THOMAS CLERC l’embrayeur, l’accélérateur, le frein
Le poème d’ouverture du livre de Thomas Clerc est une présentation de cet « artiste de variétés » qui, tout accoutré de rouge, ne précède pas mais accompagne, car sa mission consiste à assurer l’ambiance et donc le bon déroulé du programme. Celui qui le clôture est un merci très long en bouche, adressé à tous les intrépides embarqués volontaires dans cette navigation agitée, apte à changer de direction, sans se fixer sur aucune, et qui, non sans délectation, pourront dire « j’y étais ». Entre les deux, se déploie une somme conséquente de poèmes, classés par ordre alphabétique, accolés les uns aux autres, qui s’attirent et se repoussent, produisent une effervescence touffue dans leur sillage, révèlent tantôt tel registre, tantôt tel autre. Des anecdotes, des souvenirs, des idées, des désirs, des rêveries, des ratages, des crises, des catastrophes, des gestes, des actions, des humeurs, des amours, des fêtes, des réglages, des dédicaces fusent et s’entrechoquent, apparaissent et disparaissent, se solidifient et se liquéfient. La matière est extrêmement mouvante et s’affranchit des obstacles qui pourraient contrarier sa progression. Poeasy est une proposition accidentée, rugueuse, perméable et fragmentaire. Ses emprunts à droite et à gauche et tous ses croisements de genres ont pour fil conducteur l’idée que les perspectives deviennent plus enrichissantes si les possibilités de se rapprocher et de s’éloigner sont plus généreuses. Ainsi, de près, c’est un fourre-tout chargé de sensations, de matériaux légers, de cartes à jouer et de bruits du monde qui s’annulent tout en se complétant, s’élargissent tout en se concentrant. Ce qui importe, c’est la redoutable vitalité de cette propension à l’accumulation « qui offre asile à tout ». De loin, c’est un portrait de l’auteur infiniment morcelé en divers éclats qui sont autant de miroirs où tout se répète en même temps que tout se reformule. Il s’agit alors d’en dégager, sûrement imparfaitement, les strates de sédiments déposés par le développement même d’un itinéraire constamment en demande de renouvellement. Thomas Clerc pratique le poème comme le jongleur qui manipule à la fois des objets codifiés et des objets non codifiés. Les premiers regroupent tout ce qui s’apparente aux massues, aux balles et aux cerceaux, bref, tout ce qui est reconnu comme appartenant à l’art du jonglage. Les seconds opèrent une transgression de ce répertoire et peuvent être aussi incongrus que des poches plastique, des casseroles ou des plumes. Ils n’induisent pas la même posture ni les mêmes qualités. Les uns exigent une grande souplesse et une fluidité qui poussent à être dans le relâchement et à adopter des mouvements beaucoup plus coulants. Les autres sont plutôt du côté de la vitesse et de la tension et demandent un positionnement précis, « bien aiguisé », qui doit faire oublier tout effort, toute performance. Thomas Clerc a une conduite identique. Il aime « l’embrayeur » qui « permet de suivre et naviguer / de soulever la bête qu’on est ». Il apprécie « l’accélérateur » qui « donne une bonne intensité / aux motifs de notre décor ». Mais il redoute « le frein » qui est en lui « et au-dedans, central ». Comme dans le mouvement rotatif du ballon sur un doigt, il a ce tour de main pour que l’attention se concentre sur le ballon qui tourne.