Etel Adnan / Gerhard Richter
Fondation Flag Art / 19 janvier - 13 mai 2017
Voici une exposition qui associe deux artistes que tout semble opposer. Etel Adnan est une célèbre poétesse et nouvelliste libanaise âgée de 92 ans, dont l’oeuvre peint n’a que dix ans. Gerhard Richter est l’un des peintres les plus reconnus, et l’un des moins enclins à s’exprimer publiquement. Entre le peintre allemand, notoirement apolitique, et la poétesse activiste libanaise, il existe cependant d’intrigantes similitudes. Dans leur production visuelle, tous les deux travaillent à l’intérieur d’un vaste ensemble de médiums et explorent les relations qu’entretiennent artisanat et « grand art », esthétiques orientale et occidentale, production manuelle et production mécanique. Tous les deux résistent aux catégories conventionnelles et révèlent ainsi la complexité de l’impulsion créatrice. L’oeuvre écrit d’Etel Adnan se veut une réponse pleine d’angoisse à la violence et aux drames politiques ; ses peintures sont en revanche de lumineuses compositions que lui inspire la nature. Gerhard Richter s’est rendu célèbre par des oeuvres extrêmement réalistes d’après photographie, aussi bien que par des peintures abstraites qui excluent délibérément le fétichisme de la touche généralement associé à l’abstraction gestuelle. Les oeuvres présentées accentuent ces similitudes. Adnan est représentée par plusieurs peintures à l’huile, un ensemble de panneaux de céramique inspirés par les phases de la lune et du soleil, et quatre grandes oeuvres où les canevas vivement colorés sont transposés sur des tapisseries tissées à la main. La contribution de Richter consiste en une peinture abstraite d’un orange éclatant, d’un ensemble de petites oeuvres abstraites peintes sur l’envers de petites assiettes de verre, et de deux tapisseries dérivées de son oeuvre Abstract Painting (724-4) qui n’est malheureusement pas exposée. Pour ces tapisseries, un quart de la peinture originelle est numérisé puis déplié symétriquement, afin de créer une composition évoquant un test de Rorschach. Cette image numérisée est ensuite tissée sur un métier mécanique Jacquard. L’exposition révèle ce qui advient lorsque la peinture est transposée en tapisserie. La spontanéité du geste disparaît. Par la transformation de subtils mélanges de couleurs en champs de fils colorés individuellement, le textile acquiert une qualité pointilliste, comme si le tissage traditionnel rencontrait la pixellisa- tion contemporaine. Avec leurs vibrants blocs de couleur, les oeuvres tissées d’Adnan n’ont rien perdu de la fraîcheur de ses peintures. Dans les tapisseries de Richter, la transformation est plus complexe. La répétition suscitée par les images en miroir inscrivent la peinture originelle dans une structure symétrique qui évoque les tapis persans. Venus d’horizons et d’approches artistiques très différents, Adnan et Richter présentent tous les deux des méditations sur la beauté. Les couleurs séduisantes, le jeu avec l’artisanat et la puissance d’immersion de leurs grandes tapisseries sont à l’origine d’oeuvres éblouissantes.
Eleanor Heartney Traduit par Laurent Perez This exhibition brings together two artists: Etel Adnan is a celebrated 97 year-old Lebanese poet and novelist who only began painting ten years ago. Gerhard Richter is one of the art world’s most established and verbally reticent painters. On the surface, the two—a famously apolitical German painter and an activist Lebanese poet—could not seem more different. But, in fact, their similarities are intriguing. As visual artists, both work in a wide range of media and explore connections between craft and “high art”, the aesthetics of East and West, and the relation of hand and machine production. And both, by resisting conventional categories, reveal the complexity of the creative impulse. Adnan’s writings are anguished responses to violence and political tragedy, while her paintings are luminous compositions inspired by nature. Richter, famously eschewing signature style, is known both for his highly realistic photo-based works and abstract paintings that deliberately undermine the fetishization of hand touch more commonly associated with gestural abstraction. This exhibition focuses on bodies of works that accentuate these similarities. Adnan is represented by several oil paintings, a set of small ceramic panels inspired by phases of the moon and sun, and four large works in which the bold patchworks of color that characte-
rize her paintings have been translated into hand-woven tapestries. Richter has contributed a glowing orange abstraction, a set of abstractions painted on the reverse side of small glass plates and two tapestries based on his work Abstract Painting (724-4), which, regretfully, is not included in the show. Richter’s tapestries are created by digitizing a quadrant of the source painting and setting it alongside its mirror image to create a Rorschach-like composition. This digitized image is woven on a mechanical Jacquard loom. The exhibition reveals what happens when painting is translated into tapestry. Gestural spontaneity is lost. Instead, the transformation of subtly blended colors into fields of individual colored threads gives the textiles a pointillist quality, as if traditional weaving were merged with contemporary pixilation. With their vivid blocks of color, Adnan’s woven works retain the freshness of her paintings. In Richter’s tapestries, the transformation is more complex. The repetition created by the mirror imaging converts the sections of the original painting into symmetrical patterns that bring to mind Persian carpets. Coming from very different backgrounds and approaches to art, Adnan and Richter both offer essays on beauty. The seductive colors, the play with craft and the immersive quality of their large tapestries yield works that dazzle the eye.
Eleanor Heartney Vue de l’exposition/ Installation view of
Etel Adnan (à gauche en haut/ top left et à dr. en bas / down right) et Gerhard Richter at The Flag Art Foundation, 2017. (Ph. Object Studies)