Le Cancalon Grande Chasse 1857/1860
Lorsque la Creuse se destinait aux colonies
Après le fusil modèle 1864- 1868 présenté dans le précédent numéro, découvrons une version grande chasse du Cancalon signée Bristlen, un armurier anglais installé à Paris.
Le trimestre dernier, nous abordions l’oeuvre de l’arquebusier creusois Cancalon, avec l’étude de son fusil de chasse modèle 1864/1868. Nous faisions mention d’une intrusion dans le domaine militaire qui s’était soldée par la commande d’un nombre important de fusils pour la Pologne, commande jamais concrétisée car d’un volume irréalisable pour notre arquebusier. Mais preuve était faite que l’arme était bien conçue et quelques fabricants eurent l’idée de l’adopter pour en faire une version grande chasse.
Costaude mais civile
C’est ainsi qu’un fusil de ce système fut fabriqué par Bristlen, un arquebusier anglais établi à Paris – au 99 faubourg Saint-Denis en 1865, puis au 22 de la rue Chaudron de 1870 à 1872 – et associé à un dénommé Farington. Ce fusil est aujourd’hui entre les mains d’un membre de la famille Cancalon, qui a bien voulu le soumettre à notre curiosité.
L’arme n’est pas esthétique, elle est même massive, tout en elle respire la robustesse qu’exige un usage… militaire. Sa vocation civile ne fait cependant aucun doute, il n’y a pas de tenon de baïonnette et la crosse est en beau noyer bien veiné et ciré, qui donnerait des leçons à certaines manufactures usant de qualificatifs pompeux pour des bois simplement ordinaires. En outre, le bloc de culasse comporte
quelques gravures superflues pour le combat et le pontet est tourmenté. Nous sommes ici dans le domaine civil.
Le canon est en acier et mesure 68 cm de la gueule à l’entrée de chambre. Il est cylindrique avec une boîte de culasse à huit pans sur lesquels est inscrite la mention suivante : « Système Cancalon – Exécuté par Bristlen à Paris » . A 20 cm de la gueule est positionné un guidon à embase montée en queue d’aronde. A l’opposé, sur la partie plate de la boîte de culasse, se trouve une hausse dont le premier cran est monté sur une lamelle fixe. Sur la même embase, une planchette de hausse à fenêtre est installée sur charnière rabattue vers l’avant. Une lamelle à curseur y coulisse par son montage en queue d’aronde, mais paradoxalement aucun marquage de distance de tir n’est présent – ce qui confirme l’usage civil de l’arme uniquement destinée aux distances moyennes de chasse. Le décor floral ciselé que l’on aperçoit sous l’abattant de la hausse conforte ce constat.
Le canon est assujetti au fût par trois brides, dont l’embouchoir, bloquées par des épingles à ressort du type militaire. Il comporte six rayures. On ne retrouve aucun marquage nous renseignant sur le calibre. Des mesures prises à la gueule indiquent un forage à 11,43 mm en fond de rayures. On est en présence d’un calibre d’origine britannique, ce qui est logique pour une arme fabriquée par une maison d’origine anglaise. L’examen de la chambre fait apparaître l’usage d’un étui à bourrelet du type cylindrique d’environ 63 mm. Un moulage au souffre aurait été bienvenu, mais n’était pas réalisable ici. Quoi qu’il en soit, si on s’en réfère aux calibres connus de ce type, c’était là une arme de chasse parfaitement apte à attaquer les plus gros des gibiers. Son poids de 4,300 kg lui permettait d’atténuer le recul d’une charge forcément conséquente pour un tel calibre. Le mécanisme de percussion est à chien extérieur sur platine arrière.
Cette platine, de 125 mm et parfaitement plate, est tenue à l’arrière par une vis à bois logée dans la poignée et à l’avant par une vis mécanique traversière. La tête à fendante de celle- ci a la particularité d’être du côté contre- platine, contrairement aux armes réglementaires françaises dont la tête de vis est à droite, sur la platine elle- même. Il n’y a aucun marquage sur la platine. Le chien est droit et massif sans col de cygne, avec une forte prise de doigt crantée pour le pouce. Pour ouvrir la culasse, il est impératif de relever le chien jusqu’à l’armé car à l’abattu il bloque la culasse dans son logement.
Le verrouillage
La culasse est du type « relevante » : pour l’ouvrir, il faut pousser vers la gauche le levier disposé en tuile à son sommet. L’axe interne de ce levier fait mouvoir une tige cylindrique qui fait saillie sur le haut de la tranche de culasse. C’est cette modeste tige qui assure à elle seule le verrouillage. D’une section à peine plus grosse que le percuteur, elle vient se prendre dans un orifice situé au- dessus de la chambre et bloque la culasse à l’abattu. L’arrière de la culasse se termine par une forte charnière montée sur la queue de la boîte de culasse. Pour relever l’ensemble, deux oreilles
crantées sont disposées de part et d’autre de l’avant le la culasse.
Sur le côté droit, une protubérance contient le percuteur et son système de sécurité. Celle-ci consiste en un embiellage du percuteur sur le levier d’ouverture. Le percuteur se trouve bloqué tant que la fermeture n’est pas complète et, à l’inverse, le levier d’ouverture refoule le percuteur après le tir car il n’y a pas de ressort de rappel. Le montage du percuteur s’opère grâce à un bouchon à vis à pans carrés, comme pour les cheminées des fusils à piston. La tête de culasse est une pièce rapportée démontable tenue par deux vis mécaniques. C’est par là que s’opère la mise en place des pièces de verrouillage. La culasse comporte une longue et profonde mortaise sous le dessous. Ici vient se loger le long bras articulé qui commande l’extracteur. Cet extracteur est du type cuillère. Il est en allonge dans la boîte de culasse, terminé en double griffe d’extraction. Le bras articulé est tenu à chaque pièce par une goupille. En relevant le corps de culasse, le bras est entraîné et refoule l’extracteur vers l’arrière extrayant la cartouche dans le même mouvement.
Une baguette en acier poli est logée sous le canon. Sa tête est en cône très long et percée d’un oeillet, destiné à recevoir un quelconque outil comme un clou ou le poinçon d’un couteau pour dévisser la baguette. Elle se termine en effet par une extrémité filetée vissée dans le dessous du corps de culasse, ce qui la maintient parfaitement en place. Cette partie filetée devait pouvoir recevoir des ustensiles de nettoyage – lunette porte- chiffon ou brosse en fil de bronze. Hormis cet usage, sa longueur de 75 cm lui permet tout juste de refouler un étui qui serait resté collé dans la chambre.
La monture est d’une seule pièce, tirée dans une pièce de noyer de droit fil bien veiné. Elle a été cirée et non huilée, ce qui l’enjolive et confirme l’usage civil, alors que la poignée droite et massive, sans quadrillage comme le devant, évoque encore l’arme réglementaire. La couche est habillée par une plaque en acier galbée. Le talon et le bec de crosse sont judicieusement protégés par deux retours de la plaque qui est tenue en place par une seule vis au centre de la couche. Outre la baguette, on trouve en équipement complémentaire deux grenadières : l’une à l’arrière du renfort de poignée qui supporte le pontet et l’autre sur la bride intermédiaire sur l’avant du fût. Le pontet est large et à retroussis avec pied d’appui sur l’embase de la poignée.
Une rareté
L’examen révèle un système de verrouillage et de percussion extrêmement simple, particulièrement robuste et très fiable. On comprend que les militaires aient apporté un certain intérêt à cette arme, d’ailleurs présentée à l’empereur Napoléon III qui en fit maints compliments. Ce fusil avait l’avantage d’être à percussion centrale, d’où sa supériorité sur le Chassepot, mais ce fut le Gras (cf. Armes de Chasse n° 67) qui au final l’emporta. C’est dire que la version militaire de ce fusil est très rare. Quant à sa version civile étudiée ici, elle l’est certainement tout autant, voire plus ! C’est donc une pièce des plus intéressantes pour le collectionneur d’armes de chasse.