Quels mécanismes de percussion pour une carabine double ?
Nous poursuivons notre tour d’horizon des express. Cette fois, nous nous intéressons à leur moteur : le mécanisme. Platines, Blitz, Anson & Deeley, etc. Qu’est- ce que ça change réellement ? Comment choisir ?
Les premières express ont été équipées de chiens extérieurs, le plus souvent montés sur des platines arrière pour des raisons de robustesse. Sur des armes de qualité, chaque platine était généralement pourvue d’un petit levier pouvant bloquer les chiens en position armée : ce sont les stalking sliding safeties (sécurités coulissantes de chasse à l’approche). De quoi éviter de devoir armer le chien juste avant le tir, après avoir laborieusement rampé dans la bruyère des Highlands. Dégager ces deux poussoirs était plus silencieux qu’armer les chiens. À noter cependant qu’il est possible de procéder à cet armement sans produire le moindre bruit : l’index presse la détente tandis que le pouce arme le chien correspondant. Lorsqu’il est en bout de course arrière, on relâche lentement la détente.
Les considérations relatives aux positions du chien nous poussent à dire quelques mots des platines rebondissantes et de celles, plus anciennes, qui inévitablement ne le sont pas. Le 9 février 1867, John Stanton obtient le brevet n°367 couvrant une platine dont le chien revient automatiquement vers l’arrière, immédiatement après avoir percuté, au cran demi-armé, sans rester en contact avec le percuteur. Trois jours plus tôt, un certain Thomas Rigby, autre platineur de Wolverhampton, s’était vu accorder un brevet pour un mécanisme similaire. Paradoxe, c’est le premier nommé qui acquiert la célébrité pour ce mécanisme ! Quoi qu’il en soit, l’invention constitue un énorme progrès en matière de commodité d’utilisation et de sécurité.
Les express à chiens extérieurs constituent souvent de pures merveilles, en tout cas dans les réalisations les plus fines. Les nostalgiques peuvent encore se tourner vers les artisans autrichiens et allemands pour fabriquer des pièces uniques de niveau exceptionnel. En Italie, Famars réalisait également son prestigieux modèle Castore à armement automatique des chiens en version express. Les Italiens s’intéressent incontestablement au créneau particulier des express à chiens. On peut citer les bien plus démocratiques Kodiak, de Pedersoli, et Fair Iside Safari, de Rizzini.
Les mécanismes de percussion à batterie
Même si des mécanismes à batterie ont existé bien avant le fameux Anson & Deeley, c’est incontestablement cette invention (brevet n°1756 de 1875) qui va bouleverser le monde de l’armurerie et infliger un sérieux coup de vieux aux platines à chiens extérieurs, qui toutefois ne disparaitront jamais complètement. William Anson avait été chef de l’atelier de mécanique de Westley Richards avant de s’établir à son compte, tandis que John Deeley avait eu un parcours assez atypique dans cette entreprise, dont il allait finir par devenir directeur général et détenir la plupart des actions. Le démontage de la batterie Anson & Deeley n’est
cependant pas simple. Consciente de cette difficulté, la firme de Birmingham lance ses droplocks (brevet John Deeley et Leslie B. Taylor n° 17.791 de 1897), auxquels on accède en ouvrant tout simplement une trappe sous la bascule. C’est extrêmement facile, très beau et … beaucoup plus cher à fabriquer. Cette version permet de disposer de batteries de rechange, qu’on peut installer en quelques secondes à peine, même au fond de la savane ! Cerise sur le gâteau, sans ses batteries amovibles, l’express peut être rangée en totale sécurité. Vu leur cout, on rencontre plus rarement ces armes que celles utilisant le modèle initial.
Sans surprise, c’est donc ce dernier qui se taille la part du lion dans les fabrications britanniques et continentales. L’immense majorité des express liégeoises courantes ont longtemps été équipées du mécanisme Anson & Deeley.
À noter encore que les mécanismes à batteries sont rarement équipés de doubles gâchettes de sécurité visant à empêcher (du moins en principe…) le départ intempestif du second coup. Il est en effet généralement admis que le mécanisme Anson & Deeley est plus stable qu’une platine Holland & Holland, et peut donc se passer d’une double gâchette de sécurité. On en rencontre cependant parfois, singulièrement sur des Westley Richards haut de gamme (brevet William Anson n°4089 de 1882). Cette double gâchette est alors installée dans la même position alternative que la gâchette évoquée pour les Anson & Deeley allemandes (lire encadré « A&D sauce germanique ») . Le système Anson & Deeley est simple, fiable et meilleur marché. On lui reproche tout au plus son aspect, les forts évidements de la bascule et la position de l’axe du chien qui se trouve à un endroit plus fragile, juste sous l’angle du rempart de bascule. On devrait cependant remarquer que d’excellentes .600 nitro express ont utilisé ce mécanisme, c’est tout dire. Et ne pas oublier que l’énorme calibre développe une pression très modérée. La CIP fixe le maximum à seulement 2 450 bar ! Vu le caractère mythique de ce calibre extrême, rappelons qu’il a été développé par Jeffery. La première carabine double en .600 nitro express remonte à 1901. Jeffery l’avait fait fabriquer par Saunders et les canons provenaient de Krupp.
Un système, que l’on pourrait à la rigueur aussi qualifier de dérivé, est le très courant système Blitz, dont on ignore toujours qui en est réellement l’inventeur. Après avoir été massivement utilisé par les fabricants allemands, il a aussi été adopté par des français. Le Blitz a ses avantages : les chiens et leur ressort sont situés derrière la bascule, qui peut ainsi être moins évidée. Le mécanisme de percussion, apparenté aux trigger plate actions écossaises, est monté sur la plaque de sous-garde et est donc beaucoup plus facilement démontable. En revanche, il est plus compliqué avec lui d’obtenir de bons départs. Si, à dimensions égales, la table de la bascule est plus robuste sur le Blitz, c’est au niveau du bois qu’il faut creuser plus pour loger le tout. Le système Blitz a lui- même inspiré des mécanismes proches dans le principe. On peut considérer que le Blitz est depuis longtemps devenu aussi un classique pour les carabines doubles.
Différents autres systèmes à batterie existent. Ils peuvent être intéressants, mais ne sont pas assez courants pour être présentés dans cet article à vocation plus générale. Mentionnons cependant aussi les express à armement
séparé, surtout l’apanage de fabricants industriels allemands, présentant assurément un progrès en sécurité s’ils sont actionnés juste avant le tir.
Terminons par une petite caractéristique traditionnelle associée aux armes à batterie germaniques : les indicateurs d’armement. Leur utilité parait assez douteuse, puisque la prudence impose de toujours considérer une arme comme chargée et que le basculage des canons aura de toute façon assuré automatiquement l’armement. Longtemps associées à toute fabrication de Suhl, ces petites tiges protubérantes semblent aujourd’hui être en voie de disparition. Des modèles récents n’en sont plus munis. Les hammerless ne suscitent plus les mêmes inquiétudes qu’il y a plus d’un siècle !
Les platines
Pour beaucoup de chasseurs et de collectionneurs, acquérir une belle carabine double à platines s’apparente à la quête du graal. Tout contribue à alimenter cet attrait difficile à contenir : souvent le luxe avec de belles surfaces pour les gravures, la perfection du mécanisme, la beauté des lignes, le prestige des meilleures signatures, le mythe des grandes chasses… Il y a vraiment énormément à dire sur ces systèmes de percussion. Dans le cadre limité d’un article, nous ne pouvons que donner un aperçu du sujet. Les lecteurs qui souhaitent approfondir la question seront bien inspirés de consulter le très bon ouvrage de référence qu’est Platines – Les plus beaux fusils de chasse du monde, de Laurent Bedu. On peut considérer qu’en gros, les platines hammerless sont des évolutions des anciens mécanismes à chiens extérieurs, l’armement s’opérant habituellement ici par le biais d’un levier entrainé par le basculement des canons, à l’instar du système Anson & Deeley de 1875. D’autres méthodes d’armement existent cependant aussi. L’archétype du mécanisme à platines est celui mis sur le marché par Holland & Holland au début des années 1890. Avant cela, la célèbre entreprise avait développé plusieurs platines ayant d’autres caractéristiques. Ses concurrents n’ont pas été en reste et un bref survol de brevets montre une grande variété de platines plus ou moins différentes de celles de la maison de Bruton Street. Vu le prestige de Purdey, nous nous bornerons à citer la fameuse platine de Frederick Beesley (brevet n°31 de 1880), un de ses anciens monteurs à bois. Beesley a fait enregistrer d’autres brevets intéressants et a fabriqué de belles armes sous son propre nom. La platine utilisée par James Purdey & Sons présente des caractéristiques très intéressantes, l’armement se faisant par la compression d’un ressort. Le système reste sous tension une fois l’arme refermée. Les cames ( compressors) exercent une pression vers le haut qui assure le basculement automatique dès l’ouverture. Cette platine Beesley équipe les plus célèbres des véritables self openers ( d’autres mécanismes d’assistance à l’ouverture n’assurent pas vraiment l’ouverture automatique, ils constituent plutôt une assistance). Ce système a été nettement moins copié que celui de Holland & Holland. La platine Beesley est chère et assez compliquée à fabriquer (des Belges et même des Espagnols s’y sont cependant risqués), elle exige une pièce de transmission vers les éjecteurs plus délicate. Mais surtout, revers de la médaille, elle rend l’arme pénible à refermer. Si l’on ajoute à la compression des ressorts le poids des canons d’un express, surtout dans les gros calibres, l’enthousiasme pour la platine Beesley retombe un peu. En définitive, on ne rencontre donc pas énormément d’express basées sur cette platine. Vu l’engouement assez récent d’artisans allemands pour la renaissance de mécanismes qui ont eu leur heure de gloire à Suhl, citons encore la platine Thieme & Schlegelmilch. Elle est assurément intéressante et stable, mais demeure, elle aussi, relativement rare chez nous.
La platine la plus rencontrée est donc, et de loin, celle de type Holland & Holland. Pour des express, on privilégie normalement un ressort situé à l’arrière de la platine, tandis que pour les armes lisses, on le positionne à l’avant. Cet emplacement permet aux branches du ressort d’être plus longues et de faciliter des départs « plus liants ». En revanche, le corps de la bascule doit alors être fraisé plus profondément sous la table, ce qui n’est pas idéal pour sa résistance. Au jeu des comparaisons, il faut par contre admettre que le ressort arrière oblige le monteur à bois à évider plus la crosse à un endroit qui est aussi assez délicat. Tout est donc affaire de bon sens, de savoir-faire et d’expérience. Si l’on rencontre encore de temps en temps des express à platines avant, manifestement réalisées à bas prix au départ de fusils de chasse transformés, il faut bien admettre que des carabines doubles signées par des fabricants réputés peuvent aussi avoir été montées d’origine avec des platines avant. Tout n’est donc pas forcément suspect dans ce domaine !
Doubles gâchettes ou pas
Les platines de type Holland sont normalement équipées de doubles gâchettes de sécurité. Elles permettraient des départs plus légers tout en offrant une garantie supplémentaire en cas de départ inopiné. Cependant, leur fiabilité peut être sujette à caution. Ferdinand Courally nous adresse en effet un sérieux avertissement : « La double gâchette n’est donc plus appliquée qu’aux fusils sans chiens à platines, mais il est, je crois, de mon devoir de prévenir les chasseurs de ce que le plus souvent, elle ne fonctionne pas d’une façon utile. Le réglage parfait d’une platine à double gâchette est un travail délicat qui exige des soins méticuleux et par conséquent couteux, dont seules peuvent être l’objet les véritables et très chères armes fines. » Eh oui, sous le choc du premier coup, il arrive que le second se déclenche immédiatement, et pas seulement sur des armes de bas de gamme. La fameuse double gâchette de sécurité serait-elle susceptible d’avoir des moments d’inattention ?
Malgré toute l’admiration qu’on peut avoir pour la platine Holland & Holland classique, il faut pouvoir admettre que sa conception a aussi ses faiblesses, comme l’ont montré plusieurs auteurs. Cela a poussé des inventeurs à proposer d’autres platines, et pas seulement dans le but de simplifier le travail. Ces armuriers qui ont osé redessiner très profondément l’emblématique platine ne sont pas forcément des iconoclastes ou des gens cherchant à contourner des brevets. Ces créations, qui peuvent être de grande qualité, ne devraient cependant plus alors porter le nom « Holland » que beaucoup continuent à utiliser communément, simplement par habitude.
Quelques modifications, surtout industrielles, restent, elles, très modérées. Ainsi le remplacement du ressort de gâchette à lame par un ressort à boudin. Pas classique du tout, mais pas épouvantable non plus…