DOSSIER FIAC paroles de galeristes / Hearing the Gallerists
Georges-Philippe Vallois, Patrick Bongers, Farideh Cadot, Kamel Mennour, Stéphane Corréard, Fabienne Leclerc, Benoît Porcher, Alix Dionot-Morani et Axel Dibie, Anne-Sarah Bénichou.
Des foires d’art de plus en plus nombreuses, certaines de plus en plus interventionnistes : le constat nous a incités à demander leur avis aux premiers concernés : les galeristes. À voir également notre cahier spécial sur la programmation Hors les murs de la Fiac qui se tient du 19 au 22 octobre.
It’s late October so it must be FIAC time (October 19–22). We decided to ask Parisian gallerists what they thought about the recent proliferation of art fairs. We are also publishing a special section on the Hors les murs program that runs parallel to the Fiac proper.
Dans une édition du début de l’été, The Artnewspaper publiait un article présentant quelques initiatives de galeries face à l’inflation foirale. On apprenait qu’on estime à quelque 270 le nombre de foires d’art dans le monde, et que, prises en étau entre l’obligation de se faire connaître dans un monde globalisé et le coût exponentiel de leur participation à quelques-unes d’entre elles (transport, personnel, location des stands), les galeries étaient dépassées par le monstre qu’elles avaient contribué à faire naître, car les foires ont été souvent et continuent d’être fondées par des marchands (exemple récent : Paris Internationale fondée par cinq galeries). Certaines, désormais, mettent en place ce qu’elles espèrent être des alternatives. Cromwell Place à Londres, par exemple, est un projet de regroupement d’une trentaine de galeries mettant en commun espaces d’exposition, bureaux et réserves, également ouvert à des institutions et à des commissaires indépendants ; Condo est un programme d’échanges, des galeries-hôtes invitant temporairement d’autres galeries dans leurs murs. Enfin, certains marchands préfèrent renoncer carrément à l’espace d’exposition et poursuivre leur activité de façon privée, constatant la raréfaction du public dans leurs expositions et renonçant à la course folle de foire en foire. Cela avait été le cas en 2013 d’Emmanuelle et Jérôme de Noirmont, c’est la décision prise par Farideh Cadot en juin dernier, qui déplorait dans la lettre annonçant sa décision la « financiarisation du monde de l’art ». Il y a crise. Ce n’est certes pas la crise du marché, loin de là ! c’est la crise de ses acteurs. Les foires modifient profondément le métier des galeristes mais aussi le mode d’accès du public à l’art. On s’est d’abord réjoui de la création et du succès des premières. Elles allaient attirer l’attention du public vers des formes d’art qu’il appréhendait mal, susciter des vocations de collectionneurs. Pour ne parler que de la situation parisienne, il ne fait pas de doute que la Fiac, créée en 1973, a contribué, ainsi que le rappelle Patrick Bongers, à dynamiser un marché de l’art en France alors bien poussif, et à réinscrire le pays dans le circuit du marché international. À cela s’ajoute pour le simple amateur qu’elle permet de faire « un tour des galeries » qu’il est devenu impossible de faire dans le périmètre de la ville tant elles sont désormais nombreuses, et donne accès à des galeries venues du monde entier. Mais voici que trop c’est trop. Il semble qu’il n’y ait plus de capitale, nationale ou régionale, qui ne veuille une foire d’art comme la cerise sur le gâteau de son développement et que bien sûr les foires principales engendrent autour d’elles les « off », salons des refusés ou foires à taille humaine. Comme les galeries ne sauraient participer à une foire différente chaque semaine, la rivalité entre les foires s’installe. Ainsi, pour s’assurer de nouveaux participants, quelquesunes commencent à accepter des courtiers. Elles entrent dans une logique qui n’est plus seulement au service du marché de l’art, mais aussi au service d’elles-mêmes. Notons que derrière la Fiac et son comité d’experts, il y a Reed Expositions, société spécialisée qui organise des salons pour les professionnels du bâtiment, du tourisme, ou… de l’art funéraire. Déjà concurrencées par les commissaires-priseurs maintenant autorisés à la vente de gré à gré, les galeries se voient de plus en plus dépossédées de certaines de leurs fonctions par la nature événementielle des foires qui happe l’attention des amateurs et assèche les relations humaines au travers desquelles se faisait jusqu’alors le commerce de l’art. Nous sommes donc allés trouver quelques-uns des marchands d’art parisiens, de différentes générations et de différentes « statures », et nous leur avons posé trois questions : que vous ont apporté les foires ? Y a-t-il suffisamment, pas assez ou trop de foires ? Comment voyez-vous l’avenir de votre métier ? La réponse à la première question a toujours été positive. Qu’il s’agisse de galeries nouvellement créées ou d’enseignes historiques, ceux qui les représentent reconnaissent tous le bénéfice de notoriété apporté par les foires, que ce soit auprès du public et des collectionneurs qu’auprès de leurs pairs, et ce bénéfice est tel que beaucoup acceptent qu’il soit parfois le seul, c’est-à-dire qu’elles participent sans couvrir leurs frais.
NÉCESSITÉ DE L’EXPOSITION Hélas ! Si les foires reçoivent de plus en plus de visiteurs, les galeristes, eux, rentrés chez eux, y sont de plus en plus seuls. Il semble loin le temps où Daniel Gervis, l’un des fondateurs de la Fiac, m’expliquait que le public venu à la foire allait ensuite dans les galeries. Voici plusieurs années déjà que tous les directeurs de galeries font le même constat : les expositions qu’il leur tient à coeur d’organiser et d’accrocher et qui mettent en place les conditions idéales pour l’artiste de rencontrer son public sont vues par de moins en moins de personnes. Kamel Mennour rappelle qu’il a fait ses classes en visitant la Fiac. J’ai oublié combien coûtait le billet d’entrée dans les années 1990, quand le jeune homme qu’il était s’y formait le regard, je sais qu’aujourd’hui il faut payer 37euros, ce qui n’autorise pas qu’on y re-
tourne aussi souvent qu’il semble l’avoir fait (à ce prix-là, on va deux fois au Centre Pompidou, et on peut même s’y offrir une séance de cinéma). Moi, vingt ans auparavant, j’allais dans les galeries et les personnes qui étaient là trouvaient le temps de m’expliquer les choses. J’ai toujours considéré que l’accès libre dans les galeries était le plus facile et le plus formidable moyen d’approcher de très près les oeuvres d’art, qui que l’on soit. On devrait le rappeler dans un tract distribué sur tous les stands. Posons- nous la question de l’avenir du monde de l’art si le réseau des foires en devient l’unique maillage. D’un côté, disparition des grandes expositions thématiques qui mettaient en ébullition les cerveaux dans les années 1970-1980, déliquescence de beaucoup des rendez-vous périodiques de type biennale, et Documenta avec un trou de sept millions d’euros pour cette dernière, de l’autre la pionnière et la plus smart de toutes les foires, Art Basel, qui non contente de s’être implantée à Miami et à Hong-Kong, caresse peut-être un rêve hégémonique avec le tout nouveau Art Basel Cities qui offre ses services à des villes désireuses de développer leur action culturelle. Première sur la liste : Buenos Aires. S’avancet-on vers un monde où les « curators » seront les organisateurs de foires ? Avant l’invention du métier de « curator », il y avait déjà des « curators » qui s’appelaient des directeurs de galerie. Certes, ceux-ci sont des marchands, mais qui s’attachent à éclairer et valoriser l’oeuvre des artistes qu’ils défendent à travers des expositions. Benoît Porcher de la galerie Semiose est très attentif à la qualité des accrochages sur ses stands, mais tous ses confrères n’ont pas cette possibilité. Beaucoup se plaignent des contraintes que font peser les principales foires, entravant leur liberté de choix. Ce que quelques-uns n’hésitent pas à appeler des diktats s’appuie certainement sur des critères de qualité, mais aussi, il faut le dire, sur la prise en compte, parfois occulte, de la concurrence entre les galeries, ou sur la nécessité qu’ont les organisateurs d’annoncer à la fermeture de la foire des chiffres d’affaires explosés (ce qui, on l’a compris, ne privilégie ni les jeunes artistes, ni les oeuvres difficiles). Aussi, tandis que se tient la Fiac, donnons la parole aux galeristes…
Catherine Millet
——— In the early summer The Art Newspaper published an article presenting a number of initiatives taken by galleries to counter the hypertrophy of the art fair circuit. It spoke of an estimated 270 art fairs organized around the world, and stated that, what with the obligation of marking their presence in a globalized world and the rocketing costs of participation in some of these fairs (transport, staff, booth rates), the galleries found themselves fighting a monster that they had helped create, and are still feeding—only recently, in fact, five galleries created Paris Internationale. They were trying to create alternatives. In London, for example, Cromwell Place is a project bringing together some thirty galleries who share the exhibition spaces, offices and storerooms. It is also open to institutions and independent curators. Condo is an exchange program whereby host galleries invite other galleries to put on temporary shows in their space. Finally, some dealers prefer simply to give up their exhibition spaces and continue their work on a private basis, what with the dwindling attendances at gallery shows and the seeming madness of schlepping from fair to fair. That was the decision taken in 2013 by Emmanuelle and Jérôme de Noirmont, and by Farideh Cadot last June, when she published a letter talking about the domination of art by finance. There is a crisis. It is not the crisis of the market—far from it. It is the crisis of the market players. Fairs are continuing to cause deep changes in the gallerist’s profession, but also in the way the public has access to art. To begin with, we were enthusiastic about the creation and success of these fairs. They were going to get the public looking at forms of art that it found hard to grasp, to inspire a new generation of collectors. To take the case of Paris, there can be no doubt that, as Patrick Bongers points out, the creation of the FIAC in 1973 helped to energize what was then a very slack French art market and to put the country back on the international map. To this must be added the fact that the FIAC offers the simple visitor the chance to “do the gallery tour” that has become impossible in the city itself, so numerous and far flung are its galleries, with the considerable bonus of seeing other galleries from all around the world. But there you have it: enough is enough. Nowadays it seems that every national or regional capital aspires to its own fair as the cherry on the cake of its development, while the main fairs keep generating their own fringes, salons des refusés or alternative events “on a human scale.” And because galleries can’t hope to take part in a new fair every week, competition between fairs is intense. To ensure new participants, some of the fairs have started to accept brokers, following a logic that is not only in the service of the art market, but also in their own interest. Note that behind the FIAC and its committee of experts there is Reed Exhibitions, a company whose portfolio also includes events for building companies, the tourist trade and undertakers.
Already facing competition from auctioneers, who are now allowed to sell directly to individuals, galleries find themselves stripped of some of their functions by the event-based nature of fairs, which monopolise the attention of art lovers and dry up the channels of human relations that used to irrigate the art trade. We spoke to a number of Parisian dealers from different generations and with different “statures,” and asked them three questions: What have art fairs done for you? Are there enough, not enough or too many fairs? How do you envisage the future of your profession? The answer to the first question was always positive. Whether the galleries in question were new or historic, their representatives all recognise that fairs have raised their profile, in relation to their peers as well as to the general public and collectors, and this benefit is sufficiently important for many of them to justify their participation: in other words, covering their costs doesn’t necessarily come into it. Sadly if attendances at fairs continue to rise, gallerists are finding themselves increasingly on their own. How long ago it seems since Daniel Gervis, one of the founders of the FIAC, told me that visitors who came to the fair then went on to visit the galleries. For a number of years now, gallery directors have all reached the same conclusion: the exhibitions that they really want to organize and show, exhibitions that present the ideal conditions for artists to be seen by the public, are actually being seen by fewer and fewer people. Kamel Mennour points out here that he got his artistic education by going round the FIAC. I have forgotten how much it cost to get in when he was a young man training his eye, back in the 1990s, but I do know that today you have to pay 37 euros, which makes you think twice about going back (as he did, several times): for the same money, you can go to the Pompidou Center twice and still have enough change for a movie. Twenty years before Kamel, when I started going round galleries, the people there found the time to explain things to me. I have always thought that free admission to galleries was the easiest and best way to get close to artworks, whoever you may be. There should be flyers reminding visitors of this fact in all the booths. What would the art world become if its only network were the one formed by art fairs? We have lost all the big thematic exhibitions that were so stimulating in the 1970s and 80s, and the big periodical events like Documenta (seven million euros in the red) are teetering; at the same time, the first and smartest of all art fairs, Art Basel, has not only sent out shoots in Miami and Hong Kong, but seems to be dreaming of hegemony through its new Art Basel Cities scheme, which offers its services to cities eager to develop their cultural initiatives. Are we headed for a world where the organizers of fairs are also the curators? Before curators were curators as we know them today, there were gallery directors, who set out to show the work of the artists they represented to its best and most intelligible advantage, even if, yes, the bottom line was also financial. Benoît Porcher at the Semiose gallery is extremely attentive to the quality of the hangings in his booth, but not all his colleagues have that possibility. Many complain about the restrictions imposed by the main fairs. What some freely call diktats are founded, for sure, on qualitative criteria, but also, it must be said, on sometimes occult calculations concerning competition between galleries and on the imperative of the post-fair balance sheet, i.e., the need to be able to announce spectacular sales (obviously, that doesn’t help young artists or complex work). So, during this FIAC, from October 19 to 22, let’s hear what the gallerists have to say.
Catherine Millet Translation, C. Penwarden
GEORGES-PHILIPPE VALLOIS Créée en 1990, la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois défend simultanément des artistes français qu’elle a découverts (Barbier, Bublex, Seinturier), d’autres qu’elle fait mieux connaître en France (Keith Tyson, Taro Izumi…), ainsi que les oeuvres maintenant historiques des avantgardes françaises des années 1960 (Tinguely, Saint Phalle, Villeglé…). G.-Ph. Vallois est également l’actuel président du Comité professionnel des galeries d’art. « La participation aux foires a entraîné une « labellisation » des galeries. Même lorsque nous ne vendons pas, le bénéfice est d’apparaître aux yeux de collectionneurs de tous pays comme une galerie majeure. Nous avons rapidement participé à la Fiac ainsi qu’à la foire de Bâle, d’abord dans la section des jeunes galeries, mais le moment de vérité est arrivé quand il s’est agi d’intégrer la grande section. Les foires sont extrêmement réglementées. Elles demandent en général de recevoir le plan du stand ; si des changements interviennent, il faut normalement les signaler. Dans la section jeunes galeries ou projets, les réserves ne sont parfois pas autorisées. Au-delà de ces règles, il ne faut pas oublier que la sélection des galeries et les exigences sur la liste d’artistes proposée sont autant le fait des organisateurs que des comités de sélection composés de nos pairs. Il est en effet parfois difficile pour nombre de galeries de montrer tel ou tel jeune artiste qu’elle représente.
En fait, les foires se pensent désormais et souvent à juste titre en concurrence avec les grandes expositions internationales d’où cette exigence sur le contenu. Quant à nous, nous participons régulièrement aux grandes foires internationales, telles la Fiac, Art Basel, Art Basel/Miami, ou encore l’Armory show, mais nous aimons aussi des foires de moindre envergure ou plus spécialisées comme Abu Dhabi, Drawing Now ou Loop à Barcelone. Il faut malheureusement bien constater que les gens disposent de moins en moins de temps et que, même si leur multiplication représente à des degrés divers des promotions potentielles en termes de visibilité, les foires ont tendance à vider les galeries de leurs visiteurs. C’est d’autant plus dommage que les artistes ont toujours envie de faire des expositions, que les galeries ouvrent de grands espaces pour les satisfaire et que, par ailleurs, la galerie reste le lieu où les vraies rencontres peuvent avoir lieu, où on a le temps de discuter. Le public, orienté par une médiagénie basée sur l’événementiel, est parfois plus attentif aux cotes atteintes dans les ventes publiques qu’à l’histoire de l’artiste et de la galerie qui le défend. Je crois plutôt que, dans l’avenir, on verra des galeries de plus en plus grosses, que de petites continueront d’émerger, et que ce seront les galeries d’importance moyenne n’ayant pas su se distinguer qui auront de plus en plus de mal à subsister. Quant à moi, je reste un « paléo-galeriste », travaillant avant tout selon ses convictions, et assumant que les conditions économiques sont de plus en plus difficiles pour un jeune artiste et celui qui l’expose. Je pense enfin que la toute-puissance du marché reste un fait conjoncturel, mais qu’on ne doit pas confondre l’histoire de l’art et celle de son marché, les nombreuses crises et les remises en cause qui les ont accompagnées sont là pour nous le rappeler.
——— The Georges-Philippe and Nathalie Vallois gallery, founded in 1990, champions French artists it discovered (Barbier, Bublex, Seinturier) and others it helped become better known in France (Keith Tyson, Taro Izumi; etc.), as well as now-historical work by French avant-garde figures of the 1960s such as Tinguely, Saint Phalle and Villeglé. G.-P. Vallois is also the current head of the Comité Professionnel des Galeries d’Art. There is a tendency for galleries that participate in art fairs to become labeled. Even if we don’t sell anything, we benefit by being seen as a major gallery in the eyes of collectors from all over the world. We started attending the FIAC and Art Basel early on, initially in their emerging galleries section, but the moment of truth comes when you move into the main section. Art fairs are tightly regulated. Usually they want a layout diagram of the stand in advance, and if there are any changes they’re supposed to be notified. In the emerging galleries section, storerooms are not always permitted. In addition to these rules, the selection of participating galleries and the exigencies involving the artists they show are decided by the fair organizers as well as selection committees made up of fellow gallerists. Consequently, many galleries sometimes find it difficult to show a particular young artist they represent. In fact, art fairs now present themselves, and often rightly so, as competitors to major international exhibitions. That’s why they’re so demanding about the contents. We regularly take part in big international fairs like FIAC, Art Basel, Art Basel/Miami and the Armory Show, but we also like smaller fairs such as Abu Dhabi, Drawing Now and Loop in Barcelona. Unfortunately, it must be acknowledged that people have less and less time at their disposal. Even if the multiplication of fairs represents potential opportunities in terms of visibility and promotion, still they tend to reduce the number of people who visit the galleries themselves. That’s all the more a shame in that artists always want to show their work, galleries are opening up bigger spaces to satisfy them and, furthermore, galleries remain a place where artists, visitors and others can meet and take the time to talk. Sometimes the public pays more attention to the media and its hypedup reports on auction sales than the artists and their galleries. I believe that in the future we’ll see bigger and bigger galleries, that small galleries will continue to emerge, and that medium-rank galleries that haven’t been able to make a name for themselves will find it increasingly difficult to survive. Personally, I’m still a “paleo-gallerist” whose work is guided above all by my convictions, and willing to take into account the fact that economic conditions are making it increasingly difficult for young artists and the galleries that show their work. Finally, I’m convinced that the market will not be allpowerful forever. We shouldn’t confuse the history of art with the history of art markets, as the many crises and reevaluations of artists should have taught us.
Translation, L-S Torgoff
PATRICK BONGERS Patrick Bongers dirige depuis 1978 la galerie Louis Carré, fondée en 1938 par son grand-père. Il a été membre du comité d’organisation de la Fiac et président du Comité professionnel des galeries d’art. À côté des oeuvres historiques, il expose Télémaque, Lebel, Di Rosa, Boisrond… « Nous avons par le passé participé aux foires de Bâle, de Chicago, à la Fiac et à Art Paris, considérant que c’était une extension de notre travail, et cela a élargi notre réputation. Nous prenions soin de présenter de vraies expositions, par exemple lors de notre dernière participation à la Fiac, un ensemble d’oeuvres d’artistes originaires des Caraïbes, Kcho, Télémaque, Camacho, ou, à Art Paris une exposition Erró dont nous avons tout vendu. Mais ne pas se contenter d’un stand quelconque, rechercher des oeuvres inédites ou prestigieuses, cela coûte cher, et les galeries ne rentrent pas toujours dans leurs frais ; certaines y participent plus pour le rayonnement de leur image que pour le commerce. Nous avons arrêté toute participation aux foires en 2008, quand les comités d’organisation ont commencé à mettre leur nez dans le programme des galeries. Nous avons été chassés de Bâle qui réclamait que nous ne
présentions que notre fonds historique. Les organisateurs des foires, qui sont d’abord des gens qui louent des mètres carrés, ont besoin pour leur propre réputation que l’on voie beaucoup de points rouges sur les stands, ce qui compromet le choix d’artistes français dont beaucoup se vendent encore mal à l’étranger. Au moins la Fiac donne-t-elle une image de Paris plus dynamique. Un autre inconvénient est que, si un mauvais emplacement vous est attribué, c’est très pénalisant. Enfin, vous ne savez pas toujours où va un tableau vendu sur une foire, alors que nous aimons suivre le destin des oeuvres des artistes que nous défendons. Il faut se rappeler que, dans l’aprèsguerre, les collectionneurs gardaient les oeuvres pour pouvoir un jour les donner à un musée. Nous avons conservé des relations avec tous les collectionneurs rencontrés dans les foires. Ce sont des gens qui sont dans le même état d’esprit que nous et, souvent, c’est au travers d’eux que nous en rencontrons de nouveaux. Nous travaillons beaucoup avec des galeries à l’étranger ; nous avons ainsi contribué à mieux faire connaître Gaston Chaissac en Espagne. Il est évident qu’il y a trop de foires, ce qui est difficile à assumer pour des petites galeries, tandis que d’autres n’existent que par les foires et ont des équipes entières qui y sont dédiées. Il faudrait des foires avec une vocation plus artistique. Galeristes est une bonne initiative. Il faut aussi souhaiter que le système fiscal français favorable au marché de l’art perdure. »
——— Since 1978 Patrick Bongers has directed the gallery founded by his grandfather Louis Carré in 1938. He has been a member of the FIAC organizing committee and president of the Comité Professionnel des Galeries d’Art. Alongside historical works, he exhibits Télémaque, Lebel, Di Rosa, Boisrond and others. In the past the fairs we took part in were Basel, Chicago, the FIAC and Art Paris. We viewed them as an extension of our usual work and as a way of extending our reputation. We took care to put on real exhibitions. For example, for our last participation at the FIAC we showed an ensemble of works by artists from the Caribbean—Kcho, Télémaque, Camacho—and at Art Paris we had a show by Erró where we sold everything. But if you want more than a standard booth, if you want to find previously unshown or prestigious works, that can be expensive, and galleries don’t always cover their costs. Some take part more for their image than to sell. We stopped showing in art fairs in 2008, when the organizing committees started sticking their noses into the gallery programs. We were kicked out of Basel, who wanted us to show only our historical collections. For the sake of their own reputations, fair organizers, who are first and foremost people who rent out square meters, need to see lots of those red dots on the booths, and that compromises the choice of French artists, many of whom still don’t sell very well abroad. At least the FIAC gives a more dynamic image of Paris. Another drawback is if you get a bad position.That's a real handicap. Finally, you don’t always know where a picture you sell at a fair is going to end up. We like to follow the career of works by the artists we champion. Don’t forget that in the post-war years collectors used to keep their works so that one day they could give them to a museum. We have kept up relations with all the collectors we met at fairs. They are like-minded people, and often it is through them that we meet others. We work a lot with galleries abroad. For example, we helped to make Gaston Chaissac better known in Spain. It’s obvious that there are too many fairs. It’s a lot to take on for small galleries, while some exist only through and for fairs and have whole teams dedicated to these events. We need fairs with more of an artistic role. Galeristes is a good initiative. We have to hope that France’s tax incentives in favor of the art market remain in place.
Translation, CP
FARIDEH CADOT Créée en 1976, la galerie Farideh Cadot a fermé en juin dernier. Sa fondatrice s’en est expliquée dans une lettre ouverte où elle déplorait que les intérêts financiers aient remplacé, dans le monde de l’art, l’aventure intellectuelle. Elle avait déjà, en 2011, signé une tribune dans Libération intitulée « L’art sous la coupe des spéculateurs ». Elle continue à défendre ses artistes, Markus Raetz, Bogdan Rata, Joel Fisher, Noël Cuin entre autres, à travers son bureau privé. « Pourquoi aurais-je conservé un espace d’exposition alors que le marché de l’art est dominé par les foires, qu’on assiste à une concentration de celles-ci (les plus grandes rachetant les plus petites, ce qui leur permet d’exercer un chantage: les galeries doivent s’engager à participer à plusieurs d’entre elles), pendant que certaines, de moindre importance, certes, accueillent des courtiers ? Dans ma génération, personne n’a ouvert une galerie pour faire fortune, c’était un choix de vie, et beaucoup d’entre nous ne se reconnaissent plus dans ce qu’est devenu le milieu de l’art. Par exemple, nous ne nous contentons pas de vendre les oeuvres, nous cherchons à les placer dans de bonnes collections, à faire le suivi, et nos galeries ont grandi en même temps que les artistes. Nous avons fait équipe avec eux. Par le passé, j’ai participé aux foires de Bâle, de Chicago, de Madrid et bien sûr à la Fiac dès leur première édition. J’avais été acceptée à Bâle un an après avoir ouvert ma galerie grâce à Ileana Sonnabend qui faisait partie du comité et qui m’avait soutenue. Plus tard, moi-même, j’ai fait partie de ceux qui ont négocié avec la Fiac la possibilité pour des galeries dont les moyens sont limités de louer des stands à l’étage à un prix moins élevé que ceux du rez-de-chaussée. Et puis, j’ai arrêté d’aller à Bâle parce que Markus Raetz que je représente ne souhaitait plus que ses oeuvres soient exposées dans ce contexte. Il y a deux ans, j’avais aussi proposé à la Fiac une exposition d’oeuvres de Raetz qui n’auraient pas été à vendre mais qui étaient exceptionnelles. La Fiac a refusé, la foire de Maastricht m’a invitée pour ce même projet. Je refuse les diktats des organisateurs d’autant qu’il entre dans leurs critères des considérations sur les rivalités entre les galeries, la nécessité de trouver un équilibre entre les unes et les autres, et qu’ils imposent même les oeuvres que les galeries doivent exposer.
Foire ou non, ma clientèle me reste fidèle. J’ai aussi constaté qu’un certain nombre de collectionneurs, et non des moindres, n’achètent plus dans les foires. Je continue à être très sollicitée, y compris pour des artistes avec qui je ne travaille plus ! Après que j’ai envoyé la lettre annonçant la fermeture de ma galerie, j’ai reçu énormément de témoignages de sympathie. Peut-être mon message arrivait-il au bon moment. »
——— Founded in 1976, Galerie Farideh Cadot closed last June. Its founder explained her action in an open letter in which she deplored the fact that financial interests had replaced intellectual adventure in the world of art. In 2011, she had signed an opinion piece in the daily Libération titled “Art in Thrall to Speculators.” She continues to support her artists (Markus Raetz, Bogdan Rata, Joel Fisher, Noël Cuin, etc.) from a private office. Why would I have kept an exhibition space when the art market is dominated by fairs that are becoming increasingly concentrated (with the big ones buying up the small ones: this allows them to put pressure on galleries: to exhibit in one, you must exhibit in several) and when some of them, admittedly the lesser ones, are now accepting brokers? No one in my generation opened a gallery to get rich. We were choosing a way of life, and many of us can no longer identify with what the art world has become. For example, we don’t just try to sell artworks, we try to find a place for them in good collections, to follow them up. Our galleries grew together with our artists. We were a team. In the past, I have taken part in fairs in Basel, Chicago and Madrid, and of course at the Fiac, ever since the first edition. I was accepted at Basel one year after opening my gallery thanks to Ileana Sonnabend, who was on the selection committee and supported me. Later, I myself was in the group that negotiated with the FIAC to give galleries with more limited resources the chance to hire stands on the upper floor at lower rates than on the first floor. Later, I stopped going to Basel because Markus Raetz, whom I represent, didn’t want his works to be shown in that environment. Two years ago I also proposed to exhibit works by Raetz at the FIAC that were not for sale, but were of outstanding interest. The FIAC refused; Maastricht invited me to exhibit with the same project. I refuse to bow to the diktats of organizers, especially since they factor in questions of rivalries between galleries and the need to balance out the different participants, and that they even tell galleries what works they should exhibit. Fairs or no fairs, my clientele is faithful. I have also noted that a certain number of collectors, and some quite impor- tant ones, have stopped buying at fairs. I still get a lot of requests, even for artist I’ve stopped working with. The letter I sent out announcing the closure of the gallery got a very sympathetic response. Maybe my message arrived at just the right moment.
Translation, CP
KAMEL MENNOUR La première galerie Kamel Mennour, d’abord consacrée à la photo, a ouvert en 1998. Elle a désormais trois adresses parisiennes et une londonnienne où elle présente des oeuvres consacrées (Molinier, Morellet) et des artistes plus jeunes, certains reconnus au plan international (Henrot, Lévêque, Ping). « J’ai d’abord été un visiteur de foires. J’avais fait des études d’économie et mon envie de faire ce métier était énorme, mais je n’avais été l’assistant d’aucun galeriste qui aurait pu être mon mentor. Je fréquentais les galeries mais, à l’époque, l’accueil y était un peu élitiste, si bien que ma formation a consisté à visiter sept ou huit fois chaque Fiac. Je m’entraînais à apprendre par coeur le nom des artistes ! Pour une galerie, les foires sont un très bon moyen de se faire connaître et de faire connaître ses artistes. Pour le public, elles permettent de concentrer les visites car les gens ont de moins en moins le temps d’aller dans chaque galerie individuellement. D’ailleurs, l’évolution depuis quinze ans est qu’on ne vend pratiquement plus que sur les foires. J’ai posé pour la première fois la candidature de ma galerie à la Fiac en 2000, quand celleci avait institué le principe de one man shows, mais je n’ai été accepté qu’en 2001. Aujourd’hui, nous participons à six ou sept foires par an. La globalisation impose que nous allions à Frieze, Londres et New York, à Art Basel, Bâle, Miami et Hong Kong. Nous retournons à Abu Dhabi cette année en raison de la coïncidence de la foire avec l’ouverture du Louvre Abu Dhabi. J’ai compris que chaque foire a son cahier des charges, par exemple, Bâle cherche « la photographie » la plus précise du champ. Nous, nous choisissons nos artistes représentés sur les stands en fonction de leur actualité localement, ainsi Mohamed Bourouissa était présenté à New York parce qu’il exposait à la Barnes Foundation à Philadelphie. Plus généralement, je recherche la confrontation entre les artistes les plus jeunes et ceux qui sont confirmés. Le nombre de foires à travers le monde atteint un paroxysme, le public ne peut pas suivre, ni évidemment la production des artistes. Il nous arrive de garder délibérément des oeuvres d’une exposition pour pouvoir les présenter plus tard dans une foire. Toutefois, je reste un galeriste « à l’ancienne », plutôt « casanier ». J’ai ouvert des espaces avenue Matignon et à Londres, mais qui sont plutôt comme des vitrines ; je n’ouvrirai jamais de succursale à New York. De toute façon, les réseaux sociaux offrent une caisse de résonance à la promotion de nos artistes. Pour moi, le métier reste le même: faire des expositions, en consacrant toujours la même énergie à en révéler ce qui en fait la substance. »
——— Kamel Mennour opened his first gallery, which specialized in photography, in 1998. Today, there are three Parisian spaces and one in London, showing both historical figures (Molinier, Morellet) and younger artists, some of them internationally known (Henrot, Lévêque, Ping). For me it all started with going round fairs. I had studied economics and I had a tremendous desire to do this job, but I hadn’t been the assistant to any other gallerist, to someone who could have been my mentor. I went to galleries but in those days the welcome was a bit elitist. In fact, my training consisted in going round each FIAC seven or eight times. I trained myself to learn the names of the artists by heart. For galleries, fairs are a very good way of becoming known and promoting your artists. For the public, they are a way of
concentrating your visits, because people have less and less time to go to each gallery individually. In fact, the trend over the last fifteen years is that sales take place almost exclusively at fairs. I first applied for the Fiac with my gallery in 2000, when it had instituted the principle of one-person shows, but I wasn’t accepted until 2001. Today we take part in six or seven fairs a year. Globalization means that we need to go to Frieze in London and New York, and Art Basel in Basel, Miami and Hong Kong. This year we are going back to Abu Dhabi because the fair coincides with the opening of the Louvre Abu Dhabi. I have understood that each fair has its own remit. Basel, for example, aims at giving as precise a snapshot as possible of the lay of the land. We choose the artists to show in our booth in accordance with what’s happening for them locally. For example, we had Mohamed Bourouissa in New York because he was exhibiting at the Barnes Foundation in Philadelphia. More generally, I look to show younger and more established artists side by side. The number of fairs around the world has reached saturation point. The public just can’t keep up, and nor of course can artists keep pace with their output. Sometimes we deliberately decide to keep the works we’ve just had in an exhibition so that we can present them later at a fair. For all thatl, I remain an “old school” gallerist, a bit of a “homebody.” I have opened spaces in Avenue Matignon and in London, but they are more like showcases: I will never open a gallery in New York. Besides, social media are a great amplifier for promoting our artists. For me, it’s still the same profession: it’s all about putting on exhibitions, and continuing to channel the same energy into bringing out their significance.
Translation, CP
STÉPHANE CORRÉARD Stéphane Corréard a lancé Galeristes en 2016. Il avait fondé la galerie Météo en 1992 et l’avait dirigée jusqu’à 1998 afin de montrer des artistes français ou francophones jamais exposés à Paris. En 1998, il s’associe à Gilbert Brownstone dans une nouvelle galerie, avant de fermer définitivement en 2000. Il participe à sa première Fiac en 1993, puis à Art Basel, Paris Photo, Artissima, Gramercy, Art Brussels. Il a dirigé le Salon de Montrouge pendant sept ans. « Galeristes est le fruit de mes expériences de galeriste, de collectionneur et d’organisateur du Salon de Montrouge, mais aussi de l’évolution du marché de l’art depuis vingtcinq ans. À l’époque, les foires étaient moins importantes, mais créaient déjà une frustration, car leur visite se substituait paradoxalement à celle des galeries. Il est commode de voir toutes les galeries réunies, mais cela ressemble aux dégustations-marathons : comme le dit le critique Robert Parker, au bout de cinquante vins, on ne sait plus si on boit de la bière, du Coca-Cola ou du Mouton-Rothschild ! Les foires ne sont pas calibrées pour faire découvrir de nouveaux artistes, ce sont les oeuvres les plus spectaculaires qui l’emportent. La partie visible de l’art et de son marché est devenue industrielle. Or, partout où il y a de l’industrie, il y a de la place pour l’artisanat, pour une échelle humaine. Un collectionneur curieux et engagé comme Antoine de Galbert dit que, pour lui, la semaine de la Fiac est un supplice comparable à la Fête de la musique pour un mélomane! Une partie du public ne voit que des blockbusters au cinéma, mais une autre privilégie la « politique des auteurs ». Jusqu’au début des années 1980, les galeries étaient parmi les rares lieux de connaissance sur l’art contemporain, tous les amateurs s’y retrouvaient. Aujourd’hui, on a accès à un trop-plein d’informations. Ainsi la question devient plutôt : pourquoi va-t-on encore dans les galeries ? Les gens ne font plus le tour des galeries mais des galeristes. Le salon Galeristes s’efforce de permettre aux galeries de développer ce « premier cercle » des collectionneurs, qui sont en résonance avec la ligne artistique de la galerie. Il n’y a certainement pas trop de foires, puisqu’elles semblent si rentables qu’il s’en crée tous les jours ! Il existe un modèle commercial, qui témoigne de cette nouvelle échelle industrielle. Mais je regrette que soient mélangées dans toutes les foires des enseignes artisanales (quand on en accepte encore…) et des enseignes industrielles. Dans une foire, le public ne peut découvrir quelles différences existent entre le modèle de Gagosian et celui de Gabrielle Maubrie, qui n’a jamais eu d’assistant. À travers mes activités multiples, qui sont parfois jugées conflictuelles, je suis du côté des artistes, au service desquels je tâche d’être un « critique d’art opérationnel », ce que mes modèles Pierre Restany ou Bernard Lamarche-Vadel ont toujours été – on le leur a assez reproché d’ailleurs ! Aujourd’hui, il n’y a pas d’autre reconnaissance que celle du marché, même s’il a plusieurs visages. Mais derrière le marché, il y a des femmes et des hommes qui achètent de l’art. Je veux les prendre par la main, et par les yeux, et les emmener vers autre chose. »
——— Stéphane Corréard launched Galeristes in 2016. He founded the Météo gallery in 1992 and directed it until 1998. His aim was to present work by French and French-speaking artists previously unshown in Paris. In 1998 he partnered with Gilbert Brownstone in a new gallery, which closed in 2000. His first time at the FIAC came in 1993, and was followed by Art Basel, Paris Photo, Artissima, Gramercy, Art Brussels and so on. He also directed the Salon de Montrouge for seven years. “Galeristes is the fruit of my personal experiences as a gallerist, collector and organizer of the Salon de Montrouge, along with changes in the art market since twenty-five years ago. At that time art fairs played less of a role, but they were already producing a certain frustration because paradoxically, fair visitors skip going to galleries. It’s convenient to have all the galleries in one place, but that becomes something of a marathon tasting session. As the wine critic Robert Parker wrote, after sipping fifty different wines you can no longer tell if you’re drinking beer, Coke or Mouton-Rothschild! Fairs are not set up for discovering new artists; the most spectacular works get all the attention. The visible part of art and its market has be-
come industrial. But wherever you find industry, you also find individual professionals who work on a human scale.The curious and engagé collector Antoine de Galbert says that as far as he’s concerned the FIAC week is as much torture as the June 21st all-night Fête de la Musique is for true music-lovers. Some moviegoers never go to anything but blockbusters, but others prefer auteur films. Until the early 1980s, galleries were some of the few places you could learn about contemporary art, and everyone who loved contemporary art went there. Today we’re assaulted by too much information. So the question now is this: Are gallery visits still worth it? Today people don’t make the rounds of the galleries, they check out gallerists at fairs.The Galeristes show tries to help gallerists develop an inner circle of collectors in tune with the kind of art each gallery features. There is clearly not an overabundance of fairs—they seem so profitable that new ones are launched every day! There is a business model for this new kind of industrial-scale event. But I’m sorry to see that all the fairs jumble together old-fashioned individual gallerist-based galleries with today’s corporate kind. Fairgoers aren’t aware of the difference between the Gagosian model and Gabrielle Maubrie, who has never even had an assistant. In all of my various activities, which are sometimes judged as mutually conflicting, I’m on the side of the artists. It’s in their service that I strive to be an “operational art critic,” as my role models Pierre Restany and Bernard Lamarche-Vadel have always been—and they’ve been roundly criticized for that! These days the market is the art world’s only source of recognition, even if it has many faces. But behind the market there are women and men who buy art. I want to take them by the hand, and the eyes, and steer them toward something else.”
Translation, L-ST
FABIENNE LECLERC La galerie In Situ Fabienne Leclerc a ouvert en 2001 dans le quartier de la rue Louise Weiss, puis s’est installée à Saint-Germaindes-Prés, dans le Marais et, depuis un an, sur le très vivant boulevard de la Chapelle, où de plus en plus de grands espaces ouvrent leurs portes. « Pour le nouveau lieu, j’ai d’abord cherché dans le Marais mais tout était décevant et cher. Il n’y a plus que des magasins de vêtements ! Alors que du côté de Stalingrad, il y a des jeunes qui sortent, et des ateliers. Et puis, avec un grand espace, j’ai privilégié la qualité de monstration des oeuvres. Il y a aussi un mouvement vers le nord de Paris : Thaddaeus Ropac à Pantin, le CNEAI aux Magasins Généraux, et bientôt la Fondation Fiminco à Romainville, qui m’intéresse et avec qui je suis en train de me lier. Il y aura un grand lieu d’exposition, des ateliers, des outils pour les artistes. Ceux qui ont participé à la rue Louise Weiss regrettent cette époque. Dans ce quartier où il n’y avait rien, où les locaux étaient laids, il y a eu un monde fou pendant dix ans, c’était là que ça se passait ! J’ai adoré être à côté d’art: concept, de Perrotin, de gb agency. Nous n’avions pas les mêmes manières de travailler, mais il y avait une synergie, c’était joyeux ! Les artistes étaient là en permanence et faisaient des propositions variées. Aujourd’hui, cette émulation me manque. Je participe à la Fiac, Artissima, Art Genève, Art Basel Hong-Kong, Monaco ponctuellement, Dubaï et aujourd’hui plutôt Abou Dhabi pour toucher un autre public. Je deviens opportuniste par rapport aux foires : c’est un coût énorme pour les structures de notre taille. Je choisis deux foires internationales dans lesquelles on sait qu’on risque de perdre de l’argent. Peu de foires rapportent; même à la Fiac, certaines années les ventes marchent bien, et d’autres années ce n’est pas le cas. On est de plus en plus attentif à de petites foires dont les coûts sont moindres, et où on touche des collectionneurs pointus. J’aime aussi beaucoup les foires où les galeries sont invitées par des commissaires. Cela apporte un public de conservateurs de musées, de commissaires d’expositions, de presse. On sait qu’il y aura une suite positive, pas forcément en ventes. Une foire où on vend tout et où on ne rencontre personne ne m’intéresse pas. Je m’étonne que beaucoup de collectionneurs n’aient plus la curiosité de venir voir les expositions à la galerie. Sur un stand, ils n’ont pas le temps de parler car ils ont peur de rater une pièce quelques mètres plus loin. En voyant 160 galeries, ils ont l’impression de les connaître, mais c’est faux. Beaucoup d’artistes n’ont pas les formats adaptés aux foires. Aujourd’hui, peu de personnes parient et beaucoup cherchent le bon investissement. Parfois, je me dis que ce sont les Noirmont qui ont tout compris en accompagnant les artistes dans la production sans lieu d’exposition. Mais cela ne me suffit pas, car j’aime travailler sur le long terme et faire venir des gens à la galerie. Ce qui est difficile est que ceux qui ont le temps de parler, des jeunes ou des intellectuels, ne sont en général pas ceux qui ont les moyens de nous faire vivre. »
——— The In Situ Fabienne Leclerc gallery opened in 2001 in the Rue Louise Weiss quarter, after that moved to Saint-Germain-des-Prés, followed by the Marais, and, a year ago, the very lively Boulevard de la Chapelle, in northern Paris where more and more large-scale venues are setting up shop. “When I was looking for a new location I first considered the Marais, but everything was disappointing and expensive. Now there’s nothing but clothing shops! But the Stalingrad area is full of studios and young people who like to go out. And with a big space, I can do higher-quality hangings. Galleries are also moving into Paris’s northern suburbs—Thaddaeus Ropac to Pantin, the CNEAI to the Magasins Généraux and soon the Fondation Fiminco to Romainville. I’m interested in that and getting involved. There will be a big exhibition venue, studios and tools for artists. Those of us who experienced Rue Louise Weiss miss those days. That formerly industrial quarter was still almost most uninhabited back then, and the buildings were ugly, but people came to the galleries in droves. That’s where it was happening! I loved being neighbors with galleries like art: concept, Perrotin and gb agency. We
all had our own particular approach, but there was a synergy. It was a happy time. There were always artists around and they had all kinds of ideas for shows. I miss that kind of emulation. I take part in the FIAC, Art Geneva, Art Basel Hong Kong, sometimes Monaco, Dubai and these days more likely Abu Dhabi to reach out to a different kind of clientele. I’m becoming opportunistic in regard to fairs, since they represent such an enormous expense for galleries like us. I’ve chosen two international fairs where we know we might lose money. Actually, you lose money at most fairs. Even at the FIAC, sales go well some years and some they don’t. We are increasingly paying attention to small fairs where the costs are lower and we reach more knowledgeable collectors. I also really like fairs where curators invite the galleries. They attract museum people and other curators and the art press. We know that the results will be positive, even if not necessarily in terms of sales. I have no interest in fairs where you sell everything and meet no one. I’m surprised that many collectors are no longer curious enough to come to gallery shows. When they come to your booth, they don’t take the time to talk because they’re afraid of missing something a little further down the line.They walk by 160 galleries and feel like they know them, but that’s not the case. Many artists don’t work in formats suitable for an art fair. Today, not many people are willing to take a chance. What they want is a solid investment. Sometimes I tell myself that the Noirmonts were right in supporting artists during the art production phase without owning an exhibition space. But that’s not enough for me, because I like to work on a more longterm basis and bring people to my gallery. The problem is that the people who have the time to talk, young people and intellectuals, do not, generally speaking, have enough money to spend for us to make a living.
Translation, L-ST
BENOÎT PORCHER Après avoir créé la maison d’édition Semiose en 1999, Benoît Porcher ouvre sa galerie du même nom en 2007. Il travaille avec de jeunes artistes et des figures historiques qui n’avaient pas ou peu de représentation sur le marché, comme Jean Dupuy ou Piero Gilardi. Entré à la Fiac en 2009, alors qu’une partie de la foire se tenait dans la Cour Carrée du Louvre, il participe également à Drawing Now, Art Brussels et parfois Artissima. « Sur une foire, il faut être efficace, sortir du lot. Certains sont très mesurés, d’autres maximalistes. Pour moi, la scénographie est primordiale, demande un vrai regard curatorial : un stand de foire doit s’envisager comme une exposition. En effet, la mise en valeur des oeuvres doit rester primordiale. J’ai vu toutes les Fiac depuis que j’ai 16 ans, avec des oeuvres dont je me souviens encore aujourd’hui, même si les conditions d’éclairage et d’exposition sont plus primitives que dans les musées. En tant que visiteur, j’apprécie beaucoup les foires. Les foires apportent une visibilité pour les artistes, mais aussi une possibilité de conquérir de nouveaux marchés, de revoir et de rencontrer des collectionneurs, des curators, des conservateurs de musée. Par ailleurs, les programmes hors-les-murs de la Fiac au Jardin des Plantes, aux Tuileries et au Petit Palais nous offrent l’opportunité de montrer des pièces que l’on ne pourrait pas montrer à la galerie. Avec Semiose, j’ai, dans un premier temps, privilégié la consolidation de notre présence sur les foires françaises ; aujourd’hui, nous participons également à de nombreuses foires internationales, Art Brussels notamment. Le reproche fait aux foires d’être trop centrées sur le marché ne me semble pas entièrement fondé ; les foires sont également des endroits privilégiés pour les rencontres, les échanges autour de l’art et de nos artistes. Y a-t-il trop de foires ? L’objectif est surtout de savoir bien choisir ses foires. Je préfère celles dans lesquelles il y a un cercle de sympathie avec des collectionneurs bienveillants, des conservateurs de musée qui s’intéressent à la galerie. Je n’ai pas la sensation que les collectionneurs soient aujourd’hui moins engagés, le programme de la galerie étant assez éloigné de la “collection spéculation“. Le regroupement des galeries est une belle idée ; dans le Marais, j’ai la chance de bénéficier de la proximité de mes confrères. C’est comme une grande allée de foire à ciel ouvert, l’intimité en plus ! La différence entre une foire et une galerie tient surtout au rythme, tout y est plus rapide, sans que cela nuise forcément à la qualité des échanges. C’est une ambiance stimulante, certains collectionneurs s’y reconnaissent plus. Notre métier est aujourd’hui en pleine évolution, avec la révolution numérique notamment qui a profondément changé notre façon de travailler en dix ans. Je reste très attaché au papier, je continue à envoyer des invitations par la poste, à imprimer des catalogues. J’ai réussi à fédérer des gens autour d’un contenu, en publiant, en étant associé aux musées et à des collectionneurs de référence. Et j’ai la chance d’avoir de jeunes collectionneurs qui lisent, qui sont passionnés et enthousiastes. »
——— After founding the Semiose publishing house in 1999, Benoît Porcher opened the gallery with the same name in 2007. He works with young artists and historic figures who have had little or no market exposure, like Jean Dupuy and Piero Gilardi. He came aboard the FIAC in 2009, when the fair was still mainly based at the Cour Carrée at the Louvre, and also takes part in Drawing Now, Art Brussels and sometimes Artissima. “At an air fair you have to be effective and stand out from the crowd. Some people are very measured in this regard, others like to go over the top. For me, a good exhibition design is a basic requirement. You have to conceive it as if you were a curator working for a museum. After all, what we’re doing is making the artworks look their best. I’ve been to every FIAC since I was sixteen, and seen work I still remember today even if the lighting and exhibition facilities are more primitive than in a museum. As a visitor, I greatly appreciate fairs.
Fairs bring artists visibility and a chance to conquer new markets, to meet or catch up with collectors, curators and museum conservators. Further, the FIAC’s Hors-lesmurs project at the Jardin des Plantes, Tuileries and Petit Palais gives us a chance to show pieces that couldn’t be shown in a gallery. For Semiose, at first I focused on consolidating our presence at French fairs; today, we’re also present at many international fairs, particularly Art Brussels. Fairs are often criticized for being too market-centric, but I don’t think that’s entirely well founded. Fairs are also places for people to meet and talk about art, including our artists. Are there too many fairs? For me, the objective is to choose your fairs well. I prefer fairs where there’s a circle of sympathy, with benevolent collectors and museum curators who take an interest in the gallery. I don’t have the impression that collectors are less engaged today; our gallery doesn’t encourage speculation-driven collection. It’s a wonderful idea to group galleries together. In the Marais I’m lucky to benefit from having colleagues close by. It’s like strolling down the main aisle in a big openair gallery, and at the same time kind of cozy. The difference between a fair and a gallery is above all a question of tempo. At a fair everything goes much more quickly, but that doesn’t necessarily undermine the quality of the human exchanges. It’s a stimulating ambiance where some collectors feel more at home. Our profession is undergoing great changes today, especially with the digital revolution that has transformed the way we work in only a decade. I’m still very fond of paper; I still send out invitations by mail and print catalogues. I’ve been able to bring people together around publications and content, partnering with museums and leading collectors. And I’ve been lucky enough to have young collectors who read, who are passionate and enthusiastic.”
Translation, L-ST
ALIX DIONOT-MORANI ET AXEL DIBIE Fondée par A. Dionot-Morani et A. Dibie, la galerie Crèvecoeur a ouvert en 2009 à Belleville où s’étaient installées d’autres jeunes galeries, et où les loyers étaient moins chers qu’ailleurs. Ils ont co-fondé Paris Internationale qui ouvre cette année sa troisième édition. « Créer Paris Internationale nous est apparu comme une nécessité pour notre génération à un moment où nous avions le sentiment de ne pas avoir notre place à la Fiac. Avec Gregor Staiger de Zurich, Guillaume Sultana, Antoine Levy et High Art, nous avons créé un salon (plutôt qu’une foire) organisé par des galeries pour des galeries: nous sommes une association vouée uniquement au fonctionnement de la foire. Les deux premières années, nous avons occupé l’ancien hôtel particulier de la famille Gulbenkian et un hôtel voisin de l’avenue d’Iéna. Quoi de mieux pour une foire que de jouer sur l’atmosphère des intérieurs parisiens ? Cette année, nous serons dans le garage laissé vacant par Libération, avec de grands plateaux et une belle vue sur Paris. Nous organisons des programmes de discussions, et puis nous invitons des artists-runspaces gérés par des artistes ou des curators, comme Treize, Shaynaynay, Tonus, et une librairie, Section 7. C’est dans les foires que l’on noue des relations avec des collectionneurs. On les revoit dans d’autres foires, et ils viennent à la galerie quand ils sont à Paris. Nous sommes réalistes tout en ayant envie de défendre une scène pointue. Nous faisons quatre foires par an: Paris Internationale, Liste à Bâle, Art Basel Miami et, de temps en temps, une autre foire à l’étranger, comme Material à Mexico où nous retournons cette année pour nous ouvrir à de nouveaux marchés. Aux galeries de prendre leurs responsabilités, de ne pas participer à trop de foires. Cela est valable aussi pour les collectionneurs. D’ailleurs, je crois que cette bulle de foires est en train de se dégonfler naturellement. Cette année, nous nous sommes installés à Marseille, rue du Chevalier Roze qui accueille aussi d’autres galeries, des espaces d’exposition et des curators. C’est un phénomène comparable à celui de la rue Louise Weiss à Paris, qui était soutenu par la Mairie. À Marseille, c’est un propriétaire immobilier qui a mis des espaces à notre disposition pour trois ans. Nous aurons aussi une temporalité différente : trois expositions par an. La scène de Marseille est en plein frémissement, avec des artistes et des institutions, ce qui est singulier dans le contexte français très centralisé. À Paris, nous avons récemment changé d’espace. À Ménilmontant, à dix minutes à pied des autres galeries, nous pouvons faire des expositions plus ambitieuses. Il existe un système dont il faut savoir jouer, et qui offre alors une vraie liberté. Nous voulons inventer nos propres modèles. »
——— The Crèvecoeur gallery was opened by Alix Dionot-Morani and Axel Dibie in 2009 in Belleville, alongside other new galleries attracted by the lower rents. They cofounded Paris Internationale, now in its third edition, a must-see part of FIAC week in Paris. “We felt the launching of Paris Internationale was a necessity for our generation at a time when we didn’t really feel at home at the FIAC. With Gregor Staiger from Zurich, Guillaume Sultana, Antoine Levy and High Art, we created something more like a salon than a fair, organized by galleries for galleries. We’re a non-profit whose only function is to run the fair. The first two years we held it in a townhouse that formerly belonged to the Gulbenkian family and a neighboring building on Avenue d’Iéna. What could be more appropriate for an art fair than the atmosphere of a Parisian residence?This year we’ll be holding it in a former parking garage that served as the editorial offices of the daily
Libération, with big open-plan spaces and a great view of Paris. We’re organizing discussion programs and inviting spaces run by artists and curators like Treize, Shaynaynay, Tonus and a bookstore, Section 7. Our gallery networks with collectors at fairs. We see them at other fairs, and they come to our gallery when they’re in Paris. We’re realists, and at the same time want to promote a cutting-edge art scene. We do four fairs a year: Paris Internationale, Liste at Basel, Art Basel Miami and, from time to time, another fair abroad like Material in Mexico City, where we’re going back these year in search of new markets. It’s up to every gallery to be responsible and not do too many fairs. Fairs are also good for collectors. Further, I believe that the fair bubble is shrinking by itself, naturally. This year we’re setting up in Marseille, in a venue on Rue du Chevalier Roze that also hosts other galleries, exhibition spaces and curators. It’s a phenomenon similar to Rue Louise Weiss in Paris, which was backed by city hall. In Marseille, a real estate developer lent us a space for three years. Unlike in Paris, we’ll hold three shows a year. Marseille has
an up and coming art scene, in terms of artists and art spaces, that is unique in the highly centralized French context. In Paris we recently changed locations. In Ménilmontant, about a ten-minute walk from other galleries in Belleville, we have room for more ambitious shows.There’s a system, and if you have to know how to game it you can be really free. We want to invent our own models.”
Translation, L-ST ANNE-SARAH BÉNICHOU Pour Anne-Sarah Bénichou, qui a créé sa galerie il y a presque deux ans, le véritable soutien et l’accompagnement constant de la création n’existent pleinement que dans une galerie. « La première année, je n’ai voulu participer à aucune foire à cause du risque économique. Il faut d’abord s’implanter dans un système local. Ensuite, j’ai voulu participer à de bonnes foires – cette année Paréidolie à Marseille, Artissima à Turin, et Galeristes à Paris. Mes stands sont des petites expositions, et même si toutes les oeuvres sont vendues, elles restent en place jusqu’à la fin de la foire. À Artissima, qui est une « foire pour curators », il y a une véritable démarche artistique ; j’y partage un stand avec Laurence Bernard (Genève), dans le secteur historique (Back to the future), où je montrerai le travail encore mal connu de Marion Baruch, artiste roumaine née en 1929. Paréidolie est un petit salon où l’on n’achète pas en dix minutes comme sur les grandes foires ; les foires concentrées sur des médiums, comme Loop à Barcelone pour la vidéo, sont souvent excellentes. Galeristes, qui met l’accent sur la personnalité des galeristes, est aussi très intéressante : la ligne de ma galerie, c’est moi! Pour la suite, j’ai bien sûr envie de participer à la Fiac – cette année, j’étais sur liste d’attente – car cela offre une reconnaissance internationale et un accès à des collectionneurs qui ne vont pas dans les petites foires. Bien que l’on ait absolument besoin de foires, il me semble tout de même qu’il y en a beaucoup trop ! Les collectionneurs ne peuvent pas s’éparpiller à l’infini. Les foires sont indispensables économiquement, mais il n’est pas concevable pour moi de ne pas faire mon travail à la galerie. L’essentiel de mon budget va dans les expositions et 95% des gens qui viennent à la galerie ne sont pas des collectionneurs. Je désapprouve l’idée de galeries qui se contentent d’un bureau et de participations à des foires. Ce sont deux lieux de travail différents. Les foires servent principalement à vendre, car les collectionneurs viennent de moins en moins dans les galeries. Et puis, dans une foire, il y a une émulation économique liée à la sélection
Exposition « Partition du silence »
galerie Anne-Sarah Bénichou, Paris des participants et à la courte durée de la manifestation. Quand des galeries se regroupent dans un bâtiment ou même lorsque des vernissages communs et des événements sont organisés par les galeries d’une rue ou d’un quartier, ce n’est pas la même chose. Plus on avance, plus il y a de modèles de galeries et de foires. Beaucoup de galeries ferment mais beaucoup ouvrent aussi. Je crains qu’il y ait de moins en moins de galeries au sens classique, avec une intention de partage, d’ouverture et d’éducation culturelle, et qu’elles soient remplacées par des marchands dans des bureaux qui font des foires. Mais on peut arriver à faire ce travail à l’ancienne sans renier les nécessités économiques du 21e siècle, avec une liste d’artistes réduite, et en les accompagnant de plus en plus. Chantal Crousel fait cela très bien depuis trente-cinq ans. Il n’y a pas que le marché ! » ——— Anne-Sarah Bénichou founded her own gallery almost a decade ago out of a personal need to do so. She believes that a gallery is the best way to support artists. “The first year I didn’t want to do any fairs because it was too risky economically. First you have to put down roots in the local ecosystem. After that I wanted to do the right fairs.This year that means Paréidolie in Marseille, Artissima in Turin and Galeristes in Paris. My booths are mini-exhibitions; even if everything is sold it stays in place until the fair is over. At Artissima, which calls itself “a fair for curators,” they take an artistic approach to art. I’m sharing a booth there with Laurence Bernard (Geneva), in the historic section (Back to the Future), where I’ll be presenting the still relatively unknown work of Marion Baruch, a Romanian artist born in 1929. Paréidolie is a small salon where people don’t buy things after just ten minutes like at the big fairs. Fairs that focus on medium-sized galleries like Loop in Barcelona for video are often excellent. Galeristes, which emphsizes the personality of the gallerist, is also very interesting. My gallery’s approach is who I am. Next, of course I’d like to do FIAC—I’m on the waiting list this year—because it offers international recognition and access to the kind of collectors who don’t go to small fairs. While we absolutely do need art fairs, I still think there are just too many. There’s a limit to how thin collectors can spread themselves. Fairs are economically indispensable, but I can’t conceive of not doing my work at the gallery. My budget essentially goes for exhibitions, and 95 percent of the people who come to the gallery aren’t collectors. I disapprove of the idea that a gallery can rest content with a desk and showing at fairs. They constitute two different kinds of workplaces. Fairs are mainly about selling, since collectors visit galleries less and less. Also, at a fair, there’s an economic emulation linked to the selection of the participants and the short duration. It’s not the same thing when galleries group together in a building or organize common openings and other events on their block or in their neighborhood. The more things develop, the more we have different models of galleries and fairs. A lot of galleries are closing, but a lot are opening, too. I fear there will be fewer and fewer classical galleries whose mission includes sharing, open-endedness and cultural education, that they’ll be replaced by dealers who have their offices and their fair booths. But it is possible to do this job in the old-fashioned way without denying the economic necessities of the twenty-first century if you have a short list of artists and work with them more and more closely. Chantal Crousel has been doing that very well for more than thirty-five years. There’s more to art than the art market.