Les drillings en 4 questions
Leur origine, leur poids, leur matériau, leur précision
Leur origine, leur poids, leur matériau, leur précision
Oui, l’origine des drilling est germanique. Mais ailleurs en Europe et même dans le monde, des fabricants se sont évertués à proposer eux aussi de telles armes combinées. En outre, ces fusils, que l’on imagine en acier avec des canons disposés en pyramide inversée, ont parfois reçu de l’alliage et arboré des faisceaux de canons à la disposition pour le moins surprenante.
Les drillings sont- ils une chasse gardée germanique ? Il ne fait pas de doute que la majorité de leurs fabricants étaient et sont encore allemands et autrichiens. Pour autant, d’autres armuriers en ont produit ailleurs, avec parfois une grande à très grande originalité.
D’où viennent- ils ?
Parmi les grands producteurs industriels allemands, il faut forcément citer Krieghoff, Merkel et Heym, ainsi que désormais Blaser. En Autriche, Sodia a malheureusement disparu. Du côté des artisans de ces deux pays, la plupart continuent à proposer des drillings en différentes configurations d’une facture absolument prestigieuse. Il serait dommage toutefois, sous prétexte de la domination de ces productions, aussi bien en volume qu’en qualité, d’oublier les modèles nés dans le reste du monde.
En France, la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne et VerneyCarron ont réalisé des drillings. J’ai ainsi vu présenté dans un catalogue d’une vente aux enchères un modèle Verney-Carron doté de trois détentes. Une telle arme était certes peu courante, mais pas rarissime. Les collections du musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne comptent un drilling système Preynat & Clavier dont la fabrication remonterait à 1892. À partir du milieu des années 1990, Éric Mathelon, installé à Rumilly en Haute- Savoie, a réalisé des armes qui demeurent une très belle référence. Leurs qualités, à commencer par la fiabilité des réglages, avaient conquis bien
des chasseurs à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières. L’express drilling MXD notamment rencontra un succès qui dut faire pâlir quelques fabricants allemands. L’arrêt de cette production est une perte pour tous les amateurs de ces armes.
En Belgique, Jules Bury est une des signatures bien connues d’armes combinées. Citons aussi le très bel express drilling, d’une superbe relime, réalisé en 1990 par Ernest Dumoulin en collaboration avec l’armurier Jean Delacre. Ici, le canon lisse surmontait les deux canons rayés, dans une disposition pyramidale permettant aux plus fortes pressions de s’exercer dans le bas de la bascule.
Citons encore Husqvarna en Suède et Zoli en Italie. Ce dernier a rejoint, avec son modèle MG 92, le groupe des fabricants industriels d’armes à trois coups. D’un prix très raisonnable, le modèle présente quelques ressemblances avec les superposés italiens habituels. Son poids avoisine les 3,450 kg.
Les Britanniques ont fabriqué quel - ques fusils de chasse à trois coups absolument magnifiques : j’ai nommé les rarissimes Boss et Dickson. Les armes combinées n’étaient toutefois pas une tasse de thé british, excepté durant la période coloniale où les mixtes juxtaposés ( Cape guns) connurent une certaine popularité. Surprise pourtant : en 1933, Westley Richards a réalisé un drilling dont les deux canons lisses en .410 sont surmontés d’un canon rayé en .22 LR ! Ce qui laisse penser que quelques autres drillings anglais ont pu malgré tout exister. Notons enfin que des drillings furent fabriqués au Japon dans les années 1960 pour la firme allemande Kettner.
Combien pèsent- ils ?
Prenons un exemple représentatif : un drilling A. W. Wolf en 20 Magnum et 8 x 57 IRS de 1990. Cette arme pèse 3,140 kg avec des canons de 63,5 cm. La tendance actuelle est de descendre à 60 cm, voire moins pour les tubes, ce qui permet d’économiser un peu de poids. Si 55 cm peuvent encore se justifier pour certains calibres rayés, cela semble excessivement court pour des canons lisses.
En longueur classique et en calibre 12 et 9,3 x 74 R, on arrive vite à 3,5 kg, voire plus selon le type de mécanisme et la densité du bois. Nous parlons ici de la configuration habituelle, deux canons lisses et un rayé, pas des ex press drilling, forcément plus lourds, à une exception notable, le modèle 961 L de Merkel. En utilisant une bascule de calibre 28 et des canons de 55 cm, le fabricant annonce un poids de l’ordre de 3,2 kg pour ce modèle dont le canon lisse est chambré en 20/ 76.
De quoi sont- ils faits ?
Pour les canons lisses, surtout ceux montés sur des armes de grande qualité, un allégement est fréquemment obtenu par l’emploi de l’acier Böhler Super Blitz dont l’extrême résistance permet de diminuer les diamètres extérieurs des tubes et de ce fait réduire l’encombrement des faisceaux de canons.
Très tôt, la recherche de l’économie de poids a également poussé des fabricants à usiner des bascules en alliage léger, le duralumin. Heinrich Krieghoff et Immanuel Meffert furent des pionniers sur ce registre, utilisant ce matériau dès les années 1920- 1930. L’aspect du dural peut déplaire, surtout quand il est un peu usé, et, malgré des inserts aux emplacements sensibles, les bascules n’ont pas la résistance du bon acier, qui reste quand même préférable pour un usage intensif. Malgré tout, Krieghoff continue de fabriquer des bascules en alliage léger, mais en calibre 20 seulement. Le fabricant ne propose pas non plus son modèle Optima 20 dans tous les calibres rayés et oriente
vers sa bascule en acier ceux de ses clients qui recherchent les calibres les plus chauds.
La donne a été quelque peu changée avec la démarche de certains fabricants qui ont remis au goût du jour les brevets accordés en 1906 et 1909 à Franz Jäger pour son Kipplaufverschluss, un système de verrouillage vertical très robuste qui soulage considérablement la bascule. Le principe en est facile et très fiable, un bloc pivotant monte se loger dans le haut des canons, ce qui fait paraître en retrait l’entrée des chambres. C’est un peu déroutant de prime abord, mais on s’y habitue vite.
Blaser annonce un poids à partir de 3,3 kg pour son modèle BD14, un drilling superposé à un canon lisse et deux canons rayés de 56 cm. La bascule est réalisée dans un alliage léger issu de l’aéronautique. Le principe du bloc de verrouillage vertical a aussi été repensé. Le fabricant bavarois n’est jamais en reste d’innovations, et il n’est pas le seul. L’utilisation du titane également va générer de nouvelles réductions du poids, y compris dans l’armurerie artisanale de luxe, comme c’est déjà le cas chez les fabricants autrichiens.
Sont- ils précis ?
Même si, sur le principe, une précision et une convergence optimales sont espérées et recherchées pour les balles des trois coups, une certaine tolérance reste acceptable à de courtes distances de battue. Mais ces écarts restent-ils toujours dans des limites admissibles ? Hélas non ! Rappelons que la norme de Langenhagen (qui établit les tolérances de précision) implique de grouper dans 15 cm à 50 m les différentes balles d’une arme combinée. Un drilling peut, sur commande spéciale, avoir été fabriqué pour atteindre un tel résultat, mais dans le cas où une optique est ajoutée, encore faut-il faire placer cette dernière avant de procéder au garnissage final et au réglage de l’arme. Dans le cas contraire, une optique, de même que des chargements différents, peut vite avoir raison du meilleur réglage.
Il est indispensable de tester un drilling au stand de tir avant de chasser avec lui. Une arme traditionnelle relativement ancienne a de fortes chances d’avoir été réglée avec des balles Brenneke pour le ou les canon( s) lisse( s), mais cela reste à vérifier. Là encore, le tir doit, pour les drillings comme n’importe quelle arme, avoir été contrôlé, c’est un principe élémentaire d’éthique de la chasse.
Enfin, précisons que dans le cas d’un drilling ordinaire et classique seul le réglage du coup rayé a bien souvent fait l’objet d’attention lors de la fabrication. Mieux vaut le savoir, même si cela balaye bien des illusions.
Le verdict
Un drilling ancien reste un fidèle compagnon, à condition qu’il soit en bon état, que son propriétaire en maîtrise parfaitement le maniement et en respecte les limites d’utilisation. Certains modèles sont de pures merveilles et méritent de chasser longtemps encore, de même que les belles réalisations artisanales actuelles basées sur les mêmes techniques continueront longtemps encore de faire rêver les amateurs de belles armes. Mais plus encore que toute autre famille d’armes, celle- ci ne t olère aucune médiocrité dans la fabrication ni aucune négligence pour son entretien et ses réparations. C’est une question de sécurité. Gare aux départs intempestifs, n’oubliez pas que vous avez trois canons chargés pilotés par deux détentes et trois mécanismes logés dans un espace ultra- réduit. Ne confiez un fusil ancien qu’à un armurier connaissant parfaitement ce type d’armes. Il y a quelques numéros, Laurent Bedu a consacré un article à la vérification et à l’entretien des drillings, lisez et relisez- le ! ( Cf. Armes de Chasse n° 79, « Le drilling passe son grand oral » , p. 96.)
Si gérer des problèmes de régularité de précision vous fatigue ou vous i nquiète d’avance, optez pour des conceptions récentes dont le ou les canons rayés sont flottants et réglables. Des firmes comme Krieghoff et Heym proposent de plus en plus cette solution, qu’ils assortissent d’un garnissage classique et complet des tubes comme ils l’ont toujours proposé. C’est plus joli et cela plaît aux plus traditionalistes d’entre nous pour qui seuls les canons soudés sont acceptables. Ces derniers devront toutefois admettre qu’ils ne bénéficient pas de la même flexibilité d’usage que les « modernistes » qui eux, grâce à leurs canons flottants, peuvent sans soucis enchaîner les coups rapidement quand ils s’imposent. Des tirs à de plus grandes distances deviennent aussi plus facilement envisageables. Les réglages de convergence de ces armes de nouvelle génération paraissent assez simples en apparence mais mieux vaut quand même les confier à un professionnel.
Ces drillings modernes n’ont souvent pas le charme de leurs aînés, mais ils offrent en contrepartie un gain d’efficacité et de sécurité. Les avancées techniques en matière d’armement et de détente apportent de réels avantages. Certains fabricants promeuvent aussi l’interchangeabilité des faisceaux de canons, avec le risque toutefois d’un encombrement de la bascule inutilement important avec des entre- axes de percuteurs plus espacés que nécessaire – un constat qui ne concerne pas que les drillings.
Et puis, le drilling est par nature polyvalent, alors pourquoi vouloir lui ajouter des canons au risque de perdre en équilibre et finalement en efficacité ? Rappelons- nous que le mieux est l’ennemi du bien, à la chasse comme en matière d’équipement.