Le portrait robot du fusil bécassier
Les critères à retenir pour choisir votre arme
Tirs à courtes distances dans des tènements encombrés, vol aussi rapide qu’imprévisible, marche longue dans des secteurs parfois inhospitaliers : la chasse de la bécasse nécessite un équipement adapté à toutes ces conditions. Nous faisons le point sur les éléments à privilégier pour choisir un fusil bécassier.
Le baron des Ravots cher à Maupassant1 aurait sans doute apprécié, en écoutant ses hôtes lui raconter les chasses dont il était désormais privé par sa paralysie, entendre prononcer les mots de « fusil bécassier ». Apprendre que la recherche du mythique oiseau à travers les landes et les bois était magnifiée par un outil dédié n’aurait manqué d’être approuvé par l’ancien « roi des chasseurs » . Car bien plus qu’un choix technique, cet outil implique toute une philosophie de la chasse et du tir. Les fabricants modernes l’ont bien compris et sont nombreux à proposer dans leur gamme un fusil bécassier. Pour autant, leurs modèles cachent sous cette désignation commune quelques différences et subtilités qu’il convient de connaître pour bien choisir son fusil. Nous allons tâcher de les examiner ici.
Génération seventies
Le terme « bécassier » commence à être associé à un fusil en même temps que le chien du même nom, au tournant des années 1970, en plein boom du superposé. Les chasseurs se font alors plus nombreux à s’intéresser à ce gibier, auparavant apanage de rares « spécialistes » . Jusque- là, on chassait l’oiseau avec les mêmes armes que celles employées au lièvre et au perdreau (lire page ci-contre). Tout au plus chargeait- on du petit plomb, 9, voire 10, accompagné ou non d’artifices dispersants, comme l’antique croisillon, les cubiques, « Disco » et même l’ARX qui était déjà au catalogue Verney- Carron avant 1914. C’est bien plus tard que les fabricants commencent à proposer des armes spécifiques pour cette chasse en jouant sur le poids et la dimension des canons, ainsi que sur le choix des chokes. Aujourd’hui, la famille des fusils bécassiers est dominée par les superposés, avec une trentaine de modèles pour une vingtaine de marques. L’offre de juxtaposés se compte sur les doigts d’une main. Les semi-autos ne sont guère plus nombreux. Bien qu’ils aient leurs adeptes, leur longueur et leur encombrement s’accordent mal avec la quête de la mordorée et leur troisième coup n’est guère utile – sinon, diront les mauvais esprits, pour tirer au passage un pigeon dérangé par deux premières détonations inutiles initiées par des maladroits.
Une crosse bien conformée
Avec le superposé à canon court ( autour de 60 cm) et d’un poids modeste (autour de 2,5/2,7 kg), nous avons le portrait robot du candidat idéal pour aller chasser la bécasse. Reste ensuite à l’affiner par le choix du calibre et des forages, et surtout par la conformation. Car la crosse doit
être adaptée aux conditions de cette chasse : le terrain accroît la difficulté du tir et la saison hivernale exige plusieurs couches de vêtements, dans une moindre mesure qu’à l’affût cependant puisque l’on marche beaucoup. Comme l’ont démontré les travaux de Ferdinand Courally, les cotes de la crosse doivent être adaptées à la morphologie du chasseur, mais aussi au type de cette crosse. La longueur différera légèrement entre un juxtaposé et un superposé : 375 mm contre 370 mm, pour un chasseur de taille moyenne (1,75 m). Pour ce même chasseur, une crosse anglaise sera 1 cm plus longue qu’une crosse pistolet et 5 mm plus longue qu’une semi-pistolet. La pente d’un juxtaposé sera plus importante, la visée étant plus proche de la bascule. L’avantage sera variable selon les individus. La bande ventilée est inutile – il est rare que l’on tire beaucoup – et la bande de visée ne s’impose pas, le tir se faisant le plus souvent « au coup de bras » . Les anciens fusils ne disposaient d’ailleurs pas de cet accessoire réservé à l’origine au balltrap et étaient tout au plus munis d’une « visière » qui avait l’avantage supplémentaire, toujours intéressant « à la plume », de relever le tir. La crosse anglaise eut un temps la faveur des chasseurs, mais elle fut vite concurrencée par la poignée pistolet, généralisée sur les superposés. La crosse anglaise n’est pas seulement destinée à donner une élégance à son porteur, par ailleurs vêtu d’un impeccable tweed Cheviot. Non, elle est surtout propice à faciliter l’enchaînement des deux coups, la main forte glissant plus facilement d’une détente à l’autre. La double détente est d’ailleurs généralement préférée à la monodétente, le choix de canons se faisant de façon immédiate en fonction de la portée de départ de l’oiseau, sans avoir à s’escrimer à pousser dans l’urgence un bitoniau plus ou moins bien placé.
Le superposé dicte sa loi
Le calibre 12, d’abord omniprésent, a vite été talonné par le 20 et le 28, qui compensent ce qui est perdu en gerbe par la rapidité de la mise en joue. Seul le .410 ne concourt pas au titre de fusil bécassier, il reste réservé aux lapiniers.
Depuis les travaux du général Journée, les performances balistiques des canons courts ne font plus débat : une cartouche tirée avec un canon de 80 cm file à 385 m/s contre 367 avec un canon de 60 cm, la différence est infime. Les superposés « slug », à canons encore plus courts (50 cm), que l’on a vu apparaître dans les chasses au grand gibier sont inadaptés pour la bécasse, leurs organes de visée protubérants faisant tirer bas, ce qui est peu adapté au tir d’un oiseau réputé monter en chandelle.
Le fusil bécassier est donc le plus souvent un superposé, italien le plus souvent aussi. Les fabricants
transalpins sont en effet devenus des spécialistes du domaine, surtout depuis l’apparition de la technologie de l’ergal et des bascules allégées. Les marques de milieu de gamme ( Fair, Franchi, Bettinsoli) proposent un choix de 12 et 20, Rizzini pousse jusqu’au 28, dans tous les cas avec des canons ne dépassant pas 61 cm pour des armes n’excédant pas 2,7 kg. Marocchi, Silma, Sabatti, Mercurey Mansart, Renato Baldi se limitent au 12. C’est le cas aussi des fabricants turcs arrivés plus récemment sur le marché ( Yildiz, Jager, Integra, Country, Ata) avec des prix encore plus compétitifs.
En France, le marché est dominé par Verney-Carron. Le fabricant est connu depuis longtemps pour être au plus près de cette chasse de spécialistes, amateurs de fusils légers. La gamme Sagittaire décline un modèle
Mordorée , des Classique bécassiers, des Extra- luxe et une série Grand Bécassier, qui se subdivise encore en trois séries. On peut aussi ajouter le Billebaude, autre fusil léger à canon de 60 cm. En calibre 20, il y a encore le Sagittaire XS 20 en Classique et Extra-luxe. Tous ces fusils stéphanois ont la particularité d’être dotés d’une première détente qui permet de doubler, cumulant ainsi les atouts de la simple et de la double détente.
Face à ce déferlement de superposés, l’offre de juxtaposés fait pâle figure. Elle se résume au Fair Iside, au Mercurey Mansart et au Robust de la Manu. Celle des semi-autos compte une demi-douzaine de modèles, dont le Verney-Carron Matrix (uniquement en 12 et qui n’est pas vraiment un poids léger), le Beretta Belmonte et surtout le Benelli Beccaccia en 12 et 20.
Canons rayés ou boyaudés ?
Le changement de législation de l’automne 2013 a d’un côté mis un terme à l’inepte interdiction des calibres dits « de guerre », mais a d’un autre côté fait entrer les fusils rayés ou boyaudés dans la catégorie C, au même titre que les carabines. Cela n’a pas arrangé les chasseurs de bécasse qui se sont retrouvés en possession d’armes soumises à déclaration. Du moins pour ceux qui possèdent un fusil à un canon rayé. Car tous les fabricants proposent au moins un fusil à canon rayé pour le premier coup et un lisse pour le second. Le canon rayé est aussi apelé « boyaudé ». Le terme
apparaît pour la première fois en 1919, avec la technique dite « Supra » de Manufrance, et est défini par « de multiples et fines rayures au pas très allongé, grâce auxquelles la gre
naille se trouve dispersée ». Il était alors destiné au lapin, qui proliférait à l’époque. En 1947, Le Chasseur
français établissait, sur la base d’un nombre d’essais conséquents, un cercle de gerbe de 80 cm à 15 m, quand un demi-choke « faisait balle » à la même distance ! L’article préconisait de faire déchoker d’urgence son fusil si on était maladroit au point d’être en dessous d’un rendement d’une pièce de gibier pour deux cartouches utilisées. Heureux temps où la bredouille était quasi impossible ! Le pas lent des rayures ( environ un tour pour 70 à 95 cm) du canon boyaudé – à comparer à celui plus rapide (30 à 55 cm par tour) du canon rayé, doté de rayures plus profondes et réalisé dans un autre type d’acier – imposait de tirer des bourres grasses et avec un canon court, plus maniable pour tirer « au coup d’épaule ». Fertile en innovations techniques, l’époque proposait aussi des rayures Paradox, inventées en 1885 par le colonel Fosbery pour Holland & Holland. Le procédé consistait à rayer uniquement le bout du canon et était avant tout destiné au tir à balle de précision jusqu’à environ 100 m. Il avait aussi des vertus dispersantes, qui fit florès dans son utilisation « coloniale ». Selon Sir Baker, il était utilisable « de la bécasse au tigre » ! De nos jours, quelques marques (Fair, Verney-Carron, Fabarm) proposent encore ce type de rayures. Actuellement, une confusion existe entre les tubes rayés des fusils bécassiers et les rayures « grand gibier » des fusils slug. Les canons rayés classiques dispersants modernes, que l’on trouve désormais dans toutes les gammes de fusils à deux coups basiques, ont un pas usuel d’un tour pour 1,50 m, donc assez long. Ils trouvent leur meilleur rendement avec du petit plomb et dans des canons de 70 cm et plus, avec des bourres à jupe, les rayures entraînant la charge en rotation dans son ensemble. Ces canons ont l’avantage d’être plus polyvalents : ils tirent bien la balle – ils sont conçus pour cela – et ils sont aussi très dispersants : à 15 m, la gerbe fait 1,80 m avec 36 g de plombs n° 8. Toutefois, certains chasseurs esthètes voient d’un mauvais oeil l’emploi d’un canon à âme rayée et restent fidèles au lisse. Qu’en est-il du choix des cartouches ?
Cartouches : poids, artifices, bourre
Là aussi, deux écoles s’affrontent, entre les partisans de charges élevées ou de charges légères. Il faut dire que l’offre est importante. Certaines cartouches pour fusil bécassier atteignent de forts grammages (36, voire 38 g) qui font grimacer les puristes. De telles charges sont-elle justifiées pour des tirs de près, sur un oiseau qui n’est pas une oie des moissons et dans des fusils a priori très légers ? Ça sent le recul et la chair à pâté !
Quant aux artifices de dispersion, ils sont à réserver aux non-spécialistes, qui tirent avec un fusil standard. Le croisillon étend la surface de la gerbe de 40 % pour un tir à 25-30 m, l’ARX de 65 % à 20-25 m. Ces performances semblent inutiles si on dispose d’un canon rayé. On remarquera d’ailleurs que toutes les marques qui font de la « spéciale bécasse » utilisent soit des mélanges de très petits plombs (n° 10-8 chez Tunet et n° 7-5, 8-6, 9-7, 10-8 dans les gammes « sous-bois » de Mary et surtout Fob), soit des bourres grasses avec un chargement simple en plombs du n° 9. Tout cela semble assez sage, conforme au retour au « classique » initié par l’armurier beauceron Vouzelaud, avec sa gamme bien nommée Centenaire, puis adopté également par Tunet avec ses NéoRétro, l’italien Baschieri & pellagri avec les Mygra Beccaccia. Même les grands encartoucheurs américains s’y mettent, à commencer par Winchester et sa gamme Ranger.
Le retour de la bourre grasse, en feutre ou en liège, rime avec de bonnes pratiques écologiques et avec l’éthique de chasseurs passionnés qui ont su faire respecter leur gibier, notamment via une dynamique association, la Mordorée. Dès 1967, ils faisaient interdire le tir à la passée, puis, en 1978, tout à la fois le tir crépusculaire à la croule, la chasse de printemps et la vente de l’oiseau pour la restauration. Les gastronomes ont dû se replier sur la table familiale pour célébrer la « cérémonie des têtes » du baron des Ravots. Mais ces nobles considérations ne sont pas antinomiques avec les exigences balistiques puisque la bourre grasse, contrairement à la bourre à jupe qui densifie le centre au préjudice du pourtour, est propice à la régularité du tir, surtout dans les gaulis et les chablis. Le propre est donc bien adapté au sale ! La bourre grasse était aussi réputée mieux amortir le recul et faciliter la capacité de doubler. Mais ce privilège est désormais remis en cause par l’arrivée des bourres à jupe courte, avec pied amortisseur, ou même des Bior, compromis entre bourre grasse et à jupe. Il ne vous reste plus qu’à résoudre cet ultime choix et vous serez prêt à aller rencontrer votre oiseau de prédilection.