Jérôme Game
L’Attente, 152 p., 12,50 euros Salle d’embarquement est le dernier exemple en date du morphing processuel que nourrit presque l’ensemble du travail de Jérôme Game. Ce qui apparaît d’abord comme un récit aux allures non linéaires (les aventures de Benjamin C., un cadre qui sillonne le monde) cumule une multiplicité de modes narratifs qui déclenchent des déplacements de lecture ainsi que des redistributions de l’attention catégorielle. Dans une diversité de polices et de mises en page et par une coordination phrastique souvent contractée, hachée et métissée, le personnage de cette fiction s’assimile à un opérateur neutre (lire : non psychologisé) de captation, réglage/collimation et connexion. Benjamin aimante, assimile, filtre et rend sensible une série de données verbales et iconiques qui exemplifient nos discours ambiants. Ses déplacements dans des non-lieux (aéroports, chantiers) sont l’occasion de ponctions réitérées dans les interstices de nos conversations, de nos perceptions visuelles, de notre information documentaire (circulant par écrans, sites internet, journaux), de nos techniques (médiatiques, logistiques, managériales, de transport), donnant ainsi corps à ce que la notion de globalisation a de plus flou. Tout le roman peut alors se lire (aussi) comme un dispositif de connexions sensibles, ou encore une tentative de reconfiguration de l’expérience dans un espace-temps commun et partagé (qui est à la fois contexte sensible, espace public…). C’est là un lieu non topique de transactions (marchandes) et d’échanges (d’opinions), c’est-à-dire un espace saturé de rapports de pouvoir. En dernière analyse, Salle d’embarquement est bien une reconstruction d’un certain monde possible qui ne va pas sans envisager, en sourdine, la possibilité d’asseoir une éthique.
Luigi Magno