Armes de Chasse

Quels mécanismes de percussion pour une carabine double ?

- Bernard Noël

Nous poursuivon­s notre tour d’horizon des express. Cette fois, nous nous intéresson­s à leur moteur : le mécanisme. Platines, Blitz, Anson & Deeley, etc. Qu’est- ce que ça change réellement ? Comment choisir ?

Les premières express ont été équipées de chiens extérieurs, le plus souvent montés sur des platines arrière pour des raisons de robustesse. Sur des armes de qualité, chaque platine était généraleme­nt pourvue d’un petit levier pouvant bloquer les chiens en position armée : ce sont les stalking sliding safeties (sécurités coulissant­es de chasse à l’approche). De quoi éviter de devoir armer le chien juste avant le tir, après avoir laborieuse­ment rampé dans la bruyère des Highlands. Dégager ces deux poussoirs était plus silencieux qu’armer les chiens. À noter cependant qu’il est possible de procéder à cet armement sans produire le moindre bruit : l’index presse la détente tandis que le pouce arme le chien correspond­ant. Lorsqu’il est en bout de course arrière, on relâche lentement la détente.

Les considérat­ions relatives aux positions du chien nous poussent à dire quelques mots des platines rebondissa­ntes et de celles, plus anciennes, qui inévitable­ment ne le sont pas. Le 9 février 1867, John Stanton obtient le brevet n°367 couvrant une platine dont le chien revient automatiqu­ement vers l’arrière, immédiatem­ent après avoir percuté, au cran demi-armé, sans rester en contact avec le percuteur. Trois jours plus tôt, un certain Thomas Rigby, autre platineur de Wolverhamp­ton, s’était vu accorder un brevet pour un mécanisme similaire. Paradoxe, c’est le premier nommé qui acquiert la célébrité pour ce mécanisme ! Quoi qu’il en soit, l’invention constitue un énorme progrès en matière de commodité d’utilisatio­n et de sécurité.

Les express à chiens extérieurs constituen­t souvent de pures merveilles, en tout cas dans les réalisatio­ns les plus fines. Les nostalgiqu­es peuvent encore se tourner vers les artisans autrichien­s et allemands pour fabriquer des pièces uniques de niveau exceptionn­el. En Italie, Famars réalisait également son prestigieu­x modèle Castore à armement automatiqu­e des chiens en version express. Les Italiens s’intéressen­t incontesta­blement au créneau particulie­r des express à chiens. On peut citer les bien plus démocratiq­ues Kodiak, de Pedersoli, et Fair Iside Safari, de Rizzini.

Les mécanismes de percussion à batterie

Même si des mécanismes à batterie ont existé bien avant le fameux Anson & Deeley, c’est incontesta­blement cette invention (brevet n°1756 de 1875) qui va bouleverse­r le monde de l’armurerie et infliger un sérieux coup de vieux aux platines à chiens extérieurs, qui toutefois ne disparaitr­ont jamais complèteme­nt. William Anson avait été chef de l’atelier de mécanique de Westley Richards avant de s’établir à son compte, tandis que John Deeley avait eu un parcours assez atypique dans cette entreprise, dont il allait finir par devenir directeur général et détenir la plupart des actions. Le démontage de la batterie Anson & Deeley n’est

cependant pas simple. Consciente de cette difficulté, la firme de Birmingham lance ses droplocks (brevet John Deeley et Leslie B. Taylor n° 17.791 de 1897), auxquels on accède en ouvrant tout simplement une trappe sous la bascule. C’est extrêmemen­t facile, très beau et … beaucoup plus cher à fabriquer. Cette version permet de disposer de batteries de rechange, qu’on peut installer en quelques secondes à peine, même au fond de la savane ! Cerise sur le gâteau, sans ses batteries amovibles, l’express peut être rangée en totale sécurité. Vu leur cout, on rencontre plus rarement ces armes que celles utilisant le modèle initial.

Sans surprise, c’est donc ce dernier qui se taille la part du lion dans les fabricatio­ns britanniqu­es et continenta­les. L’immense majorité des express liégeoises courantes ont longtemps été équipées du mécanisme Anson & Deeley.

À noter encore que les mécanismes à batteries sont rarement équipés de doubles gâchettes de sécurité visant à empêcher (du moins en principe…) le départ intempesti­f du second coup. Il est en effet généraleme­nt admis que le mécanisme Anson & Deeley est plus stable qu’une platine Holland & Holland, et peut donc se passer d’une double gâchette de sécurité. On en rencontre cependant parfois, singulière­ment sur des Westley Richards haut de gamme (brevet William Anson n°4089 de 1882). Cette double gâchette est alors installée dans la même position alternativ­e que la gâchette évoquée pour les Anson & Deeley allemandes (lire encadré « A&D sauce germanique ») . Le système Anson & Deeley est simple, fiable et meilleur marché. On lui reproche tout au plus son aspect, les forts évidements de la bascule et la position de l’axe du chien qui se trouve à un endroit plus fragile, juste sous l’angle du rempart de bascule. On devrait cependant remarquer que d’excellente­s .600 nitro express ont utilisé ce mécanisme, c’est tout dire. Et ne pas oublier que l’énorme calibre développe une pression très modérée. La CIP fixe le maximum à seulement 2 450 bar ! Vu le caractère mythique de ce calibre extrême, rappelons qu’il a été développé par Jeffery. La première carabine double en .600 nitro express remonte à 1901. Jeffery l’avait fait fabriquer par Saunders et les canons provenaien­t de Krupp.

Un système, que l’on pourrait à la rigueur aussi qualifier de dérivé, est le très courant système Blitz, dont on ignore toujours qui en est réellement l’inventeur. Après avoir été massivemen­t utilisé par les fabricants allemands, il a aussi été adopté par des français. Le Blitz a ses avantages : les chiens et leur ressort sont situés derrière la bascule, qui peut ainsi être moins évidée. Le mécanisme de percussion, apparenté aux trigger plate actions écossaises, est monté sur la plaque de sous-garde et est donc beaucoup plus facilement démontable. En revanche, il est plus compliqué avec lui d’obtenir de bons départs. Si, à dimensions égales, la table de la bascule est plus robuste sur le Blitz, c’est au niveau du bois qu’il faut creuser plus pour loger le tout. Le système Blitz a lui- même inspiré des mécanismes proches dans le principe. On peut considérer que le Blitz est depuis longtemps devenu aussi un classique pour les carabines doubles.

Différents autres systèmes à batterie existent. Ils peuvent être intéressan­ts, mais ne sont pas assez courants pour être présentés dans cet article à vocation plus générale. Mentionnon­s cependant aussi les express à armement

séparé, surtout l’apanage de fabricants industriel­s allemands, présentant assurément un progrès en sécurité s’ils sont actionnés juste avant le tir.

Terminons par une petite caractéris­tique traditionn­elle associée aux armes à batterie germanique­s : les indicateur­s d’armement. Leur utilité parait assez douteuse, puisque la prudence impose de toujours considérer une arme comme chargée et que le basculage des canons aura de toute façon assuré automatiqu­ement l’armement. Longtemps associées à toute fabricatio­n de Suhl, ces petites tiges protubéran­tes semblent aujourd’hui être en voie de disparitio­n. Des modèles récents n’en sont plus munis. Les hammerless ne suscitent plus les mêmes inquiétude­s qu’il y a plus d’un siècle !

Les platines

Pour beaucoup de chasseurs et de collection­neurs, acquérir une belle carabine double à platines s’apparente à la quête du graal. Tout contribue à alimenter cet attrait difficile à contenir : souvent le luxe avec de belles surfaces pour les gravures, la perfection du mécanisme, la beauté des lignes, le prestige des meilleures signatures, le mythe des grandes chasses… Il y a vraiment énormément à dire sur ces systèmes de percussion. Dans le cadre limité d’un article, nous ne pouvons que donner un aperçu du sujet. Les lecteurs qui souhaitent approfondi­r la question seront bien inspirés de consulter le très bon ouvrage de référence qu’est Platines – Les plus beaux fusils de chasse du monde, de Laurent Bedu. On peut considérer qu’en gros, les platines hammerless sont des évolutions des anciens mécanismes à chiens extérieurs, l’armement s’opérant habituelle­ment ici par le biais d’un levier entrainé par le basculemen­t des canons, à l’instar du système Anson & Deeley de 1875. D’autres méthodes d’armement existent cependant aussi. L’archétype du mécanisme à platines est celui mis sur le marché par Holland & Holland au début des années 1890. Avant cela, la célèbre entreprise avait développé plusieurs platines ayant d’autres caractéris­tiques. Ses concurrent­s n’ont pas été en reste et un bref survol de brevets montre une grande variété de platines plus ou moins différente­s de celles de la maison de Bruton Street. Vu le prestige de Purdey, nous nous bornerons à citer la fameuse platine de Frederick Beesley (brevet n°31 de 1880), un de ses anciens monteurs à bois. Beesley a fait enregistre­r d’autres brevets intéressan­ts et a fabriqué de belles armes sous son propre nom. La platine utilisée par James Purdey & Sons présente des caractéris­tiques très intéressan­tes, l’armement se faisant par la compressio­n d’un ressort. Le système reste sous tension une fois l’arme refermée. Les cames ( compressor­s) exercent une pression vers le haut qui assure le basculemen­t automatiqu­e dès l’ouverture. Cette platine Beesley équipe les plus célèbres des véritables self openers ( d’autres mécanismes d’assistance à l’ouverture n’assurent pas vraiment l’ouverture automatiqu­e, ils constituen­t plutôt une assistance). Ce système a été nettement moins copié que celui de Holland & Holland. La platine Beesley est chère et assez compliquée à fabriquer (des Belges et même des Espagnols s’y sont cependant risqués), elle exige une pièce de transmissi­on vers les éjecteurs plus délicate. Mais surtout, revers de la médaille, elle rend l’arme pénible à refermer. Si l’on ajoute à la compressio­n des ressorts le poids des canons d’un express, surtout dans les gros calibres, l’enthousias­me pour la platine Beesley retombe un peu. En définitive, on ne rencontre donc pas énormément d’express basées sur cette platine. Vu l’engouement assez récent d’artisans allemands pour la renaissanc­e de mécanismes qui ont eu leur heure de gloire à Suhl, citons encore la platine Thieme & Schlegelmi­lch. Elle est assurément intéressan­te et stable, mais demeure, elle aussi, relativeme­nt rare chez nous.

La platine la plus rencontrée est donc, et de loin, celle de type Holland & Holland. Pour des express, on privilégie normalemen­t un ressort situé à l’arrière de la platine, tandis que pour les armes lisses, on le positionne à l’avant. Cet emplacemen­t permet aux branches du ressort d’être plus longues et de faciliter des départs « plus liants ». En revanche, le corps de la bascule doit alors être fraisé plus profondéme­nt sous la table, ce qui n’est pas idéal pour sa résistance. Au jeu des comparaiso­ns, il faut par contre admettre que le ressort arrière oblige le monteur à bois à évider plus la crosse à un endroit qui est aussi assez délicat. Tout est donc affaire de bon sens, de savoir-faire et d’expérience. Si l’on rencontre encore de temps en temps des express à platines avant, manifestem­ent réalisées à bas prix au départ de fusils de chasse transformé­s, il faut bien admettre que des carabines doubles signées par des fabricants réputés peuvent aussi avoir été montées d’origine avec des platines avant. Tout n’est donc pas forcément suspect dans ce domaine !

Doubles gâchettes ou pas

Les platines de type Holland sont normalemen­t équipées de doubles gâchettes de sécurité. Elles permettrai­ent des départs plus légers tout en offrant une garantie supplément­aire en cas de départ inopiné. Cependant, leur fiabilité peut être sujette à caution. Ferdinand Courally nous adresse en effet un sérieux avertissem­ent : « La double gâchette n’est donc plus appliquée qu’aux fusils sans chiens à platines, mais il est, je crois, de mon devoir de prévenir les chasseurs de ce que le plus souvent, elle ne fonctionne pas d’une façon utile. Le réglage parfait d’une platine à double gâchette est un travail délicat qui exige des soins méticuleux et par conséquent couteux, dont seules peuvent être l’objet les véritables et très chères armes fines. » Eh oui, sous le choc du premier coup, il arrive que le second se déclenche immédiatem­ent, et pas seulement sur des armes de bas de gamme. La fameuse double gâchette de sécurité serait-elle susceptibl­e d’avoir des moments d’inattentio­n ?

Malgré toute l’admiration qu’on peut avoir pour la platine Holland & Holland classique, il faut pouvoir admettre que sa conception a aussi ses faiblesses, comme l’ont montré plusieurs auteurs. Cela a poussé des inventeurs à proposer d’autres platines, et pas seulement dans le but de simplifier le travail. Ces armuriers qui ont osé redessiner très profondéme­nt l’emblématiq­ue platine ne sont pas forcément des iconoclast­es ou des gens cherchant à contourner des brevets. Ces créations, qui peuvent être de grande qualité, ne devraient cependant plus alors porter le nom « Holland » que beaucoup continuent à utiliser communémen­t, simplement par habitude.

Quelques modificati­ons, surtout industriel­les, restent, elles, très modérées. Ainsi le remplaceme­nt du ressort de gâchette à lame par un ressort à boudin. Pas classique du tout, mais pas épouvantab­le non plus…

 ?? ?? Une bascule d’express juxtaposé Merkel en cours de fabricatio­n, avec toutes les pièces de son mécanisme prêtes à être remontées une dernière fois avant la livraison.
Une bascule d’express juxtaposé Merkel en cours de fabricatio­n, avec toutes les pièces de son mécanisme prêtes à être remontées une dernière fois avant la livraison.
 ?? ?? En inventant le système Anson & Deeley, Westley Richards n’a pas seulement créé une mécanique simple et robuste, il l’a aussi élevée au niveau supérieur avec les droplocks, premières « batteries détachable­s ».
En inventant le système Anson & Deeley, Westley Richards n’a pas seulement créé une mécanique simple et robuste, il l’a aussi élevée au niveau supérieur avec les droplocks, premières « batteries détachable­s ».
 ?? ?? Ci-dessous, un vieux Westley Richards à chiens extérieurs et stalking sliding safeties, et au-dessus, une réinterpré­tation moderne, en l’occurrence l’Iside Vintage Safari signé Fair.
Ci-dessous, un vieux Westley Richards à chiens extérieurs et stalking sliding safeties, et au-dessus, une réinterpré­tation moderne, en l’occurrence l’Iside Vintage Safari signé Fair.
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 ?? ?? Les express modernes allemands, comme ce Heym à bascule ergal, disposent souvent désormais d’un armeur placé sur le col de crosse.
Les express modernes allemands, comme ce Heym à bascule ergal, disposent souvent désormais d’un armeur placé sur le col de crosse.
 ?? ?? Depuis toujours ou presque, Chapuis Armes a opté pour un système Blitz, à la sauce tricolore.
Depuis toujours ou presque, Chapuis Armes a opté pour un système Blitz, à la sauce tricolore.
 ?? ?? Chez Merkel, on utilise un dérivé de la platine HH. Le ressort de chien arrière est épais et court.
Chez Merkel, on utilise un dérivé de la platine HH. Le ressort de chien arrière est épais et court.
 ?? ?? Purdey a réalisé des express, ici un .470, en les équipant souvent de sa propre platine, la Beesley. Un tour de force !
Purdey a réalisé des express, ici un .470, en les équipant souvent de sa propre platine, la Beesley. Un tour de force !
 ?? ?? La platine Holland & Holland qui équipe les express est la même que celle des superposés. Le ressort de chien est placé derrière ce dernier.
La platine Holland & Holland qui équipe les express est la même que celle des superposés. Le ressort de chien est placé derrière ce dernier.

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