L’École des beaux-arts de Nantes sur la scène internationale
(The École des Beaux-art de Nantes, at Home and Internationally) Interview de Pierre-Jean Galdin par Anaël Pigeat
interview de Pierre-Jean Galdin par Anaël Pigeat L’École des beaux-arts de Nantes vient de rouvrir dans un nouveau bâtiment. Ce chantier est l’occasion de réinventer un projet pédagogique international que Pierre-Jean Galdin, son directeur, nous explique dans cet entretien.
L’École des beaux-arts de Nantes, fondée en 1904, était jusqu’à présent installée dans le centre historique de Nantes. Qu’est-ce qui vous a conduit à lancer le chantier du nouveau bâtiment sur l’île de Nantes ? Ce chantier est d’actualité depuis presque quarante ans. Il y a longtemps que l’école n’est plus adaptée : depuis les années 1980, les directeurs n’ont cessé de chercher de nouveaux locaux. Les différents projets n’ont pas abouti parce qu’il n’y avait pas de but précis. J’ai développé l’idée que ce nouveau bâtiment remettrait en jeu l’ensemble de l’enseignement supérieur artistique. Comme en Europe du Nord, en Angleterre et en Suisse, les disciplines ont grand besoin de passerelles entre elles. Au moment où je suis arrivé à la direction, le projet de la nouvelle école d’architecture de Nantes avait démarré. Je me suis engouffré dans cette
stratégie urbaine : pourquoi ne pas implanter là les différents lieux d’enseignement des arts ? Cela aurait un effet sur la professionnalisation et sur les formations mises en commun. Et puis cela nous a incité à assumer nos propres compétences, c’est-à-dire à nous recentrer sur l’option « art » plutôt que d’avoir un discours étendu à la communication, au numérique, au design, comme c’est le cas dans beaucoup d’écoles. L’art contemporain n’est pas périphérique à ces activités ; il en est le coeur.
POSITIONNEMENT TERRITORIAL
Un regroupement va avoir lieu entre l’école de Nantes et celle de Saint-Nazaire. Quelles en seront les conséquences ? Nous allons implanter une grande prépa aux écoles d’art à Saint-Nazaire. Je suis assez sceptique sur les prépas internes car on est souvent dans l’obligation morale d’intégrer à l’école tous les étudiants de la prépa. Cela produit une homogénéité qui risque de nous appauvrir et empêche les lycéens d’entrer dans les écoles. Avec ce regroupement, nous pourrons mieux réfléchir au recrutement de nos étudiants. Comment, par exemple, repérer des étudiants qui vont nous surprendre ? Il faut créer de nouveaux fonctionnements pour que les jeunes s’engagent dans des voies difficiles et développent une attractivité internationale, permettant de croiser d’autres histoires. Nous voulons donner plus de sens à ces années de formation, et ne pas nous contenter d’apprendre aux étudiants ce qu’un jury voudrait entendre. Concernant les profils des candidats, nous n’aurons pas les mêmes attentes que les prépas privées, car il n’est pas question de profit économique. C’est aussi évidemment un projet de développement du territoire, à travers l’estuaire qui relie les deux rives. Saint-Nazaire est une ville inspirante avec un centre d'art de référence, le Grand Café, et un environnement technologique important. Je prépare également une nouvelle formation interdisciplinaire dans le domaine du « design d'anticipation » sur le thème des voyages. Et la poursuite de la biennale Estuaire est en réflexion sur le sujet des ponts et des rivages entre les formes et les savoirs. Comment ce nouveau pôle va-t-il se situer dans le paysage des écoles d’art en France? Je ne défends pas de manière mécanique l’idée d’un grand réseau d’écoles d’art françaises, même si je trouve qu’elle est légitime. Un étudiant doit s’enrichir dans et endehors de nos écoles avec un environnement fort de musées, de collections, de galeries. La vie culturelle d’une grande ville, plutôt qu’un endroit déshérité, me paraît être le gage d’une meilleure formation. Je suis également favorable à une véritable politique de site, c’est-à-dire au financement par le territoire. Certains territoires sont moins engagés dans ces questions. La paupérisation de l’État est telle que l’on voit bien, dans les universités, qu’il y a peu de moyens par rapport à certaines écoles territoriales. Je prends garde aussi à ne pas mettre en avant des spécificités qui, si elles sont réelles, peuvent être un frein à l’interdisciplinarité. Il y a tellement de liens entre l’art, les sciences sociales, les sciences… Et puis toute l’histoire de l’art s’est enrichie par des ouvertures vers d’autres domaines. Un bon artiste est un braconnier qui vole des idées partout où il peut pour se les réapproprier. L'évolution de nos pratiques, particulièrement grâce au numérique et aux évolutions techniques, a déjà profondément transformé nos étudiants qui sont aujourd'hui « sans frontières ».
POSITIONNEMENT INTERNATIONAL
L’internationalisation et la mobilité des étudiants sont au coeur du nouveau projet de l’École des beaux-arts de Nantes. La nouvelle école se situe dans les anciennes halles d’Alstom ! Les sous-marins, les trains, les locomotives… J’aurais aimé le faire exprès ! Dès la fin du 19e siècle, l’art a mis en avant la circulation, aussi bien physique qu’intellectuelle. Or, il n’y a pas plus fermé qu’une école ; on y est en famille. La volonté que nous avons aujourd’hui est de ne pas nous enfermer sur nous-mêmes. Il y a aussi une mobilité dans l’école ellemême. La pédagogie de l’atelier fonctionne très bien ; c’est l’académisme des rapports entre maîtres et élèves dans les canons de la virtuosité et de l’intelligence. Mais cela n’a jamais été un modèle à Nantes. Il existe aussi la pédagogie de la cabane, qui date des années 1970 : l’étudiant arrive, construit sa cabane avec ses professeurs et ses collègues. Ce modèle-là, dans lequel ce sont les enseignants qui circulent, plutôt que les étudiants, a aussi ses limites. Alors j’ai construit un projet dans lequel les étudiants font des cabanes, mais sur leur dos ; ils circulent dans l’école au fur et à mesure que leurs projets personnels évoluent, et puis ils sortent aussi de l’école pour aller vers d’autres horizons. L’école est devenue une plateforme autour de la question du paysage, qui relie Nantes à Marfa au Texas, Séoul et Suncheon en Corée, Dakar et Rufisque au Sénégal. Je suis arrivé en 2004, alors qu’Estuaire était déjà en préparation pour sa première édition de 2007. Il était difficile de nous intégrer à ce projet dans lequel nous ne voyions pas de véritable place artistique pour l’école. Alors nous sommes repartis des origines : le land art. Nous sommes allés sur les terres américaines de Robert Smithson. Et nous sommes tombés sur Marfa. Dans ce lieu, il y a à la fois le paysage et l’art. Ce projet a ensuite été porté par É tienne Bernard, puis par Ida Soulard, en partenariat avec la Head Genève et aujourd'hui Houston University.