1812 Edition
Le nouveau superposé Boss
Le nouveau superposé Boss
Le superposé Boss a constamment évolué tout au long de ses 112 ans d’existence. Par petites touches – une nouvelle gravure, une relime ou des marquages modifiés –, le superposé auquel rêvent tous les amateurs d’armes fines a su rester dans l’air du temps, à la fois fin, racé, traditionnel et moderne. Cette année, il reçoit ce qui fut longtemps la norme chez Boss, un sidelever, ou clé serpent latérale, que l’on place au choix à droite ou à gauche de la bascule.
Un parallèle est souvent fait entre la religion et les grands noms de l’armurerie fine britannique. Ne parle- t- on pas de « sainte trinité » pour évoquer Purdey, Holland & Holland et Boss ? Chacune de ces maisons mythiques représente à la fois une culture et un culte pour beaucoup d’amateurs. Bien qu’elle soit la plus petite du vénérable trio en termes de production, Boss & Co compte probablement la communauté d’adeptes la plus fervente et fidèle. Comme toute religion, elle a son fondateur, Thomas Boss, son livre sacré, Boss & Co de Donald Dallas, son prophète, John Robertson, son lieu saint, au 110 Kew Green à Londres, et son objet de culte, le superposé Boss.
Un chef- d’oeuvre inscrit dans son temps
« Le Boss », comme il est appelé par ses adorateurs, est une arme légendaire, réputée pour sa conception originale, sa finition et sa beauté, sa maniabilité et ses performances. Pour reprendre les mots de l’un de ses « apôtres », l’auteur anglais Geoffrey Boothroyd, « le Boss n’est pas une arme, c’est une oeuvre d’art » . Depuis sa création en 1909, il n’est pas modifié autrement que par des raffinements imperceptibles destinés à améliorer encore sa fiabilité, son esthétique et ses performances mais sans en entamer la forme et le style reconnaissables entre mille. Sur ce registre, seules de petites retouches très fines sont apportées pour le maintenir dans son temps, à l’exemple de la palmette qui, sur la version Lightweight Action, suit toute la longueur de la plaque de platine au lieu de seulement ressortir vers l’avant de la plaque comme sur la version originale. Dans les années 1910, sa gravure se voit débarrassée, des deux côtés de la bascule,
de l’inélégant lettrage « Patent No. 3307, 1909 » . En 1925, la bannière flottante dans laquelle est inscrit le nom de la firme disparaît à son tour pour un simple « Boss & Co » gravé sur les flancs de la bascule. Dans les années 1930, une fermeture supérieure de type Rigby ( rising bite) est incorporée à certains modèles. En 2004, le choix entre deux types de bascules est proposé : un round body sans palmette et une autre avec une palmette partielle. Et depuis cette année, vous pouvez commander un Boss avec un sidelever, autrement dit avec une clé de basculage logée sur le côté et non en haut de la bascule.
Mieux qu’un sidelever ? Deux !
Le principe d’un sidelever sur un superposé n’est pas nouveau, d’autres armuriers y ont pensé, à l’exemple notable de Peter Nelson et de son Jubilee Gun. La vraie nouveauté du dernier-né Boss tient aux deux leviers fournis avec l’arme qui permettent au propriétaire de choisir le côté sur lequel le sidelever sera placé. En d’autres termes, Boss a conçu le premier fusil ambidextre au monde : il convient aussi bien à un droitier qu’à un gaucher.
Cela simplifie grandement sa transmission d’une génération à l’autre ou encore sa vente, ce qui pour un fusil de cette valeur n’est pas anecdotique. Avec les deux sidelevers déjà inclus, il n’est pas nécessaire de faire un nouveau levier – et éventuellement de le faire embellir par un autre graveur – si le fusil est vendu ou donné à quelqu’un ayant une main dominante différente. « Il s’agit de notre tout premier superposé à sidelever, et le premier au monde à en inclure deux dans sa mallette, précise Luke Madden, le nouveau directeur commercial de Boss & Co. Il est le fruit de quatre années d’étude et de travail. »
C’est Arthur Stephen Demoulas, le propriétaire actuel de Boss, qui est à l’origine de cette idée. Elle s’est imposée à lui alors qu’il chassait avec un juxtaposé Boss à sidelever qui était, selon ses termes, « incroyable, fonctionnel, pratique, moderne et facile à utiliser sur le terrain » . M. Demoulas envisage d’abord un seul sidelever, avant de songer à deux éléments interchangeables pour permettre l’utilisation de l’arme aussi bien par des droitiers que par des gauchers, dont il fait partie. Il charge l’un des anciens armuriers de Boss, John Varney, de mettre son idée en pratique, mais le projet est brutalement interrompu par le décès de John, en 2016. Jason Craddock, basculeur depuis vingt ans chez Boss, prend alors le relais et mène l’arme jusqu’à sa forme définitive. La gravure maison, la classique rose and scroll pattern, est retenue pour son ornementation et confiée à Christophe Rizzutto, le graveur attitré du fabricant.
« C’est un superposé fonctionnel et pratique, se réjouit M. Demoulas. Outre le fait qu’il peut être utilisé indifféremment par un tireur droitier ou gaucher, il convient indifféremment aussi aux hommes et aux femmes, le sidelever étant une solution très pratique pour les mains petites et fines. Pour le reste, que dire d’autre que c’est un Boss & Co, élégant, au design intemporel et fabriqué à la main selon les normes les plus élevées par les artisans parmi les plus doués ? »
Diablement beau !
Faire partie du « peuple élu », entendez détenteur d’un tel fusil, exige de consentir à des sacrifices – n’en est-il pas toujours ainsi pour qui se convertit à une religion ? Il faut d’abord débourser un minimum de 140 000 €, ensuite patienter au moins quatre ans avant de l’avoir entre les mains. Acheter un Boss, c’est acquérir une arme fine, mais aussi un privilège, celui de posséder une oeuvre unique.
Les fondateurs de la firme n’auraient pu choisir meilleure devise pour résumer leur travail : Makers of Best Guns Only ( « fabricant des meilleurs fusils, exclusivement » ) . Car, à la différence de pratiquement toutes les grandes maisons armurières britanniques, Boss n’a jamais réalisé de fusils de grades inférieurs afin de demeurer entièrement concentré sur l’extrême qualité, sans concession à la quantité. On estime qu’au cours de ses deux siècles d’existence, le fabricant a produit seulement quelque 11 000 armes, ce qui est très faible en comparaison de la production Purdey ou Holland & Holland. Cela se répercute forcément dans le prix des armes. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il n’utilisait que des fusils Purdey et non pas des Boss, le roi George VI eut cette célèbre réponse : « A Boss gun, a Boss gun… Bloody beautiful, but too bloody expensive ! » (« Un fusil Boss, un fusil Boss… C’est diablement beau, mais diablement trop cher ! » )
Tout commença en 1812
Ce nouveau superposé à sidelever s’appelle « 1812 Edition », en référence à l’année où le fondateur, Thomas Boss, terminait son apprentissage chez le grand Joseph Manton et créait l’entreprise. À la mort de Thomas Boss, le 17 août 1857, sa veuve, Emma, fait de Stephen Grant, l’un des armuriers de l’atelier, son associé et le gérant de l’entreprise. Grant conduit parfaitement la période de transition du chargement par la bouche à celui par la culasse, mais surtout il apporte une contribution décisive : favoriser le sidelever, justement, pour actionner le système d’ouverture, plutôt que la clé top lever. Au point que même après son départ, en 1866, lorsqu’il s’établit à son compte, la firme continue de fabriquer des fusils
à sidelever, alors que le top lever devient, pour des raisons pratiques, la norme commerciale.
Quatre années plus tôt, en 1862, l’entreprise était nommée fournisseur officiel du prince de Galles et adoptait le nom de Boss & Co. Au départ de Grant, le couple Boss n’ayant pas eu d’enfants, le contrôle de la firme passe aux deux neveux de Thomas, Edward et James Paddison. En juillet 1872, à la mort d’Emma, l’entreprise leur revient à parts égales, mais la mort de James l’année suivante fait d’Edward le propriétaire unique. C’est un homme conservateur et les armes fabriquées sous son règne demeurent à peu près les mêmes qu’auparavant. Il n’est pas favorable au basculage automatique ( snap action) ou encore au levier supérieur ( top lever) et préfère, comme Grant, le sidelever. Lorsque les fusils sans chiens deviennent plus populaires, Edward se résout à en fabriquer, mais il les équipe de platines arrière qu’il estime plus solides, longtemps après que les autres fabricants les ont abandonnés. Les canons en acier comprimé de Whitworth sont la seule innovation qui trouve grâce à ses yeux et qu’il adopte sans délai.
L’ère Robertson
En 1890, suite à de lourdes difficultés financières, l’entreprise est proposée à John Robertson, un armurier indépendant et sous-traitant de Boss, à qui la firme doit beaucoup d’argent. Alors qu’il n’était pas encore propriétaire de la maison mais seulement un de ses armuriers, il a introduit, cette même année 1890, la bascule ronde ( the round body action). C’est lui qui va donner à Boss sa stature de firme d’exception. Sous sa direction naissent ensuite la fameuse monodétente, en 1894, l’éjecteur à ressorts hélicoïdaux, en 1897, et surtout l’iconique superposé Boss, en 1909. À sa mort, en 1917, ses trois fils, John, Sam et Bob, lui succèdent, puis le fils de Samuel, Alec, et enfin, en 1990, le petit-fils de John et petitneveu d’Alec, Timothy.
Les innovations constantes et l’exécution exceptionnelle de ses armes ont permis à Boss & Co de perdurer sous la propriété de la famille Robertson tout en traversant deux guerres mondiales, des dépressions et des récessions. En 1999, Tim Robertson vend l’entreprise à un groupe d’investisseurs dirigé par Kenneth Finken. Fin 2001, elle est rachetée par Keith Halsey et gérée par son frère Graham. En 2008, le magasin londonien de Mount Street ferme et le fabricant opère désormais exclusivement depuis son usine, près de Kew Green. En 2015, la maison change une nouvelle fois de mains. Elle est désormais détenue par Arthur Stephen Demoulas, un milliardaire américain d’origine grecque, propriétaire de la chaîne de supermarchés DeMoulas Supermarkets, mais aussi fidèle client de Boss, chez qui il a acquis plusieurs fusils. Selon nos sources, il aurait fait d’importants investissements pour maintenir Boss dans sa gloire de toujours. Six artisans armuriers et un graveur, entourés de quelques apprentis, travaillent à l’établi. Ils réalisent tout au plus vingt fusils par an, des chefs-d’oeuvre forcément uniques et conformes aux valeurs de la grande maison.