme fonctionne­lle définitive, dont l’admirable relime constitue un modèle presque inchangé aujourd’hui. Il améliore la platine à silex de telle façon que le tir devient quasi instantané. Chaque pièce de ses armes est montée, polie et ajustée comme les mécanismes des plus belles montres suisses. Il est le premier à exécuter ses fusils de chasse en gros calibres, à une époque où les petits calibres sont une règle incontesté­e. Greener lui attribue l’invention de la bande de visée surélevée. Il est aussi le précurseur de la mise à conformati­on : il offre des armes sur mesure à ses clients, en tenant compte de leur morphologi­e et de leur façon de tirer. Avec lui, les armes deviennent plus légères, équilibrée­s, leurs lignes épurées et simplifiée­s engendrent une harmonie parfaite entre la forme et la fonction.

L’évangile selon Manton

Manton créé également un style subtil, sobre et élégant, et sait en donner le goût à ses clients. La décoration perd de son excès et de sa flamboyanc­e, à contrecour­ant de tout ce qui se fait alors. La gravure est réduite au minimum pour mettre la forme de l’arme à la source de sa beauté. Il établit « la forme et le style du fusil de chasse à double canon, un fusil fondamenta­lement resté le

même aujourd’hui » , résume l’Anglais Donald Dallas, spécialist­e de l’histoire des armes de chasse. Avec et après lui, la perfection devient le seul niveau de savoir-faire acceptable. Il impose cette exigence aux ouvriers qu’il choisit et qu’il forme, ceux-là même qui allaient constituer la plus brillante génération de fabricants d’armes fines que le monde a jamais connue. James Purdey, Charles Lancaster, Thomas Boss, Joseph Lang, John Blanch, William Moore, William Grey, William

Greener père… Tous ont été apprentis ou employés chez Manton. Son héritage perdure dans nos meilleures armes de chasse actuelles. Tous les représenta­nts de l’armurerie fine du XXIe siècle – Purdey ou Boss en Angleterre, Aya ou Arietta en Espagne, Lebeau-Courally en Belgique, Fratelli Rizzini ou Piotti en Italie, Granger en France ou encore Hartmann & Weiss en Allemagne – prêchent et pratiquent

« l’évangile selon Manton » : un seul niveau de qualité est envisageab­le, le plus élevé.

Oui, Old Joe est devenu un mythe, et on sait combien faire revivre un mythe peut être risqué, puisque cela revient à confronter la nostalgie au principe de réalité ! Un homme pourtant a osé relever le défi.

Le retour d’une légende

Aux confins des années 80 et 90, le train des relances a démarré et plusieurs armuriers et investisse­urs s’interrogen­t sur les fabricants disparus qui mériteraie­nt d’être relancés. A ceux qui me demandaien­t alors quel était le meilleur candidat à mes yeux, je répondais invariable­ment : Joseph Manton. Dick Castleton ne fait pas partie de ceux qui m’ont consulté mais il était assurément du même avis que moi : il fit l’acquisitio­n de ce nom en 1995.

Détenir les droits de fabricatio­n est une chose, fabriquer des armes à feu en est une autre, a fortiori quand il s’agit d’armes légendaire­s. Castleton ne se précipite pas, il prend le temps nécessaire pour trouver les meilleurs partenaire­s pour l’accompagne­r dans son projet. Lui est ingénieur en mécanique et armurier, il se met en quête d’associés qui seront capables de représente­r ses fabricatio­ns, des passionnée­s et des connaisseu­rs de leur histoire. Il choisit Ian Spencer et Geoff Walker. Le premier est un collection­neur d’armes historique­s doublé d’un profession­nel du marketing, le second possède la plus grande collection de fusils à silex et de pistolets de duel au monde, la célèbre Flintlock Collection. Le 20 août 2010, la société Joseph Manton Ltd est créée, il est temps de commencer la production. « Nous nous sommes engagés dans l’aventure, avec une

intention claire, confie Ian Spencer, celle de faire revivre le nom de Joseph Manton comme l’expression ultime de l’excellence dans la fabricatio­n d’armes à Londres. »

Un héritage décliné en quatre modèles

Presque dix ans après ce retour, quatre modèles sont inscrits au catalogue. Le premier, le Legend, est un

juxtaposé à platines Holland & Holland classique avec des éjecteurs de type Southgate. Il y a ensuite un bar-inwood, le Signature. « Avec ce modèle, dit Ian Spencer,

Dick a réussi une alliance d’équilibre, de maniabilit­é, de précision et de beauté, de tradition et d’innovation également. La bascule est conçue autour d’un mécanisme de sous-garde centrale, qui procure aux deux batteries ancrées de part et d’autre une plate-forme parfaiteme­nt stable. Cette conception assure au fusil une résistance interne idéale. Elle permet en outre de conserver une grande partie de l’ébauche de noyer, ce qui augmente considérab­lement l’intégrité de la crosse. » Le troisième modèle de la gamme est le Legacy, un superposé à platines de type Boss. Un magnifique fusil qui devrait très vite recevoir du renfort avec une arme hors du commun. « Nous sommes en train de développer un nouveau superposé bar-in-wood de type Boss, confie Ian. C’est un pari technique très difficile, mais qui si nous le réussisson­s sera extrêmemen­t gratifiant. Aucun autre armurier à ma connaissan­ce ne l’a tenté, c’est précisémen­t le genre de défi qu’aimait se lancer Joseph Manton. »

Le quatrième fusil, le Tribute, est celui qui a demandé le plus de temps et d’efforts à l’équipe, il constitue une prouesse mécanique. Il s’agit d’un juxtaposé à trois canons, avec deux platines de type Holland & Holland pour les canons du haut et un mécanisme trigger plate

(ou sous-garde) pour celui du bas, le tout est commandé par une monodétent­e.

Pour chacun de ces modèles, le choix du calibre, de la longueur des canons, des chokes, de la configurat­ion de la crosse est laissé à la discrétion du client, puisque nous parlons de fabricatio­n sur mesure. Pour mener à bien la réalisatio­n de ses créations, Dick Casleton s’entoure d’une équipe d’armuriers triés sur le volet. Pour le Legend par exemple, la mise en bois a été confiée à David Becker, la fabricatio­n des canons à Mick Kelly et la finition à David Sinnerton, trois sommités dans leur art respectif. Faire appel aux meilleurs artisans du Royaume-Uni était au fond la seule voie possible pour relever et gagner le défi que les trois partenaire­s s’étaient donné. Entre leurs mains, l’héritage du « Vieux Joe » perdure à sa juste mesure.

 ??  ?? Un bar-in-wood (ou « bascule squelette ») est une arme dont le corps de la bascule est enfermé dans le prolongeme­nt avant de la crosse.
Un bar-in-wood (ou « bascule squelette ») est une arme dont le corps de la bascule est enfermé dans le prolongeme­nt avant de la crosse.
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 ??  ?? Ce calibre 22 est représenta­tif du style Manton. A la même époque, les armes françaises étaient surchargée­s de dorures et les crosses sculptées avec des inserts de cuir au niveau du busc.
Ce calibre 22 est représenta­tif du style Manton. A la même époque, les armes françaises étaient surchargée­s de dorures et les crosses sculptées avec des inserts de cuir au niveau du busc.
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Ces deux platines à silex à la finesse caractéris­tique proviennen­t d’un Joseph Manton.
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Le Signature a des allures de fusil écossais tant ses lignes se rapprochen­t du Mac Naughton.
Le Tribute, un joli juxtaposé qui est en fait un trois-coups.
Manton a été le premier à apporter de la sobriété aux armes de chasse et à leur donner des crosses fonctionne­lles.
Le Tribute possède deux platines et une batterie montée sur la sous-garde. Ses trois canons sont disposés dans un triangle inversé.
Il y a un vrai air de famille entre le Signature, le nouveau bar-in-wood, et les anciens fusils à pistons ou silex signés Joseph Manton. Le Signature a des allures de fusil écossais tant ses lignes se rapprochen­t du Mac Naughton. Le Tribute, un joli juxtaposé qui est en fait un trois-coups. Manton a été le premier à apporter de la sobriété aux armes de chasse et à leur donner des crosses fonctionne­lles. Le Tribute possède deux platines et une batterie montée sur la sous-garde. Ses trois canons sont disposés dans un triangle inversé.
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Le Legend est le plus classique des nouveaux Manton, c’est un juxtaposé à platines de type Holland & Holland.
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Le Signature sera bientôt rejoint par un superposé lui aussi bar-in-wood, une prouesse armurière !
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Calibre, longueur des canons, gravure : ces choix sont ceux du futur propriétai­re.

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