La Sainte Réalité
Gallimard, 162 p., 16 euros C’est une vie de Jean-Siméon Chardin. Elle a été marquée par les épreuves. Celui qui voulait sanctifier la vie dans ses tableaux a été douloureusement frappé « par une bizarre malédiction ». Il a perdu ses deux petites-filles, son fils unique et sa première femme. Les honneurs ne font qu’accentuer ce vide qui se creuse autour de lui. Seul l’art pratiqué avec une exigence extrême contrecarre l’absurdité de l’existence. Chardin se montre d’emblée offensif. Lui qui n’a pas pu bénéficier de l’apprentissage souhaité se confronte à tous les obstacles, sans se décourager ni se précipiter, et mobilise les ressources nécessaires pour faire son chemin. Il a le don de montrer les êtres et les choses, d’en percer l’écorce, et d’en dégager la profonde insistance. Sa grande affaire, c’est la réalité. Pas question de se contenter de la ressemblance, ce qui compte, c’est d’accroître, d’élargir la nature, d’en faire « un espace de pensée et de vie ». Cette « sainte réalité », il va la chercher dans cette effervescence de détails, cette réverbération infinie de l’émotion et ce contrôle sévère du déséquilibre, du désordre et donc de la construction. Marc Pautrel donne consistance à un mouvement qui concentre à la fois la vie et l’oeuvre de Chardin. Il ne s’agit pas seulement de contempler ce mouvement, mais de s’y inscrire, de le suivre dans toute son étendue, de l’explorer dans la diversité de ses remous et de s’en imprégner. Les séquences biographiques sont dépouillées de leur gangue inutile, réduites au plus incisif, et associées à de délicates et précieuses descriptions d’oeuvres peintes à la même période que les événements rapportés. De telles juxtapositions apportent un degré supérieur de vivacité et de signification à la trajectoire exceptionnelle de Chardin.